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droit, brûlé vif à Toulouse 1. Pendant trente ans, un grand nombre de huguenots y furent mis à mort, sans que l'Église Réformée cessât de s'accroître; le parlement, le clergé et une partie de la population sévissaient en toute occasion, mais en vain. L'édit de janvier interrompit ces persécutions et autorisa le culte réformé; quelques-uns des Capitouls en charge à ce moment étaient favorables au protestantisme. Ils firent bâtir, en dehors de la porte de Villeneuve, un temple qui pouvait contenir huit mille personnes et qui se trouva encore trop petit. Cette tolérance publique irrita d'autant plus les adversaires de la Réforme.

En 1562, dix ans avant la Saint-Barthélemy parisienne, Toulouse eut la sienne2. Des protestants ensevelissaient une femme; quelques catholiques prétendirent que la défunte était de leur Église, attaquèrent le cortége funèbre et s'emparèrent du cadavre. Une rixe violente eut lieu. Un prêtre sonna le tocsin. La population catholique se jeta sur les réformés, beaucoup moins nombreux, et la grande majorité du Parlement prit hautement parti contre eux. Ce corps fit le tour de la ville en robes rouges, ordonnant aux catholiques, de la part du roi, de courre sus aux réformés, les engageant à adopter une croix blanche comme signe de ralliement et à marquer leurs maisons. Ainsi organisée, la guerre civile devint affreuse ; les protestants se retranchèrent dans l'Hôtel de Ville, où ils avaient quelques pièces de canon; pour les en déloger, on mit le feu aux maisons contiguës, et le Parlement défendit sous peine de mort d'éteindre l'incendie; mais les assiégés abattirent à coups de canon ces maisons enflammées. Alors Fourquevaux, gouverneur de

1. C'est à propos de ce supplice et d'autres qui suivirent, que Rabelais montre son héros fuyant Toulouse, et accuse les habitants de faire brusler leurs régents tout vifs (Pant. II, v). »

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2. On verra plus tard que le second anniversaire séculaire de ce massacre coïncida avec les malheurs des Calas, et eut sur leur sort une fatale influence.

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SUR L'HISTOIRE RELIGIEUSE DE TOULOUSE. Narbonne, fut envoyé, l'olivier à la main, leur proposer deux articles de paix : ils sortiraient tous de l'Hôtel de Ville, en y laissant leurs armes et leurs munitions, et, à cette condition, ils se retireraient en liberté où bon leur semblerait. Ne pouvant tenir plus longtemps dans leur asile, ils se résignèrent à prendre ce parti, et le jour de Pentecôte, ils sortirent tous, sans armes, pendant l'heure des vêpres, espérant éviter ainsi la fureur du peuple, qui déjà avait massacré tous ceux des leurs qu'il avait pu saisir. Mais leur retraite ne pouvait être ignorée. Des cris menaçants éclatèrent de tous côtés; la foule qui remplissait les églises en sortit précipitamment et massacra sans pitié les huguenots désarmés. Les historiens portent de trois à cinq mille le nombre des victimes.

Loin de sévir contre les assassins, le Parlement fit mettre à mort ceux qui leur avaient échappé. Le cruel Monluc arriva à temps pour en voir quelque chose, et dit dans ses Mémoires (t. II, p. 73): « Je ne vis jamais tant de têtes voler. » Le Parlement s'épura lui-mème en destituant vingt-deux conseillers suspects, et ce fut à grand'peine que le premier président de Masencal, soupçonné de tolérance, garda sa charge. Par le mème motif, tous les Capitouls de l'année 1562 furent déposés, leurs enfants dégradés de noblesse, leurs biens confisqués, et cet arrèt inscrit sur une plaque de marbre au Capitole. Ce massacre délicra Toulouse de l'hérésie qui depuis ce moment, sans être entièrement extirpée, n'y subsista plus qu'à l'état de minorité trèsfaible, toujours persécutée et détestée.

Alors seulement le catholicisme fut définitivement triomphant dans cette cité, qui avait été si longtemps et si opiniâtrément hérétique. Les rares protestants de Toulouse, quand ils osèrent y reparaître, se trouvèrent seuls héritiers de toutes les haines accumulées contre ces Ariens, ces Cathares, ces Albigeois, ces Vaudois, ces Huguenots, qui avaient si longtemps rempli le pays de

leur hérésie bonne ou mauvaise, contre lesquels n'avaient suffi ni trois croisades, ni les pénitents, ni l'inquisition, et qu'avait détruits enfin le seul remède qui puisse prévaloir contre une foi religieuse, l'extermination. Le Parlement institua à perpétuité une fête annuelle dite de la Délivrance, qui avait lieu le 17 mai, anniversaire du massacre. Il décida que chaque année les arrêts qu'il venait de rendre seraient relus au peuple, après quoi des processions auraient lieu pour rendre grâces à Dieu. En 1564, on obtint du Pape Pie IV une bulle par laquelle il autorisa cette solennité religieuse, qui devait durer deux jours, et y attacha des indulgences et des bénédictions spéciales 1.

Dès lors, la procession annuelle, où les quatre confréries ne manquaient pas de figurer avec leurs bannières, ainsi que toutes les autorités et tous les corps de métier, réchauffa périodiquement la haine populaire contre les protestants. Les châsses de quarante saints étaient portées en grande pompe des cryptes de SaintSernin à la cathédrale. Les huit Capitouls, en robes

1. Voltaire appelle cette fête la procession annuelle où l'on remercie Dieu de quatre mille assassinats. (A Argental, 10 déc. 1767.)

2. C'est, dit-on, au culte rendu à ces reliques célèbres que Toulouse dut le surnom de la Sainte qu'elle a longtemps porté. Aussi, les fameuses cryptes ou martyriæ de Saint-Sernin où l'on conserve les corps saints, ont reçu les deux inscriptions suivantes :

Hic sunt vigiles qui custodiunt urbem.

<< Ici sont les gardiens qui veillent sur la ville. »
Non est in toto sanctior orbe locus.

Voici comment cette dernière a été traduite par un poëte de la ville, Goudelin, lors de l'entrée de Louis XIII à Toulouse :

De l'hérésie en vain gronde l'affreux tonnerre,

Et Tolose vous dit avec la vérité :

« Sire, il n'est point de lieu plus sacré sur la terre. »

Il existe encore, dans cette même église de Saint-Sernin, et j'y ai vu un monument ignoble des haines ecclésiastiques. Les stalles en bois sculpté qui entourent le choeur portent ce qu'on appelle une miséricorde ou patience; c'est-à-dire que le dessous de la stalle, lorsqu'on le redresse, forme un second siége plus petit et plus haut qui soutient les chanoines quand ils sont censés chanter debout. C'est sur une de ces

d'écarlate à chaperons d'hermine, portaient le dais du Saint-Sacrement, précédés de leurs quatre assesseurs, qui tenaient des cierges à la main. Dès le 18 juin de la même année, et depuis à maintes reprises, mais toujours en vain, le gouvernement a interdit cette fête cruelle.

La Révocation de l'édit de Nantes fut reçue à Toulouse avec enthousiasme, et réveilla le souvenir néfaste du

massacre.

A cette époque, l'administration municipale fit orner l'Hôtel de Ville de peintures à fresques par Pierre Rivals. Une de ces fresques rappelait la Révocation de l'édit de Nantes Louis XIV y tenait d'une main l'épée nue, de l'autre le crucifix. A ses côtés, des soldats démolissaient des temples et plantaient la croix sur leurs ruines. Au fond, d'autres soldats forçaient des protestants à s'agenouiller devant des images.

Le second tableau représentait le massacre de 1562. On y voyait des protestants sans armes, arrêtés avec leurs femmes et leurs enfants près des portes de la ville, au moment où ils fuyaient, et assassinés par des soldats ou des bourgeois. Quelques-uns étaient précipités du haut des remparts. Des femmes, portant leurs enfants dans leurs bras, imploraient en vain les meurtriers 1.

En 1762 on prépara toutes choses pour célébrer, avec une pompe inusitée, le second anniversaire séculaire du massacre des huguenots. Les Capitouls de cette année, dans leur compte rendu annuel, s'expriment en ces ter

sellettes qu'on a représenté quelques personnages groupés devant une chaire qu'occupe un pourceau, et au-dessous sont sculptés ces mots :

CALVIN
PORC PRESCHANT.

1. Ces fresques ont disparu avec les murs qu'elles décoraient. Depuis, on en eut honte. M. du Mège, après avoir vaguement et rapidement décrit la plus importante, celle du massacre de 1562, conteste l'existence de la première, ou du moins prétend qu'elle n'était pas à l'Hôtel de Ville. Mais ce qu'il en dit lui-même suffit. (Hist. des Inst., t. IV, p. 292.)

mes «< Témoins et interprètes de la religion de tous les ordres de cette ville, nous avons tâché de faire célébrer avec toute la magnificence possible l'année séculaire de la délivrance. Notre premier soin a été, comme vous le savez, Messieurs, d'imiter la piété de nos pères et de demander à notre Saint-Père une bulle conforme à celle que Pie IV avait accordée au corps de la ville1. » En effet, Clément XIII, par une bulle expresse, renouvela et étendit à huit jours entiers les priviléges religieux, accordés par Pie IV pour deux jours seulement. Les réjouissances publiques furent magnifiques. Un feu d'artifice fort admiré termina la fête. On voyait au sommet du principal décor, une figure de la Religion tenant la croix d'une main, et de l'autre un calice surmonté de l'hostie.

Un luxe inouï jusque-là distingua la procession séculaire; des étoffes de soie et d'or avaient été depuis longtemps commandées à Lyon pour orner les reposoirs et revêtir les officiants.

Voltaire se trompait quand il écrivait un peu brutalement, le 9 janvier 1763 à Mme Calas: « Je pense que cette cérémonie d'Iroquois ne subsistera pas longtemps 2. » En 1862, cent ans après cette lettre, l'archevêque de Toulouse, par un mandement exprès, annonça de nouveau cette fête éclatante et séculaire. Le gouvernement s'opposa, avec grande raison selon nous, à ce que cette procession injurieuse eût lieu dans les rues, d'autant plus que Toulouse, en notre temps, n'est plus délivrée de l'hérésie elle a une Église protestante, des pasteurs, un temple; d'ailleurs nous sommes assuré qu'un grand nombre de ses habitants catholiques n'approuvent ni le massacre des protestants en 1562, ni les étranges actions de grâces qu'à ce sujet on rend de nos jours au

1. Nous rendons volontiers aux Capitouls ce témoignage qu'on ne trouve dans la délibération citée plus haut aucune parole de haine ou de provocation contre les protestants.

2. Lettres de Voltaire; voir notre recueil, p. 173.

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