Page images
PDF
EPUB

Rochette, des frères de Grenier, de Jean Calas, et racontait l'histoire de l'inquisition et des confréries de Pénitents à Toulouse; ouvrage curieux par les faits qu'il réunit, mais entaché de déclamation d'un bout à l'autre. Ce livre ne pouvait qu'irriter les Toulousains, leurs Capitouls, les membres de leur parlement; Vollaire y fit mettre plusieurs cartons et obtint de l'auteur qu'il en retardât la publication'.

Ces habiles ménagements eurent un plein succès. N'ayant aucun prétexte pour désobéir, le parlement obéit. Enfin, écrit Voltaire au pasteur Vernes, le 24 mai 1763,

Enfin, l'infâme procédure des infâmes juges de Toulouse est partie ou part cette semaine. Nous espérons que l'affaire sera jugée au grand Conseil où nous aurons bonne justice, après quoi je mourrai content.

N. B. Le parlement de Toulouse ayant roué le père a écorché la mère. Il a fallu payer cher l'extradition des pièces; mais tout cela est fait par la justice. Ah! Manigoldi2 !

C'était encore annoncer deux mois trop tôt l'envoi de la procédure, qui ne partit de Toulouse que vers la fin de juillet. Louis se rendit à Paris en même temps; peut-être fut-il chargé de remettre à sa mère les actes, qui avaient été transcrits sur la requête de Mme Calas et à ses frais 3.

Qui ne croirait, au moins, à cette date, que la pauvre veuve et son ardent défenseur touchent au but? Il fallut encore un an avant que les cruelles sentences

4

,,!

[ocr errors]

1. A Damilaville, 28 mars 1763. Il offrit à plusieurs reprises d'indemniser Gébelin de sa bourse, et par une souscription entre quelques amis peu nombreux. (Notre recueil, p. 89.)

[merged small][ocr errors]

4446

3. Lettre de la sœur Fraisse, du 3 août. Elle accuse Louis de ce retard; au moins en était-il complice. Il lui avait affirmé que depuis deux mois les pièces étaient à Paris. Les ennemis acharnés de sa famille avaient pu abuser encore de sa faiblesse, pour entraver l'action de la justice. Il était seul à Toulouse pour représenter les siens et agir dans leur intérêt.

de Toulouse fussent cassées et mises à néant. Pénibles pour ses amis, tous ces délais étaient cruels pour elle.

Ces longueurs inévitables, écrit-elle 1, me désséspere et sy je navez la douce satisfaction d'avoir mes filles aupres de moy, je croy que je succomberai sou le poix de mes peines.

Ce fut le 4 juin 1764 que l'arrêt de cassation fut pro noncé par le Conseil privé du roi.

Le Roy en son conseil, après avoir cassé pour vices de forme, la sentence des Capitouls du 27 octobre 17612, l'arrêt du parlement du 9 mars 1762 et celui du 18 mars, même année, « a évoqué à soi et son Conseil le procès criminel jugé par lesdits arrêts, et icelui, circonstances et dépendances, a renvoyé et renvoie aux sieurs maîtres des requêtes de l'hôtel au Souverain. >>

Tel était le nom technique et barbare d'un tribunal composé des maîtres des requêtes et qui avait été établi pour rendre compte au Souverain des requêtes de son hôtel, c'est-à-dire de celles qui provenaient des gens de sa maison et (par extension) toutes celles dont il lui plaisait de se réserver la connaissance". Tout était à recommencer devant ces juges, derniers et définitifs; mais devant eux la nouvelle procédure ne devait pas languir; elle ne dura que neuf mois sous la direction laborieuse et intelligente de Dupleix de Bacquencourt, maître des requêtes.

Nous serons très-brefs sur ce dernier procès qui aboutit à un cinquième jugement. Les mêmes faits se repro

[ocr errors]

1. Lettre inédite à Cazeing fils aîné (communiquée par M. L. Destremx). 2. C'était celle qui envoyait à la torture Calas, sa femme et son fils, et ordonnait que les deux autres accusés seraient seulement présentés à la question.

3. Arrêt de mort de Jean Calas.

4. Bannissement de Pierre et acquittement des autres prévenus.

5. Voy. François Blanchard.

Roy, 1670, in-fo.

Les Maîtres des requêtes de l'Hôtel du

duisirent; mais, cette fois, les Calas et leurs défenseurs pouvaient agir au grand jour; ce furent leurs ennemis qui se cachèrent. Les premiers tinrent chez le comte d'Argental une assemblée à laquelle Mme Calas fut admise, où l'on délibéra sur les mesures à prendre, et qui se renouvela chaque fois que les nécessités de la défense l'exigèrent'.

Pendant ce temps Voltaire recevait de Toulouse les lettres anonymes les plus violentes. On y reprochait au parlement de n'avoir pas fait rouer les cinq accusés au lieu d'un seul 2.

Je crois que, s'ils me tenaient, ils pourraient bien me faire payer pour les Calas. J'ai eu bon nez, de toutes façons, de choisir mon camp sur la frontière.

Disons-le cependant, sinon à la décharge de ces magistrats, au moins pour rendre intelligible leur monstrueux aveuglement, dans cette dernière information se produisirent, pour la première fois, bien des témoignages favorables, que la rédaction inique de leur Monitoire et de leurs Briefs Intendits avaient rendus impossibles, ou que leurs nombreux actes d'intimidation avaient empêchés. Ce fut seulement alors qu'on put produire les dépositions écrites de huit négociants de Genève3, qui avaient connu depuis longtemps la famille Calas, celles plus importantes encore d'Alquier et du chanoine Azimond; ce fut alors, que les onze faits justificatifs qu'on n'avait point permis à Sudre de prouver purent être démontrés, ou du moins ceux d'entre eux dont le temps n'avait pas emporté tout vestige. On put faire

1. Voltaire à Argental, 24 juin 1764.

2. A Damilaville et Argental, le 29 juin. A d'Alembert, le 16 juillet.

3. Debrus, Jean et Philippe des Arts, Cathala, Roger, Prades, Calvet, Larguier. Ces signatures étaient certifiées par le secrétaire d'État, J. de Chapeaurouge et le résident de France Montpeyroux.

4. Voir celle d'Alquier, p. 49, celle d'Azimond, p. 63.

connaître la lettre où Marc-Antoine se plaignait à Cazeing de son frère Louis et l'appelait notre déserteur. On put prouver par un certificat du curé de Brassac que Marc-Antoine était à Brassac dès la veille de Noël et y resta jusqu'au lendemain de la fête, tandis que ce jour même on disait l'avoir vu à Toulouse dans le confessionnal de l'abbé Laplaigne; et, par un certificat du curé de Béziers, que Catherine Daumière était catholique de naissance et non nouvelle convertie, ce qui réduisait toute sa déposition à un impudent mensonge. Dire que si le parlement de Toulouse avait eu ces preuves sous les yeux il aurait jugé autrement, ce ne serait point le disculper, car il n'avait tenu qu'à lui de les avoir; on l'en avait supplié en vain et de mille manières, ne fût-ce que dans les quatre Mémoires de Sudre et de La Salle.

Il fallut publier des Mémoires nouveaux. Élie de Beaumont en donna un troisième, Mariette un quatrième, le jeune Lavaysse un second. Voltaire loua justement ce dernier dans une lettre à d'Argental :

Oui, sans doute, mon ange adorable, j'ai été infiniment touché du Mémoire du jeune Lavaysse, de sa simplicité attendrissante, de cette vérité sans ostentation qui n'appartient qu'à la

vertu.

Il écrivit avec grâce à Élie de Beaumont (le 27 février 1766):

Mes yeux ne peuvent guère lire, Monsieur; mais ils peuvent encore pleurer, et vous m'en avez fait bien apercevoir.

Dans ces Mémoires, il fallut combattre les calomnies sans cesse renaissantes qui ne cessaient de surgir de tous côtés et qui, à l'approche du moment décisif, prirent, même à Paris, un nouveau degré d'acharnement.

On disait qu'une fosse avait été préparée dans la

cave de la maison des Calas; qu'un piton à la voûte de cette cave avait servi à pendre Marc-Antoine; qu'on avait vu monter le cadavre de la cave au magasin. Il y avait à Paris, disait-on, quelqu'un qui avait connaissance personnelle de tel ou tel de ces faits. Élie de Beaumont demanda en vain que ce témoin insaisissable voulût bien se faire connaître; rien ne parut.

Avant même de réhabiliter le martyr, le Ministre qui avait approuvé sa mort fut obligé de châtier le premier et le plus acharné de ses persécuteurs. David fut destitué en février 17652.

C'est à Paris que la cause fut jugée en dernier ressort. Les accusés (car ils l'étaient de nouveau) allèrent dès le 28 février 3, s'enfermer à la Conciergerie. Ils y reçurent, dit Grimm, nombre de personnes de la première distinction. Damilaville les y visita et en rendit compte à Voltaire dans une lettre qui n'a pas été publiée *.

« J'ai passé, dit-il, deux heures aujourd'hui en prison avec Mme Calas et ses infortunés compagnons. Je les ai été consoler plusieurs fois depuis qu'ils y sont. Je ne suis pas le seul; bien d'autres gens de bien en ont fait autant, et j'ai vu avec une grande satisfaction qu'il y avait encore de la vertu et de l'honnêteté dans le monde. Ils sortiront après-demain; du moins je l'espère".

1. Ce mensonge n'était pas nouveau; voici comment Calas en fit justice dans un de ses interrogatoires (Arch. Imp.) :

<< INTERROGÉ S'il n'est vrai qu'ayant prémédité la mort de son fils, il avait fait faire dans la cave une fosse pour l'enterrer,

[ocr errors]

RÉPOND et dénie l'interrogatoire et dit qu'on n'a qu'à visiter la cave. »

2. Voir plus haut, p. 33.

[ocr errors]

3. Cette date se trouvé dans une lettre inédite de Court de Gébelin à M. Polier de Bottens, 10 mars (communiquée par M. le Pasteur Ch. Frossard.

4. Et qui, sauf ce seul passage, ne mérite pas de l'être (Collection Lajariette à Nantes). Elle est du 7 mars 1765.

5. Nous avons entre les mains la copie d'une lettre de félicitations emphatiques adressée à Mme Calas par le Lieutenant général du guet au moment où elle sortit de prison. Nous en citerons une seule phrase qui

« PreviousContinue »