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<< qu'il n'y a abus dans l'obtention dudit Monitoire. » Enfin, un troisième arrêt ordonna la quatrième publication de ce même Monitoire pour le 13 décembre, comme nous avons dù le dire par anticipation; la fulmination eut lieu le dimanche suivant. Seulement, pour couvrir l'illégalité patente qui résultait de ce que cette pièce émanait du Grand-Vicaire et non de l'Official, on y fit joindre la sanction de ce tribunal; ce ne fut qu'une simple formalité, un hommage tardif à un pouvoir dont on avait eu le tort de se passer jusque-là.

nobles alliées à David Lavaysse s'intéressèrent très-activement pour Calas, pour sa femme, pour le jeune Gaubert. C'est le contraire de la vérité. Tout était dans la consternation, et à peine quelques intimes amis conseillaient les deux jeunes filles restées seules, et Louis Calas, le déserteur du toit paternel.

စဉ်း

CHAPITRE VII.

LES CALAS DEVANT LE PARLEMENT.

Excès de pouvoir de cette cour. - Mémoires de Sudre, de la Salle, de
Gaubert et de David Lavaysse.
Discussion des témoignages.

Les cris entendus le 13 octobre. · Marc-Antoine a-t-il pu se tuer? Est-il mort assassiné ? Etait-il devenu catholique ? — Témoignages sur ouï-dire, ou absurdes, ou volontairement faux.

Je suis persuadé plus que jamais de l'innocence des Calas et de la cruelle bonne foi du Parlement de Toulouse.

VOLTAIRE.

(Au comte d'Argental, 21 juin 1762.)

Le Parlement de Toulouse s'était signalé maintes fois par sa violence et ses empiétements de pouvoir1.

A l'époque qui nous occupe il n'avait pas changé2. Ce

1. On peut lire dans la Vie de Dolet, par M. Joseph Boulmié (Paris, 1857, p. 30-34), le discours trop violent qu'il prononça en 1532 contre cette cour tracassière et despotique, qui ne voulait pas souffrir à Toulouse les associations d'étudiants, usitées alors en tous pays..... Il vient de déclarer que les Turcs sont moins intolérants; puis il s'écrie: << Dans quel pays sommes-nous? Chez quelles gens vivons-nous? La grossièreté des Scythes, la monstrueuse barbarie des Gètes, ont-elles fait irruption dans cette ville, pour que les pestes humaines qui l'habitent, haïssent, persécutent et proscrivent ainsi la sainte pensée? Ne reconnaissez-vous pas, à cette marque, la grossièreté manifeste, la méchanceté scandaleuse de ces gens-là? »

2. Voir la note 15.

fut un scandale éclatant que l'acte par lequel cette cour le 11 décembre 1763, décréta de prise de corps le gouverneur du Languedoc, M. de Fitz-James qui, en sa qualité de duc et pair, n'était pas justiciable d'un parlement de province. Celui de Paris, dont les pairs de France étaient membres, cassa l'arrêt1.

Le Parlement de Toulouse ayant évoqué l'affaire des Calas, M. de Cassan-Clairac, conseiller. fut nommé rapporteur. Où pense-t-on qu'il alla élaborer son rapport? Au couvent des Chartreux. On lui en fait un mérite encore de nos jours, et l'on imagine qu'il s'y réfugia pour éviter les obsessions d'une foule de solliciteurs qui venaient l'implorer pour les accusés. Nous répéterons que personne à ce moment terrible, où se dressait lentement l'échafaud de Calas, personne, entre l'arrêt du 18 novembre et celui du 9 mars, n'osait élever la voix en faveur des prévenus. Il est pénible de penser que le rapport qui envoya un père de famille innocent à la torture et à la roue, soit parti d'un cou

vent.

En tout cas, il est évident que M. de Clairac ne songeait pas même à se donner l'apparence de l'impartialité dans un jugement si intéressant pour la religion. On répondra peut-être qu'il suffit à la justice d'être impartiale sans le paraître, et l'on aura tort. Aussi, dans la tragédie de Chénier, le public accueillait avec un murmure ce vers du rôle de Clérac :

Je quitte de Bruno le cloitre solitaire.

Sans doute Chénier n'aurait pas dù mettre sur la scène une histoire dont les personnages étaient vivants; mais l'effet de ce vers était une juste protestation contre le

1. Henri Martin, Histoire de France, t. XVI, p. 219.

2. Histoire du Languedoc.

manque de tact et de bon goût qu'avait montré le rapporteur1.

Nous nous trompons en disant que nul n'agit pour les accusés. Il y eut au Parlement de Toulouse un seul homme d'assez de sens et de courage pour prendre la défense des opprimés. Ce fut M. de La Salle. Il soutint leur innocence dans le monde, devant cette autre multitude des salons, qui, pour avoir plus de culture, n'est que plus coupable lorsqu'elle s'aveugle au point d'épouser les passions et les erreurs de celle de la rue. Ah! Monsieur, dit-on un jour à La Salle, en l'interrompant avec dédain, vous êtes tout Calas. —Ah! Monsieur, répliqua-t-il aussitôt, vous êtes tout peuple. La Salle avait raison; il n'est pas permis d'être peuple par l'ignorance et par l'emportement. Au moment du jugement, M. de La Salle se récusa, comme s'étant déjà prononcé. En effet, il avait eu la gloire de soutenir seul son opinion contre toute une ville en fureur, peuple, juges et prêtres. On a eu tort de lui reprocher cette abstention; la loi l'exigeait de lui. Il y a tout lieu de croire, et pour notre part il nous semble indubitable, qu'il est l'auteur du Mémoire que nous avons cité sous son nom, et qui parut avec la signature du procureur Duroux fils, sous le titre d'Observations pour ie sieur J. Calas, lu dame de Cubibel son épouse, et le sieur P. Calas, leur fils 2.

1. Le sentiment d'horreur qu'on avait éprouvé, en voyant sortir d'un monastère ce cruel réquisitoire, s'exprima encore dans l'épigramme suivante, vulgaire de ton et de style, mais dont le dernier vers est une ironie assez vive:

Cassan, voyant l'arrêt des Maistres des Requêtes,

Tout est perdu, dit-il. Voyez comme ils sont bêtes :

Si Calas n'avait pas assassiné son fils,

Il faudrait que je fusse un fieffe fanatique,

Moi, qui pour juger l'hérétique,

Minutai mon brevet aux pieds du crucifix.

2. Voir Bibliographie, no 5.

Voltaire parle de lui avec une haute estime. Un voyage à Paris projeté par M. de La Salle, à l'époque où l'on sollicitait la révision du procès, le

Ce Mémoire fut communiqué avant l'impression à Me Sudre, l'avocat des Calas; nous y avons partout reconnu une dignité calme, une raison ferme qui sont très-rares dans un factum du dix-huitième siècle. Il est évident qu'après avoir écrit et publié ce Mémoire anonyme, La Salle ne pouvait que se récuser. Nous avons blâmé David de Beaudrigue et Chirac d'avoir persisté à juger ce procès après avoir fait connaître leur opinion par une manifestation publique. Louons M. de La Salle d'avoir obei à la loi dont il était le représentant, mais déplorons le malheur des Calas qui, après avoir perdu M Monyer en première instance, perdirent La Salle en appel. Il semble que tout conspirât contre eux, même le bien qu'on avait voulu leur faire.

Je viens de nommer le premier avocat qui ait eu l'honneur de plaider la cause des Calas, et qui s'est créé par cet acte de courage, et par la manière dont il s'en acquitta, des titres impérissables à la reconnaissance et au respect. Sudre, en prenant en main cette cause périlleuse, en la soutenant dans trois Mémoires successifs, n'avait pas, comme ses continuateurs Élie de Beaumont, Loyseau de Mauléon et Mariette, un Voltaire pour client et l'Europe pour auditoire. Sudre avait à lutter contre le Parlement, le Clergé et les pénitents blancs, contre un David de Beaudrigue et un Lagane, contre ceux qui avaient suspendu le procureur Duroux, cité devant leur justice l'assesseur Monyer et décrété

comblait d'espérance et de joie (Lettres, voir notre recueil, p. 152). Nous ne savons si ce voyage eut lieu. Dans la plupart des drames et des tragédies qu'on écrivit plus tard, La Salle, qui vivait encore, a toujours le rôle du sage, du moraliste, comme les Ariste de Molière ou le Cléante du Tartuffe, mais avec beaucoup moins de vrai bon sens, et beaucoup plus de déclamation. Dans le Calas de Chénier, le rôle de La Salle, comme le plus beau de tous, fut joué par Talma.

Dans ces drames, La Salle et David sont opposés l'un à l'autre comme la sagesse bienveillante à la tyrannie la plus insensée et la plus criminelle.

1. Voir sur Me Sudre la note 16 à la fin du vol.

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