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et positive. Si l'Assemblée a de la méfiance sur le délai que j'ai demandé, je lui proposerai dans ce moment-ci, où il m'est impossible de lui répondre, n'ayant pas présent l'objet qu'elle me demande, de nommer elle-même des commissaires (Murmures à gauche) pour venir dans mon bureau avec moi. (Ñouveaux murmures.) Mon intention n'est point de cacher la vérité, mais de la montrer telle qu'elle est. J'ai l'honneur de dire à l'Assemblée que la réponse que je lui ferais dans ce moment pourrait être fausse, attendu que je n'ai pas l'objet présent; mais qu'en demandant à répondre par écrit, je voulais consulter mes bureaux. Si l'on croit que c'est dans l'intention d'éluder la question de l'Assemblée, elle pourra s'assurer elle-même de la vérité, parce que tous les ordres que j'ai donnés, ou que j'ai pu donner, sont par écrit. Si l'Assemblée nomme des commissaires qui se rendront dans mes bureaux, je leur ferai présenter à l'instant ma correspondance. (Murmures à gauche.)

M. Isnard. Il faut n'être pas de bonne foi pour ne pas voir dans la réponse du ministre un subterfuge qui décèle un coupable. (Applaudissements à gauche et dans les tribunes.) Un homme ici veut se jouer des décrets de l'Assemblée nationale si l'on avait demandé au ministre s'il a écrit une lettre, si cette lettre a été envoyée par ses bureaux, oui ou non, il aurait pu répondre qu'il fallait qu'il consultât ses bureaux. Mais lorsqu'on a réduit la question aux termes de savoir, si lui, ministre, a donné des ordres pour l'envoi, alors, Messieurs, il ne doit plus éluder cette question. (Murmures.) I importe que la nation ne souffre pas sans cesse dans son sein des serpents qui la trahissent. (Applaudissements des tribunes.) Il faut qu'il s'élève des voix courageuses pour dénoncer les ministres (Applaudissements des tribunes et de l'extrême gauche.) On demande des preuves légales de la trahison, de la mauvaise foi des agents du pouvoir exécutif; eh bien! en voilà, c'est son silence: on demande où sont les traîtres; eh bien! en voilà un, Messieurs. (Vifs applaudissements réitérés des tribunes; vifs murmures dans l'Assemblée.)

M. le Président. Jusqu'au moment où un homme n'est pas déclaré coupable il est innocent, et comme M. Isnard juge le ministre coupable, je le rappelle à l'ordre. (Murmures à gauche.)

M. Isnard. Il a désobéi à l'un de vos décrets. Vous avez décrété qu'il répondrait par oui ou par non, et il n'a répondu ni oui ni non. Je me résume, et je demande que sur l'heure on fasse vérifier dans les bureaux.

Plusieurs membres (à gauche): Non, non!

M. le Président. Je vais rendre compte à l'Assemblée d'un fait. Le citoyen qui a parlé au ministre vient d'être arrêté par l'ordre d'un député, comme je n'ai point donné cet ordre-là, je l'ai fait mettre en liberté. (Murmures à gauche.)

M. Thuriot. Monsieur le président, je demande la parole contre vous. (Bruit.) Vous n'avez pas le droit de faire relâcher un homme pris en flagrant délit.

M. Calon, l'un des inspecteurs de la salle. Le règlement dit que tout étranger qui sera trouvé dans la salle sera arrêté et conduit en prison. Plusieurs membres : A l'Abbaye! (Murmures prolongés.)

M. Guadet, Monsieur le président, je demande la parole contre vous.

M. Calon, inspecteur de la salle. La garde nationale a arrêté un particulier, et l'a conduit au corps de garde. Je me suis rendu au corps de garde avec un caporal, et j'ai dit que l'on garde le particulier jusqu'à ce que l'Assemblée eût décidé,

M. le Président. M. Guadet a demandé à parler contre moi, je lui donne la parole.

Plusieurs membres Monsieur le Président, vous n'êtes pas le maître, consultez l'Assemblée ! M. le Président. Voici le règlement :

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Les étrangers qui se trouveront dans la salle seront tenus de s'en retirer aux premiers ordres qui en seront donnés. En cas de résistance et de la nécessité de requérir main forte, l'étranger sera conduit en prison, pour 24 heures ou pour un temps plus long suivant la gravité des circonstances. >>

On m'est venu dire que ce particulier était arrêté par l'ordre d'un député; comme c'est moi seul qui suis chargé de faire exécuter le règlement (Murmures à gauche.), j'ai donné ordre qu'on le fit sortir.

M. Lejosne. Au moment où le ministre était pressé par ces questions, j'ai vu cet étranger s'introduire dans la salle et parler à l'oreille du ministre; je demande si ce fait n'est pas undélit ? Plusieurs membres : Oui, oui!

M. Guadet. Monsieur le Président, l'Assemblée nationale s'en est rapportée à vous pour venger sa dignité outragée par un propos scandaleux, tenu par le ministre, qui a osé vous dire que le décret que vous veniez de rendre était dirigé pour le surprendre dans ses paroles.

Plusieurs membres : Il n'a pas dit cela !

M. Guadet. Un second outrage, plus scandaleux encore, a eu lieu devant les représentants du peuple. Le valet de chambre du ministre de l'intérieur... (Bruit), prévenu sans doute officieusement de ce qui se passait à l'Assemblée nationale, s'y est introduit, et est allé parler à l'oreille du ministre. Aussitôt tous les membres de l'Assemblée nationale ont demandé que cet étranger audacieux fùt arrêté...

Plusieurs membres : Ce n'est pas vrai!

M. Guadet. Je dois convenir que ces messieurs (en désignant le côté droit) ont regardé cet outrage avec beaucoup d'indifférence, mais enfin...

M. Lejosne. Faites retirer M. Dumolard, qui siffle des épigrammes dans l'oreille de l'orateur. M. Dumolard. J'atteste l'orateur lui-même du mensonge de M. Lejosne.

M. Guadet. Je dis donc qu'un très grand nombre ont réclamé l'arrestation de ce particulier. M. le Président lui-même ne peut pas n'avoir pas entendu leurs réclamations, ces messieurs doivent les avoir entendues aussi.

Plusieurs membres (à droite): Non, non!

M. Guadet, Et qu'ainsi, personne n'ayant réclamé, c'est par la volonté de l'Assemblée nationale qu'il a été arrêté. (Murmures à droite.) J'ajoute que s'il n'était arrêté en ce moment, il faudrait en donner l'ordre; car, sans doute, vous ne pouvez pas vouloir autoriser une scène indécente, par laquelle un agent du ministre, lorsque celui-ci est interrogé sur un fait qui lui est personnel, pénètre dans votre sein même, pour lui donner des éclaircissements. (Rires ironiques à droite et murmures.)

Plusieurs membres : L'ordre du jour!

M. Carnot-Feuleins, le jeune. Je demande que l'Assemblée s'occupe des affaires publiques, et passe à l'ordre du jour. (Bruit.)

(L'Assemblée passe à l'ordre du jour.)

M. Lagrévol. Il est temps sans doute d'en revenirà l'objet principal qui même déjà vous a occupés trop longtemps. J'ai été également étonné, Messieurs, que le ministre n'ait pas pu répondre à ce qu'on lui demandait; mais il n'est pas dans l'ordre des choses impossibles que la mémoire ait manqué à M. le ministre. Je dis cependant qu'il importe à la chose publique de ne pas prendre la réponse du ministre pour une réponse affirmative ou négative; je dis qu'il importe à l'intérêt de la chose publique que le ministre réponde catégoriquement sur la question qui lui a été faite par l'Assemblée nationale; et voici comme je le prouve.

Le département de la Somme a pris un arrêté en contravention à la loi, car il n'appartient pas aux différents corps administratifs de députer des citoyens près du Corps législatif ou du pouvoir exécutif. Les fonctions qu'avait à remplir le pouvoir exécutif, en raison de cet arrêté, étaient de l'annuler sur-le-champ. Or, si le pouvoir exécutif, au lieu de casser cet arrêté, contraire au vœu de la loi, l'a fait imprimer et envoyer aux départements, je regarde alors ce fait comme un délit très caractérisé, et dès lors pouvez-vous, pour prouver la nature de ce délit, prendre lé refus du ministre pour une réponse? Pouvez-vous vous contenter d'une réponse vague, que vous a faite le ministre? Il vous faut une réponse positive: il vous faut une réponse affirmative, et cette réponse ne peut et ne doit vous être donnée que par écrit. Je conclus donc à ce que le ministre soit tenu de vous répondre par écrit, dans le jour. (Applaudissements.)

Plusieurs membres : Il vous l'a demandé depuis une heure!

M. Jaucourt. Je demande à faire une observation. C'est que M. Lagrévol a réduit en motion la proposition du ministre. (Murmures.) (L'Assemblée adopte la proposition de M. Lagrévol.)

M. Basire. Monsieur le Président, vous escamotez les droits du peuple. (Bruit.)

Un grand nombre de membres: A l'Abbaye! (Murmures à l'extrême gauche.)

M. Gonjon. On y a bien envoyé M. Froudières, pour avoir traité M. Guadet de déclamateur.

M. Mayerne. Je demande que l'Assemblée nationale venge l'injure qui lui est faite par M. Basire, dans la personne de M. le Président. M. Basire a osé vous dire, Monsieur le Président, que vous étiez un escamoteur; je demande qu'il soit envoyé à l'Abbaye.

Plusieurs membres: Aux voix! aux voix !

M. le Président. Messieurs, lorsque je suis simple citoyen, je puis mépriser les injures; mais comme président de l'Assemblée nationale, ce n'est pas à moi à qui elles s'adressent, c'est à elle, et je ne puis les mépriser.

Un membre: Il n'est permis à aucun des membres de se servir d'expressions indécentes envers le président. Je demande que M. Basire soit rappelé à l'ordre.

Plusieurs membres: A l'Abbaye, à l'Abbaye! (L'Assemblée décrète que M. Basire sera rappelé à l'ordre.)

M. le Président. Monsieur Basire, je vous rappelle à l'ordre au nom de l'Assemblée, pour vous être servi d'une expression inconvenante contre son Président.

M. le Président. 'Je renouvelle l'épreuve. Je mets aux voix la proposition de M. Lagrévol. Plusieurs membres : Elle est décrétée.

Un membre: Il est très étonnant que le ministre, dans l'espérance de gagner une heure de temps, n'ait pas pu répondre par oui ou par non. Mais je demande la question préalable sur la proposition de M. Lagrévol, parce que l'Assemblée ne peut pas composer avec la loi, et un seul homme ne doit pas faire la loi à l'Assemblée. Si l'Assemblée décrétait que le ministre répondra par écrit, ce serait la soumettre à la loi qu'il lui imposait. (Applaudissements des tribunes.) (L'Assemblée ferme la discussion.)

M. le Président. Je mets aux voix la proposition de M. Lagrévol.

(L'Assemblée adopte la motion de M. Lagrévol.) Plusieurs membres : L'appel nominal!

M. le ministre de l'intérieur se prépare à sortir de la salle.

Plusieurs membres (à l'extrême gauche) : Restez ! restez! (Agitation prolongée.)

M. le ministre de l'intérieur sort de la salle des séances.

M. le Président le fait reconduire par un huissier.

M. Ducos. Maintenant que le ministre a profité du trouble d'une nouvelle épreuve pour se retirer, l'appel nominal devient inutile; bornonsnous en ce moment à entendre le directeur de l'imprimerie royale.

M. le Président. Je dois observer à M. Ducos que sa proposition a déjà été décrétée.

Un de MM. les secrétaires donne lecture d'une lettre de plusieurs pétitionnaires, citoyens de Paris, qui demandent à être introduits à la barre.

(L'Assemblée décrète qu'ils seront admis à la séance du soir.)

M. Bouestard. Je demande que nous quittions toutes ces discussions, pour nous occuper des dépêches qui sont déposées sur le bureau, de la part du général Luckner. (Quelques applaudissements.)

M. Lasource. L'Assemblée ne lèvera pas sans doute sa séance sans avoir entendu les dépêches qui sont arrivées du maréchal Luckner. Je demande donc que cette lecture soit renvoyée jusqu'à ce que l'imprimeur de l'imprimerie royale soit venu.

M. Mayerne. Je demande que l'Assemblée nationale se détermine d'après l'urgence des affaires. Or, certainement, il est plus urgent de savoir dans quel état sont nos armées que de savoir si l'imprimeur... (Murmures à gauche.)

Plusieurs membres Aux voix! la lecture! aux voix !

Un de MM. les secrétaires donne lecture des différentes lettres :

LETTRE.

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« Les dépêches, Monsieur, que je vous ai adressées par M. Beauharnais, adjudant-général, doivent vous avoir suffisamment éclairé sur ma situation politique; et les raisonnements que vous avez pu en tirer, n'ont dû vous laisser aucun doute sur ma conduite ultérieure. Les éclaircissements que j'ai pu omettre dans ma lettre, M. Beauharnais est chargé, de ma part, de vous les faire parvenir verbalement.

«Je vais encore vous retracer des détails qui doivent vous être connus, pour servir à la fois à la justification de ma conduite, qui n'est guidée que par ma longue expérience, par les principes de délicatesse de mon âme, et par l'attachement le plus inviolable au bonheur de la France.

C'est d'après les dispositions prises et la certitude d'un grand mouvement dans le Brabant, que l'ancien ministère avait décidé le roi à la guerre offensive. J'ai, en conséquence, fixé les moyens pour porter mon armée dans le pays ennemi. M. Lafayette s'est rapproché de Maubeuge, pour contenir les troupes campées sur Mons. J'ai placé un corps de cinq mille hommes à Maulde, pour tenir en échec les troupes postées à Tournai, et je me suis porté dans le pays ennemi, par Menín et Courtrai, où j'ai réuni quatre mille hommes.

« Je suis dans la position de Menin; mon avant-garde est à Courtrai; tout le pays entre Lamoy, Bruges et Bruxelles est couvert par mon armée et sans troupes ennemies. Malgré cela aucun mouvement ne s'effectue de la part des Belges; je n'entrevois pas même la plus légère espérance de l'insurrection si manifestement annoncée; et quand je serais encore maître de Gand et de Bruxelles, j'ai presque la certitude que le peuple ne se rangerait pas plus de notre côté, quoi qu'en dise un petit nombre de personnes à qui peu importe le salut de la France, dans la seule vue de satisfaire leur ambition et leur fortune.

« Lille et le canton de Rouloy ont défendu l'envoi des fourrages pour mon armée. Des paysans, par plusieurs reprises, ont tiré, aux environs de Menin, sur des patrouilles fran

çaises. Mon avant-garde et ma réserve à Courtrai sont harcelées par les ennemis qui se renforcent tous les jours vers Tournai, entre Courtrai et Gand.

«Dans cette position, et avec 20,000 hommes qui forment la totalité de mon armée, je ne puis que me maintenir devant l'ennemi sans laisser Lille à découvert. Alors l'ennemi me coupe en marchant sur les derrières, et le seul parti qui me reste dans le cas où une grande insurrection ne me seconderait pas, serait de me retirer vers Nieuport, Furnes et Dunkerque. Vous jugerez des inconvénients d'un pareil mouvement. Dans ce moment je n'ai encore que 5 à 600 Belges.

:

"Voilà, Monsieur, ma position particulière; mais un objet de la dernière importance doit occuper essentiellement le conseil du roi. Ce qui me détermine encore d'une manière bien plus forte à un mouvement rétrograde, c'est la position de nos frontières entre le Rhin et la mer, entre la Sambre et le Rhin il ne reste point de troupes, et la tête des colonnes ennemies s'avance dans l'électorat de Trèves, et non dans les Pays-Bas. M. Lafayette ne peut quitter sa position sans que mon armée se trouve en opposition à des forces doubles; alors Valenciennes et Lille sont à découvert. Voilà, Monsieur, ce qui doit occuper le conseil du roi.

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Quant à ce qui me regarde, mon unique pensée et toutes mes lumières ne cessent de se porter sur l'ensemble des moyens de défense entre Dunkerque et Sarrelouis. Depuis que je vois que les Belges ne se sont pas prononcés pour nous, j'y réfléchis jour et nuit, et n'ai trouvé qu'un seul moyen d'éviter un grand malheur à la France; c'est celui de retirer mon armée sur Valenciennes. Le moment devenant de jour en jour plus pressant, j'ai cru ne pas devoir attendre votre réponse concernant la position de mon armée; en conséquence je la ferai partir demain 30 pour Lille. Le premier jour au Chilly, le deuxième à Saint-Amand, le troisième à Valenciennes.

« J'envoie à la même heure qu'à vous, Monsieur, un courrier à l'armée de M. Lafayette, pour lui faire part de ce mouvement, en le prévenant que je donne des ordres à M. Lanoüe, lieutenant général, commandant le camp de....., pour qu'il parte avec ses 5,000 hommes, et se rende à Maubeuge. D'après cet avis, l'armée de M. Lafayette peut faire ses dispositions en conséquence, et se retirer dans la partie où il prévoit qu'il sera le plus nécessaire. Je prévois que ma démarche và exciter un essaim de mécontents et de calomnies contre moi. >>

Un grand nombre de membres (à droite et à gauche): Non! non!

M. le secrétaire reprend : « Mes vues n'ont d'autre but que le bien, et je me croirais un traître à la patrie, si j'avais tenu une conduite différente dans les circonstances présentes. Je vous demande, Monsieur, que vous soumettiez mes démarches et mes réflexions au roi et à son conseil, afin qu'il les juge; sans cela, comme j'ai eu l'honneur de vous le mander, je ne puis conserver le commandement de l'armée.

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« Signé: LAJARD. » Lettre du roi.

« Paris, le 1er juillet 1792, l'an IV de la liberté. »

Mes intentions, Monsieur le Président, étant d'employer tous les moyens possibles pour augmenter la force et l'activité de nos armées, je propose à l'Assemblée nationale de former, dans les places déclarées en état de guerre, et même dans celle de seconde classe, un certain nombre de compagnies de gardes nationales, qui recevraient une solde pendant le temps de leur service; et qui, sous les ordres du commandant militaire, remplaceraient la partie des garnisons actuelles destinées à renforcer nos armées. Je charge le ministre de la guerre de développer à l'Assemblée nationale les motifs et les avantages de cette disposition.

« Signé: LOUIS. Contresigné: LAJARD. »

(L'Assemblée renvoie le tout au comité militaire.)

M. Delmas (de Toulouse). Avant de donner connaissance à l'Assemblée des faits que je vais dénoncer, je dois lui déclarer que je me suis rendu ce matin à la commission extraordinaire des Douze, que j'ai énoncé tous ces faits, et qu'ils ont paru à votre commission extraordinaire de la plus grande importance. Je crois que l'instant est venu où il faut dire tout ce qu'on sait. Les faits que je vais dénoncer sont renfermés dans les lettres que je reçois d'un officier de l'armée de Luckner.

M. Delmas lit:

<< Menin, le 28 juin, l'an IV de la liberté.

« L'intrigue, depuis le changement du ministère, a fait des progrès inconcevables. L'armée est travaillée de telle manière que l'on pourrait perdre tout espoir, si le maréchal Luckner n'ouvre les yeux sur tout ce qui l'entoure, et principalement sur tous ceux qui sont à la tête de l'état-major.

"L'armée murmure de ce qu'on reste dans l'inaction après les premiers moments de succès. Hier un courrier de M. La Fayette est venu parler au maréchal; une demi-heure après son arrivée, le maréchal a donné l'ordre, à tous les équipages et caissons chargés de pain, de retourner à Lille, et probablement il aurait donné l'ordre que l'armée se repliât aussi sur Lille, si M. Biron ne l'eût déterminé à suspendre ces

ordres jusqu'à l'arrivée de M. Valence qui est à Paris. Le contre-ordre a été donné aux équipages qui étaient déjà partis, pour qu'ils reviennent ce qui a été exécuté. Le maréchal est si mal entouré, et tellement trompé qu'on lui a mis dans la tête que le comité de Belgique prenait tout l'argent du pays pour le faire passer en Angleterre; que ce comité l'avait trompé, et que la province de Flandre était disposée à l'insurrection.

་་

Une députation des Belges est venue hier pour prier le maréchal de les favoriser à l'insurrection qui était prête à éclore et afin qu'il daignât les protéger, en envoyant 2 ou 3,000 hommes pour courir le pays. Elle lui faisait savoir qu'aucun obstacle ne pouvait arrêter cette opération et qu'il n'y avait point d'Autrichiens. Il s'est mis en colère, et à dit à la députation qu'on l'avait trompé, qu'on lui avait promis 60,000 hommes, et qu'il n'avancerait que lorsqu'il les aurait. Je ne sais pas comment M. le maréchal voudrait que le pays s'armât sans armes, et sans être protégé par les armées françaises qui restent dans l'inaction, et qui déjà 2 fois ont reçu l'ordre de se replier et d'abandonner leurs prises dans la Flandre et le Hainaut. Si le maréchal termine ses conquêtes par la prise de Menin et Courtrai, on ne pourrait trop juger de son courage et de ses connaissances militaires, puisqu'à Menin il n'y a eu aucune résistance.

Il paraît évident que le maréchal a été trompé sur la conduite du comité et que les intrigants l'ont déterminé à abandonner la Belgique au moment où l'insurrection allait éclater. Que deviendra ce comité et les 1,200 hommes qui se sont si bien montrés à Courtrai dans les différentes attaques? Que deviendront nos frontières? Que deviendront Menin et Courtrai, quand l'armée française se retirera, pour avoir si bien reçu et arboré la cocarde nationale? Les intrigants ont sûrement pour but de couvrir la nation de honte, et d'indisposer les Belges contre nous, afin de nous ôter, par là, tout espoir de secouer le joug de la maison d'Autriche.

"

«Il est temps que la nation entière se lève; le moment de frapper est venu; il faut qu'elle recouvre la gloire qu'elle perdrait si elle restait assoupie. L'ennemi n'est point en force, pourquoi reculons-nous? toute l'armée murmure. S'il faut qu'elle retourne en France, je ne réponds pas des événements fâcheux que cette démarche peut occasionner. Le maréchal tient conseil ce matin; on doit y décider bien des choses que l'on apprendra par la suite. La proclamation du roi a été imprimée par ordre du maréchal Luckner, et a été répandue avec profusion dans l'armée; elle a été reçue avec humeur des Français. M. Lameth a couru toute sa division pour engager les régiments à exprimer leur vou sur la proclamation du roi, et l'adresser ensuite au maréchal. Plusieurs régiments ont juré d'être fidèles à la nation, à la loi et au roi, et de n'entrer dans aucune disposition politique. Ils ont juré de frapper fort l'ennemi. (Applaudissements.) Plusieurs régiments disent qu'ils n'abandonneront pas les Belges, qu'il faut tout attendre du temps. J'aurai l'honneur de vous écrire demain ce qui se passera: l'insurrection commence déjà à Tournai, parmi les troupes autrichiennes. Il ne faut pas encore désespérer. (Applaudissements.)

Un membre: La signature!

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M. Dehaussy-Robecourt. C'est l'opinion d'un membre de l'armée: il n'est pas besoin de la signature.

M. Delmas. Quand je suis monté à cette tribune pour communiquer à l'Assemblée nationale des faits aussi importants, certainement on ne m'a point fait l'injure de croire.....

Plusieurs membres : La signature!

M. Delmas. Je promets de remettre les pièces sur le bureau, de les certifier véritables et d'en présenter les originaux quand l'Assemblée l'exigera.

Le même jour, j'ai reçu une autre lettre. Dans cette lettre, il n'y a qu'un seul article qu'il importe à l'Assemblée de connaître. Le voici : Sans M. Biron, l'armée aurait évacué Menin, et Courtrai le 24. Encore hier, le 27, le maréchal envoie dire qu'il revenait camper sous la Lys. Heureusement que le contre-ordre arriva à minuit. J'irai le voir demain matin sans faute, s'il le permet. »

M. Théodore Lameth. Je demande la parole. (Bruit.) Je déclare que je prendrai la parole.....

Plusieurs membres: Après la lecture des lettres! M. Théodore Lameth. Un décret de l'Assemblée peut seul m'ôter la parole; et soyez certains que vos clameurs, loin de m'intimider, m'irritent, et affermissent mon inébranlable volonté. Plusieurs membres : A la tribune, à la tribune!

M. Théodore Lameth (à la tribune.) Messieurs, l'insidieuse affectation avec laquelle on se succède ici pour attaquer mon frère, ne me surprend pas; mais si j'avais été présent, l'autre jour, lorsque M. Gensonné s'est permis d'employer l'expression colporté, je l'eusse arrêté à l'instant. Quant à cette partie de la dénonciation relative à ce fait « que mon frère a couru toute sa division pour engager les régiments à exprimer leur vau sur la proclamation du roi, j'exige que le nom de celui qui a signé la lettre que vient de lire M. Delmas soit connu. Quant à la lettre adressée au roi, je souhaite et j'espère que mon frère l'a signée; je déclare qu'elle renferme ses senti ments, les miens, ceux dont il ne se détachera jamais. (Murmures violents à l'extrême gauche.)

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M. Delmas lit : « M. le maréchal Luckner est entièrement dévoué à la nation française, à la Constitution; mais, en attendant, il se laisse mener par l'intrigue de M. La Fayette...

Plusieurs membres : Ah! ah!

M. Delmas. « Il agit ici par M. Berthier, le chef de l'état-major, et M. Mathieu Montmorency. MM. Lameth font encore moins de mal que M. Berthier. M. le maréchal Luckner croit fout. On l'inquiète. On lui faisait accroire dernièrement que les Prussiens étaient à Gand, que toute l'armée de Mons était à Tournai. On lui prouva le contraire par trois courriers, qui, entrés à Tournai, assurèrent que Mons n'avait pas envoyé plus de deux régiments. En effet, il aurait fallu, et je le luidis, que M. La Fayette s'entendit avec les Autrichiens pour qu'ils laissassent Mons dégarni. Très certainement il agira mieux si on lui donne 10,000 hommes, et même cette mesure est nécessaire pour conserver Courtrai.

«Dans la Flandre maritime ils n'attendent pour se déclarer plus positivement que la continuation de la marche de M. Luckner, qu'on a vu paralysée par la visite de M. de Graves ici, et par la retraite de M. Dumouriez. »

Voici maintenant une autre lettre :

« Je crois que le maréchal ne regarde les dernières instructions que vous avez applaudies, que comme insignifiantes. M. La Fayette envoie sans cesse des courriers qui inquiètent M. le maréchal. M. de Valence arriva hier, sans doute avec des instructions. M. le maréchal a renvoyé un autre courrier au ministre. Je crois que M. Beauharnais y va pour le même objet. C'est avoir du pouvoir et beaucoup, que d'empêcher le maréchal d'abandonner Courtrai, et de venir sous Lille. Je lui ait écrit deux fois que cela causerait beaucoup de mal dans l'armée. Mais que faire contre l'intrigue? »

Cette lettre est datée du 29.

Voici maintenant celle que j'ai reçue ce matin, à 11 heures :

"

Je suis bien mal payé de mon zèle et de ma curiosité. En allant voir Courtrai, après avoir diné chez le maréchal; j'ai appris que l'avantgarde y avait été attaquée ce matin par 5 ou 600 hussards autrichiens. Nous eùmes la douleur de voir tous les faubourgs en feu. Et cela, sous le prétexte qu'ils nuiraient à la défense.

M. Jarry, officier prussien, qui a été aide de camp de M. Liancourt, n'a commis sans doute cette atrocité que pour aliéner les habitants des Pays-Bas; car il n'est pas ami de la nouvelle Constitution. Ce M. Jarry, qui commandait l'avantgarde, était ami de M. Mulot, colonel des chasseurs qui, de cette avant-garde, déserta en dernier lieu; et c'est depuis cette désertion qu'au poste de Courtrai ils furent inquiétés deux ou trois fois, le 24 et le 27. M. Biron avait engagé le maréchal à suspendre ce qu'il appelle son plan de retraite. Hier, il donna les ordres avant d'en faire part au maréchal Biron. Je fis part à M. le maréchal de plusieurs réclamations. Il me dit qu'il les entendrait à Famars et que M. La Favette allait défendre la Champagne. M. La Fayette a l'air de le consulter pour mieux le conduire par ses agents ici.

La lettre est du 30 juin. Celle-ci est du même jour :

Hier 29, les postes avancés de Courtrai furent attaqués par quelques chasseurs autrichiens. Au lieu de les renforcer et de les sousoutenir, M. Jarry, maréchal de camp les fit retirer, et, en même temps, il fit mettre le feu aux trois faubourgs de Courtrai (Mouvements d'indignation.), ceux de Lille, Tournai et Gand, dans la crainte que quelques chasseurs tyroliens ne se cachassent dans quelques maisons. M. Caste, lieutenant général, commandant à Courtrai, a souffert malheureusement cet acte de barbarie, qui fera détester le nom français dans les Pays-Bas...

Un membre (à gauche): Voilà la noblesse! (Bruit.)

M. Delmas, lit: «M. le maréchal Luckner, accompagné de M. Labourdonnais, commandant à Lille, arrivèrent à Gand l'après-midi, pour faire éteindre les flammes et sauvèrent plus de trente maisons qui, selon les spéculations militaires de M. Jarry, devaient être brûlées. M. le maréchal, qui avait déjà projeté sa retraite des Pays-Bas le 24 et le 27, en avait été détourné par M. Biron. Il a suivi hier son plan combiné avec M. La Fayette. Toute l'armée française a évacué Courtrai et Menin dans la nuit du 29 au 30, et campé ce matin sous Lille. On croit qu'elle va occuper son camp de Famars sous

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