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chacun voudra combattre pour conserver ce qu'il aura recueilli c'est alors que vous serez obligés de contenir plutôt qu'exciter le courage et l'enthousiasme. Messieurs, souvenons-nous qu'un général fameux, ami de l'humanité, sut avec moins de vingt mille Français, réduire, par une campagne habile, plus de quatre-vingt mille impériaux aguerris, et mettre en défaut l'expérience consommée de leur chef, et n'oublions jamais que notre force n'est que dans notre union et dans l'accord simultané de nos mouvements.

En me résumant, Messieurs, je crois qu'il serait prudent de prononcer, quant à présent, qu'il n'y a lieu à délibérer sur la proposition de proclamer que la patrie est en danger. Je demande qu'il soit fait une adresse aux Français, tendant à instruire la nation sur sa véritable position, et à exciter le recrutement sans éveiller la crainte; que le projet portant une nouvelle levée de bataillons, et la formation d'un corps de réserve soit discuté, qu'il soit mis la plus grande activité dans les préparatifs nécessaires pour armer, équiper et mettre en état de guerre quatre cent cinquante mille hommes; que les ministres soient tenus de rendre compte tous les trois jours au plus tard, et tous les jours, lorsque les circonstances l'exigeront, de notre véritable situation; j'ap puie au reste la motion reproduite nouvellement, et que j'ai faite il y a huit mois, d'envoyer sur les frontières des commissaires de l'Assemblée, non pas pour donner des ordres, ce qui n'appartient qu'au pouvoir exécutif, mais pour examiner le véritable état de nos forces, de notre position, de la disposition des esprits, et en rendre à l'Assemblée un compte certain qui puisse anéantir toute méfiance, et être enfin le régulateur de déterminations uniformes; qu'enfin on continue la discussion sur les mesures à prendre dans l'état actuel des choses, et que l'on entende tous les orateurs avant de la fermer. Je demande aussi que l'Assemblée nationale, s'unissant au roi qui a manifesté son sentiment à cet égard, et cherchant à bannir tout sujet de dissension, prononce la cessation de toute recherche sur la malheureuse journée du 20, et lève la suspension du maire et du procureur de la commune de Paris.

Plusieurs membres : L'impression!

D'autres membres : La question préalable! M. Lecointe-Puyraveau. J'appuie la question préalable parce que l'orateur est convenu que son discours a été fait avant le rapport.

(L'Assemblée décrète l'impression du discours de M. Damourette.)

M. le Président. La parole est à M. Lamarque.

M. Lamarque. Messieurs, (1) vous avez décrété que lorsque la sûreté intérieure ou la sùreté extérieure de l'Etat seraient menacées, et que le Corps législatif aurait jugé indispensable de prendre des mesures extraordinaires, il le déclarerait par la formule suivante :

Citoyens, la patrie est en danger.

Pour savoir aujourd'hui si cette déclaration est nécessaire, si elle doit concourir au maintien de la liberté, vous avez donc uniquement à examiner si la sûreté de l'Etat est menacée au dedans

(1) Bibliothèque nationale Assemblée législative. Administration, tome III, 51.

ou au dehors, et si le moment qui commande des mesures extraordinaires est arrivé.

Sur ce simple exposé de la question, je ne doute pas qu'on ne s'étonne d'avoir conçu des alarmes, sur la proposition qui vous est faite; car il n'est pas un de vous, sans doute, qui ne soit profondément convaincu que nous sommes environnés de dangers, et que le vrai moyen de les rendre plus grands, serait de s'en tenir à des mesures partielles et lentes, et de ne déployer qu'une faible partie de nos forces, lorsque nous en avons d'assez puissantes pour vaincre tous nos ennemis.

On avait aussi trouvé une difficulté en ce que le décret dont je viens de parler n'était pas encore sanctionné.

Plusieurs membres: Il l'est, il l'est!

M. Lamarque. Dès que le décret est sanctionné, la question qui résulte de ce décret, devenu loi, reparaît dans toute sa simplicité et dans toute sa force; peut-on douter que la sûreté intérieure et extérieure de l'Etat soit menacée, et qu'il ne soit indispensable de prendre des mesures extraordinaires?

Ici, Messieurs, je n'entreprendrai pas de retracer, dans toute son étendue, le tableau de notre situation actuelle. Déjà il vous a été présenté par plusieurs orateurs, d'une manière assez forte, assez énergique, sans doute, pour qu'il ne soit point effacé de vos esprits.

Mais je dois vous rappeler les faits principaux que personne ne conteste, et qui tiennent essentiellement à la question que je vais traiter.

Les rois de Hongrie et de Prusse, foulant aux pieds les droits des peuples, infidèles à tous les traités, si on en excepte celui de Pilnitz, sont déclarés et marchent contre nous. La Russie, la Savoie, une partie de l'Italie, plusieurs princes ou électeurs d'Allemagne, sont prêts à les soutenir plus ou moins ouvertement.

Des hordes de brigands, qui portèrent autrefois le nom de Français, et qui donnent au monde l'exemple d'une infamie, dont l'histoire d'aucun peuple n'avait jamais encore été souillée, sont rassemblés en grand nombre sur le territoire de Coblentz..... là, rampant et sollicitant par toutes sortes de bassesses, l'honneur d'être rangés sous la bannière des tyrans, ils s'apprêtent, s'ils en ont le courage et la force, à venir déchirer le sein de leur patrie.

Des armées nombreuses, aux ordres de François et de Frédéric, sont déjà sur nos frontières. Des préparatifs immenses annoncent de vastes desseins; et tout cela, Messieurs, sans qu'un seul allié nous offre le moindre secours.

L'Angleterre, cette nation libre, gardera exactement la neutralité. Soyons-en surs. Quelques autres puissances nous la promettent aussi; mais vous le savez, Messieurs, dans les gouvernements arbitraires, les cours sont tellement corrompues, et les systèmes de conduite si perpétuellement versatiles, que c'est sur les événements, et non sur leurs promesses que nous devons compter.

Si nous sommes vainqueurs, la neutralité sera gardée, peut-être même alors trouverons-nous des amis; mais, si nous essuyons des revers, ces gouvernements seront contre nous, car toutes leurs institutions leur enseignent que le droit du plus fort est pour eux un droit sacré.

Ne nous dissimulons donc plus cette grande vérité, qui fera cesser le danger, dès qu'elle sera connue; nous sommes seuls, et nous avons à combattre un grand nombre d'ennemis extérieurs.

Nous ne pouvons pas douter non plus, Messieurs, que ces sensations du dehors ne soient soutenues par des complots intérieurs, très multipliés et très actifs.

Voyez comment les prêtres fanatiques ou factieux agitent nos départements. Voyez tous les ci-devant noble s, écliappés de Coblentz et rassemblés dans d'obscurs repaires, tous les esclaves de la cour, ces êtres que la nature fit pour ramper et non pour être libres: tous les mécontents, plus ou moins ouvertement déclarés contre la liberté et la Constitution; voyez comment après avoir attendu silencieusement, pendant qu'ils se croyaient trop faibles, ces traitres donnent aujourd'hui le signal du carnage et allument toutes les torches de la guerre civile.

Et nous, Messieurs, nous serions assez imprudents, assez prodigues du sang de nos concitoyens, pour n'opposer à tant de périls que des mesures ordinaires!

Et qu'entendrait-on par ces mesures ordinaires, dans lesquelles des esprits faux ou timides voudraient nous renfermer?

Serait-ce de s'en rapporter en aveugles au pouvoir exécutif, au zèle et à l'activité des ministres?

Leur conduite passée est en effet si louable et si satisfaisante, ou leurs fautes sont si légères, que nous trouverions, sans doute, dans cette conduite de grands moyens de salut!

N'est-ce pas une faute légère que d avoir constamment trompé le Corps législatif et la nation entière, sur l'etat de nos armées, sur le nombre des soldats, sur leurs approvisionnements?

N'est-ce pas une faute légère que de nous avoir dit que l'armée de Luckner était de 50,000 hommes effectifs, lorsqu'elle n'en offrait que 20,000, que d'avoir refusé un renfort de 10,000 hommes á ce général patriote, lorsque 100,000 citoyens courageux demandaient à partir?

N'est-ce pas aussi une faute légère d'avoir caché la marche de l'armée prussienne, jusqu'à son arrivée sur les bords du Rhin, d'avoir tenu nos armées dans un affaiblissement forcé, en éludant, par des ruses, le complément des régiments, en s'opposant (sous le nom du roi) à la formation d'un camp de 20,000 hommes, qui, complet aujourd'hui, donnerait au peuple français les plus belles espérances, et en laissant végeter inutilement, dans l'intérieur du royaume, 15 ou 20,000 hommes de troupes de ligne, absolument nécessaires sur les frontières du Nord, et avec lesquelles, sans doute, le brave Luckner, au milieu de ses succès, n'eut pas été forcé à cette retraite, si douloureuse à tous les bons citoyens, et si fatale aux patriotes belges. (Applaudissements dans les tribunes.)

Butin, Messieurs, ce sout aussi des fautes légères que d'avoir perpétuellement favorisé les complois des prêtres fanatiques, et les rassemblenients criminels des mécontents, qui, dans la capitale et dans quelques autres grandes villes, sont les véritables auteurs de tous les troubles.

D'après cette conduite, sur laquelle il ne peut y avoir aujourd'hui qu'une seule opinion, si vous Vous voulez qne la liberté périsse, reposez-vous sur les mesures ordinaires que doivent dicter la sagesse et le patriotisme des ministres.

Si vous voulez, au contraire, sauver la patrie, reconnaissez qu'il faut de grandes mesures, et n'hésitez pas à prononcer hautement cette déclaration terrible, mais salutaire, qui doit lever tous les doutes, briser tous les obstacles, unir toutes

les volontés; cette déclaration de laquelle dépend la sûreté de l'Etat :

Citoyens, la patrie est en danger ! (Applaudissemenis dans les tribunes.)

M. Dorizy. Je frémis d'horreur d'entendre applaudir cette expression-là.

M. Lamarque. Quel sera donc l'effet de cette proclamation?

Sera-ce, comme l'ont paru craindre quelques personnes, de porter les citoyens à une insurrection anarchique?

Cette inquiétude, Messieurs, ne serait qu'un outrage que les ennemis de la liberté réuniraient à tant d'autres, contre le plus loyal, le plus doué et le plus humain de tous les peuples.

Sans doute, l'histoire de notre Révolution offre quelques désordres momentanés, quelques malheurs particuliers; et on ne pouvait pas s'attendre que, dans le choc terrible de tant d'intérêts opposés, la paix et le calme intérieurs ne dussent jamais souffrir d'aucune espèce d'altération; mais ce qui a frappé tous les esprits, ce que saura bientôt l'Europe entière, malgré les infâmes libellistes qui, pour un peu d'or, travaillent à déshonorer leur patrie, en se couvrant eux-mêmes de boue; ce que l'Europe saura, c'est que le peuple français n'a jamais témoigné d'impatience que pour le soutien de la liberté, pour le règne des lois nationales, pour l'anéantissement de tout régime oppressif. Ce que l'Europe saura, c'est que le peuple français a constamment et invariablement compte sur le zèle et le patriotisme de ses représentants élus; c'est qu'une adresse, une instruction de l'Assemblée nationale ont toujours suffi pour ramener à la loi ceux qu'un instant d'exaltation ou d'égarement avaient pu en écarter. C'est qu'il n'est pas un seul peuple ancien ou moderne, qui, dans des circonstances aussi difficiles, ait jamais montré autant de sagesse, de courage et de dou

ceur.

Sans doute, quelques orages ont paru sur notre horizon; mais ce sont les orages qui alimentent la terre de la liberté. Une sorte d'agitation légale et salutaire est essentiellement liée à la constitution des peuples libres; dès qu'elle cesse, dès que le peuple s'endort, la liberté s'enfuit pour ne reparaître jamais.

Tels sont, Messieurs, les principes des gouvernements populaires qui ont pour base l'Egalité; tel est l'exemple que nous trouvons chez tous les peuples libres de la Grèce et de Rome, tel est celui que nous donne la nation anglaise, la seule des nations modernes, qui, avant nous, eut une Constitution.

Les Français pensent que le gouvernement d'Angleterre est plus orageux que la mer qui l'environne, et cela est vrai, dit un philosophe celèbre (1). Mais c'est quand le roi commence la tempête, c'est quand il veut se rendre maître du vaisseau dont il n'est que le premier pilote..

Ici, Messieurs, j'aime à croire que nous n'avons pas à craindre une tentative de cette nature; le roi est venu jurer plusieurs fois au milieu de vous qu'il voulait la Constitution. Ses écrits, ses notifications aux puissances étrangères, l'annoncent formellement. Sa nouvelle démarche auprès de l'Assemblée nationale, lors de cet heureux moment qui nous a promis une réunion franche, une cordiale fraternité, tout cela, disje, ne nous permet pas de douter que le roi ne

(1) M. Voltaire.

veuille nous aider à défendre la liberté et la souveraineté nationale. Disposition, au reste, à laquelle il doit d'autant plus invariablement s'attacher, malgré les traitres qui l'environnent, qu'avec elle il sera peut-être le premier et le plus heureux des Français; et qu'avec des dispositions contraires, il ne doit s'attendre qu'à des infortunes et à des revers.

Le peuple français ne verra donc, dans la déclaration proposée, qu'une grande mesure prise par ses représentants, pour augmenter la force armée, pour défendre la liberté et de la sûreté de l'Etat.

Loin donc que cette déclaration puisse le porter à une insurrection anarchique, elle ne fera que rallier tous les citoyens autour de la loi, elle étouffera les petites haines, elle écartera les intérêts privés, pour exciter dans les cœurs la grande passion du bien public. Tous les Français se hâteront de se réunir pour ne former qu'une seule famille; et c'est alors qu'on entendra véritablement de toutes parts, ce cri si redoutable aux tyrans La Constitution, la liberté ou la mort.

D'autres personnes ont paru craindre, Messieurs, que la declaration de la patrie en danger ne jetât dans le royaume la consternation et la terreur.

A cette idée un mouvement de surprise et d'indignation s'est universellement manifesté. Et sans doute, ce premier mouvement doit pleinement nous rassurer contre l'inquiétude pusillanime et fausse qu'on chercherait à répandre sous ce vain prétexte; mais ce que le sentiment inspire à la masse des citoyens, la raison doit le démontrer et le démontrera facilement aux législateurs.

Je dis, Messieurs, que la déclaration de la patrie en danger n'est point comme on a paru le croire, un cri de terreur et d'alarme sur notre situation présente. C'est un avertissement solennel donné à toute la nation pour qu'au milieu des périls qui se manifestent (et qui, fussent-ils plus grands encore, sont au-dessous de nos forces), pour qui, dis-je, dans ces circonstances extraordinaires tous les citoyens se réveillent; pour qu'ils déploient des moyens de résistance qui, tout d'un coup, puissent effrayer les tyrans, fixer à jamais la liberté en France, et en avancer en Europe la marche et les progrès.

Ce n'est pas un cri de terreur, car ce sont les citoyens les plus courageux, les plus ardents qui vous le demandent de toutes parts.

Ce ne doit pas être un cri funeste à la liberté, car ceux qui le solicitent sont les vrais amis de la liberté, ce sont des patriotes qui ne voudraient plus vivre, si la patrie pouvait périr. (Applaudissements dans les tribunes.)

C'est un cri salutaire, qui ranimera tous les courages, fera connaître toute la vérité, et opposera toutes les forces à toute la grandeur du péril.

Il n'y a donc aucun risque, et il y a de grands avantages dans la déclaration proposée.

Mais sommes-nous arrivés à une situation aussi fâcheuse, à une crise assez alarmante pour déclarer la patrie en danger? Ne devons-nous pas attendre le dernier periode des revers qui nous menacent?

J'avoue, Messieurs, que cette difficulté, qui a été présentée aussi par quelques personnes, est absolument au-dessus de ma conception.

Qu'a-t-on entendu par ce dernier période de

revers?

Veut-on que nos villes frontières aient été prises, ravagées, pillées? Veut-on que nos troupes aient été battues, que 100,000 de nos frères, de nos concitoyens, aient péri?

Ah! Messieurs, je veux au contraire que par la déclaration de la patrie en danger, et par l'appareil des forces qui doit en être l'effet, nous puissions non seulement réparer, mais prévenir tous ces malheurs; je veux que la patrie soit défendue et sauvée, sans que nos soldats périssent.

Il faut, Messieurs, que, dans la conduite de cette guerre, l'humanité soit notre premier guide, et que nous donnions au monde ce grand exemple qu'aucun peuple ne lui donna jamais. Il faut qu'en lisant notre histoire, la postérité puisse dire :

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De grandes forces étaient rassemblées aux ordres des tyrans, pour renverser la liberté française.

«La France libre, et dès ce moment, sage et philosophe, en a armé de plus grandes encore, non seulement pour defendre sa Constitution, mais pour la défendre d'une manière utile, et à ses soldats, et mème aux soldats ennemis; elle a voulu que ses armées fussent tellement imposantes, qu'elle pùt être victorieuse sans se montrer sanguinaire; et c'est là seulement que commence la sagesse de l'ordre social, la véritable politique des peuples libres."

Les peuples libres seront constamment fermes et courageux, mais ils se souviendront que tous les hommes sont frères, et ils s'armeront bien plus pour epargner que pour répandre le sang humain.

Tels doivent être, Messieurs, et tels seront désormais les Français.

Je termine ces réflexions par une comparaison qui, quoique très simple, me paraît infiniment lumineuse et exacte.

Le Corps législatif, dans la circonstance où nous nous trouvons, est comme un chef de famille qu'on viendrait avertir au milieu de la nuit que sa maison est investie et attaquée par des brigands et à qui on dirait en même temps ne réveillez ni vos enfants, ni vos frères, car vous avez à la porte des gardiens qui défendent votre mai-on, attendez que ces gardiens aient combattu pour vous. S'ils sont vaincus ou égorgés, alors vous vous leverez, et vous irez vous-même au combat. (Applaudissements dans les tribunes.) Le chef de famille ne se hâterait-il pas de répondre non, mes amis, ce n'est pas ainsi que nous devons nous conduire; levons-nous, au contraire, tous à la fois; allons défendre nos propriétés, nos femmes, nos enfants. Nos gardiens, à qui nous allons donner du secours, ne seront point égorgés, et la famille entière sera sauvée. (Applaudissements réitérés dans les tribunes.)

Je crois, Messieurs, que vous reconnaissez sans peine, que les brigands dont je parle sont les princes français et leurs adherents, soutenus par les deux tyrans, François et Frédéric. Nos gardiens fidèles ce sont les vaillants et patriotes soldats qui combattent aux frontières.

Vous ne voulez pas sans doute que ces valeureux citoyens soient inhumainement sacrifiés; gardez-vous donc de fermer les yeux sur la faiblesse de nos armées et de compter sur la foi des ministres.

Vous voulez que la France soit victorieuse et triomphante, vous voulez sauver l'Etat, hâtezvous donc de réveiller la grande famille, faites

marcher la nation entière; en un mot, Messieurs, n'hésitez plus à prononcer hautement cette déclaration salutaire :

Citoyens, la patrie est en danger! (Applaudissements réitérés dans les tribunes.)

Je conclus à ce que cette déclaration soit faite à l'instant même, et à ce qu'immédiatement après, la séance du Corps législatif soit déclarée permanente (Applaudissements), jusqu'à ce qu'on ait pris, d'une manière pleine et entière, toutes les mesures extraordinaires que commande le salut de l'Etat. (Applaudissements.)

Plusieurs membres : L'impression!

M. Mathieu Dumas. Pour sauver la patrie, il est important de faire paraître la vérité. Le préopinant a commis une erreur. Il s'est trompé lorsqu'il a reproché au ministre d'avoir refusé un renfort au maréchal Luckner, tandis qu'au contraire il a rapproché de son armée tout ce qui était disponible. (Murmures.) On veut diminuer la confiance que l'on doit avoir dans les opérations du ministère, et lui faire porter à cette heure qu'il a donné sa démission... (Murmures.)

M. Gérardin. J'ai demandé à parler contre l'impression, et voici pourquoi. Je crois qu'un des moyens de sauver la patrie, c'est de diminuer les dépenses (Murmures); et je crois, d'ailteurs, qu'il n'y a pas besoin de faire imprimer ce discours pour être parfaitement sûr de la neutralité de la Pologne. (On rit.) En conséquence, je demande la question préalable sur l'impression. (Vifs mouvements dans les tribunes.)

(L'Assemblée nationale décrète qu'il y a lieu à délibérer, et adopte l'impression.) (Applaudissements dans les tribunes.)

M. Léopold. Je demande que M. le Président fasse enfin respecter l'Assemblée par les tribunes; ou bien, au lieu de demander la parole au Président, on la demandera aux tribunes.)

M. Léonard Robin. Je demande la parole pour une motion d'ordre. Vous ne sauriez vous entourer de trop de lumières dans une question aussi délicate. Je demande, Messieurs, que, sur cette question, les trois comités réunis, diplomatique, militaire et la commission des Douze, c'est-à-dire les comités et commission qui sont dans le cas de nous donner les mesures les plus efficaces et les résultats des délibérations les plus mûres, soient tenus de s'assembler ce soir, et présentent demain matin, sans plus de retard, un rapport et un projet de décret sur cet objet.

M. Taillefer. Je suis certainement d'accord avec M. Léonard Robin pour constater que le péril et le danger sont imminents, mais je suis obligé de faire remarquer à l'Assemblée que nous ne devons pas perdre un seul instant en discussions vaines et en renvois aux comités. Voilà déjà plusieurs fois que la proposition a été faite; je crois, en conséquence, qu'il est préférable de continuer la discussion sur la procla-mation du danger de la patrie, et sur les effets que cette déclaration doit opérer. Je tiens que nous devons demander à la nation qu'elle exécute en entier tout ce que nous désirons. Je demande donc que la discussion continue.

M. Lasource. Il y a deux propositions très distinctes dans la motion de M. Robin: 1° Qu'on renvoie l'objet qui est à la discussion actuellement; 2° si l'on déclarera ou non que la patrie est en danger. Cet objet n'a pas besoin d'être renvoyé à un comité pour faire un rapport, car

les membres de l'Assemblée sont très persuadés que la patrie est en danger. Mais si M. Robin veut qu'on renvoie seulement au comité pour présenter des mesures ou partielles, ou générales...

Plusieurs membres : Non, non, il s'agit du principe!

M. Lasource. Mais cela ne doit point empêcher de continuer la discussion générale, car il semble qu'on prend à tâche d'éloigner cette discussion, sans que jamais elle n'ait pu être suivie que pendant deux ou trois minutes de suite. Aujourd'hui elle a été commencée et on l'interrompt par une motion d'ordre. J'observe à l'Assemblée qu'il est impossible d'adopter cette motion d'ordre, si elle porte sur la discussion générale. En effet, si vous ne déclarez pas que la patrie est en danger, alors il est inutile qu'on vous propose des moyens. Et si vous voulez déclarer que la patrie est en danger, rien n'empêche que Vous chargiez vos comités de vous présenter les mesures proposées. (Murmures.) On dit à mes côtés que c'est pour examiner si la patrie est en danger. Monsieur le Président, on fait de moi l'écho des opinants. Les uns me disent que c'est sur la question de savoir s'il faut déclarer que la patrie est en danger, et je dis à M. Robin qu'il me paraît extraordinaire qu'il puisse se dissimuler le danger de la patrie et la nécessité de le déclarer.

Plusieurs membres : Ce n'est pas cela!

M. Lasource. Je prie M. Robin de rétablir sa motion.

M. Léonard Robin. Je pense que la discussion doit être continuée et qu'il est bon que les orateurs soient entendus; mais pour une discussion plus mûre, j'ai demandé que les comités s'assemblassent ce soir pour discuter cette grande question, afin que l'Assemblée ne prononce qu'après avoir entendu leur rapport.

M. Lasource. Alors la motion de M. Robin devient inutile. En effet, si après la discussion, l'Assemblée nationale ne se trouve point assez éclairée, elle renverra à un comité; si, au contraire, l'Assemblée nationale se trouve assez éclairée, alors elle déclarera que la patrie est en danger. Ainsi la motion de M. Robin, réduite comme il vient de le faire, est sans objet, et je demande la question préalable. (Applaudissements des tribunes.)

Plusieurs membres : L'ordre du jour!

(L'Assemblée décrète qu'il y a lieu à délibé

rer.)

Plusieurs membres : Aux voix, le renvoi!

M. Lacuée. Je crois que l'intention de l'Assem blée n'est pas de terminer aujourd'hui et je suis certain qu'elle juge utile de faire marcher de front plusieurs dispositions ultérieures, car la dernière loi que vous avez rendue demande des applications particulières à la circonstance présente et aux localités où nous avons à pourvoir. Je demande donc que, dans tous les cas possibles, et sans préjuger votre décision, vos comités militaire, diplomatique et votre commission extraordinaire des Douze, soient chargés de vous préparer pour demain matin, les décrets de détail qui devront accompagner votre déclaration dans le cas où vous la rendriez. (Murmures.)

M. Thuriot. J'appuie la proposition de M. Lacuée, en ce qu'elle est très conforme aux principes,

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et en ce qu'elle n'empêche point la continuation de la discussion. Dans ce moment-ci, une raison puissante, et qui n'admet pas de réplique, en ce sens qu'elle doit déterminer l'Assemblée à continuer la discussion et à prononcer avant de se séparer, c'est que le ministère lui-même, effrayé de l'état de la France, et bien convaincu qu'il est dans l'impossibilité de sauver la chose publique, vient de donner sa démission. Une seconde raison, c'est que le ministère a eu la perfidie de vous taire, que les 200,000 hommes qu'il avoue en ont encore 300,000 derrière eux. Je demande donc, au nom du bien public, qu'on ne lève pas la séance avant de déclarer que la patrie est en danger. (Applaudissements des tribunes.)

M. Couthon. Vous avez pris tous les renseignements suffisants, vous avez entendu d'excellents discours, vous avez écouté les ministres et le président de votre comité diplomatique, vous devez donc être convaincus, maintenant, que la patrie est en danger, et que la nécessité est urgente de prendre des mesures. Et quel temps, Messieurs, choisiriez-vous pour les prendre? Attendrez-vous que nos ennemis extérieurs se soient emparés de nos frontières? Attendrez-vous que nos ennemis intérieurs aient opéré au sein de l'Empire une nouvelle Saint-Barthélémy? Je demande qu'on ne perde pas une minute, que la discussion soit fermée, et que l'Assemblée prononce sur-le-champ que la patrie est en danger.

Un membre: M. Thuriot vous a dit que 300,000 hommes marchaient pour soutenir les 200,000 hommes annoncés par les ministres; mais où sont-ils? Il vous a dit que les dangers de la patrie ont fait fuir les ministres; mais assurément il n'est personne qui partagera son opinion, il n'est personne qui puisse, sans avoir réfléchi sur cette question, sans avoir renvoyé à ses comités compétents, prononcer...

Plusieurs membres: Allons donc !
D'autres membres : Oui, oui!

Un grand nombre de membres: Aux voix la proposition de M. Lacuée !

(L'Assemblée décrète que les comités militaire, diplomatique et la commission extraordinaire des Douze lui présenteront, dans la séance de demain matin, les moyens d'exécution, dans le cas où l'on déclarerait que la patrie est en danger, et les moyens d'y suppléer dans le cas contraire.)

(La séance est levée à quatre heures.)

ASSEMBLÉE NATIONALE LÉGISLATIVE.
Séance du mardi 10 juillet 1792, au soir.
PRÉSIDENCE DE M. DELACROIX.

La séance est ouverte à six heures.

M. Destrem, au nom du comité de commerce, fait la seconde lecture (1) d'un projet de décret relatif à la fixation des droits d'entrée sur les tabacs étrangers; ce projet de décret est ainsi conçu :

(1) Voy. Archives parlementaires, 1 série, t. XLV, séance du 30 juin 1792, au matin, page 690, la première lecture de ce projet de décret.

« Art. 1er. A compter du 1er octobre prochain, l'importation de toutes espèces de tabacs en feuilles est permise, en payant 10 livres du quintal pour les tabacs qui sont assujettis au droit de 18 1. 15 s.; 12 livres pour ceux qui payent 25 livres ; et 15 livres pour tous les autres, même ceux en cigares. Les droits de 10 livres et de 12 livres seront perçus tant sur les tabacs qui seront importés,à compter de ladite époque, que sur ceux qui seront alors en entrepôt. Les tabacs du Levant seront admis en balles et ceux d'Amersfort en paniers.

« Art. 2. Les tabacs en feuilles importés par mer, jouiront de 18 mois d'entrepôt ils pourront même passer, par continuation d'entrepôt, d'un port à un autre; ils n'acquitteront le droit que sur le poids effectif et seulement à l'expiration du délai de l'entrepôt ou lorsqu'ils en seront retirés pour la consommation nationale : le tout à la charge que les magasins ne pourront être que sur les ports, fournis par les négociants à leurs frais, et dont les préposés de la régie auront une clef.

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(L'Assemblée ajourne la troisième lecture à huitaine.)

M. Destrem, au nom du comité du commerce, fait la seconde lecture (1) d'un projet de décret sur la revision du tarif des droits de douane; ce projet de décret est ainsi conçu :

L'Assemblée nationale, voulant rectifier quelques erreurs commises dans l'impression du tarif des droits d'entrée et de sortie du royaume, interpréter quelques articles de ce tarif et changer plusieurs autres, sur lesquels il a été fait des réclamations, et faciliter de plus en plus la perception par des explications utiles, décrète ce qui suit:

« Art. 1er. Il ne sera payé aucun droit d'entrée sur la vieille argenterie, quelle que soit son origine, sur celle neuve au poinçon de France, revenant de l'étranger, sur les bois en planches et madriers, les cheveux, les galles légères, les roseaux à l'usage des fabriques de toilerie, les coquillages de mer et le poisson de mer frais, importés par terre depuis Orchies jusqu'à Sedan, sur les habillements vieux, quoiqu'ils n'accompagnent point les voyageurs, dès qu'ils sont dans une même malle, avec d'autres effets, et qu'ils n'excèdent pas le nombre de 6; sur les gants et bas de soie présentés par des négociants comme échantillons, dès qu'ils sont dépareillés, et qu'ils n'excèdent pas le nombre de 3, sur les gazettes et journaux, ainsi que sur les librairies en langues savantes.

« Art. 2. Les creusets d'orfèvres, les cruches et bouteilles de grès, même celles connues sous le nom de barbues et brabançons, seront traités comme poterie de terre; les laines teintes, non filées; les boutons de crin, comme boutons de soie mêlés de crin, les balais de millet, comme balais de bouleau; les étrilles, comme grosse quincaillerie en fer; les sérans, outils propres à peigner le chanvre, comme les instruments aratoires; les grosses chaines de fer, comme ouvrages de serrurerie; les boutons de coco, les étriers, les fourchettes de fer, les pains à

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