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beaucoup quand il écrivait à la duchesse de Saxe Gotha « S'il n'y avait point eu de pénitents blancs à Toulouse, cette catastrophe affreuse (le supplice de Jean Calas) ne serait point arrivée?» (Voir Voltaire a Ferney, p. 250.)

Il n'était que trop vrai. Des quatre confréries toulousaines, la blanche était la première et la plus influente1; elle avait des affiliés dans tous les rangs. Et depuis le service funèbre de Marc-Antoine, les accusés eurent à lutter, presque sans défense, non-seulement contre les Capitouls, le Parlement et le Clergé, mais contre cette confrérie puissante qui, deux fois, avait pris parti contre eux, le jour de l'inhumation et le jour du service célébré par elle-même; c'étaient des affronts pour la confrérie, que des sommations comme celle de Louis Calas, ce mème jour, et de sa mère un an plus tard.

Il est curieux de voir comment aujourd'hui les accusateurs de Calas jugent les démonstrations si passionnées du clergé d'alors. Ecoutons notre contradicteur M. Salvan, chanoine honoraire de Toulouse (Op. c. p. 97): « La pompe catholique que l'on déploya à ces obsèques, les services mortuaires qui furent célébrés dans deux églises de la ville, doivent ètre regardés comme une concession faite à l'opinion publique, à la conscience de la plupart des citoyens. Il est possible qu'on ait été un peu trop loin dans les honneurs rendus à la dépouille mortelle de Marc-Antoine; mais ces incidents ne méritent pas l'importance que les partisans de Calas ont voulu leur donner. » Entre les Calas et cette confrérie, il ne devait plus y avoir de trève; leur nom devint funeste aux pénitents, sans qu'ils y fussent pour rien et l'on peut voir au Moniteur du samedi 8 avril 1792, jour où furent supprimées par décrets les Congrégations

1. On disait à Toulouse: Antiquité des blancs, Noblesse des bleus, Richesse des noirs, Pauvreté des gris.

et les Confréries, que le député Ducos évoqua contre ces corporations le souvenir du rôle joué par les pénitents blancs de Toulouse « dans la procédure ourdie contre l'infortuné Calas >>>

Il est certain que bien des gens à Toulouse crurent faire un acte agréable à Dieu, à la Vierge et aux saints, en venant accabler de leurs accusations les bourreaux dénaturés d'un pénitent blanc. A l'ouïe de certaines dépositions, on est tenté de répéter ce mot, un peu déclamatoire, mais vrai, d'Elie de Beaumont : « Ces malheureux viennent de forger leur témoignage sur les degrés du mausolée où ils invoquaient un martyr. »

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Nous en citerons des exemples; on verra, dans quelques-uns, les faux témoignages les plus nettement caractérisés, et, dans les autres, les rèves d'une population méridionale dont on a surexcité coup sur coup l'imagination, et de véritables visions populai es enfantées par le fanatisme, comme l'a dit un historien.

L'enthousiasme de la foule se jette toujours dans les extrêmes. On prétendait que Louis Calas, entendant la messe à la chapelle des Chevaliers de Saint-Jean, était tombé en extase au moment de l'élévation, et s'était écrié tout haut: « Mon Dieu, pardonnez mes parents qui ont fait mourir mon frère! » Le bruit courut que trois ou quatre miracles avaient eu lieu sur la tombe de Marc-Antoine; on prétendait que le clergé avait écrit au Pape pour qu'il lui plût de canoniser ce martyr. On disait qu'un jour lui avait été consacré dans le calendrier, et l'on commençait dans le peuple à débattre le choix de celle des églises de Toulouse qui serait placée sous l'invocation du nouveau saint 3.

1. E. de B., 3.

2. Ch. Coquerel, Égl. du Dés., t. II.

3. Voir surtout, à propos de ces bruits absurdes, le Mémoire écrit à Toulouse par le conseiller de La Salle, p. 66.

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CHAPITRE VI.

PROCÉDURE ET ARRÊT DES CAPITOULS.

Information secrète.

Briefs intendits. Faits justificatifs.

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AuAffaire de

topsie du cadavre. Piéges tendus à Lavaysse.
Me Monyer.
Affaire d'Espaillac. Sentence des Capitouls. -
Double appel des condamnés et du ministère public.

Il ne faut que jeter un coup d'œil sur la procédure pour reconnaître l'esprit de vertige et de rumeur populaire qui en a été le principe. Tout y est sans fondement et hors de la plus légère vraisemblance.

Le comte de ROCHECHOUART. (Lettre à Saint-Florentin, Parme, 5 déc. 1761.)

L'instruction criminelle se poursuivait pendant ce temps par les soins du procureur du Roi et des Capitouls. Rien de plus informe que cette procédure; aucun des accusateurs modernes de Calas n'a osé la justifier. L'impétueux David y commit faute sur faute. Mais il faut convenir que la législation du temps prêtait à l'arbitraire. Il faut se rappeler qu'il n'y avait, en matière criminelle, ni audience publique, ni débat, ni plaidoirie, que l'accusé n'avait pas même de conseil ou d'avocat1, et que la procédure secrète, ou par inquisi

1. L'accusé devait répondre sans délai, par sa bouche, et sans le ministère de conseil. L'Ordonnance de 1670 était, sur ce point, très positive.

tion, comme on l'appelait, d'abord établie par le droit canonique et pratiquée dans les tribunaux ecclésiastiques, était devenue la seule employée par les autres. magistrats'.

L'interrogatoire de l'accusé et l'audition des témoins avaient toujours lieu secrètement et séparément devant le juge seul, assisté de son greffier, et étaient toujours précédés du serment prêté par l'interrogé, qu'il fût témoin ou accusé. Ensuite avait lieu le recolement, qui consistait à lire (non sans un nouveau serment) au témoin ses propres réponses, et à lui demander s'il y persistait. Il y avait encore serment à chaque confrontation de l'accusé avec un des témoins. « L'information et les interrogatoires formaient l'instruction préparatoire; ils étaient destinés à faire reconnaître le caractère du fait et à éclairer la marche de la procédure. Les recolements et les confrontations formaient l'instruction définitive; ils avaient pour but d'établir l'existence du crime et la culpabilité de l'accusé. Ces actes remplaçaient le débat contradictoire de l'audience, la discussion et les plaidoiries; ils portaient en eux toutes les garanties du jugement2. »

Quand on mettait en présence le prévenu et un témoin, on demandait aussitôt au prévenu s'il reprochait le témoin, en l'avertissant que s'il attendait de l'avoir ouï, il ne serait plus temps. Si l'accusé, ne connaissant pas le témoin ou se fiant à lui, ne le reprochait pas, il était à la merci de ce que le témoin pouvait dire; il était censé l'avoir approuvé d'avance 3. Dès que Mme Calas eut compris cela à ses dépens, elle prit résolument le parti de reprocher tous les témoins qu'on lui présentait, disant, quand elle ne les connaissait pas, qu'ils pouvaient avoir des motifs de lui nuire, à elle in

connus.

1. Voir la note 12.

2. Faustin Hélie, op. c., p. 634.

3. Voir la note 13.

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