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sales, celle de Saint-Martin-de-Tapia comme oratoire.

(L'Assemblée ordonne l'impression du projet de décret et ajourne la seconde lecture à huitaine.) Un de MM. les secrétaires donne lecture des deux lettres suivantes :

1° Lettre de M. Chambonas, ministre des affaires étrangères, qui annonce l'envoi d'un office du roi d'Espagne. Cet office porte, en substance, que quoique ce monarque eût déterminé, le 24 novembre dernier, que les bâtiments français qui porteraient des nègres ne seraient pas admis dans les ports de l'Amérique espagnole, habilités pour le commerce, sa majesté catholique a jugé à propos de modifier cette prohibition, en déclarant à présent que sa volonté est qu'on admette dans les susdits ports les bâtiments français qui y conduiront des nègres tout neufs, c'est-à-dire, bozulés, comme ceux de tout autre nation, en se conformant, d'ailleurs, à la royale cédule du 24 novembre 1791.

(L'Assemblée décrète le renvoi de la lettre d'office aux comités diplomatique et du commerce réunis.)

2° Lettre de M. Fayolle, député du département de l'Yonne, qui demande un congé de 5 jours pour affaires urgentes.

(L'Assemblée accorde le congé.)

Une députation des citoyens du Havre est admise à la barre.

M. HOMBERG, orateur de la députation, s'exprime ainsi :

<< Messieurs,

« Vous l'entendrez de tous les points de l'Empire, ce mot terrible de vengeance, oui vengeance contre les scélérats qui ont violé l'asile du représentant héréditaire..., » (Vifs murmures des tribunes.)

Plusieurs membres: M. le Président, sommesnous ici à l'Assemblée nationale ou aux Jacobins ! (Vive agitation.)

M. Cazes. Il existe un règlement, je demande que M. le Président le fasse exécuter.

M. Léopold. Laissez-les faire, ce sont des complices.

M. le Président. Je rappelle aux tribunes qu'elles n'ont pas le droit de donner aucune marque d'approbation ni d'improbation.

M. HOMBERG..., ont violé son asile et insulté sa personne inviolable et sacrée. (Murmures à gauche et dans les tribunes.) Vous montrerez à l'Europe étonnée, à la France indignée, que Vous savez punir des attentats dont vous avez horreur, et que vous n'avez osé prévoir oui vengeance contre l'administration faible ou coupable qui, au lieu de faire exécuter les lois, a eu la témérité de légaliser les forfaits. (Nouveaux murmures des tribunes.)

Plusieurs membres : Monsieur le Président, faites donc rentrer les tribunes dans l'ordre !

M. le Président. J'ai déjà rappelé les tribunes à l'exécution de la loi, et si elles ne s'y conforment pas, je leur déclare que je vais donner des ordres pour la faire exécuter.

M. HOMBERG. Oui, vengeance contre ces factieux qui, en mépris de la Constitution, ont sommé, le poignard à la maj» le roi d'un peuple

libre..... (Vive agitation et murmures prolongés à gauche et dans les tribunes.)

M. Daverhoult. Non, sans doute, ce n'est pas avec des poignards que les factieux se sont présentés chez le roi, mais c'est avec des piques qu'ils l'ont menacé.

Plusieurs membres demandent que le pétitionnaire ne soit pas entendu; d'autres insistent pour qu'il le soit. L'Assemblée est dans la plus grande agitation.

M. Jouneau. Je demande l'application du règlement.

M. le Président. M. le pétitionnaire, voulezvous bien énoncer le résumé de votre pétition. Un grand nombre de membres (à droite): Non,

non!

M. Lejosne. Ils sont envoyés par les ennemis du bien public, pour apporter le trouble.

M. Christinat. Non, Messieurs, ils n'ont jamais mis le trouble; au contraire, ils vous ont donné du pain. Voilà les gens qui vous ont nourris en 1789.

M. Thuriot. Qu'appelez-vous nourrir? (Bruit.) Monsieur le Président, consultez l'Assemblée pour savoir si les pétitionnaires continueront d'être entendus.

M. Daverhoult. Lorsque les factieux sont venus à la barre avouer qu'ils étaient les auteurs du délit du 20 juin, vous les avez entendus, vous leur avez accordé les honneurs de la séance; et vous voulez renvoyer des députés représentant les citoyens d'une ville considérable!

M. Mayerne. Les sections de Paris ont joui jusqu'à présent de la faveur de lire leurs pétitions; je demande pourquoi les départements ne jouiraient pas du même avantage. Il est bien extraordinaire que des citoyens du Havre viennent demander vengeance du plus grand des attentats, et que les représentants de la nation osent les entendre avec défaveur. Je demande que MM. les citoyens du Havre soient entendus avec autant d'attention que les sections de Paris, et que les citoyens du faubourg Saint-Antoine..... (Bruit.)

MM. Gaston et Mayerne parlent à la fois dans le tumulte.

M. Lasource. Bien loin de vouloir justifier l'événement du 20 juin, je l'improuve souverainement; mais je déclare que les pétitionnaires commencent par une calomnie. Si le peuple français était capable de porter le poignard...

Plusieurs membres : Ce n'est pas le peuple!

M. Lasource. Je dis que si le peuple français était capable de porter le poignard sur le sein de son représentant héréditaire, j'abhorrerais ma patrie, et je rougirais de tous les Français. Le peuple français n'a point porté le poignard contre son représentant héréditaire; on cherche par là à nous déshonorer aux yeux de l'Europe.

L'Assemblée nationale a improuvé souverainement la démarche commise le 20 juin. Je déclare, pour mon compte, que je l'ai vue avec la plus grande douleur. Mais il ne faut pas qu'on nous envoie ici des gens qui, en lisant des pétitions, savent bien que ces déclamations exciteront du mouvement dans l'Assemblée nationale. On veut, par la voie des journaux, que toute l'Europe croie que l'Assemblée, qui s'élève contre ces pétitions, approuve l'événement du 20 juin; on veut fournir des prétextes dans les

différentes cours, pour faire croire que le peuple français n'est qu'un tas de brigands et d'assassins. (Applaudissements.) Mais on sait que l'Assemblée nationale improuve la démarche et les écarts de quelques hommes égarés.

Je demande que l'Assemblée passe à l'ordre du jour, et que les pétitionnaires soient improuvés.

M. Gaston. Il importe que le peuple ne soit pas calomnié. J'ai été un des premiers chez le roi, et je puis vous assurer qu'il n'y avait autour du roi que 4 ou 5 grenadiers; et si on avait eu de mauvaises intentions, il aurait été facile de les exécuter.

M. Ronyer. Moi qui ai appuyé l'admission des pétitionnaires, si j'avais su que leur pétition eût été dans ce sens, je ne l'aurais pas appuyée. J'en demande le renvoi à la commission des Douze.

M. Thuriot. Et le renvoi des pétitionnaires. (Murmures.)

M. Delacroix. La pétition doit être renvoyée à la commission des Douze, parce que dès lors que les pétitionnaires sont venus calomnier les habitants de Paris...

Plusieurs membres : Non, non!

M. Delacroix. Je soutiens que la pétition doit être renvoyée à un comité qui en fera son rapport à l'Assemblée, laquelle prononcera en connaissance de cause. Ce n'est pas la première fois que l'on vient dans le sein de l'Assemblée nationale calomnier les citoyens et les habitants de Paris il faut que le Corps législatif sache qu'on attribue à plusieurs de ses membres la démarche des faubourgs Saint-Antoine et SaintMarcel. Eh, Messieurs, on vient vous le faire dire directement par des pétitionnaires mendiés; (Murmures à droite et applaudissements à gauche.) on vous envoie des pétitions qui ont été fabriquées à Paris et qui ont été envoyées pour avoir des signatures. Je demande donc que l'Assemblée renvoie cette pétition calomnieuse à un comité qui lui en fera le rapport, et qu'on renvoie les calomniateurs sans leur accorder les honneurs de la séance.

(L'Assemblée renvoie la pétition à la commission des Douze.)

M. Gossuin. Les citoyens qui sont à la barre ne sont pas du Havre. (Bruit.)

Plusieurs membres parlent dans le tumulte. M. Christinat. Ces Messieurs sont négociants du Havre, je les connais, ils sont du nombre des 400 citoyens actifs qui ont signé la pétition approuvée par la municipalité. Ceux qui vous reprochent sans cesse qu'on insulte le peuple, insultent chaque jour d'honnêtes citoyens qui, en 1789, ont protégé les convois de blé, farine et riz, qui ont servi à nourrir la ville de Paris. (Bruit.)

Plusieurs membres: Fermez la discussion! (L'Assemblée ferme la discussion.) (Applaudissements des tribunes.)

Plusieurs membres (à droite). Il faut nous en aller puisqu'on ne peut plus faire entendre la vérité !

M. Mayerne. Je demande à relever un fait. Plusieurs membres : L'ordre du jour! (L'Assemblée décrète que les pétitionnaires seront admis.)

(Une partie de l'Assemblée réclame.)

M. le Présideut. Je vais recommencer l'épreuve.

Plusieurs membres : Non, non!

M. Léopold. Le décret était porté; si l'on veut faire une nouvelle épreuve, nous demandons lappel nominal, afin que l'on connaisse les véritables calomniateurs du peuple.

(On fait une seconde épreuve.)

(Les pétitionnaires sont admis. Ils rentrent au milieu des applaudissements de la droite et des huées de la gauche et des tribunes.)

Un de MM. les secrétaires donne lecture des deux lettres suivantes :

1° Lettre de M. Terrier, ministre de l'intérieur, du 4 juillet 1792, relative à une distribution dé béliers anglais dans les divers départements.

(L'Assemblée renvoie la lettre au comité d'agriculture).

Un membre Je demande que le comité soit chargé d'en faire son rapport lundi soir, afin de prévenir le dépérissement de ce troupeau précieux.

(L'Assemblée adopte cette proposition.)

2° Lettre du commissaire du roi auprès du tribunal du 5e arrondissement pour transmettre à l'Assemblée l'arrêt relatif à MM. Paris et Bouland; Cette lettre est ainsi conçue :

« Monsieur le Président,

« J'ai l'honneur de vous faire passer un arrêté relatif à MM. Paris et Bouland (1); arrêté que le tribunal, auprès duquel je suis commissaire du roi, m'a chargé d'adresser à l'Assemblée. Je crois devoir vous observer que MM. Paris et Bouland sont en état d'arrestation, et que leur affaire était de nature à passer au juré samedi prochain. »

M. Merlin. Le comité de législation avait été chargé, par un décret, de rendre compte, à la séance d'hier, de cette affaire. Il est étonnant que le comité veuille laisser deux hommes libres dans les cachots de l'Abbaye, pour avoir prononcé franchement leur opinion dans leurs sections. Cette attentat à la Constitution doit être vengé par le Corps législatif. Je demande que le rapport soit fait aujourd'hui.

(L'Assemblée nationale décrète que le rapport sera fait à la séance du soir.)

M. Lacuée, au nom du comité militaire et d'agriculture réunis, soumet à la discussion un projet de décret sur les réparations el constructions à faire au port de Boulogne; ce projet de décret est ainsi conçu :

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L'Assemblée nationale, considérant que le commerce maritime et la grande pêche sont pour les Français des sources abondantes de richesses et de prospérité;

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Considérant encore que préparer et conserver aux navigateurs des abris sûrs et commodes, est un des moyens les plus efficaces de

(1) Voy. ci-dessus, séance du 3 juillet 1792, au soir, page 91, l'admission à la barre, de citoyens de Paris, qui réclament contre l'arrestation de ces deux citoyens.

(2) Le rapport de M. Lacuée, ayant été distribué à l'Assemblée avant la discussion du projet de décret, n'a pas été lu en séance. Voy. ci-après, aux annexes de la séance, page 182.

(3) Bibliothèque nationale: Assemblée législative, Dépenses publiques, no 19.

favoriser toutes les branches de l'industrie nationale;

« Considérant que, quoique le port de Boulogne ne présente point tous les avantages qu'on pourrait désirer d'un établissement dans la Manche, pour la marine nationale, il mérite cependant, par sa position et par son commerce, de fixer les regards du Corps législatif;

Considerant enfin que l'espèce d'abandon dans lequel ce port est tombé depuis plusieurs années le rendrait impraticable, s'il était prolongé plus longtemps, décrète qu'il y a urgence.

« L'Assemblée nationale, après avoir pris connaissance des observations qui lui ont été présentées par une commission mixte, formée par les ministres de la guerre et de l'intérieur, et chargée d'examiner et discuter le projet des ouvrages proposés pour l'amélioration du port de Boulogne; après avoir entendu le rapport de ses comités militaire et d'agriculture réunis, et décrété l'urgence, décrète ce qui suit :

Art. 1er.

« Il sera pris, sur les fonds destinés pour 1792 aux travaux extraordinaires des fortifications, une somme de 60.000 livres pour être employée aux réparations et constructions à faire au port de Boulogne. Il sera pris pareillement, pour le même objet, une somme de 60,000 livres sur les fonds destinés aux travaux publics des ports de

commerce.

Art 2.

« La somme de 120,000 livres accordée par l'article 1er du présent décret, pour les réparations et constructions à faire au port de Boulogne, sera employée pendant la présente année, soit à l'approvisionnement des matériaux, soit à des constructions ou réparations urgentes.

«Les ministres de la guerre et de l'intérieur donneront, sans délai, des ordres, afin que les membres de la commission mixte, assemblés pour examiner et discuter les projets des ouvrages à faire au port de Boulogne, indiquent le meilleur emploi à faire de ladite sonime de 120,000 livres.

Art. 3.

"Les ministres de la guerre et de l'intérieur donneront aussi des ordres aux ingénieurs des 2 départements, pour qu'ils rédigent, sans délai, un projet définitif des travaux absolument indispensables à faire au port de Boulogne, pour le rendre utile comme par le passé; qu'ils en dressent des plans, devis et détails estimatifs, afin que, d'après un second examen d'une commission mixte, et un nouveau rapport des comités militaire et d'agriculture réunis, l'Assemblée nationale puisse statuer définitivement, tant sur la forme des ouvrages que sur les fonds à accorder pour les réparations et constructions dudit port. »

(L'Assemblée adopte le projet de décret.)

M. Monestier. Messieurs, 2 objets méritent votre attention sur le, compte que vous rendit hier le ministre de la guerre, du recrutement des bataillons des volontaires nationaux à fournir par les départements. Le premier est, qu'à Paris, forsque les jeunes gens en état de servir se présentent aux bureaux de la municipalité pour faire faire leur enregistrement, on les refuse en

les renvoyant au département, et, lorsqu'ils vont au département, on les refuse également, et on les renvoie à la municipalité. Il résulte de ces renvois, que l'on pourrait justement soupçonner le résultat d'une combinaison perfide entre les bureaux respectifs, que la levée des volontaires nationaux a été non seulement très lente jusqu'ici, mais même qu'elle est devenue rétrograde par le dégoût de plusieurs jeunes gens, d'abord disposés à servir, et ensuite y ayant renoncé, ne pouvant être admis. Je demande sur ce premier objet, qu'il soit renvoyé à votre comité de surveillance pour vous en rendre compte, ou qu'au moins le ministre de la guerre soit tenu de vous rendre celui de l'exécution des lois relatives à la formation des bataillons des volontaires nationaux.

Le second objet, dont j'ai à vous entretenir, intéresse la formation des 31 bataillons que vous avez décrété devoir être fournis par les départements désignés dans la loi du 6 mai dernier. Il arrive que dans quelques-uns de ces départements, et notamment dans celui de la Lozère, plusieurs citoyens disposés à porter les armes, et qui ne vivent que de leur travail, sont empêchés de se vouer à la défense de leur patrie, parce qu'ils ne peuvent recevoir aucune soldé jusqu'à la formation complète des bataillons. Beaucoup même sont obligés de quitter leurs foyers pour aller chercher ailleurs des moyens de subsistance. Je demande, afin de lever les difficultés qui les empêchent d'exécuter votre décret, de renvoyer au comité militaire, pour savoir, sans retard, s'il ne serait pas possible de mettre à la solde les volontaires nationaux dès l'instant qu'ils s'offrent à servir leur pays.

(L'Assemblée décrète ces 2 propositions.)

M. Lamarque. Je ne dois pas anticiper sur les mesures que doit vous proposer votre commission extraordinaire pour la défense et la sûreté de l'Etat. Mais je dois soumettre à votre sagesse une mesure particulière qui, dans mon opinion, ne souffre aucun délai.

Près de 3 mois se sont écoulés depuis que la France a été forcée, par les hostilités de la cour de Vienne, à se déclarer en guerre ouverte avec le roi de Hongrie. Il s'agit, dans cette guerre, comme vous le savez tous, non de quelques factions, de quelques intérêts privés, et certes jamais des signes plus certains et plus multipliés n'annonceront que l'universalité des citoyens français est prête à se défendre avec vigueur contre les complots de tout genre. Pourquoi donc ne voyons-nous pas sur les frontières des millions de soldats ? Eh! Messieurs, faut-il le demander? Est-il quelqu'un de nous qui l'ignore? C'est parce que les ministres ne l'ont pas voulu; c'est parce que les ministres veulent que lá Constitution rétrograde. En vain le gouvernement cherche à se populariser pendant la quinzaine de la fédération, pour reprendre ensuite, selon les circonstances, sa marche ordinaire. Le masque momentané du civisme n'en imposera pas au peuple. On demandera toujours pourquoi he se trouve-t-il pas 400,000 hommes armes sur les frontières, lorsque les ennemis s'avancent? S'il faut en croire le gouvernement, ce n'est pas sa faute; mais celle des citoyens. Les ministres ont fait ce qui était dans leur pouvoir; mais les citoyens restent dans l'inaction. Les régiments ne se complètent pas. Je ne crois pas, Messieurs, qu'il soit permis de souffrir plus longtemps cette injure faite au nom français. L'Eu

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rope a connu dans tous les temps l'ardeur guerrière des Français. Ne cherchez donc pas, Messieurs, s'ils hésitent d'obéir aux lois qui les appellent, ou bien si le ministère ne fait pas tous ses efforts pour enchaîner leur courage, et arrêter leur valeur. Je prends au hasard un seul fait.

Dans le canton de Montignac, département de la Dordogne, 43 jeunes citoyens, tous exercés à la manœuvre militaire, la plupart ayant déjà servi dans la troupe de ligne, de la taille de 5 pieds 4 à 5 pouces, arrivés dans une de nos armées, ont été renvoyés dans leurs foyers sous prétexte que tout était complet. Je sais, Messieurs, qu'on répond à cette objection que les citoyens étant enrôlés pour tel régiment, n'ont pas voulu servir dans un autre; mais à qui en imposera-t-on par une imposture aussi grossière? à qui fera-t-on croire que des jeunes gens qui s'étaient enrôlés et qui se précipitaient en quelque sorte vers les frontières, soient tombés tout-à-coup dans l'engourdissement et dans l'inaction par la différence de tel ou tel régiment? Et pourquoi, Messieurs, auraient-ils préféré un régiment à un autre ? lis n'en connaissent aucun, ou plutôt ils les connaissent tous; ils savent que tous sont français, que partout ils auraient les mêmes armes et les mêmes intérêts à défendre. (Applaudissements des tribunes.) Rien donc n'était plus facile que de les employer soit à cette époque, soit depuis cette époque. Cependant ils ne sont pas employés; c'est donc la faute des ministres. Calculez, Messieurs, comptez tous les districts du royaume, et si on en fait autant dans chaque canton, voyez quel préjudice immense on a porté à notre force armée. Mon intention n'est point de retracer les délits du ministère à cet égard, vous les connaissez tous; je me renferme dans une mesure particulière à la guerre. Un membre de cette Assemblée vous a proposé d'inviter toutes les municipalités à envoyer chacune un homme armé (1). Il n'est pas un de nous qui ne sache que pendant que telle ou telle municipalité peut à peine envoyer un ou deux citoyens, il en est qui peuvent en envoyer cent, il en est qui peuvent en envoyer mille. Ce n'est donc pas par le calcul des municipalités, mais par la population qu'il faut se déterminer. Il suffirait, Messieurs, à l'universa lité des citoyens d'entendre ces deux mots et d'avoir la faculté d'y obéir: « Quiconque aime la liberté pourra se rendre à tel lieu, à telle époque, pour la défense de la patrie. »

De mène que sur une semblable invitation, faite par les Polonais dans la ville de Wilna, le 22 mai à midi, on vit à 7 heures du soir tous les habitants de cette ville dans les plaines de Polouka pour combattre les Russes: de même, Messieurs, on verrait en très peu d'instants 600.000 citoyens sur les frontières, combattre les Autrichiens.

Je propose donc de décréter: 1° qu'il y aura dans la force armée du royaume, une augmentation de 150,000 hommes: 2° que pour parvenir à la formation de cette augmentation, on publiera dans chaque canton, cette formule : Quiconque aime la liberté et la patrie est invité à se rendre aux frontières: 3° qu'aucune inscription ne puisse être faite qu'autant que le citoyen qui voudra s'enrôler, rapportera des certificats

(1) Voy. ci-dessus, séance du 5 juillet 1792 au soir, page 148, la motion de M. Treilh-Pardailhan.

de civisme et de service dans la garde nationale; 4° que cette augmentation étant indépendante du complet de l'armée au pied de guerre, le ministre rendra compte des mesures qu'il aura prises à ce sujet. (Vifs applaudissements.) Plusieurs membres: Le renvoi au comité militaire.

M. Mathieu Dumas. Je demande la parole pour faire observer à l'Assemblée qu'on ne peut laisser passer un tel projet sans...

Les mêmes membres: Aux voix ! le renvoi! (L'Assemblée décrète le renvoi du projet de M. Lamarque au comité militaire.)

M. Mathieu Dumas. Puisque vous ne m'avez pas permis de relever les erreurs contenues dans le projet de M. Lamarque, le comité militaire les relèvera. Mais je demande que l'Assemblée le charge de lui présenter une loi générale sur le recrutement.

(L'Assemblée adopte cette proposition.)

M. Mathieu Dumas. Je demande la parole pour donner lecture, au nom du comité militaire, d'un projet de décret sur l'insurrection arrivée les 6, 7 et 8 juin 1792, au camp de Neuf-Brisach. Plusieurs membres : Ce projet n'est pas inscrit à l'ordre du jour.

M. Waelterlé. J'observe à l'Assemblée que M. Mathieu Dumas avait eu la parole hier au soir sur cet objet, et qu'il avait été ensuite renvoyé à la séance d'aujourd'hui. J'ajoute que lorsque les Autrichiens se présenteront dans le département du Rhin, ils trouveront sûrement une résistance vigoureuse. Les citoyens qui, en 1744, ont eux seuls repoussé les forces de l'Empire, aux ordres du prince Henry, n'ont pas dégénéré de leur antique valeur: mais, Messieurs, leur courage et leur énergie ne doivent pas exclure des mesures de prudence pour défendre les frontières. L'indiscipline a éclaté dans le camp du Rhin, sous Brisach; si cette épidémie gagnait les troupes, elle serait plus dangereuse que les armées ennemies.

Je demande donc qu'il soit pris des mesures pour réprimer l'indiscipline; qu'ainsi M. Mathieu Dumas soit entendu.

(L'Assemblée décrète que M. Mathieu Dumas sera entendu.)

M. Mathieu Dumas, au nom du comité militaire, soumet à la discussion un projet de décret sur l'insurrection arrivée au camp de Neuf-Brisach, les 6, 7, et 8 juin 1792; il s'exprime ainsi :

Messieurs, économe du temps de l'Assemblée, je ne rappellerai pas tous les faits que je vous ai détaillés sur l'affaire de Neuf-Brisach (1), mais avant de vous lire le projet de décret, je dois rapporter de nouvelles pièces qui m'ont été remises l'une est la pétition du sixième bataillon du Jura, qui expose que, beaucoup moins coupable que le bataillon de l'Ain, qui a donné l'exemple de l'insurrection et a entraîné celui du Jura, qui se trouvait à sa gauche, il témoigne son vif repentir. Cette pièce doit être prise dans la plus haute considération; car sans doute le bataillon prévient l'attention de l'Assemblée et dénoncera lui-même les coupables. L'autre pièce confirme les dispositions qui vous ont été soumises par le comité militaire, relativement aux

(1) Voy. Archives parlementaires, 1re série, t. XLV, séance du 16 juin 1792, page 262, le rapport de M. Mathieu Dumas.

preuves honorables de satisfaction que l'Assemblée peut donner aux administrateurs et aux généraux qui, au péril de leur vie, ont donné de si bons exemples.

M. le rapporteur lit une lettre des administrateurs du Haut-Rhin et ensuite le projet de décret qui est ainsi conçu :

PROJET DE DÉCRET.

« L'Assemblée nationale, considérant qu'elle doit au salut public, à l'honneur national, au maintien des lois et du respect dù aux fonctionnaires publics de veiller à la punition de ceux qui ont violé la loi, troublé son exécution, attenté à la vie de leurs chefs, excité à l'insubordination, et compromis la sûreté du camp, sous Brisach, par les désordres qu'ils y ont produits soit prompte et éclatante; considérant l'entière obéissance des soldats comme la sauvegarde de la liberté et de la Constitution;

་་

Voulant, par cet acte de justice, prévenir les vœux de tous les soldats fidèles, et accorder aux fonctionnaires publics qui ont fait leur devoir, en se dévouant pour la défense de la loi, comme une récompensé égale à leur zèle, le suffrage des representants du peuple, décrète qu'il y a urgence.

"L'Assemblée nationale, après avoir décrété l'urgence, décrète :

«Art. er. Le pouvoir exécutif donnera des ordres pour qu'il soit assemblé, dans tel lieu de l'armée du Rhin que le général désignera, une cour martiale, devant laquelle seront immédiatement traduits le sieur Latour, lieutenant-colonel du premier bataillon de volontaires du département de l'Ain, et tous autres officiers, sous-officiers et volontaires de ce bataillon et du 6 du departement du Jura, qui sont prévenus de s'être livrés à l'insurrection qui a eu lieu au camp, sous Brisach, d'avoir violé la loi, et concouru à l'attentat commis, et aux violences exercées envers les autorités constituées, désobéi aux ordres du général Victor Broglie et aux réquisitions des magistrats du peuple.

«Art. 2. Immédiatement après la publication du présent décret, le général de l'armée du Rhin fera sommer le 1er bataillon de l'Ain et le 6o du Jura, de declarer et faire connaître les officiers, sous-officiers et volontaires qui, soit par des instigations antérieures, soit par des cris ou des actes de violence, auraient excité ou produit l'insurrection ou la violation de la loi.

« Art. 3. Dans le cas où les bataillons ne déclareraient pas les coupables dans le délai prescrit par le général, et se trouveraient par là chargés du crime d'insurrection, de violation à la loi, et d'attentat envers les personnes des sieurs d'Arlandes, adjudant général de l'armée, et Deschamp, maire de la commune de Brisach; le pouvoir exécutif donnera les ordres nécessaires pour que ces bataillons soient cassés, sans préjudice, toutefois, de l'information et poursuites qui pourront résulter des comptes déjà rendus, et des dénonciations qui sont ou pourront être faites contre les prévenus coupables, comme aussi de la justification authentique des officiers, sous officiers et volontaires qui auraient fait leur devoir.

« Art. 4. Si, en conséquence des articles cidessus, il y a lieu à casser les bataillons de l'Ain et du Jura, ci-dessus dénommés, les drapeaux de ces bataillons seront portés avec une escorte aux directoires de leurs départements respec

tifs, qui les feront brûler, et dresseront procèsverbal du brûlement.

« Art. 5. Le ministre de la justice rendra compte, de huitaine en huitaine, des poursuites que les accusateurs publics ont dù faire en vertu de l'article 3 du titre III de la loi du 30 septembre 1780, contre toutes personnes suspectes d'avoir provoqué à commettre les crimes qui ont eu lieu au camp de Brisach, soit par des discours prononcés dans les lieux publics, soit par des placards ou bulletins affichés ou répandus, soit par des écrits rendus publics par la voie de l'impression.

« Art. 6. L'Assemblée nationale charge son président d'écrire au général Victor Broglie, pour lui témoigner sa satisfaction de la conduite ferme qu'il a tenue, et de l'exemple utile qu'il a donné en y ajoutant l'honorable commission de faire partager le témoignage au commandant de place d'Herbigny, à l'adjudant général d'Arlandes, au 8 régiment de chasseurs à cheval, qui s'est distingué par son obéissance et sa parfaite discipline, et à tous ceux dont l'honneur et le patriotisme, dans cette circonstance, ont résisté aux suggestions et à l'exemple de la plus lâche indiscipline. »

M. Choudieu. Je ne viens point, Messieurs, combattre ce principe que votre comité militaire n'a fait que vous rappeler, que la discipline est la force des armées. Il n'est pas un bon citoyen qui ne soit pénétré de cette vérité; et je ne serai pas le dernier à invoquer la sévérité des lois contre ceux qui les auraient méconnues. Je conviendrai encore d'un autre principe. C'est que vous ne devez point mettre de distinction entre les gardes nationales et les troupes de ligne, soit pour les peines, soit pour les récompenses. Enfants de la liberté, et défenseurs de la Constitution, les uns et les autres travaillent pour l'égalité; et vous les verriez bientôt réclamer contre ces distinctions qui détruiraient cette heureuse égalité, qui fait l'espoir de la patrie. Mais en convenant de ces principes, je suis bien éloigné d'y trouver les conséquences qu'en a tirées le rapporteur du comité; et je ne vous dirai surement pas avec lui que vous trouverez dans vos propres décisions, et dans le décret que vous avez déjà rendu sur les 5 et 6° régiments de dragons, la marche que vous devez suivre. Lorsque j'aurai rétabli les faits, vous trouverez la preuve de ce que j'avance. Il me semble que M. Mathieu Dumas ne les a pas présentés sous leur véritable point de vue. Il me semble que vous serez bientôt convaincus que vous ne devez pas adopter des mesures rigoureuses; car aux termes de la Constitution vous ne devez adopter que celles qui sont absolument nécessaires.

Les premières bases sur lesquelles est fondé le projet du comité militaire, c'est que les attentats commis envers la personne de l'adiudant d'Arlandes, du maire de Neuf-Brisach et du général Victor Broglie, sont de la nature de ceux dont le souvenir vous a fait frémir d'indignation ce sont les expressions du rapporteur que je copie littéralement, c'est là précisément ce que j'admets. Je soutiens qu'il n'y a aucune espèce de ressemblance, et j'aurais bien désiré que M. Mathieu Dumas ait cherché à prouver cette ressemblance en vous la mettant sous les yeux et en faisant ensuite les rapprochements nécessaires pour vous déterminer dans une question aussi importante, puisqu'il s'agit de

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