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L'arrêt portait 1° que Calas subirait la question ordinaire et extraordinaire « pour tirer de lui l'aveu de son crime, complices et circonstances; »«< 2° qu'étant en chemise, tête et pieds nus, il serait conduit dans un chariot, des prisons du palais à la cathédrale, et que là devant la porte principale, étant à genoux, « tenant en ses mains une torche de cire jaune allumée du poids de deux livres, » l'exécuteur de la haute justice « lui fera faire amende honorable et demander pardon à Dieu, au roi et à la justice de ses méfaits; » 3° l'ayant remonté sur ledit chariot, l'exécuteur le conduira à la place Saint-Georges où, sur un échafaud, « il lui rompra et brisera bras, jambes, cuisses et reins; » 4° il le portera sur une roue et l'y couchera le visage tourné vers le ciel,« pour y vivre en peine et repentance de ses dits crimes et méfaits et servir d'exemple et donner de la terreur aux méchants, tout autant qu'il plaira à Dieu de lui donner de vie'.

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Cette sentence, qui serait très-cruelle, quand il s'agirait d'un véritable assassin, fut prononcée contre Jean Calas le 9 mars et exécutée dans tous ses affreux détails le lendemain.

Nous croyons devoir insérer ici le procès-verbal de cette hideuse boucherie, tel que le signa un homme que nous devions nous attendre à retrouver sur l'échafaud de sa victime, David de Beaudrigue. Ce procèsverbal est un monument historique d'une haute valeur, parce que l'innocence du condamné y éclate à chaque instant, à travers les ruses de ses interrogateurs et l'atrocité de ses tourments".

1. Note 18 à la fin du volume. - 2. Note 19, ibid.

3. Ce procès-verbal, abrégé de moitié, a été publié par M. Frédéric Thomas, avocat à la Cour impériale, dans les Petites Causes célèbres du jour, no 7, en juillet 1855, et inséré dans le journal la Presse le 2 août suivant. Nous avons collationné ce document sur l'acte authentique conservé aux Archives, et nous avons non-seulement rétabli ce qui manquait dans l'abrégé imprimé, mais reproduit le style et jusqu'à l'orthographe

PROCÈS-VERBAL d'exécution de jEAN CALAS PÈRE.

L'AN mil sept cent soixante-deux et le dixième jour du mois de mars après-midy, par devant nous, noble François-Raymond David de Beaudrigue et M. Leonard Daignan de Sendal, capitouls, dans le grand consistoire les plaids tenant, a été emmené par l'exécuteur de la haute justice le nommé Jean Calas père, accusé du crime d'homicide par luy commis sur la personne de Marc-Antoine Calas, son fils ainé, lequel, tête, pieds nuds, én chemise, ayant la hard au col, et étant à genoux, M. de Pijon, avocat du roy, a dit que le procès ayant été fait, tant de notre autorité que celle de la souveraine cour de parlement, à sa requête et à celle de M. le procureur général, pour cas de crime d'homicide contre ledit Jean Calas père et autres, ladite souveraine cour de parlement, par son arrêt, rendu le neuvième du courant en la chambre Tournelle, a condamné ledit Calas père à faire amende honorable devant la porte principale de l'église Saint-Etienne de Toulouse, et à être conduit ensuite à la place Saint-Georges, et sur un échafaud qui à cet effet y sera dressé, ledit Calas père y sera rompu vif et ensuite expiré sur une roue qui sera dressée tout auprès dudit échafaud, la face tournée vers le ciel, pour y vivre en peine et repentance de ses dits crime et méfaits, tout autant qu'il plaira à Dieu de lui donner la vie, et son corps mort jeté ensuite dans un bûcher ardent préparé à cet effet sur ladite place, pour y être consommé et ensuite les cendres jetées au vent; préalablement, ledit Calas père avoir été appliqué à la question ordinaire et extraordinaire; le condamne en outre à cent sols d'amende envers le Roy, déclare ses biens confisqués et acquis à qui de droit, distrait la troisième partie d'iceux pour sa femme et ses enfans, s'il en a, et aux dépens envers ceux qui les ont exposés. Et pour faire mettre ledit arrêt à exécution contre ledit Calas père, ladite cour renvoie devant nous, nous commettant quant à ce. Et attendu que ledit Calas père est présent, requiert qu'il soit tout présentement fait lecture par notre greffier du susdit arrêt; et à signé, de Pijon, avocat du Roy.

◄ SUR QUOy, nous dits capitouls, faisant droit sur les réquisitions du procureur du Roy, ordonnons qu'il sera tout présentement fait lecture par notre greffier du susdit arrêt.

« APRÈS QUOY, ledit procureur du Roy a de nouveau requis que, demeurant la lecture qui vient d'être faite du susdit arrêt, icelui soit exécuté contre ledit Calas père, suivant la forme et teneur, ce qui a été par nous ainsi ordonné.

de l'original. Il nous a paru important de lui laisser toute la froideur technique et barbare du langage officiel.

<< ET TOUT incontinent ledit Calas père ayant été conduit de notre ordre par l'exécuteur de la haute justice dans la chambre de la question, Pardevant nous susdits capitouls, accompagnés de Me Labat, notre assesseur, commissaire en cette partie, et de notre greffier, ledit Calas père ayant été mis sur le bouton de la question ordinaire, nous lui avons représenté que, par la lecture de l'arrêt qu'il vient d'entendre, il est condamné à mort, préalablement avoir été appliqué à la question ordinaire et extraordinaire, qu'il voit qu'il n'a que très-peu de temps à vivre, et des tourmens à souffrir; ce qui doit l'obliger, pour la décharge de sa conscience, de nous répondre et dire vérité, en nous déclarant ses crimes et méfaits, ensemble ses complices; et à l'instant, de notre mandement, ledit Calas père, la main levée à la passion figurée de Notre-Seigneur Jésus-Christ, a promis et juré de dire vérité.

« ET DE SUITE avons enjoint, tant à l'exécuteur de haute justice qu'à ses gardes et valets, de sortir de la dite chambre; et, iceux etirés, avons encore représenté audit Calas père qu'il ne peut, sans violer le serment qu'il vient de prêter, se dispenser de répondre ingénuement, sans détour et sans équivoque, aux interrogats que nous allons lui faire; qu'en déguisant la vérité, ses peines et tourmens seront redoublés.

INTERROGÉ de son nom, surnom, âge, qualité, demeure et de sa profession,

RÉPOND s'appeler Jean Calas père, marchand, âgé de soixantequatre ans, être marié et avoir des enfants.

INTERROGÉ avec qui il étoit en relation avec son commerce et quelles sont les maisons qu'il fréquentoit dans cette ville, comment s'appellent les personnes qu'il connoît et avec qui il commerçoit,

RÉPOND qu'il étoit en relation avec les sieurs Tissié, Cazeing, Francés et autres marchands.

INTERROGE S'il n'est vray que luy et sa femme ont vécu jusques icy dans la religion prétendue réformée et ont élevé leurs enfants dans la religion prétendue réformée,

REPOND et avoue l'Interrogatoire.

INTERROGE s'il n'est vray qu'il fréquentoit souvent le sieur Cazeing, logé à la place de la Bourse, s'il ne se rendoit souvent chez luy, en compagnie de qui il sy rendoit,

RÉPOND et dit qu'il se rendoit quelquefois chez ledit Cazeing en visite et avec le sieur Tissié et quelquefois avec le sieur de Serres, marchand.

INTERROGÉ s'il n'est vray que le treize du mois d'octobre dernier Lavaysse soupa chez luy,

RÉPOND et avoue l'Interrogatoire.

INTERROGÉ S'il n'est vray qu'ils soupèrent tous ensemble, avec

sa famille composée de Jean Pierre Calas, son fils, Marc Antoine Calas, son autre fils, Lavaisse, et la femme du répondant, RÉPOND et avoue l'Interrogatoire.

INTERROGÉ s'il n'est vray que Lavaisse l'avoit été voir l'après midy et qu'ils sortirent ensemble, en attendant l'heure du souper, où est-ce qu'ils furent, ou si Lavaisse sortit avec Jean Pierre Calas, son fils cadet et à quelle (heure) est-ce qu'ils rentrèrent?

RÉPOND qu'il ne sortit point avec ledit Lavaisse, mais que Jean Pierre Calas, son fils cadet, sortit avec ledit Lavaisse et qu'ils rentrèrent de sept à sept heures un quart.

INTERROGÉ s'il n'est vray que dès que Lavaisse, son fils Jean Pierre, et luy qui répond furent rentrés, il ne fit fermer à verrouil la porte de la rue, et que personne plus n'entra chez luy jusqu'à l'heure du souper,

RÉPOND et dit qu'il étoit dans son appartement lorsque son fils se retira avec Lavaisse et qu'ils fermèrent la porte, sans savoir (sans qu'il sache) si c'étoit à verrouil ou comment, et qu'il n'étoit dans l'usage de la fermer a verrouil que lorsqu'ils allaient se coucher.

INTERROGÉ S'il n'est vray qu'il fût averty l'après-midy1 que son fils Marc Antoine devoit changer de religion,

RÉPOND et dénie l'Interrogatoire, et personne ne luy en a jamais parlé.

INTERROGÉ s'il n'est vray qu'à raison de ce, il forma le dessein de l'étrangler de concert avec Lavaisse, son fils Jean Pierre, la femme de luy qui repond et sa servante,

RÉPOND et dénie l'Interrogatoire, et dit qu'ils n'ont jamais formé des projets aussi exécrables.

INTERROGÉ S'il n'est vray qu'il a toujours vexé ses enfants à raison de ce, et notamment celuy qui s'est rendu à la religion catholique, qu'il l'avoit enfermé dans la cave et d'où M. Barbenegre, curé de Saint-Etienne, alla le retirer,

RÉPOND qu'il n'a jamais vexé aucun de ses enfants a raison de la religion catholique et que M• Barbenegre n'a jamais été chez luy".

INTERROGE s'il n'est vray que, continuant ses vexations et ayant été instruit le treize dans l'après midy que son fils Marc Antoine devoit changer et embrasser la religion catholique, il ne forma le dessein de l'étrangler,

RÉPOND et dénie l'Interrogatoire dans tout son entier.

INTERROGÉ s'il n'est vray que le même soir qu'il donna à souper

1. On avait donc renoncé à prétendre que Marc-Antoine était déjà condamné depuis plusieurs jours et que Lavaysse avait été mandé de Bordeaux pour l'exécution.

2. Le fait eût été facile à vérifier.

à Gaubert Lavaisse fils, du moment qu'ils furent rentrés ches luy avec Jean Pierre Calas son fils, Lavaisse et luy qui repond et sa femme ne se quitterent pas, de même que la servante,

RÉPOND et accorde l'Interrogatoire et dit que la servante passa seulement a la cuisine et qu'ils se mirent a table en entrant et qu'ils ne se quitterent pas du tout, ni avant ni apres le souper. INTERROGÉ s'il n'est vray qu'ils conçurent dès ce moment tous ensemble le projet d'etrangler ledit Marc Antoine Calas, ou si c'est luy seul qui repond qui commit le crime dont il s'agit,

RÉPOND et dit qu'il n'a point eu ce dessein ni en famille ni en seul.

INTERROGÉ s'il n'est vray qu'ils ont exécuté tous ensemble ce projet, ou luy seul ce noir attentat, si c'est avant ou après le souper que Marc-Antoine Calas a été étranglé ?

REPOND et dit qu'ils ne l'ont pas fait, ni luy qui repond, et qu'ils l'ont trouvé pendu après souper, quand Lavaisse descendit pour se retirer.

INTERROGÉ S'il n'est vray que Marc Antoine Calas soupa avec eux, RÉPOND et avoue l'Interrogatoire.

INTERROGÉ s'il n'est vray que le cadavre de Marc Antoine Calas son fils fut trouvé étendu à terre dans la boutique en chemise, son habit plié sur le comptoir avec son chapeau,

RÉPOND qu'ils le trouverent pendu sur les deux battants de la porte du magazin, déniant le surplus de l'Interrogatoire.

Luy avons représenté qu'il ne dit pas la vérité, nous ayant dit dans son precedent' Interrogatoire qu'on l'avoit trouvé étendu mort a terre au même endroit ou nous le trouvâmes lors de notre transport,

RÉPOND et dit que lors de son audition d'office, il est vray qu'il dit qu'on avoit trouvé ledit Marc Antoine Calas son fils, étendu mort entre la boutique et le magasin; et dans son second interrogatoire, voulant dire la vérité, il dit qu'ils le trouvèrent suspendu sur les deux battants de la porte du magasin et qu'à l'égard de l'habit et du chapeau, il ne s'aperçut pas ou il etoit, dans le grand trouble ou il etoit.

INTERROGÉ S'il n'est vray que c'est dans la chambre ou ils souperent qu'ils étranglerent ledit Marc Antoine, ou si c'est dans la boutique avec le billot dont s'agit, qui fut trouvé derrière la porte et la corde qui fut trouvée derrière le comptoir et le tout reconnu par luy qui repond,

RÉPOND et dit que ni les uns ni les autres ne l'ont point etranglé en aucun endroit, ayant reconnu dans ses précédents Interrogatoires ledit billot et ladite corde.

1. Ceci est de mauvaise foi; ce n'était pas dans le précédent interrogatoire; c'était dans le premier de tous, et avant l'écrou.

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