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une sécurité que leur patrie ne leur offrait plus. Un mois après le supplice de Calas, Voltaire voyait encore arriver à Genève des fugitifs avec leurs enfants et leurs femmes, et il fit présenter au comte de Choiseul, alors ministre, ces réflexions d'un bon sens incontestable :

« En vérité, si le roi connaissait les conséquences funestes de cette horrible extravagance, il prendrait l'affaire des Calas plus à cœur que moi. Voilà déjà sept familles sorties de France! Avonsnous donc trop de manufacturiers et de cultivateurs?

« Je soumets ce petit article à la considération de M. le comte de Choiseul. >>

Le moment est venu de raconter les infatigables et généreux efforts de Voltaire pour réhabiliter la mémoire du supplicié et pour relever sa veuve et sa famille de l'ignominie et de la misère où on les avait plongées 1.

1. Nous avons pensé que nos lecteurs verraient ici avec intérêt la signature de Jean Calas; nous l'empruntons à une simple lettre d'affaires et de commerce.

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3. Calass

Celui qui reçut cette signature et celui même qui l'écrivit étaient loin d'imaginer quel intérêt tragique et de l'ordre le plus élevé s'y attacherait un jour.

CHAPITRE X.

VOLTAIRE.

« Cette tragédie me fait oublier toutes les autres, jusqu'aux miennes. >>

(Lettre à d'Argental, 5 juillet 1776.)

Avant la fin de mars 1762, un négociant marseillais, Dominique Audibert', qui se rendait de Toulouse à Genève, alla voir Voltaire et lui raconta le procès et l'affreuse exécution qui occupaient tous les esprits dans la ville qu'il venait de quitter. Il affirmait énergiquement que les Calas étaient innocents. A ce récit, Voltaire fut saisi d'horreur, et résolut immédiatement de savoir avec pleine certitude de quel côté était la vérité. Il voyait,

1. Il fut secrétaire de l'Académie de Marseille et mourut à Saint-Germain-en-Laye, le 10 août 1821.

2. « Je me souviendrai toute ma vie que vous fûtes le premier qui me parlâtes des Calas Vous avez été la première origine de la justice qu'on leur a rendue et de celle qu'on va leur rendre encore. » La date de cette lettre à Audibert diffère dans les éditions. Selon Beuchot, elle serait du 13 décembre 1763.

C'est donc par erreur que M. Sayous (Dix-huitième siècle à l'étranger, t. I, p. 344), si bien informé d'ordinaire, attribue à Moultou, MM. Haag et Gaberel à l'avocat de Végobre, l'honneur d'avoir éveillé en l'âme de Voltaire la première étincelle d'une feu si durable et si pur. Il a pu le faire croire lui-même à ses collaborateurs pour les stimuler, mais nous avons tout lieu de croire sincère et bien fondée la déclaration si nette adressée à Audibert.

d'une part ou de l'autre, le fanatisme, soit protestant soit catholique, aboutir à un acte de cruauté effroyable. Or, ce qu'il y avait peut-être de plus sincère et de plus vif en lui, c'était l'indignation ardente que lui inspiraient les crimes commis au nom de la religion. Il avait fort peu de religion sans doute; il en avait assez cependant, lui qui ne cessa jamais de croire en Dieu, pour que tout en lui se soulevât, à l'ouïe d'actes sanglants commis au nom de Dieu. Avant de savoir qui avait raison dans ce drame affreux, il résolut d'en avoir le cœur net.

C'est dans ce sentiment qu'il écrivit le 29 mars 1762 à d'Alembert :

Pour l'amour de Dieu, rendez aussi exécrable que vous le pourrez le fanatisme qui a fait pendre un fils par son père ou qui a fait rouer un innocent par huit conseillers du Roi.

– Cette horrible affaire, dit-il vers la même époque à son ami le comte d'Argental, déshonore la nature humaine, soit que Calas soit coupable, soit qu'il soit innocent. Il y a certainement, d'un côté ou de l'autre, un fanatisme horrible' et il est utile d'approfondir la vérité.

Dès le 25 mars, il communiqua l'horreur où le jetait cette histoire, à un singulier confident, cet étrange cardinal de Bernis, qui trouvait bon d'être appelé en vers Babet la Bouquetière.

Pourrai-je supplier Votre Éminence de vouloir bien me dire ce que je dois penser de l'aventure affreuse de ce Calas, roué à Toulouse pour avoir pendu son fils? C'est qu'on prétend ici qu'il est très-innocent, et qu'il en a pris Dieu à témoin en expirant. On prétend que trois juges ont protesté contre l'arrêt. Cette aventure me tient au cœur; elle m'attriste dans mes plaisirs; elle les corrompt. Il faut regarder le Parlement de Toulouse ou les protestants avec des yeux d'horreur.

La réponse de l'Eminence tarda jusqu'au 7 août et

1. Ces derniers mots se retrouvent presque textuellement dans une lettre de Voltaire à Mme *** (du Deffand?) en date du 2 août (1762), dont j'ai vu l'original au British Museum.

fut essentiellement équivoque; c'est un chef-d'œuvre du genre.

Il y a du louche des deux côtés ; le jugement est incompréhensible, mais le fait ne paraît pas éclairci. J'en vois assez pour être fort mécontent et même fort scandalisé.

Scandalisé! Par qui? - Mécontent! De quoi? Il est impossible de mieux suivre le conseil du fabuliste et d'ètre enrhumé plus à propos.

Il ne faut pas s'étonner de voir Voltaire consulter un cardinal sur le procès des Calas. Aussitôt qu'il se fut promis de voir le fond de cette affaire, il ne cessa de s'informer, écrivant de tous côtés à la fois et consultant tout le monde. Les premières réponses qu'il reçut étaient contradictoires. Ignorant les faits et trompés par le Monitoire, bien des protestants crurent, dans le premier moment, que le condamné avait commis quelque forfait.

Quel fut mon étonnement, dit-il plus tard, lorsqu'ayant écrit en Languedoc sur cette étrange aventure, catholiques et protestants me répondirent qu'il ne fallait pas douter du crime des Calas! (A Damilaville, 1er mars 1765),

Il ne tarda pas à apprendre que le jeune Donat Calas était à Genève, où il avait fui en apprenant, à Nîmes, les tragiques malheurs de sa famille. Voltaire revint de Ferney à sa maison des Délices pour l'avoir sous la main et l'interroger plus à l'aise 1.

Je fis venir le jeune Calas chez moi; je m'attendais à voir un nergumène, tel que son pays en a produit quelquefois. Je vis un enfant simple, ingénu, de la physionomie la plus douce et la plus intéressante et qui, en me parlant, faisait des efforts inutiles pour retenir ses larmes 2.

1. Lettre de Genève, 26 avril, à Paul Rabaut, par le Pasteur Théodore (Chiron)., Egl. du Dés., t. II, p. 324.

2. Voir sa Lettre à M. d'Am.... Il y donne un récit très-bref, mais intéressant, de ses relations avec les Calas et de la part qu'il prit à leur histoire,

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