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de la guerre, avec les sieurs Obry Hagem-Worms père et fils, pour l'approvisionnement desdites places, décrète :

« 1° Que le sieur Servan, ci-devant ministre de la guerre, est responsable, conformément l'article V de la section IV du chapitre II du titre II de l'Acte constitutionnel, de la perte résultant pour la nation du marché passé le 6 juin entre ledit sieur Servan et les sieurs Obry HagemWorms père et fils, pour l'approvisionnement des villes de Neuf-Brisach, Huningue et FortLouis, ainsi que ses sous-agents, le sieur Mareschal, commissaire-ordonnateur de la cinquième division, et le sieur Guillemard, commissaire des guerres, pour les marchés que celui-ci a arbitrairement passés pour les objets portés dans les affiches d'adjudication ordonnée à Strasbourg, par le sieur Mareschal, pour les 21, 22 mai et 11 juin.

2° Que le pouvoir exécutif fera poursuivre devant les tribunaux ordinaires la responsabilité desdits sieurs Servan, ci-devant ministre de la guerre, Mareschal, commissaire-ordonnateur de la cinquième division, et Guillemard, commissaire des guerres, pour les pertes résultant pour la nation de l'adjudication faite à Strasbourg les 21 et 22 mai, et des marchés particuliers qui ont été passés, soit par lesdits commissaires, soit par le sieur Servan lui-même, le 6 juin, pour l'approvisionnement desdites villes de Huningue, Neuf-Brisach et Fort-Louis.

« 30 Le ministre de la guerre en rendra compte, dans un mois, au Corps législatif. »

M. Cambon. L'affaire de M. Servan présente trois questions, l'une relative au traitant, l'autre relative au ministre, la dernière relative aux sous-agents. Il est assuré que M. Servan a une signature reconnue par la loi, puisque c'est le ministre seul qui avait droit de la donner. En conséquence, votre comité vous propose un projet de decret, par lequel il vous dit qu'il n'y à pas lieu à déliberer sur la demande du minis tre de la guerre en résiliation du bail passé avec le traitant, parce que la fourniture a été faite et qu'il doit être payé. Cependant cet objet se monte à 1,500,000 livres si nous avons eu des agents infidèles, il n'est pas, je crois, convenable que ceux qui ont traité avec eux souffrent des retards pour cette opération. En conséquence, je proposerais à l'Assemblée l'impression de ce quí est relatif aux agents du pouvoir exécutif; et cependant, comme il n'est pas convenable à une grande nation de mettre en retard les fournisseurs de ses troupes, je crois qu'en attendant l'impression et l'ajournement, nous commettrions une injustice si nous n'ordonnions pas au ministre de payer jusqu'à concurrence de la valeur présumée des choses fournies, et alors nous exanerons la question de savoir si, en traitant, il ne doit pas payer lui-même l'indemnité, lorsqu'il s'est vanté d'avoir donné un pot-de-vin aux commis du ministère, pour s'être prêtés à quelques arrangements.

M. Mayerne. J'appuie la proposition de M. Cambon; mais je prie l'Assemblée de vouloir bien entendre le fait tel qu'il a été révélé à la commission des Douze. Il est important que ce fait soit connu dans tous ses détails, parce que l'Assemblée pourra prendre des mesures uliérieures.

Ce fait. Messieurs, a été déclaré par M. Worms à votre commission. Il en résulte

1° Que l'ex-ministre de la guerre s'est abstenu,

contre l'usage, de communiquer à la commission centrale le marché du sieur Worms, et qu'il lui a dit de traiter avec le sieur Lepage, son agent.

2° Que sur l'avis donné par le département du Bas-Rhin que le marché du sieur Worms péchait par sa forme et qu'il se présentait des entrepreneurs qui offraient 100,000 livres et plus de diminution, le ministre avait d'abord ordonné que l'on passât, à Strasbourg, un nouveau marché au rabais;

3o Que le sieur Worms étant venu trouver le ministre et ayant offert une diminution de 150.000 livres, son offre avait été acceptée et qu'on lui avait promis de donner contre-ordre pour que le marché, qui déjà avait été affiché à Strasbourg n'eût pas lieu.

C'est dans ce moment, a dit M. Worms, que, sortant de chez le sieur Lepage, agent du ininistre, il trouva des personnes qui lui dirent qu'elles voulaient offrir un rabais, sur sa dernière offre, de 150,000 livres et qu'elles allaient la proposer, à moins qu'on ne les intéressât dans l'entreprise, ou qu'on leur donnât une somme de...

Alors, a dit M. Worms, je fus trouver M. Lepage, et je lui fis part de ce qu'on venait de me dire. Je lui demandai si mon marché tiendrait et sije devais faire quelques sacrifices en faveur des nouveaux soumissionnaires; mais il me répondit que si j'avais des sacrifices à faire, ce n'était pas en faveur de ces gens-là. Alors le sieur Worms, qui entend à demi-mot, a donné une somme de 12,000 livres et son marché a tenu.

Ce fait, Messieurs, a été affirmé par M. Worms à votre commission. Il en résulte que l'ex-ministre, qui a emporté vos regrets, avait un homme de confiance qui est fortement prévenu d'avoir emporté notre argent.

Je demande, en conséquence, que les sieurs Worms et Lepage soient mandés à la barre, pour être entendus séparément sur ce fait, qu'il est très important de vérifier. (Murmures prolongés.)

M. Tronchon, M. Mayerne affirme que le sieur Worms a déclaré avoir donné 12,000 livres au sieur Lepage. Le sieur Worms n'a pas déclaré cela. Je vais rétablir le fait. M. Worms a dit que les personnes qui étaient en commerce avec lui pour le marché, venaient offrir une réduction de 150,000 livres pour les marchés, et qu'ils allaient faire cette soumission s'il ne consentait pas à les intéresser ou à leur donner 12,000 livres. Sur-le-champ, M. Worms, avant de consentir à donner les 12,000 livres, est entré chez M. Lepage et lui dit ce qui se passait. M. Lepage répondit que, si les choses étaient ainsi, et qu'il eût des sacrifices à faire, ce n'était pas avec ces gens-là qu'il fallait les faire. Nous voulùmes que M. Worms s'expliquât plus clairement, mais il se retira.

M. Lasource. Je demande que M. Mayerne signe sa dénonciation.

M. Mayerne. Je tiens le fait de M. Crublierd'Optère, membre de la commission.

M. Thuriot. Ce qui doit étonner, c'est que la commission ait entendu avec patience un homme qui s'honorait devant elle d'être un fripon. Je ne conçois pas comment on peut avoir confiance en un homme qui avoue qu'il a donné de l'argent pour corrompre les agents du pouvoir exécutif. Je demande donc que le ministre soit tenu de faire poursuivre criminellement M. Worms.

Plusieurs membres: Et M. Lepage.

M. Cambon. La commission n'avait pas cru devoir rendre compte des faits pour le dénoncer formellement, parce qu'elle avait espéré trouver des renseignements dans l'examen de divers autres traités qui avaient été dénoncés et pour ne pas s'exposer à faire des dénonciations vagues. M. Lafon-Ladebat, rapporteur. Il résulte évidemment du rapport de M. Worms qu'il a donné de l'argent à M. Lepage, mais il n'a pas exprimé quelle somme il avait donnée.

Plusieurs membres: La discussion fermée! (L'Assemblée ferme la discussion, décrète l'impression du rapport de M. Lafon-Ladebat, et adopte la proposition de M. Cambon.)

Suit le texte définitif du décret rendu:

« L'Assemblée nationale, sur la motion d'un de ses membres, après avoir entendu le rapport de sa commission militaire sur le marché passé le 6 juin dernier, avec les sieurs Obry, HagemWorms père et fils, par le sieur Servan, ci-devant ministre de la guerre, pour l'approvisionnement des villes de Huningue, Fort-Louis et Neuf-Brisack, et après avoir ajourné la discussion sur le fond de ce rapport; considérant qu'une grande partie de ces approvisionnements est déjà livrée, et que le paiement n'en peut être différé, décrète qu'il y a urgence.

"

L'Assemblée nationale, après avoir décrété qu'elle autorise provisoirement le ministre de la guerre à délivrer aux sieurs Obry, HagemWorms père et fils, des ordonnances de paiement, conformément aux clauses et conditions du marché particulier, passé le 6 juin dernier, entre les fournisseurs et le sieur Servan, ci-devant ministre de la guerre, en retenant cependant la somme de 300,000 livres sur la totalité du paiement des fournitures portées audit marché, quand même elles seraient entièrement effectuées, et ladite somme de 300,000 livres ne pourra être délivrée que lorsque l'Assemblée aura définitivement statué sur le rapport de la commission militaire. »>

(L'Assemblée décrète ensuite que le ministre sera tenu de poursuivre M. Worms et ses complices.

M. Amat, au nom du comité de l'ordinaire des finances, soumet à la discussion un projet de décret pour le complément des dépenses ordinaires de la marine et des colonies et pour les dépenses extraordinaires de ce département pour l'année 1791; ce projet de décret est ainsi conçu :

α

L'Assemblée nationale, après avoir entendu le rapport de son comité de l'ordinaire des finances, sur les besoins du service du département de la marine et des colonies, pour lequel il est instant d'affecter des fonds pour acquitter les dépenses de 1791, et voulant y pourvoir, décrète qu'il y a urgence.

« L'Assemblée nationale, après avoir décrété l'urgence, décrète ce qui suit:

Art. 1er.

La Trésorerie nationale tiendra à la disposition du ministre de la marine: 1° la somme de 2,989,632 livres pour acquitter l'excédent des dépenses ordinaires de la marine et des colonies, pendant l'année 1791;

2o La somme de 7,844,999 livres pour les dépenses extraordinaires du même département, pendant la même année, soit pour les armements ordonnés en 1790, et prolongés en 1791, soit 1 SÉRIE T. XLVI.

pour les approvisionnements de précaution de différente nature;

« 3o La somme de 2,396,722 livres; savoir : pour l'armement fait en 1791 des frégates destinées pour Saint-Domingue, Cayenne et la Corse, 525,398 livres; pour le remplacement des impositions de la Martinique et de Tabago, pour les années 1790 et 1791, la somme de 1,653,332 livres; et pour le changement de pavillons, 177,992 livres : toutes les sommes ci-dessus montant à 13,131,353 livres.

"

Art. 2.

En remplacement desdits fonds, la caisse de l'extraordinaire versera, à la Trésorerie nationale, pareille somme de 13,131,353 livres. »

(L'Assemblée décrète l'urgence et adopte le projet de décret.)

Un de MM. les secrétaires donne lecture d'une lettre de M. Bouche, député à l'Assemblée constituante, qui fait hommage à l'Assemblée nationale d'un exemplaire de la traduction qu'il a faite de la Constitution, en langue provençale.

(L'Assemblée accepte l'hommage et décrète qu'il en sera fait mention honorable au procèsverbal.)

M. le Président. M. Ledeist de Botidoux, cidevant député à l'Assemblée nationale constituante, demande à être admis à la barre. Plusieurs membres: Admis!

(On l'introduit.)

M. Jaucourt. Monsieur est officier; avant de l'entendre, je demande s'il a un congé. (Il s'élève des murmures.)

(L'Assemblée décrète que le pétitionnaire sera entendu.)

M. LEDEIST DE BOTIDOUX. Messieurs, en donnant ma démission d'officier de l'armée du centre, j'ai dù soumettre aux représentants de la nation les motifs puissants qui m'y ont déterminé dans le moment où la patrie est en danger.

Le 27 juin, un capitaine des grenadiers vint à ma tente; il me demanda si je ne croyais pas à propos que le 1er bataillon des grenadiers de la réserve dont la compagnie faisait partie avec la mienne, fit, au général Lafayette, une adresse en adhésion à ses diverses démarches, et me proposa de la diriger. Je lui observai que la force armée est essentiellement obéissante (Applaudissements) et que par les deux ordres du général, lus à l'ordre la veille, il demandait qu'on s'en tint aux adresses déjà présentées. Il me répondit qu'il ne s'agissait pas ici d'une adresse collective, mais seulement d'une adresse individuelle. Je persistai dans mon refus; il se retira en me disant qu'il me reverrait le lendemain, et que j'aurais sûrement changé d'avis. Je dois dire que le samedi au soir le 1er bataillon de Paris avait, presqu'à l'unanimité, refusé de signer une adresse qu'on lui avait présentée. (Applaudissements.)

Le 29, le même officier revint deux fois, et je lui dis que désapprouvant la démarche, que désapprouvant la pétition individuelle du général, et sa course à Paris, je serais un lâche si je signais un acte d'adhésion pour une démarche que j'improuve. A l'exercice, M. Latour-Maubourg saisit, le jour même, l'occasion de me donner une mortification. De retour, je dis au commandant du bataillon que je prévoyais bien que ce ne serait pas la dernière, mais qu'il n'était pas dans mon caractère de les souffrir sans les avoir

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méritées; il fut légèrement question d'adresse, et je professai les mêmes sentiments. Enfin, dans l'après-midi du 1er juillet, toujours le même officier vint, et reçut le quatrième refus; il s'adressa alors à mon caporal-fourrier, et ne fut pas plus heureux. Le lendemain, 2, des affaires m'appelaient à Maubeuge, la permission m'en fut refusée de l'ordre de M. Latour-Maubourg, sous prétexte de propos que j'avais tenus dans cette ville.

Ces propos étaient en substance, que si je n'avais pas le droit de me refuser aux ordres, aucune loi ne me défendait de les examiner; que si la loi était d'un côté et le général de l'autre, je ne balancerais pas un instant, et qu'au surplus j'avais le droit de faire tout ce que la loi ne me défendait pas. Calculant qu'elle est, sur un simple officier, l'immense étendue des pouvoirs d'un général, et surtout croyant voir dans l'ordre du 2 les principes précédemment hasardés dans les adresses d'une partie des corps de l'armée, car il y a 10 bataillons qui n'ont pas signé, principes tendant à faire de l'armée ou du général un pouvoir délibérant; pensant que l'ami des lois, et moins encore un ancien membre du corps constituant ne pouvait autoriser par son silence ce qu'il croyait être une infraction à la Constitution; et qu'il ne pouvait conséquemment rester dans une armée où l'on ne pouvait professer son opinion et manifester sa pensée en homme libre, je crus devoir à ma patrie le sacrifice de mon état, et je donnai une démission que le général accepta d'après les motifs que je lui ai allégués, et dont j'ai eu l'honneur de vous faire part; j'espère que l'Assemblée jugera que je ne suis pas dans le cas du décret que vous avez rendu.

M. le Président. L'Assemblée nationale prendra en considération la pétition que vous venez de lui faire, et vous invite à assister à sa séance. M. Goupilleau. Je demande à faire lecture de la pièce suivante :

Armée du centre. Ordre du 2 au 3 juillet 1792. »

« Le général, en quittant si près de l'ennemi sa brave et patriotique armée, n'avait pu y être déterminé que par le péril imminent de la Constitution et du roi. Il s'est hâté de la rejoindre, et s'empresse de féliciter les troupes du brillant succès que nous avons eu le 27 juin, de les remercier de l'intérêt qu'elles lui ont témoigné, et de leur faire part de ses démarches à Paris. Le général s'est présenté à la barre de l'Assemblée nationale, lui a fait connaitre les dispositions de l'armée, et a remis en son propre nom sur le bureau la pétition suivante. (Ici est transcrite la pétition.)

«Le roi a reçu avec une vive sensibilité les témoignages d'affection de l'armée; il a chargé le général d'exprimer sa confiance en leur patriotisme, leur valeur, leur loyauté, et de leur dire qu'il est déterminé à ne laisser porter aucune atteinte à la Constitution. Le général s'est occupé, avec le ministre, des besoins des troupes. Il a été très satisfait du zèle de M. Lajard pour y pourvoir, autant que les fautes commises avant son arrivée au ministère pouvaient le permettre. D'après ce qui s'est passé à Paris, nous devons attendre un résultat que le général s'empressera de communiquer à l'armée. Décidé à maintenir l'obéissance la plus entière et la discipline la plus exacte, il n'en est que plus disposé à faire connaître aux troupes toutes ses démarches pour s'assurer, ainsi qu'elles, si c'est pour la Constitution que nous avons jurée, que nous combattrons. Il aime à leur faire part que déjà plusieurs

départements, que les communes de Strasbourg, de Rouen et plusieurs autres, que les corps des autres armées, et notamment M. le maréchal Luckner, se sont joints aux mêmes principes et aux mêmes sentiments, et que, sur la route, les magistrats du peuple, les gardes nationaux et la presque totalité des citoyens se sont empressés de lui témoigner son adhésion.

« Signé LA FAYETTE. »

Je demande le renvoi à la commission extraordinaire des Douze. (L'Assemblée renvoie cette adresse à la commission extraordinaire des Douze.)

M. Basire. Il est important que cette affaire soit éclairée, et je demande que le rapport sur la conduite de M. La Fayette soit fait demain.

M. Daverhoult. Ce serait la première fois que, par un abus étrange, on commencerait par examiner si l'accusateur est coupable avant que d'avoir examiné le mérite de la dénonciation. Je demande qu'avant d'examiner la conduite de M. La Fayette, on examine le mérite de la dénonciation. Ce ne serait pas, Messieurs, la première fois que pour mettre de côté une dénonciation, on aurait commencé par écraser le dénonciateur. Cela ne peut pas entrer dans les sentiments de l'Assemblée; cela ne pourrait être adopté que par ceux qui auraient épousé un esprit de parti, et qui ne voudraient pas le salut de la chose publique.

M. le Président. Monsieur Daverhoult, je vous rappelle à l'ordre pour avoir fait usage de l'expression esprit de parti, parce qu'aucun membre ne connait et ne doit connaître d'esprit de parti.

(L'Assemblée décrète que le rapport sera fait le lundi suivant à la séance du matin.)

M. Hugau, au nom du comité militaire, présente un projet de décret relatif à l'uniforme des 54 compagnies franches créées par décret du 28 mai dernier; il est ainsi conçu :

« L'Assemblée nationale, après avoir entendu le rapport de son comité militaire sur les observations du ministre de la guerre, relativement à l'uniforme des compagnies franches, décrète qu'il y a urgence.

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L'Assemblée nationale, après avoir décrété l'urgence, décrète ce qui suit:

Le fond de l'uniforme des 54 compagnies franches dont la création a été décrétée le 28 mai dernier, sera de couleur grise pour l'habit, l'Assemblée nationale dérogeant, à cet égard, à l'article 16 de la loi du 30 mai dernier, qui fixe le fond de l'uniforme déterminé pour les compagnies franches à la couleur réglée pour l'infanterie légère. »

(L'Assemblée décrète l'urgence, puis adopte le projet de décret.)

M. Hugau, au nom du comité militaire, présente un projet de décret portant création d'une quatrième légion franche pour servir à l'armée du Midi; il est ainsi conçu :

«L'Assemblée nationale, après avoir entendu le rapport de son comité militaire, sur la demande faite par le ministre de la guerre, d'une quatrième légion pour servir à l'armée du Midi; considérant qu'une augmentation de troupes légères est absolument nécessaire pour la défense de l'Etat, décrète qu'il y a urgence.

« L'Assemblée nationale, après avoir décrété l'urgence, décrète ce qui suit:

Art. 1er.

Il sera levé une quatrième légion franche, par les soins du général commandant en chef l'armée du Midi, sous la surveillance du pouvoir exécutif.

Art. 2.

« Cette légion sera composée de 18 compagnies d'infanterie légère et de 4 compagnies à cheval.

Art. 3.

«La loi du 31 mai dernier, relative à la création de 54 compagnies et de 3 légions franches, sera exécutée pour la nouvelle légion du Midi, en tout ce qui n'est pas contraire à l'article 2 du présent décret. »

(L'Assemblée décrète l'urgence, puis adopte le projet de décret.)

M. Couthon. Le directoire du département du Pas-de-Calais a pris un arrêté pareil à celui du département de la Somme. Le tribunal de ce département s'est aussitôt assemblé, et le président, les juges et le commissaire du roi, après avoir délibéré gravement sur les événements du 20 juin et sur l'arrêté du département du Pasde-Calais, ont déclaré qu'ils adhéraient à cet arrêté, que leur adhésion serait enregistrée sur leur registre, imprimée et publiée, envoyée à l'Assemblée nationale et au roi, à tous les tribunaux de district du département, aux juges de paix et aux officiers de police. Cette conduite du tribunal criminel du département du Pas-de-Calais est inconstitutionnelle et infiniment dangereuse. Les juges sont étrangers à toute espèce d'administration politique, et n'ont reçu de la Constitution d'autre mission que celle de rendre la justice. Ils ne peuvent s'immiscer aucunement dans les événements publics. Cela serait dangereux, en ce que si les tribunaux voulaient prendre une part entière aux événements publics, les prétentions parlementaires ne manqueraient pas de se ressusciter. Je dénonce ce fait à l'Assemblée : j'en demande le renvoi à la commission des Douze.

(L'Assemblée renvoie cette dénonciation à la commission extraordinaire des Douze.)

M. le Président. L'ordre du jour appelle la suite de la discussion (1) sur les mesures générales à prendre pour la sûreté de l'Etat. M. Brissot à la parole.

M. Lamourette. Je demande à faire une motion d'ordre sur l'objet de cette discussion.

Messieurs (2), on vous a proposé, et l'on vous proposera encore sans doute, des mesures extrêmes et terribles, pour arrêter le progrès des maux, des divisions et des fermentations qui déchirent le sein de cet Empire, et qui semblent donner aux légions étrangères qui nous menacent, le signal du dernier degré de notre défaillance et de notre aptitude à retomber dans l'esclavage.

Mais aucune de ces mesures n'atteindra le but où vous voulez atteindre, parce qu'il n'en est aucune qui soit vraiment centrale, aucune qui

(1) Voy. ci-dessus, séance du vendredi 6 juillet 1792, au matin, page 172, la discussion à ce sujet.

(2) Bibliothèque nationale: Assemblee législative, Le, no 200.

aille droit à la source de la maladie actuelle de la France.

Cette source, Messieurs, qu'il faut tarir à quelque prix que ce soit, c'est la désunion de l'Assemblée nationale. La position du Corps législatif est le véritable thermomètre de l'état de la nation et si quelqu'un voulait se former une juste idée de la situation politique et morale des Français, il n'aurait besoin que de fréquenter quelquefois l'enceinte où se rassemblent leurs représentants. Oui, c'est ici que réside le levier qui fait mouvoir la grande machine de l'Etat, dans le sens de l'unité et de l'harmonie, ou qui produit la complication et l'opposition des mouvements qui la détruisent.

Oh! si quelqu'un de vous, Messieurs, était appelé à exécuter ce grand et glorieux dessein, à exécuter cette précieuse et désirable réunion de la représentation nationale, ce serait celui-là qui sera le vrai bienfaiteur de ses concitoyens, le vrai libérateur de sa patrie, le vrai destructeur de tous les complots des tyrans, le véritable vainqueur de l'Autriche et de Coblentz. (Applaudissements.)

Eh quoi! Messieurs, vous tenez dans vos mains la clef du salut public, et vous chercheriez ce salut, l'objet d'une si longue et si laborieuse attente, vous le chercheriez dans des lois toujours incertaines, et vous vous refuseriez à la gloire si touchante de faire couler de votre propre sein les douceurs de la paix et de l'unité, sur un peuple à qui cet inappréciable bien est devenu si nécessaire.

J'ai souvent entendu dire qu'au point où en sont les choses, ce rapprochement était impraticable; et ces mots m'ont fait frémir, car ils renferment la plus flétrissante injure dont on puisse couvrir les hommes.

Jamais scission ne fut irrémédiable que celle qui subsiste entre le vice et la vertu (Applaudissements.) et il n'y a que l'honnête homme et l'homme méchant qu'il ne faille point espérer d'assortir pour la conduite d'une œuvre honnête et utile au bonheur commun. (Applaudissements.) Mais pour les gens de bien, ils ont beau sé trouver opposés les uns aux autres, et débattre en sens contraire les moyens d'assurer la prospérité et la liberté d'un Empire, leurs dissentiments ne produisent ni la passion, ni la haine, parce qu'ils s'estiment, parce qu'il subsiste entre eux une unité de fin, parce qu'ils ont tous le sentiment de leur droiture et de leur innocence; parce qu'ils sont sùrs les uns des autres, et qu'après le mouvement décent et modéré de leurs opinions divergentes, ils se rencontrent toujours au point central de la probité et de l'honneur, à cet asile sacré où la vertu jouit d'elle-même, et où toutes les âmes vraies et honnêtes s'unissent et se concentrent de toutes les parties de l'univers. (Vifs applaudissements.)

Messieurs, il ne tient qu'à vous de vous ménager un moment bien beau et bien solennel, un moment plus plein, plus utile à l'excellent peuple dont vous êtes les organes, que vos journées et vos séances les plus mémorables: il ne tient qu'à vous d'offrir à la France et à l'Europe un spectacle plus redoutable à tous vos ennemis, que toutes les bouches d'airain que vous avez disposées autour de vos frontières. Ramenez à l'unité la représentation nationale; le plus précieux événement ne tient qu'à un fil que vous pouvez rompre en un instant, et la plus malheureuse des scissions ne tient qu'au malentendu le plus misérable; toutes les défiances qui l'en

tretiennent se réduisent à un point,et se résument dans ce seul fait.

Une section de l'Assemblée attribue à l'autre le dessein séditieux de renverser la monarchie, et d'établir la République; et celle-ci prête à la première, le crime de vouloir l'anéantissement de l'égalité constitutionnelle, et de tendre à la création des deux Chambres; voilà le foyer désastreux d'une désunion qui se communique à tout l'Empire, et qui sert de base aux coupables espérances de ceux qui manoeuvrent la contrerévolution. Foudroyons, Messieurs, par une exécration commune, et par un dernier et irrévocable serment, foudroyons et la République et les deux Chambres. (Applaudissements unanimes.) Jurons-nous fraternité éternelle; confondons-nous en une seule et même masse d'hommes libres, également redoutable, et à l'esprit d'anarchie, et à l'esprit féodal; et le moment où nos ennemis domestiques et étrangers ne pourront plus douter que nous voulons une chose fixe et précise, et que ce que nous voulons, nous le voulons tous, sera le véritable moment où il sera vrai de dire que la liberté triomphe, et que la France est sauvée. (Applaudissements unanimes et réitérés.)

Plusieurs membres L'impression!

(L'Assemblée décrète l'impression du discours de M. Lamourette à l'unanimité.)

D'autres membres : Monsieur Lamourette, faites une proposition.

M. Lamourette. Je fais la proposition que Monsieur le Président dise à l'Assemblée, que ceux qui rejettent et haïssent également la République et les deux Chambres se lèvent.

(A peine cette proposition est-elle formulée que toute l'Assemblée, par un mouvement spontané, se lève au milieu des acclamations universelles. Tous les membres, agitant en l'air leurs chapeaux, adhérent avec enthousiasme aux sentiments de M. Lamourette. On n'entend

que ce cri: « Oui, nous le jurons! » Bientôt la droite et la gauche se mêlent et se confondent, pour ne faire qu'un corps véritablement uni par le seul besoin du bonheur public. Les membres, naguère les plus éloignés et presque ennemis jurés, étouffent toute division dans les plus vives étreintes. M. Mathieu Dumas embrasse M. Albitte, M. Dubois-de-Bellegarde presse sur son sein M. Viénot-Vaublanc, MM. Merlin, Fauchet, Emmery serrent dans leurs bras MM. Jaucourt, Ramond et Chéron-La-Bruyère. Le public des tribunes, dont les acclamations retentissaient depuis longtemps, se lève et prête le même serment.)

Un membre s'écrie: « La patrie est sauvée ! » M. Lejosne. Je demande que la discussion cesse sur le moyen à prendre pour sauver la liberté. Nous venons de le trouver. (Applaudissements.)

M. Cartier-Douineau. Je demande l'impression et l'envoi du discours de M. Lamourette, à l'armée et aux 83 départements. (Applaudissements.)

(L'Assemblée décrète cette proposition à l'unanimité.)

M. Emmery. Quand l'Assemblée nationale est réunie, tous les pouvoirs doivent l'être. Ainsi je fais la motion que le procès-verbal soit envoyé, séance tenante, au roi. (Applaudissements.)

(L'Assemblée adopte à l'unanimité cette proposition.)

M. le Président. On demande que M. Lamourette soit à la tête de la députation. (Applaudissements.)

(L'Assemblée décrète cette proposition.)

M. Brissot de Warville. J'avais la parole après M. Lamourette; mais je craindrais de troubler la scène touchante que l'Assemblée vient de présenter, en prononçant un discours qui pourrait faire renaître quelques haines. La fraternité que nous venons tous de jurer (Applaudissements unanimes), et qui est dans mon cœur, me force à le revoir et à effacer toutes les lignes... (Applaudissements unanimes.) Je demande donc, comme je ne peux pas faire le sacrifice de nouvelles mesures que j'ai à proposer à l'Assemblée, et qui me paraissent commandées par les circonstances critiques où nous sommes, je demande que l'Assemblée nationale veuille bien m'entendre demain. (Applaudissements.)

(L'Assemblée décide d'entendre M. Brissot à la séance du lendemain.)

M. Gossuin. Je demande qu'on passe à la discussion sur le mode de constater l'état civil des citoyens. (Applaudissements.)

M. Basire. Messieurs, ce mouvement opérera sans doute la tranquillité du royaume... Il est déjà par lui-même une des grandes mesures auxquelles nous devions tendre. C'est surtout, Messieurs, sur la tranquillité de Paris, que je pense qu'il va produire un plus prompt et plus grand effet. Je demande donc que tous les corps administratifs de Paris soient appelés ici, ensemble, pour entendre de la bouche de M. le Président le récit de ce qui s'est passé, et pour le porter à tous les citoyens. (Applaudissements unanimes.)

M. Carnot-Feuleins, le jeune, Je demande, comme M. Basire, que les ministres et les corps judiciaires soient invités à venir; je demande que M. le Président, après leur avoir lu l'extrait du procès-verbal, leur déclare que l'Assemblée nationale veut, d'une volonté ferme, la Constitution et l'exécution entière de toutes les lois, et que c'est de cette manière que nous voulons combattre nos ennemis intérieurs et extérieurs. (Applaudissements.) Jusqu'à ce jour, la Constitution et les lois ont été écrites, mais c'est aujourd'hui que doit commencer leur exécution.

(L'Assemblée adopte la proposition de M. Basire et l'amendement de M. Carnot-Feuleins, le jeune, à l'unanimité.)

M. Basire. Ce qui fait le charme de cette séance, c'est la réunion sincère et loyale des représentants du peuple.

Mais cette réunion, qui d'abord se borne aux hommes publics, doit se communiquer ensuite à tous les citoyens, et considérer l'anéantissement de toute défiance injurieuse. (Applaudissements.) Je demande que ce sentiment soit exprimé dans notre décret, et surtout dans le discours que M. le Président doit prononcer aux corps administratifs, au nom de l'Assemblée nationale; nous sommes ici d'accord de principes et de sentiments, il doit les inviter à se rallier de même, ainsi que tous les citoyens du royaume. (Applaudissements.)

M. Rühl. Je demande que l'Assemblée nationale décrète que tout journaliste qui tendrait

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