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détermination, et quels en ont été les motifs, sur la seconde, sur celle qui est relative à M. La Fayette.

Ici, Messieurs, je l'avoue, je suis arrêté par une réflexion bien naturelle. Tandis que la question générale relative aux pétitions des militaires est encore soumise à votre décision; tandis que la loi n'est pas faite et le droit non encore établi, comment juger le fait de M. La Fayette, et d'après quels principes? Sans doute, il serait dangereux que le chef d'une force armée, s'immiscant dans l'administration politique, eût le droit indéfini de venir présenter au Corps légistif des projets et des moyens.

L'ambition soutenue par les armes, aidée par l'ascendant inévitable, même nécessaire, du général sur les soldats, pourrait trop aisément le porter à abuser, à se prévaloir d'une faculté si favorable à ses projets. On sent à combien de dangers la liberté serait exposée; disons le même, infailliblement la liberté périrait.

Mais, d'un autre côté, Messieurs, tant qu'une loi précise n'a pas prononcé à cet égard, la liberté d'adresser aux autorités constituées des pétitions signées individuellement étant garantie à tous les citoyens sans aucune exception, les bornes des droits naturels de chaque homme ne pouvant se trouver que dans une loi, les crimes ne pouvant être punis qu'en vertu d'une loi préalablement établie et promulguée antérieurement au délit et légalement appliquée, pouvezvous, Messieurs, dans aucune hypothèse, vous écarter de la disposition de la Déclaration des droits de l'homme et de l'Acte constitutionnel, base de notre gouvernement et de notre Constitution?

Ces considérations générales ont fait sentir à votre commission qu'il était inutile d'entrer dans une discussion détaillée soit des lettres, soit de la pétition de M. La Fayette. C'est sur la conduite de ce général que toute votre attention doit se fixer; et si dans cette conduite vous ne trouviez rien de contraire aux lois établies rien que les lois aient expressément défendu, il est clair que tout ce qui n'est pas défendu par la loi ne peut être empêché, et ne peut non plus être puni.

En vain, le délit de M. La Fayette n'existant pas dans le fait, chercherait-on à le trouver dans les replis de son intention; mais quel homme a la puissance de scruter, de juger l'intention d'un autre homme, tandis que la puisance de la loi ne s'étend pas au delà de l'action?

C'est d'après ces réflexions simples, puisées dans les principes, réflexions qui n'admettent aucune discussion ultérieure, que votre commission n'ayant trouvé dans les lois qui se taisent et dans l'intention de M. La Fayette, qu'il ne lui est pas permis d'approfondir, aucun motif d'improbation dans sa conduite, a cru devoir se borner à vous proposer de nouveau le projet de loi générale qui vous fut présenté dimanche dernier par M. Lemontey, relativement aux pétitions des militaires; projet de décret dont je vais remettre la lecture sous vos yeux. Après cette lecture, votre commission vous demandera d'ouvrir la discussion sur ce projet.

M. Muraire donne lecture du projet de décret présenté par M. Lemontey dans la séance du 15 juillet dernier (1); ce projet de décret est ainsi conçu :

(1) Voy. ci-dessus, séance du 15 juillet 1792, le rapport de M. Lemontey.

Décret d'urgence.

« L'Assemblée nationale, considérant qu'il importe au maintien de la liberté et de la sûreté générale de l'Etat et à la conservation de la discipline et des principes constitutionnels, de règler par une loi précise les pétitions des militaires aux autorités constituées, décrète qu'il y a urgence.

Décret définitif.

« L'Assemblée nationale, après avoir décrété l'urgence et entendu le rapport de sa commission extraordinaire des Douze, décrète ce qui suit:

Art. 1er.

« Les généraux d'armée, les commandants en chef de détachement, de camps, places ou autres postes, les lieutenants généraux ou maréchaux de camp employés, non plus que les colonels en activité, de service, tant dans les troupes de ligne que dans les bataillons de volontaires nationaux, ne pourront, sous aucun prétexte, présenter aux autorités constituées des pétitions dans lesquelles il sera traité d'objets étrangers à leurs fonctions militaires ou à leurs intérêts individuels ou particuliers.

Art. 2.

« Dans aucun cas, les militaires en activité de service dans les troupes de ligne et les bataillons de volontaires nationaux, ne pourront, de quelque grade qu'ils soient, présenter à aucune autorité constituée des pétitions en nom collectif, ni signées de plus d'un seul individu.

Art. 3.

« Les chefs de légions et commandants de bataillons de volontaires nationaux, ne pourront, de quelque grade qu'ils soient, présenter à aucune autorité constituée des pétitions en nom collectif, ni signées de plus d'un seul individu.

Art. 4.

« Les généraux d'armée qui contreviendront aux dispositions de l'article 1er du présent décret, seront par ce fait seul destitués de leur emploi et déclarés incapables de servir la nation, sauf l'exclusion des lois pénales relatives à un attentat contre la sûreté générale de l'Etat.

« Les officiers généraux et supérieurs des troupes de ligne et des bataillons de volontaires nationaux, ainsi que les chefs de légion et commandants des gardes nationales sédentaires, qui contreviendront aux dispositions des articles 1er à 3 du présent décret, seront destitués de leurs emplois. Les délits de ce genre seront jugés par les tribunaux criminels dans l'arrondissement desquels l'autorité constituée, à qui la pétition aura été adressée, résidera.

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M. Rouyer. Je demande l'ajournement de la discussion trois jours, afin que les membres puissent prendre connaissance des motifs du rapport. (Murmures.)

M. Dumolard. M. Rouyer a confondu deux objets qui ne doivent point être présentés ensemble à l'Assemblée nationale. Je désire, comme lui, qu'on porte la plus sévère attention sur les faits qu'il vous a dénoncés, mais la question qui vous est soumise aujourd'hui, est uniquement relative à la pétition de M. La Fayette. M. Lecointre se plaint de ce qu'on ne lui a point donné communication des lettres et de la pétition de M. La Fayette; et ces lettres et cette pétition nous ont été distribuées!

Plusieurs membres : C'est faux!

D'autres membres : C'est vrai!

M. Dumolard. Il semble que dans un moment où l'on annonce une attaque prochaine de la part des ennemis, on fasse tout au monde pour éloigner la confiance de nos armées. Il semble que l'on fasse tout pour éloigner un jugement si essentiel, et qui y rétablira la confiance. Je dirai qu'il est vraiment étonnant que l'on mette tant d'acharnement à demander des ajournements, et que ce soit des hommes qui criaient sans cesse qu'on voulait épargner M. La Fayette, ces hommes qui certes n'ont pas fait tant de difficultés pour l'affaire de M. Pétion. (Vifs murmures.)

M. Merlin. La pétition, les lettres de M. La Fayette, ainsi que toutes les pièces que j'ai fait renvoyer à la commission des Douze, ne sont pas imprimées, et elles prouvent que M. La Fayette a laissé délibérer son armée, qu'il a laissé promettre à son armée qu'elle le suivrait dans l'intérieur du royaume. (Murmures à droite, vifs applaudissements des tribunes.)

(L'Assemblée, après deux épreuves, décrète qu'il n'y a pas lieu à délibérer sur l'ajournement.)

Plusieurs membres : L'appel nominal!

M. Lecointe-Puyraveau. Les pétitionnaires de l'autre côté ont délibéré.

M. Louis Hébert. Il n'y en a pas. J'invite M. Lecointre à venir vérifier le fait.

Un membre: Je demande le rapport du décret que l'on vient de rendre.

M. Gérardin. C'est une tactique infâme; nous n'y céderons pas.

M. Léopold. Il est bien étonnant que les amis si tendres de la patrie, qui voient dans M. La Fayette un général conspirateur...

Quelques membres : Oui! oui!

M. Léopold... qui croient que la présence de M. La Fayette à la tête de l'armée compromet la sûreté de l'Etat...

Quelques membres : Oui! oui!

M. Léopold... qui ont annoncé avoir de grands moyens et de grands motifs pour prouver å la France qu'il est un traître, ne se précipitent pas tous à la tribune, pour y faire valoir ces grands moyens, ces grands motifs, qui doivent le faire déclarer traître à la patrie, et le faire retirer de la tête de nos armées qu'il compromet. Je demande que cette question ne soit plus ajournée, et que la discussion s'ouvre à l'instant.

M. Mayerne. Je demande que tous les orateurs soient entendus, et que l'Assemblée prononce sans désemparer.

M. Rouyer. Je conviens qu'il est instant de prononcer sur l'affaire qui concerne M. La Fayette; mais, Messieurs, je crois qu'il ne faudra pas beaucoup de temps, si l'Assemblée ajourne à demain matin, et décrète qu'elle prononcera sans désemparer.

Plusieurs membres : Non! non!

Un membre: Nous sommes restés ici pour M. Pétion nous pouvons bien y demeurer pour M. La Fayette.

M. Mayerne. On a dit à toute la France que M. La Fayette est un conspirateur.

Plusieurs membres : Oui! oui!

M. Mayerne. Si cela est, la patrié est évidemment en danger, et il est bien étonnant que les plus ardents patriotes veuillent calculer les instants de sauver la patrie! Comme il lui faut consacrer tous nos moments, il ne faut pas consumer notre temps en motions d'ajournement; il faut éclairer sa conduite sur-le-champ. Que les orateurs qui ont à prouver évidemment qu'il est un traître, montent à la tribune: nous sommes prêts à les entendre, et à en faire la plus éclatante justice.

M. Guyton-Morveau. On n'insiste autant sur l'ajournement que par la raison qu'une partie de l'Assemblée à encore besoin d'instruction.

Un membre: Vous n'en avez pas donné pour M. Pétion.

M. Guyton-Morveau. Beaucoup de membres de cette Assemblée s'attendaient que l'on ferait connaître dans le rapport les objets sur lesquels vous avez à délibérer, je veux dire les lettres et la pétition de M. La Fayette.

Plusieurs membres : Elles ont été imprimées! M. Guyton-Morveau. Je veux parler des lettres et pétition qui dénoncent M. La Fayette. La commission n'a pas eu le temps de les faire connaître ces lettres vont faire l'objet de la discussion. Beaucoup de membres désirent les connaître...

:

Plusieurs membres Vous n'avez pas voulu connaître les pièces de M. Pétion !

M. Léopold. Puisque ces Messieurs ne connaissent pas les lettres de M. La Fayette, comment savent-ils qu'il est un traître?

M. Brunck. Monsieur le Président, faites commencer la discussion, attendu qu'on a rejeté l'ajournement.

(L'Assemblée ferme la discussion.)

M. Dalloz. Je demande la parole contre vous, Monsieur le Président.

M. le Président. Vous l'avez, Monsieur. M. Dalloz. Le devoir d'un président de l'Assemblée nationale est de faire respecter la volonté de la majorité. Le plus grand délit dont il puisse se rendre coupable, c'est de la tenir dans l'anarchie, et de la laisser opprimer par une minorité turbulente. L'Assemblée a prononcé qu'il n'y avait pas lieu à délibérer sur l'ajournement: votre devoir est de faire ouvrir la discussion. Je demande donc que M. Delaunay soit entendu. (Applaudissements à droite.)

M. le Président. L'ajournement à trois jours a été rejeté; mais un membre a pensé que cela ne l'empêchait pas de demander l'ajournement à demain.

Sur cet ajournement à demain, on a demandé la question préalable; je la mets aux voix.

(L'Assemblée décrète qu'il n'y a pas lieu à délibérer sur l'ajournement.) (Vifs murmures.)

Plusieurs membres réclament contre l'épreuve, et demandent l'appel nominal.

M. Léopold demande la parole contre l'appel nominal, et monte à la tribune. Plusieurs membres et les tribunes crient: A bas! à bas!

M. Léopold. Monsieur le Président, mettez aux voix si je serai entendu; j'obéirai à l'Assemblée, et non pas à des hurleurs. (Cris des tribunes.)

M. Boullanger. Monsieur le Président, faites donc obéir les tribunes; envoyez-y la force armée.

(M. le commandant de la garde nationale va prendre les ordres de M. le Président. Les cris des tribunes continuent.)

M. Boullanger. Monsieur le Président, les représentants de la nation seront-ils obligés de se faire justice eux-mêmes?

(Le calme se rétablit.)

M. le Président. Il est digne de l'Assemblée nationale, il est digne de vous, de vous passionner pour le bien de l'Etat; mais il est de sa dignité d'aider son président à la faire respecter au dehors. Je rappelle toutes les tribunes au respect qu'elles doivent aux représentants de la nation.

Je mets aux voix l'ajournement à demain. (L'Assemblée décrète l'ajournement de la discussion au lendemain.)

(La séance est levée à cinq heures.)

ASSEMBLÉE NATIONALE LÉGISLATIVE.

Séance du jeudi 19 juillet 1792, au soir. PRÉSIDENCE DE M. TARDIVEAU, ex-président. La séance est ouverte à six heures.

Un de MM. les secrétaires donne lecture des lettres suivantes :

1° Lettre des commissaires généraux des monnaies, dont l'objet est d'accélérer le complément de l'organisation des monnaies.

(L'Assemblée renvoie cette lettre au comité des assignats.)

2o Lettre de M. Amelot, commissaire du roi près la caisse de l'extraordinaire, qui invite l'Assemblée à prendre d'avance en considération la situation de la caisse de l'extraordinaire, et les moyens de pourvoir à son service et à celui de la trésorerie nationale.

(L'Assemblée renvoie cette lettre au comité de l'extraordinaire des finances.)

3o Lettre de M. Lajard, ministre de la guerre, qui annonce que, d'après les états qui lui avaient été adressés hier par la municipalité de Paris, le nombre des volontaires nationaux qui avaient souscrit pour se rendre au camp de Soissons, était de 1,941; aujourd'hui 19, ce nombre est de 2,038.

(L'Assemblée renvoie cette lettre à la commission extraordinaire des Douze.)

4° Lettre de M. Dejoly, ministre de la justice, qui écrit à l'Assemblée que le roi a donné sa sanction au décret relatif à la formation d'un nouveau corps de gendarmerie à pied, composé

des ci-devant gardes françaises et des gardes des ports, de ceux de la ville et des cent-suisses.

5° Lettre du conseil général de la commune de Caremb, qui demande à être autorisé à emprunter une somme de 3,000 livres, affectée et hypothiquée sur le seizième des domaines nationaux à vendre.

(L'Assemblée renvoie la lettre au comité de l'ordinaire des finances.)

M. Jean Debry (Aisne). Messieurs, je dois rendre compte à l'Assemblée d'une circonstance dont elle a eu connaissance avant-hier (1) et dans laquelle j'ai été compromis d'une manière inexacte.

Je descendais, mardi dernier, de la commission extraordinaire des Douze à moitié l'escalier, j'ai rencontré M. Lafon-Ladebat; il me dit : un particulier vient d'insulter M. Luckner et l'a menacé d'un coup de canne. Je lui ai témoigné ma profonde indignation; je descendis avec lui pour me porter vers l'endroit où se trouvait M. Luckner. Je vis à la porte du corridor des Feuillants un homme qui s'agitait beaucoup, et qui disait avec chaleur: « M. Luckner ne doit pas plus quitter son poste qu'un soldat. » Il était environ à dix ou douze pas du maréchal. Je me retournai de son côté, non pas pour entrer et pour parler avec lui, comme on l'a insidieusement inséré dans certains papiers publics, mais pour lui représenter fortement que ce n'était pas à lui à demander des comptes de la conduite que tenait M. le maréchal, et des raisons qui l'amenaient à Paris. Nous marchâmes tous ensemble: je parvins à le calmer. Je vis M. le maréchal monter dans sa voiture, entouré de citoyens et de gardes nationales qui formaient son cortège; et je partis. Voilà toute la part que j'ai eue dans cette circonstance.

M. Mayerne. Vous voyez, messieurs, par tout ce dont vous êtes souvent instruits, qu'il se passe dans l'enceinte de l'Assemblée nationale des scènes très scandaleuses. Il me semble que tout ceci doit enfin fixer l'attention de l'Assemblée nationale, et la déterminer à ordonner qu'il soit pris des mesures de police très sévères, afin que son enceinte soit respectée, et qu'il ne s'y introduise que des hommes incapables d'y porter le trouble et le désordre.

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M. Tarbé. Je demande que demain matin, l'ouverture de la séance, les commissaires de la salle vous donnent connaissance des mesures qu'ils croiront devoir prendre à cet égard.

(L'Assemblée adopte la proposition de M. Tarbé.) Un membre dépose sur le bureau une pétition relative à la conservation du district de l'Aigle, département de l'Orne.

(L'Assemblée renvoie la pétition au comité de division.)

Un de MM. les secrétaires donne lecture du procès-verbal de la séance du mercredi 18 juillet 1792, au soir.

(L'Assemblée en adopte la rédaction.)

M. Rouyer. Messieurs, vous avez décrété (2) qu'il serait accordé au sieur Laurent, vétéran, qui a arrêté M. du Saillant, chef des révoltés du midi, une somme de 3,000 livres. Je crois que

(1) Voy. ci-dessus, séance du 18 juillet 1792, au matin, page 596, la discussion à cet égard.

(2) Voy. ci-dessus, séance du 18 juillet 1792, au soir, page 639, la discussion à ce sujet.

vous ne devez pas accoutumer les Français à des récompenses purement pécuniaires, et que, si quelquefois vous jugez nécessaire d'accorder quelque gratification à ceux qui auront fait des sacrifices pour leur patrie, cela ne doit pas vous empêcher d'attacher des récompenses honoraires à ceux qui auront bien mérité de la patrie. 11 appartient essentiellement à des hommes libres de faire tout pour l'honneur, et rien par intérêt. Je demande donc que vous accordiez au brave vétéran la croix de Saint-Louis dont était décoré M. du Saillant, et que vous arrachiez cette marque honorable qui était affectée au vice, pour la donner à la vertu. (Applaudissements.)

M. Hébert. J'observe que si ce brave homme eût été seul, il lui eût été impossible de s'emparer de M. du Saillant et de ses compagnons. Les quatre citoyens qui accompagnaient ce brave vétéran, se sont également bien montrés envers la patrie. On vous propose d'accorder une récompense au chef cela est très bien; mais en appuyant la motion de M. Rouyer, j'ajoute que ceux qui, comme lui, ont résisté aux tentations, et l'ont si bien secondé, méritent également une récompense. Je demande qu'indépendamment de cela, il soit fait mention d'eux nominativement dans le procès-verbal. (Applaudissements.)

M. Sers. Je me réunirais à M. Rouyer pour demander que la croix de Saint-Louis fût accordée aux braves citoyens qui ont arrêté M. du Saillant, si je ne croyais utile d'examiner si l'Assemblée a le droit d'accorder cette décoration et si cette décoration peut être regardée à l'avenir par la nation comme une marque d'honneur, car je vous prie, Messieurs, d'observer que par l'usage que l'on fait depuis quelque temps de la croix de Saint-Louis, usage si immoral, si criminel, plusieurs militaires qui l'ont obtenue sont tentés de la mettre dans leur poche, afin de n'être pas confondus avec une multitude d'intrigants qui l'ont eue si facilement. D'après cela, il n'est pas possible de demander qu'elle soit accordée comme récompense à ce brave vétéran et à ses concitoyens. Ainsi, au lieu de la motion de M. Rouyer, sur laquelle je demande la question préalable, je propose à l'Assemblée de charger son comité militaire de faire très incessamment un rapport sur la manière de récompenser dignement les citoyens qui auront utilement servi la patrie.

Je demande que le ministre de la guerre vous envoie la liste de tous ceux qui ont obtenu la croix de Saint-Louis depuis l'époque de la Révolution, avec l'état de leurs services. (Applaudissements), afin qu'on puisse distinguer les braves militaires qui en sont décorés, de ceux auxquels elle a été donnée sans l'avoir méritée, et qui la déshonorent. Je demande le renvoi de ma proposition aux comités militaire et d'instruction publique réunis, pour vous en faire un rapport très incessamment.

M. Laureau. Je m'oppose aux atteintes qu'on veut porter à la décoration militaire connue sous le nom de croix de Saint-Louis loin d'en diminuer la considération, vous devriez chercher à l'augmenter. L'honneur est le plus grand mobile du cœur humain; l'Etat qui peut employer un ressort aussi puissant ne doit jamais en adopter d'autres, parce qu'il est sûr de la réussite de celui-là. Heureux l'Etat qui, avec d'aussi faibles leviers, fait mouvoir d'aussi grandes masses. Ce que l'Europe ne faisait qu'à force d'argent et de pensions, la France le faisait avec des croix de

Saint-Louis. Nous avons vu le seul espoir de cette décoration transporter nos officiers, leur faire tout braver, tout supporter, les rendre invincibles, aveugles sur les dangers, sur la mort même, ils ne voyaient que la croix de SaintLouis. Combien la moindre dégradation de ce ruban serait impolitique! Combien elle affecterait ceux qui le portent! le nombre en est immense dans nos armées et dans l'Etat; vous allez donc d'un seul coup affliger une classe nombreuse de citoyens dont le courage et les vertus sont dignes de votre attention. Au milieu de tant d'objets importants, occupez-vous des plus pressants celui-ci n'est pas du nombre.

M. Thuriot. L'Assemblée nationale n'a pas cru jusqu'à présent avoir le droit de distribuer la croix de Saint-Louis ni d'autre décoration; il faut donc attendre le moment où l'on décrètera le mode de donner une récompense particulière pour les actes de civisme. Lorsque l'Assemblée aura décidé ce mode-là, si elle se réserve le droit de décerner elle-même des décorations, alors elle prononcera; mais dans ce moment-ci elle ne le peut pas, car la Constitution a dit que le Corps législatif s'occupera de régler le mode de décoration qui serait employé pour les actes de vertu et de courage. Je réponds à l'observation de M. Laureau, que ce n'est point avilir la croix de Saint-Louis que de prendre une mesure pour établir dans toute la France, que personne ne Fobtienne sans l'avoir méritée. C'est positivement ce qu'a dit M. Sers. Il en résultera, Messieurs, un très grand avantage, c'est que le courage et la vertu pourront seuls s'honorer de cette décoration.

M. Rouyer. Messieurs, je crois que ma motion peut très fort se concilier avec celle de M. Sers, que j'appuie de toutes mes forces. M. Sers vous a dénoncé l'abus qu'on fait des croix de SaintLouis, en la donnant à des intrigants et à de plats valets, tandis que cette décoration ne devrait jamais être accordée qu'à ceux qui ont bien mérité de la patrie, et qui ont versé leur sang pour elle; mais quoique cet abus existe, il n'est pas moins vrai que lorsque l'Assemblée nationale rendra un décret pour décerner cette croix au brave vétéran, ou pour inviter le roi à le faire, il sera infiniment honorable pour ce citoyen de l'obtenir. Tout le monde sait que la première des récompenses est celle qu'on tient de ses concitoyens, et à plus forte raison des représentants de tout un peuple. Vous l'avez jugé de même, Messieurs, quand vous avez fait décerner cette décoration aux aides-de-camp de M. La Fayette. Je persiste, d'après ces raisons, dans ma motion, et je prie M. le Président de la mettre aux voix.

M. Broussonnet. On confond deux choses : l'une est la décoration militaire à établir pour la suite, et cette proposition doit être renvoyée au comité d'instruction publique. L'autre a pour but un objet très pressant dont je demande que le rapport soit fait demain, ou après demain, par la commission des Douze, qui est relatif aux récompenses quelconques à accorder aux personnes qui ont confondu les projets des malveillants dans le département de l'Ardèche : c'est un objet tout à fait différent de l'objet général.

M. Mayerne. Je demande l'ajournement de toutes les propositions jusqu'à ce que le comité ait proposé la décoration à substituer à la croix de Saint-Louis, alors je demanderai la suppression de toutes les croix de Saint-Louis, et que ces

croix ne soient rendues à ceux qui les portent qu'après avoir justifié des titres en vertu desquels ils les auront obtenues. Ainsi, au lieu d'anticiper sur cette motion, j'en demande l'ajournement jusqu'après le rapport du comité d'instruction publique.

(L'Assemblée décrète que le ministre enverra l'état des personnes qui auront eu la croix de Saint-Louis depuis la Révolution, et renvoie au comité d'instruction publique pour lui indiquer parmi les personnes qui ont participé à l'arrestation de M. du Saillant, celles qui ont mérité d'obtenir cette décoration.)

M. Blanchard, au nom du comité militaire, présente un projet de décret relatif à l'uniforme des 54 compagnies franches créées par décret du 28 mai dernier; ce projet de décret est ainsi conçu :

« L'Assemblée nationale, d'après les observations du ministre de la guerre (1), et sur la motion d'un de ses membres, considérant qu'il est instant de pourvoir à l'habillement des compagnies franches, a décrété l'urgence.

« L'Assemblée nationale, après avoir décrété l'urgence, décrète définitivement que l'habillement destiné aux compagnies franches, sera de drap blanc, dérogeant, à cet égard, aux dispositions du décret du 7 de ce mois (2), concernant ledit habillement. >>

M. Taillefer. Le gris est la couleur la plus propre au service de ces troupes. Je demande le maintien du décret.

M. Masuyer. Il importe que ces troupes soient promptement organisées; je demande que la couleur de leur habillement soit laissée au choix du ministre.

(L'Assemblée décrète que l'habillement des 54 compagnies franches, nouvellement créées par le décret du 28 mai 1792, sera laissé au choix du ministre de la guerre.)

M. Guitard, au nom du comité de législation, fait un rapport (3) et présente un projet de décret (3) sur l'arrestation des sieurs Paris (4) et Boulan (5); il s'exprime ainsi :

Messieurs, les sieurs Paris et Boulan ont été dénoncés au comité central des juges de paix, pour des discours prononcés dans des assemblées de sections, et encore le sieur Paris pour un fait particulier, qui a eu lieu hors de toute assemblée.

Un mandat d'arrêt a été la suite de cette dénonciation et la procédure, aux termes de la loi, a été remise au directeur du juré.

Les sieurs Paris et Boulan vous ont dénoncé leur arrestation, comme attentatoire à la liberté des opinions, garantie par la Déclaration des droits et par un décret particulier du 23 août 1789, sanctionné le 30 avril 1790, qui porte qu'aucun citoyen ne peut être inquiété à raison des

(1) Voy. ci-dessus, séance du 19 juillet 1792, au matin, page 647, la lettre du ministre de la guerre annonçant le défaut de drap gris.

(2) Voy. ci-dessus, séance du 7 juillet 1792, page 210, l'adoption du décret présenté par M. Hugau.

(3) Bibliothèque de la Chambre des députés : Collection des affaires du Temps, tome 148, n° 10.

(4) Voy. Archives parlementaires, 1 série, t. XLV, séance du 27 juin 1792, page 623, l'admission à la barre d'une députation de la section de l'observatoire qui se plaint de l'arrestation du sieur Paris.

(5) Voy. ci-dessus, séance du 1er juillet 1792, page 26, l'admission à la barre de Mme Boulan qui se plaint de l'arrestaiion de son mari.

opinions ou projets présentés, des abus par lui dénoncés, soit dans les assemblées élémentaires, soit dans le sein de l'Assemblée nationale.

Par un premier décret vous avez chargé le ministre de la justice de vous transmettre des renseignements sur la dénonciation du sieur Paris; le ministre vous ayant fait observer dans sa réponse, que cette affaire était purement du ressort des tribunaux, devant lesquels le sieur Paris pouvait faire valoir tous ses moyens, vous avez, par un second décret, passé à l'ordre du jour. Mais de nouvelles dénonciations vous étant parvenues au sujet du sieur Boulan, vous avez demandé d'autres renseignements au ministre, qui, dans une seconde réponse, a répété les mêmes observations, en ajoutant que la procédure est au pouvoir du directeur du juré, auquel la loi fait un devoir de garder le secret.

Enfin, Messieurs, le tribunal du Ve arrondissement vous a fait adresser, par le commissaire du roi, conformément aux dispositions du Code judiciaire, un arrêté par lequel, en suspendant les poursuites faites contre les sieurs Paris et Boulan, il demande au Corps législatif une loi interprétative du Code pénal et de celle du 30 avril 1790. C'est d'après ces pièces que vous avez chargé votre comité de législation de vous faire un rapport.

Quant aux réclamations des sieurs Paris et Boulan, votre comité a pensé que vous ne pouvez prendre directement aucune mesure sur les poursuites judiciaires exercées contre eux, parce que vous ne le pourriez qu'en appliquant les lois, et cette application appartient tout entière aux tribunaux.

Si les délits imputés aux sieurs Paris et Boulan ne sont pas prouvés, ils seront acquittés par les jurés; ils le seront par les juges, si ces délits ne sont point qualifiés par les lois existantes; enfin, si les juges violent les formes, ou appliquent faussement la loi, le tribunal de cassation réparera leurs erreurs. Le système contraire serait subversif de la séparation constitutionnelle des pouvoirs, et le premier pas que vous ferez plus avant dans cette affaire, vous assurant de toute nécessité à prendre connaissance de la procédure, vous forcerait à méconnaître la loi qui ordonne le secret jusqu'après la déclaration du juré.

Si le délit imputé aux sieurs Paris et Boulan, est du nombre de ceux qu'il vous est réservé de poursuivre devant la Haute-Cour nationale, la loi oblige le tribunal à vous envoyer la procédure; s'il ne le fait pas, la Constitution impose au ministre de la justice, le devoir de le dénoncer au tribunal de cassation, et la négligence du ministre donne ouverture à sa responsabilité. Voudrait-on dire, au contraire, que l'arrestation des sieurs Paris et Boulan, est un des délits dont vous pouvez connaitre? ce serait une erreur, car le Code pénal ne place les attentats contre la liberté individuelle, au rang des attentats contre la Constitution, que lorsqu'ils sont commis par des citoyens qui n'ont pas reçu de la loi le droit d arrestation; et certes, la loi a remis ce droit aux juges de paix, en observant d'ailleurs, les formalités qu'elle a prescrites.

Enfin, Messieurs, si le juge de paix a prévariqué dans ses fonctions, l'accusateur public, investi par la loi de la surveillance des officiers de police, est tenu d'en poursuivre la punition devant le tribunal criminel; ainsi, dans tous les cas, il existe une loi protectrice de l'innocence, et répressive contre toute atteinte à la liberté.

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