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sible que la vie des hommes dépende de gens aussi absurdes? Les têtes des Hurons et des Topinambous sont mieux faites1.

Tout autre était l'esprit de l'ancienne législation qui avait établi en principe qu'une accusation dont la vérité n'est pas pleinement démontrée doit être tenue pour complétement fausse et que la preuve, si elle n'est entière, est nulle.

Probatio quæ non est plena veritas, est plena falsitas; sic quod non est plena probatio, planè nulla est probatio.

D'après ce texte, la condamnation des Calas eût été impossible.

1. On peut répondre à Voltaire qu'il ne s'agit pas plus ici de Visigoths que de Topinambous, mais des règles de la procédure sous le régime de l'Ordonnance de 1670. « Le législateur, dit M. Faustin Hélie, pour donner peut-être un contre-poids à la procédure secrète, avait lié les juges étroitement, par une foule de petites règles qu'il avait semées devant leurs pas et qui enchaînaient complétement leur volonté. Ces règles précisaient à l'avance la valeur légale de chaque fait, de chaque circonstance du procès, matérialisaient les éléments du jugement et dictaient au juge sa décision, indépendamment de sa propre conviction.... Dès que la cause constatait telle preuve, telle présomption, tel indice, il devait attacher à cet indice, à cette présomption, à cette preuve, l'effet que la loi avait voulu lui assigner. >> Plus loin l'auteur indique la classification des preuves en pleines et demi-pleines, manifestes, considérables et imparfaites, concluantes et démonstratives, réelles ou présomptives, affirmatives ou négatives. Chaque preuve, ensuite, était assujettie à des règles spéciales suivant qu'elle était vocale, littérale, testimoniale ou conjecturale. Cette dernière, qui se tirait des indices, signes, adminicules et présomptions, était la plus difficile et la plus périlleuse. On distinguait les indices indubitables ou violents, graves et légers. « Plusieurs indices légers joints ensemble formaient un indice grave; un indice grave valait un peu moins qu'une semi-preuve; deux indices graves formaient un indice violent; un indice violent suffisait pour condamner à la question; plusieurs indices violents devaient entraîner la condamnation définitive, surtout en matière de grands crimes (p. 657.) » Qu'on applique cette méthode à l'affaire qui nous occupe et à cette multitude de témoignages hostiles, on comprendra le danger où étaient les accusés, entre les mains de juges passionnés.

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CHAPITRE VIII.

PAUL RABAUT ET LES PROTESTANTS DE FRANCE

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Le protestantisme, religion de parricides. -Déclaration de Genève.

La Beaumelle et Paul Rabaut, RéLuther et Calvin cités comme Noble réplique de Rabaut. Son écrit

Vor clamantis in deserto.

« Je ne doute pas, Monsieur, écrivait le comte de Saint-Florentin au marquis de Gudane, gouverneur du pays de Foix, de la sensation que la procédure instruite contre les Calas a faite parmi les Religionnaires du païs de Foix. Vous avez très-bien fait d'éclairer leurs démarches durant le cours de cette affaire'. »

1

Ce qui agita et consterna les Églises réformées de France, plus encore que le supplice du pasteur Rochette et de ses trois amis, plus même que le danger des Calas et l'horrible exécution du père de famille, ce fut la calomnie inouïe du Monitoire, accusant, au nom de la justice et par la voie du clergé catholique, les protestants d'enseigner et de mettre en pratique un système d'assassinat à l'égard de leurs propres enfants. «< Chaque

1. Dépêche du 10 juin 1762, Arch. Imp.

protestant, écrivait au duc de Fitz-James son agent Alison, regardait cette affaire comme personnelle, parce qu'ils prétendaient qu'on avait répandu que la doctrine de Calvin permettait aux parents de tuer leurs enfants qui changeaient de religion'. Leurs ennemis allaient jusqu'à expliquer par cette loi imaginaire la durée de leur Église en France; on ne s'étonnait plus de voir les enfants de ceux qui portaient le titre légal de NouveauxConvertis persévérer dans l'ancienne foi de leurs pères, puisqu'ils n'auraient pu la quitter qu'au péril de leur vie; et l'on se disait que la Saint-Barthélemy et la Révocation de l'Édit n'étaient pas des mesures trop cruelles contre une secte si dénaturée et si sanguinaire. On déclamait contre l'horreur d'une religion de parricides; et les protestants étaient justement indignés d'une calomnie si criante, si inattendue, après deux siècles et demi de martyres, dans un pays autrefois à moitié réformé, où des milliers de pères avaient vu leurs enfants abjurer de gré ou de force, sans qu'un seul les en eût punis par le meurtre.

Les nations protestantes s'étonnèrent que la France, au dix-huitième siècle, eùt des populations entières si peu instruites de ce qui se passait au milieu d'elles, et des juges même, si étrangement ignorants. Quand on apprit en Suisse, en Angleterre, en Allemagne, en Hollande, dans les royaumes du Nord, l'incroyable accusation qui pesait sur le protestantisme en France, on en fut stupéfait.

Cette surprise générale aurait été plus profonde encore si l'on avait pu lire ces paroles de M. le président du Puget au principal Ministre :

« Mon zèle pour le service du Roy m'engage de vous représenter, Monseigneur, qu'il seroit essentiel de trouver des moyens pour empêcher l'entrée des Ministres de la Religion prétendue

1. Egl. du Désert, t. II, p. 331.

réformée dans le royaume, et empêcher leur commerce avec ceux de la même Religion qui sont dans les pays étrangers, où ils enseignent des maximes sanguinaires qu'ils viennent répandre dans nos contrées, en procurant par là des crimes affreux1. »

Ces derniers mots concernaient surtout la Suisse et plus particulièrement encore Genève et Lausanne, où allaient étudier les futurs pasteurs de nos Églises, depuis la réorganisation par Antoine Court d'un ministère régulier. Le bruit courait d'ailleurs, et nous verrons bientôt que ce n'était nullement au hasard, que Calvin avait formellement commandé aux parents de tuer leurs enfants apostats; on citait l'endroit de l'Institution chrétienne où devait se trouver cet infâme précepte.

L'avocat Sudre se vit obligé, pour réfuter cette calomnie, d'appeler en témoignage les autorités soit ecclésiastiques, soit civiles de Genève, et publia dans son Mémoire la déclaration suivante, dont la nécessité bien constatée nous semble humiliante, non pour ceux qui la donnèrent, mais pour ceux qui avaient besoin de l'entendre. Rien ne prouve mieux, selon nous, la sincérité, mais aussi le honteux aveuglement du fanatisme toulousain. De crainte que cette Déclaration ne fût encore suspectée comme venant de ministres, on la fit certifier par les Syndics (signé : Lullin) et par le Résident de France, Baron de Montpeyroux. Elle fut suivie d'une déclaration de la République de Genève (c'est-à-dire des Syndics et Conseil) portant qu'à Genève ni la différence de culte ni le changement de religion ne rendaient qui que ce fût incapable de succéder.

DÉCLARATION

de la Vénérable Compagnie des Pasteurs et Professeurs
de l'Église et de l'Académie de Genève.

Spectacle Delorme, avocat en cette ville, requis au nom d'un avocat étranger, de l'informer, s'il est vrai que ce soit un prin

1. Voir Pièces justificatives, XXII.

cipe admis dans notre Église, ou approuvé par un Synode tenu à Genève, qu'un père puisse faire mourir ses enfants, quand ils veulent changer de religion, s'est adressé à cette Compagnie, et l'a priée de donner à cet égard une Déclaration authentique des faits, disant que notre Église est ouvertement accusée d'avoir un tel principe, et qu'il est essentiel, pour un cas très-grave, que la vérité sur ce point soit parfaitement connue.

Sur quoi opiné, chaque Membre de la Compagnie a témoigné l'horreur dont il avait été saisi, à l'ouïe d'une pareille imputation, et son étonnement de ce qu'il se trouve des Chrétiens capables de soupçonner d'autres Chrétiens d'avoir des sentiments si exécrables.

Cependant, puisque l'on croit nécessaire que la Compagnie s'explique sur une opinion si étrange, elle dit et déclare:

Qu'il n'y a jamais eu parmi nous, ni Synode, ni aucune assemblée qui ait approuvé cette doctrine abominable, qu'un père puisse ôter la vie à ses enfants, pour prévenir leur changement de Religion, ou pour les en punir; que même jamais pareille question n'a été agitée, d'autant que de telles horreurs ne se présument point: que ni Calvin, ni aucun de nos Docteurs n'a jamais rien enseigné de semblable, ni même d'approchant, et que bien loin que ce soit la doctrine de notre Église, nous la détestons unanimement et l'abhorrons, comme également contraire à la nature, à la Religion chrétienne, et aux principes des Églises protestantes. A Genève, le 29 janvier 1762.

Expédié par ordre de la Compagnie des Pasteurs et Professeurs de l'Église et de l'Académie de Genève, au nom desquels et pour tous, ont signé

MAURICE, Modérateur.
LE COINTE, Secrétaire.

Mais ce n'était pas assez que les protestants étrangers répondissent à l'outrage d'un si affreux mensonge. Il fallut que ceux de France à leur tour se défendissent. L'entreprise n'était pas sans dangers. « Il est fâcheux, écrivait plus tard Audibert à Voltaire, que ceux des sujets du roy, qui par leur religion auraient un intérêt pressant et personnel de lever la voix... soient forcés par ménagement de rester dans le silence pour ne pas compromettre leur état. » Une voix hardie et vénérée osa parler pour eux.

Leur représentant le plus accrédité à cette époque était Paul Rabaut, l'illustre pasteur du désert, le père de

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