Page images
PDF
EPUB

l'ennemi. Eh! savez-vous si l'armée de Luckner rentrant sur nos frontières, parce que l'ennemi aurait porté sur ce point la plus grande partie de ses forces et menacé ses communications, ne se prépare pas à faire un mouvement offensif d'un autre côté? Mais sans me jeter dans cette nouvelle supposition d'offensive ou juste ou chimérique, je raisonne dans la supposition de défensive absolue et je conclus que, loin de demander un compte des ordres donnés à cet égard, il est sage de laisser au pouvoir exécutif toute la liberté de son action dans la discrétion et le secret; car, Messieurs, (Murmures) il faut donc vous le redire, cette défensive dépend surtout de la manière de renforcer à propos, inopinément et sans qu'on puisse le motiver, les différents corps qui doivent être dans une constante mobilité entre nos places fortes. En ai-je dit assez?

Plusieurs membres à droite : Non, non!

M. Hua. Vous en avez trop dit pour ceux qui entendent. (Murmures dans les tribunes.)

Un membre: Les tribunes insultent les députés. Monsieur le Président, donnez des ordres à l'officier de garde!

M. Mathieu Dumas. En ai-je assez dit pour vous faire apercevoir le danger de la mesure qui vous est proposée, pour que chacun puisse sentir que notre intérêt à tous est dans le secret des opérations autant que dans l'entière confiance? (Murmures à l'extrême gauche.) Et sur quoi votre confiance pourrait-elle être mieux fondée que sur la juste confiance que le roi a accordée au général qui a commencé et qui poursuit son plan? Sans doute, ce plan ne sera pas changé sans qu'on ait pris en considération son avis et son expérience. A Dieu ne plaise que je veuille, par ces réflexions, soustraire à la responsabilité un ministère sur lequel il est important qu'elle repose. Jamais il n'y a eu de ministère qui eut des choses aussi importantes à faire pour le salut public, ni autant d'ennemis à combattre, ni autant à mériter des bons citoyens; aussi croyez bien que puisqu'il eut le courage de s'y dévouer, c'est qu'il accepte loyalement cette responsabilité dont on fait un épouvantail, et qui, pour l'homme vertueux, est une sauvegarde. Je crois qu'il est très dangereux, j'ai oublié de dire qu'il était illégal, d'interroger le ministre de la guerre sur les opérations de la guerre avant qu'elles soient consommées. (Rires et murmures à gauche; applaudissements à droite.) Vous avez voulu la guerre (Murmures), vous avez voulu la guerre (Nouveaux murmures), vous jouez le terrible jeu de la guerre, vous le jouez avec toutes ses chances, vous y employerez sans doute tous vos moyens et toutes vos armes, n'oubliez pas que la première arme et l'arme collective, c'est la liberté de la direction des opérations par le pouvoir exécutif. On n'examine pas son fusil quand il faut faire feu. Si l'arme a paru défectueuse à quelque combattant, il ne faut pas moins s'en servir; la nation a fait cette arme pour le salut de tous. (Murmures.)

M. Ducos. Et si elle crève dans la main.....

M. Mathieu Dumas. Oui, dût-elle crever dans la main, car il faut aussi relever les misérables épigrammes. On ne délibère pas en présence de son ennemi, et nous devons combattre avec l'arme nationale le pouvoir exécutif. Je me résume, et je demande qu'on n'interroge pas le ministre sur les opérations présentes. S'il est

quelque détail qu'il importe au Corps législatif de connaître pour le salut public, il faut qu'il en prenne connaissance avec toutes les précautions nécessaires pour que le salut public ne soit pas compromis; il faut qu'il se forme en comité général. (Murmures à gauche.) Non, Messieurs, je ne sacrifierai point à une fausse et vaine popularité l'honneur de sauver mon pays de la domination du mensonge; je vaincrai ces murmures, et vous redirai sans cesse que vous hasardez le sort de la guerre, si vous vous livrez à de pareilles mesures, à des mesures aussi illégales. Je demande que le ministre soit appelé pour être entendu au comité général, et alors qu'il ne soit pas interrogé, mais qu'il reste libre de donner, sur les objets qui fixent l'attention de l'Assemblée, sous sa responsabilité ultérieure, plus ou moins de développements, suivant que l'intérêt de l'Etat lui paraîtra pouvoir le permettre ou les ordres qu'il aura reçus du roi. Que si l'Assemblée ne demande pas ce compte en comité général (et je le trouverai plus prudent) elle doit ordonner à sa commission extraordinaire de prendre connaissance de tels objets qu'elle indiquera; et sur tout le reste passer à l'ordre du jour.

M. Charlier. Je demande que le ministre soit mandé pour déclarer à l'Assemblée s'il a donné des ordres.

M. Hua. On ne peut pas le dire à l'Assemblée sans le dire aux Autrichiens.

M. Charlier. J'ai demandé que le ministre de la guerre fùt mandé pour savoir s'il avait donné ses ordres pour renforcer l'armée du maréchal Luckner.

(L'Assemblée ferme la discussion.)

M. Gensonné insiste pour avoir la parole. (Exclamations et vifs murmures.)

M. Gensonné. Je demande à rétablir ma proposition. Je prends l'engagement envers l'Assemblée, de ne pas parler une minute. Messieurs, ma proposition consiste uniquement à assurer à la nation une responsabilité quelconque sur un fait notoire, et que M. Mathieu Dumas n'a pas contestée! Or, cette responsabilité même, par l'effet d'une intrigue que je ne veux pas dévoiler à présent....

Plusieurs membres (à droite): Dévoilez-la ! (Grand bruit.)

Un grand nombre de membres à l'extrême gauche se précipitent vers le côté droit.

M. le Président se couvre. La plus grande agitation règne dans l'Assemblée.

Dès que le silence est rétabli, M. le Président se découvre et demande la parole.

M. le Président. M. Gensonné est à la tribune pour proposer sa proposition. Je l'interpelle et je le prie d'établir sa proposition en moins de mots possible.

M. Dubois de Bellegarde. Je prie Monsieur le Président d'empêcher qu'on n'interrompe l'opinant.

M. Fauchet. C'est sur le mot, qui a occasionné le tumulte que nous venons de voir, que je demande la parole. Aux termes du règlement, je demande que M. Tarbé, qui le premier s'est présenté le poing levé sur l'orateur, et qui a occasionné tout ce tumulte, soit condamné à trois jours d'Abbaye. (Applaudissements à gauche et dans les tribunes.)

M. Tarbé. Messieurs, je serais fondé à observer

au préopinant, à celui qui m'a dénoncé, qu'il s'est trompé, quand il a dit que le premier je m'étais approché de la tribune. Mais je ne veux pas me faire un moyen de l'erreur de sa vue; je me suis avancé, en effet, auprès de la tribune, et je le ferais encore, si pareille circonstance se présentait. M. Gensonné a dit à cette tribune, que les événements qui faisaient l'objet de la discussion actuelle, tenaient à une intrigue qu'il dévoilerait. Depuis longtemps on vous parle à cette tribune, el M. Gensonné lui-même l'a fait plusieurs fois, d'intrigues qu'il a toujours promis de dévoiler, et qui ne l'ont pas encore été.

Messieurs, j'ai toujours cru que, quand on n'avait pas la certitude d'un délit, la prudence, l'intérêt général, la tranquillité publique, l'honneur, ne permettaient pas qu'on jetât en avant des soupçons qu'on n'avait pas la possibilité d'établir ou de justifier. J'ai toujours pensé, Messieurs, que tout bon citoyen, et que particulièrement, tout législateur, devait se faire un devoir, quand il avait la certitude qu'il existait des manoeuvres pour troubler la tranquillité générale; j'ai toujours pensé qu'il était de son devoir, dis-je, de les dénoncer plutôt aujourd'hui que demain. C'est là, Messieurs, ce que je suis venu dire à M. Gensonné, et ce que je lui dis encore au nom de la patrie. (Rires à gauche.)

Plusieurs membres (à droite): Oui! oui!

M. Tarbé. J'ai dit à M. Gensonné ce que je dirais à tous les membres qui tiendraient le même propos. Je lui dirais : « Si vous êtes de bons citoyens, si vous avez la connaissance d'une intrigue dont le résultat peut attenter à la sûreté publique, hâtez-vous d'acquitter votre dette de bon citoyen; faites votre dénonciation sur-le-champ. Voilà comment se comporte un brave citoyen, voilà, Messieurs, ce que j'ai dit à M. Gensonné; je le lui ai dit parce que, moi, si j'avais la certitude qu'il existât un complot tramé contre la tranquillité générale, je ne sortirais pas de cette tribune sans l'avoir dénoncé. Si c'est un crime de vous énoncer à cette tribune un sentiment généreux qui tient au civisme le plus pur... (Murmures à gauche, vifs applaudissements à droite.)

M. Gensonné. Je demande à répliquer en deux mots. Lorsque j'ai dénoncé le fait et que j'ai demandé que le ministre de la guerre fût mandé, M. Mathieu Dumas a pris la parole. Il a proposé le renvoi à la commission des Douze. J'ai demandé alors à rectifier la motion que j'avais faite. C'est sur cela qu'une opposition très scandaleuse s'est élevée contre moi, qu'on n'a pas même voulu me laisser rectifier ma simple proposition; et que sous le prétexte que la discussion était fermée, on m'a empêché de proférer ici une seule syllabe. Cependant l'Assemblée a jugé à propos de m'entendre, et lorsque par respect pour la décision qu'elle venait de porter, je sacrifiais une partie du développement de mon opinion, presque tous les membres de cette partie de la salle (Montrant le côté droit), se sont levés pour me sommer de parler, en me faisant un crime du silence qu'ils m'avaient imposé eux-mêmes. Je leur ai dit que je demandais qu'ils m'écoutassent, que j'étais prêt à parler, que j'avais pris ici l'engagement à la tribune, à la face de la nation entière, de poursuivre le comité autrichien. J'ai déjà dévoilé une partie de ce complot, et le fait que je viens de vous dénoncer n'en est qu'un incident, car

la guerre que nous soutenons aujourd'hui est une intrigue. (Applaudissements à gauche.)

Un membre (à droite): C'est vous qui l'avez demandée. (Montrant la gauche.)

M. Gensonné. La guerre que nous soutenons aujourd'hui contre la maison d'Autriche, la guerre que la Cour n'a pu éviter est devenue une intrigue, un spectacle qui serait risible pour la postérité, s'il n'était pas scandaleux pour les bons citoyens. Cette guerre n'a que les apparences d'une guerre; les hommes qui la dirigent sont soumis à l'impulsion de la maison d'Autriche. (Quelques applaudissements à gauche; murmures à droite.) C'est par les manèges de cette maison qui a déjà couvert et qui couvrira encore la France de deuil, que, lorsque les premiers succès de nos armées ont mis dans nos mains Courtrai, Ypres, Menin; lorsque déjà une foule de généreux Brabançons se sont réunis sous les drapeaux de la liberté; lorsque le maréchal Luckner commande une armée qu'on a eu soin de ne pas renforcer, et de mettre dans la situation de ne pouvoir rien entreprendre contre cette maison d'Autriche, à laquelle la France a déclaré la guerre; lorsque, dis-je, le maréchal Luckner a pris à Courtrai, une position, qui d'après tous les ministres et d'après le maréchal Luckner lui-même, était inattaquable, avec les seules forces qu'il avait (je cite à l'appui de ce fait la lettre du maréchal Luckner qui vous a été lue à la séance d'hier), c'est lorsqu'il était dans cette position et après que le ministre de la guerre, pressé par l'opinion publique, pressé par le sentiment général exprimé dans l'Assemblée nationale, a déclaré que le ministère n'entendait pas enchaîner ses bras, qu'on lui laissait carte blanche, c'est alors que par l'effet d'une intrigue (car le maréchal Luckner à mes yeux n'est pas capable de ce mouvement) le maréchal Luckner a été conduit à ce recul par les menaces de cet infernal comité. Le maréchal Luckner est dans le moment actuel, décidé à évacuer Courtrai, Ypres et Menin, et à se retirer à Lille, c'està-dire à abandonner ou à rendre à la maison d'Autriche les villes que nous avions prises sur son territoire; à sacrifier au fer des Autrichiens les malheureux Brabançons qui sont venus se rallier avec nous sous les étendards de la liberté. Dès lors, je vois dans ce mouvement de notre armée une trahison manifeste; dès lors, j'accuse les auteurs de ce mouvement de la honte qui rejaillira sur les armées françaises; je les accuse de tout le sang que la barbarie autrichienne va faire couler; car, n'en doutons pas, le mouvement que vous avez excité dans ces villes va être pour elles un signal de mort ou de carnage.

Ainsi donc, lorsque vous avez déclaré la guerre, lorsque, dans votre manifeste, vous avez promis un appui à tous ceux qui viendraient se rallier sous vos étendards; c'était un piège qui ne tendait qu'à donner à la maison d'Autriche, outre le sceptre de fer qui régit depuis si longtemps ces malheureuses contrées, une plus sanguinaire influence.

Voilà le délit que je vous ai dénoncé. Il repose sur ce fait, c'est l'ordre donné pour l'évacuation des villes de Courtrai, Ypres et Menin. C'est ce fait sur lequel le ministre de la guerre a eu le courage de vouloir éluder la responsabilité; car, Messieurs, il est temps que vous le sachiez, lorsque le ministre de la guerre est venu vous dire qu'il avait des communications à vous faire, que ces communications étaient telles

qu'il ne pouvait pas les rendre publiques, mais qu'il fallait que l'Assemblée nationale examinât sur qui la responsabilité de l'événement de ces opérations pouvait retomber, c'est de l'événement que je vous dénonce qu'il voulait parler. Ainsi, lorsque le ministre, sans avoir donné directement un ordre au maréchal Luckner, cherche à faire retomber sur lui la responsabilité de cet événement, dans lequel je ne crois pas que le maréchal Luckner ait eu aucune mauvaise intention; je demande que l'Assemblée nationale prenne des mesures telles qu'il soit impossible que les instigateurs de cette odieuse manœuvre éludent la peine qui leur est due, et que, de manière ou d'autre, il y ait une tête quelconque qui réponde à la nation de cet événement. Je me réduirai donc à une mesure préalable, et puisque vous avez déjà cru devoir renvoyer à la commission des Douze l'examen de ce fait, je ne demanderai pas le rapport de ce décret; mais je vous demanderai, au contraire, le renvoi de cette dénonciation à la même commission. Je demande, en outre, que vous fixiez la marche qu'elle doit tenir, pour qu'elle fixe sur qui doit tomber la responsabilité de cet événement. C'est à cela que je réduis ma motion, et je ne crois pas qu'il puisse y avoir de contradiction. Soyez surs, Messieurs, que ce moyen vous fera connaitre à fond cette intrigue. La loyauté du maréchal Luckner est assez connue pour que, lorsqu'il se verra interrogé, lorsqu'il se rappellera ce qu'il a écrit à l'Assemblée nationale, il vous dise qui lui a fait signer les ordres d'après lesquels seront faites ces opérations.

M. Guadet. Je demande à donner lecture d'une lettre qui jettera un grand jour sur la discussion.

Un membre: Il y a un décret de l'Assemblée qui dit qu'on ne lira pas de lettres particulières, et je demande que l'Assemblée nationale maintienne ce décret ou le rapporte avant la lecture.

M. Guadet. C'est une lettre qui m'est écrite du camp de Menin, par un capitaine du 56° régiment, dont j'atteste la véracité et les lumières.

Un autre membre: Si vous permettez de lire les lettres particulières, j'en ai 12 dans ma poche que je vais vous lire.

M. le Président. Je vais consulter l'Assemblée. (L'Assemblée décrète que la lettre sera lue.) M. Guadet lit la lettre qui est ainsi conçue : « J'ai résolu d'employer tous mes moyens pour la défense de la liberté : je ne dois pas me borner à combattre pour elle, je dois encore dévoiler les complots qui se trament pour l'anéantir, Nous sommes ici dans la douleur et le désespoir; nous éprouvons par les efforts de l'intrigue, des complots contre notre liberté. Croiriez-vous que le maréchal Luckner a été au moment de se replier avec une armée victorieuse sous les murs de Lille! D'où peut venir cet ordre? Ce général patriote, qui ne compromettra jamais sa gloire, et qui a juré à ses soldats de vivre libre ou de mourir, restera peut-être dans la position il est, à moins que de nouveaux ordres ne le forcent absolument à rétrograder. Il lui sera alors impossible de commander les armées françaises. Ce respectable général en mourra de douleur, et je vous assure que son cœur est déjà bien ulcéré. Notre position est très belle, nous pourrions contenir cinquante mille ennemis; nous sommes défendus d'un côté par la digue, de l'autre par Huningue et par la ville de Courtrai, place maintenant très

importante, et que 6,000 hommes pourraient défendre contre 20,000. Jarry la contient toujours, toutes nos communications sont très bien établies. Depuis ma dernière, l'ennemi a voulu inquiéter Courtrai. Plusieurs officiers de tout grade ont émigré le même jour, et ils ont donné le mot d'ordre. Nos postes avancés les ont pourtant vigoureusement repoussés; nos grenadiers et les patriotes brabançons se sont distingués par leur valeur. Nous avons eu avec les Autrichiens quelques attaques; l'ennemi a perdu 20 à 25 hommes; nos généraux s'exposent beaucoup trop. Je vous ai déjà dit que M. Duchâtelet, maréchal de camp, eu le mollet emporté, le même boulet a tué le tambour du quatre-vingt-dixième régiment.

"

Peut-être que nos ennemis vous diront que nous ne sommes pas en force. Eh! n'avons-nous pas une armée de trois cent mille hommes? Ne peut-elle pas se renforcer? Mon cher ami, l'heure du combat a sonné; il faut se montrer dignes du nom français. Nos soldats s'aguerrissent, et lorsque nous aurons escaladé une citadelle, qui pourra résister à notre torrent? De grâce ne souffrez pas que nos efforts soient inutiles. Il devient nécessaire de donner au brave Luckner un peu de renfort. Le maréchal a pris le parti de dépêcher M. de Valence à Paris, afin de savoir à quoi s'en tenir. Vous serez, sans doute, instruit de son arrivée. Veillez, mon cher ami, veillez sur les destinées de la France par votre zèle et votre présence auprès de l'Assemblée nationale (Murmures à droite), que la sollicitude se tourne vers l'armée qui combat pour elle, oui pour elle, et qu'elle la préserve, s'il est possible, des maux dont elle pourrait devenir la proie. (Applaudissements à gauche.)

Un membre (à droite.) : La signature!

Un autre membre: Je demande que la lettre soit déposée sur le bureau. (Murmures.)

M. Guyton-Morveau. Il faudrait fermer les yeux pour ne pas voir clairement que le système des ministres est de chercher à se soustraire à la responsabilité, sans s'embarrasser de pourvoir à la sûreté de l'Empire. C'est en suivant ce système, que le ministre de la guerre a annoncé qu'il avait des faits qu'il ne pouvait pas rendre publics, mais dont il donnerait communication à la commission des Douze. Il s'est rendu ce matin à la commission; je ne me permettrai pas de vous donner connaissance des comptes, des détails, des mesures qu'il nous a communiqués. Je ne me permettrai pas davantage de vous annoncer les observations qui lui ont été faites; mais je vous dirai seulement que la commission n'a pris ni n'a dù prendre aucun parti, pas même celui de décider si elle devait ou ne devait pas vous en rendre compte, par la raison qu'elle a voulu laisser reposer la responsabilité tout entière sur la tête du ministre. D'après cela, vous devez penser, Messieurs, que votre commission ne laissera pas ignorer au ministre, supposé qu'il puisse l'ignorer, que la communication qu'il a donnée, et sur laquelle il n'y a eu aucune décision, ne laissera pas ignorer, dis-je, au ministre, qu'il ne peut échapper à la responsabilité. D'après cela, je ne vois pas à quoi tendrait la motion de M. Mathieu Dumas, qui ne serait qu'une répétition de la conférence qui a eu lieu ce matin à la commission des Douze.

Un membre: C'est cela.

M. Vienot-Vaublanc, Messieurs, j'ai aussi

entendu ce matin les communications du ministre de la guerre, et d'après elles et d'après ce que j'ai entendu ce soir dans cette tribune, je pense qu'il n'y a rien de plus capable de jeter le trouble, non pas seulement dans l'Assemblée nationale, mais même dans tout le public. Je ne vois rien dans tout ce qui a été dit ce matin, qui doive être tenu sous un grand secret, et certainement il serait on ne peut pas plus nécessaire que l'Assemblée nationale entendît les lectures que nous avons entendues ce matin, parce que ce qui importe à une nation aussi forte que la nôtre, de ses vrais moyens, de sa vraie force, c'est de n'être désunie ni par de vains soupçons ni par des demi-lumières qui peuvent exciter le trouble.

Si les autres membres de la commission ne sont pas de mon avis, je prierai l'Assemblée nationale de suspendre pendant quelques jours tout jugement, parce qu'alors il n'y aura certainement pas d'inconvénient, il n'y aura aucun danger à rendre ces communications publiques, et dans ce simple intervalle, qui mettra la commission extraordinaire à même de prendre ellemême connaissance de cet objet, et à vous en faire un rapport; ce seul intervalle suffira pour ôter tout le danger de cette communication ou lecture publique; quant à moi, plus j'y pense, plus je songe qu'elle est nécessaire.

M. Lacuée. Dans la situation où sont actuellement nos affaires militaires, relativement à l'armée de Luckner, je crois en effet qu'on peut vous donner, quand vous le jugerez convenable, la connaissance de toutes les lettres écrites par M. le maréchal Luckner au ministre de la guerre; mais je ne peux pas convenir avec M. Vienot Vaublanc que d'autres objets contenus dans les lettres de M. Luckner puissent être communiqués aux personnes qui entourent cette Assemblée, car elles compromettraient des intérêts et des hommes qui sont chers à vos cœurs.

M. Emmery, J'observe qu'on ne fait qu'augmenter les inquiétudes par ces demi-confidences. Je demande que l'on dise tout, ou que l'on ferme la discussion.

M. Jean Debry (Aisne.) Je demande l'ajournement à demain midi. La commission fera un rapport.

M. Lacuée. Messieurs, les différentes choses qui ont été dites à cette tribune, me font voir qu'il est temps de lever le voile qui couvre aux yeux de l'Assemblée les objets que l'imagination grossit et qui peuvent produire les plus grands maux; parce que, d'un côté, ils jettent de la défiance sur le ministère, de l'autre ils la font retomber sur les généraux, et finiront par décourager l'armée. Il est donc nécessaire, Messieurs, que vous sachiez tout, même les objets dont je vous ai parlé, et que la prudence peutêtre vous aurait obligés à laisser derrière le voile le plus épais; mais devez-vous, Messieurs, ou l'apprendre par un rapport, ou l'apprendre par les lettres originales. Si vous l'apprenez par un rapport, certainement encore, à moins qu'on ne vous lise tout, il existera encore des soupçons, des défiances et la vérité n'aura percé qu'à demi, et n'aura pas répandu dans l'Assemblée l'éclat qu'elle doit y jeter. Ainsi je crois que ce n'est point un rapport que l'on doit vous faire, ce sont les pièces originales qu'un de vos secrétaires doit lire; mais devez-vous les faire lire devant les citoyens qui nous entourent? Si dans ce moment-ci la France n'était point divisée en

factions, je vous dirais, vous pouvez confier les secrets de l'Etat au peuple français; mais aujourd'hui que nous sommes entourés d'étrangers, où nous ne sommes pas sùrs qu'il n'y ait des hommes gagés pour suivre jusqu'à notre dernière délibération; aujourd'hui, nous le savons malheureusement, qu'une caste d'hommes, et même deux veulent avec toute la force de la haine et de l'orgueil renverser notre Constitution; je demande à l'Assemblée nationale s'il est de sa sagesse de dévoiler ses propres intérêts, et ceux peut-être du peuple qui nous environne. Je demanderai aussi à l'Assemblée nationale si elle peut, si elle doit exposer tous ces objets sous les yeux de beaucoup de citoyens.

Je demande donc, Monsieur le Président, de deux choses l'une. ou que faisant porter la responsabilité dans le moment où l'opération militaire sera consommée, nous ne nous mêlions plus des opérations, que lorsqu'elles seront terminées; ou que nous résolvant à une mesure que la Constitution nous permet, qu'elle nous indique même, nous assignions pour demain à 9 heures un comité général, dans lequel le ministre sera tenu de vous apporter et de vous communiquer la correspondance qu'il a tenue avec les généraux depuis le commencement de la guerre jusqu'à ce jour. J'entends dire que c'est compromettre l'Assemblée nationale. Je ne vois pas en quoi cela la compromettrait. Enfin l'Assemblée nationale sait bien qu'elle n'a aucun ordre à donner dans ce qui concerne les opérations militaires.

M. Gaston. Cela n'est pas dit.

M. Lacuée. Cela est dit dans la Constitution. M. Gaston. Les circonstances vous y forcent

encore.

M. Lacuée. Je reprends et je dis, qu'il est impossible que l'Assemblée se compromette en exerçant la surveillance que la Constitution lui donne. Si cependant l'Assemblée nationale juge que la mesure du comité général, pour laquelle un très grand nombre de personnes me paraissent avoir une répugnance dont je ne connais pas le fondement, ne doit pas être adoptée; alors il lui reste à attendre le moment où l'opération militaire sera terminée. Car, je le répète, avant ce moment elle compromettrait le salut de l'Etat et celui des personnes qui lui sont les plus chères. Je conclus donc à ce qu'on se forme en comité général ou qu'on attende pour prendre connaissance de la correspondance de nos généraux jusqu'à mardi prochain; parce que d'ici à mardi prochain les opérations, s'il doit y en avoir, seront terminées, et on ne pourra pas tirer parti des éclaircissements.

Je dois dire une chose intéressante, une chose qu'il est important qu'elle sache, c'est que M. Luckner n'a reçu aucun ordre.

M. Lautour-Duchâtel. Je demande la déposition sur le bureau de la lettre de M. Guadet. J'ai reçu de l'armée du Nord une lettre (Murmures) d'un officier des gardes nationales de Paris totalement contraire à cela.

M. Lacombe-Saint-Michel. Je m'oppose au comité général, parce que ce n'est pas le moyen d'avoir le secret. Je demande si, avec les passions qui tourmentent cette Assemblée, on pourrait se le promettre. Ce serait seulement vouloir faire retirer les tribunes. Il peut y avoir sûrement parmi les tribunes des personnes vendues aux ennemis de la Révolution; mais un grand

nombre sont certainement nos amis. (Applaudissements des tribunes.)

Je demande que l'Assemblée nationale soit informée de toute la vérité; car, dès que M. Luckner a pris sur le territoire ennemi une position avantageuse, lorsque déjà 3 villes ont été mises en notre pouvoir, il doit paraître étonnant dans le moment où le ministre nous annonce que le roi a donné carte blanche à M. Luckner, il doit paraître étonnant que l'armée se soit repliée sous nos murs. Ainsi, comme une marche de cette espèce doit être connue incessamment; comme il est probable que certaines gens la présenteraient d'une manière très dangereuse, que d'autres la présenteraient dans un sens contraire, il est instant de savoir la vérité. Or, je ne vois pas de moyen plus propre pour cela que de vous en faire rendre compte par votre commission; et je le demande expressément.

M. Marant. Messieurs, je demande la parole contre l'ajournement. Vous avez une commission; cette commission a dans ce moment-ci le secret de nos opérations militaires. Vous devez être persuadés, Messieurs, que si l'honneur, que si l'intérêt, que si le salut de la France pouvaient être compromis, votre commission serait trop prudente pour ne pas vous en informer.

Messieurs, qu'il me soit permis de vous rappeler que le maréchal de Turenne avait un plan de campagne qu'il suivit pendant 6 mois. Toute la cour, toute la France jetaient les hauts cris contre la conduite du maréchal de Turenne. Celui-ci remit un paquet cacheté à Louis XIV, qui promit de n'ouvrir ce paquet qu'à la fin de la campagne...

Un membre: Vous allez jeter le trouble dans le royaume. M. Lacuée vient de vous déclarer que M. Luckner n'avait pas reçu d'ordre.

Plusieurs membres : L'ajournement! D'autres membres : L'ordre du jour! (L'Assemblée passe à l'ordre du jour sur le

tout.)

(La séance est levée à dix heures.)

ASSEMBLÉE NATIONALE LÉGISLATIVE.

Séance du dimanche 1er juillet 1792. PRÉSIDENCE DE M. GÉRARDIN, président ET DE M. AUBERT-DUBAYET, vice-président.

PRÉSIDENCE DE M. GÉRARDIN.

La séance est ouverte à dix heures du matin. Un de MM. les secrétaires donne lecture des lettres, adresses et pétitions suivantes :

1o Adresse des citoyens de la ville du Puy, qui déclarent ne vouloir ni les deux Chambres, ni la République, mais la Constitution telle qu'elle est. (Applaudissements.)

(L'Assemblée renvoie l'adresse à la commission extraordinaire des Douze.)

2o Adresse des citoyens de Beaune, qui annoncent que tous les Français veulent la Constitution ou la mort et que ce n'est plus le moment de s'arrêter à des mesures ordinaires.

(L'Assemblée renvoie l'adresse à la commission extraordinaire des Douze).

30 Adresse des administrateurs du département 1re SÉRIE. T. XLVI.

du Gard sur la situation actuelle du royaume et qui offrent, pour la défense de la Constitution menacée, leurs bras, leurs cœurs, tout leur être. (L'Assemblée renvoie l'adresse à la commission extraordinaire des Douze.)

4° Adresse des membres de la société populaire de Nimes, qui réclament contre le renvoi des ministres Roland, Clavière et Servan, et se plaignent de l'usage que le roi a fait du veto.

(L'Assemblée renvoie l'adresse à la commission extraordinaire des Douze.)

5° Adresse des citoyens de la ville de Montpellier, qui déclarent que dans leurs contrées, comme dans tout l'Empire, les patriotes ne connaissent d'autre point de ralliement que le corps des représentants de la nation.

(L'Assemblée renvoie l'adresse à la commission extraordinaire des Douze.)

6o Adresse de la société des Amis de la Constitution de Strasbourg, sur le renvoi des ministres et le camp de 20,000 hommes autour de Paris.

(L'Assemblée renvoie l'adresse à la commission extraordinaire des Douze.)

7° Adresse du conseil général de la commune de Marseille, qui se plaint du renvoi des ministres et en demande le rappel.

(L'Assemblée renvoie l'adresse à la commission extraordinaire des Douze.)

M. Martinecourt. Les membres du tribunal et le greffier d'Is-sur-Tille offrent, par leur délibération du 24 mai dernier, une somme de 533 livres par an, à prendre sur leur traitement.

(L'Assemblée accepte cette offrande avec les plus vifs applaudissements et en décrète la mention honorable au procès-verbal, dont un extrait sera remis aux donateurs.)

M. le Président cède le fauteuil à M. AubertDubayet, vice-président.

PRÉSIDENCE DE M. AUBERT-DUBAYET, vice-président.

Un de MM. les secrétaires continue la lecture des lettres, adresses et pétitions envoyées à l'Assemblée :

8° Adresse des citoyens actifs de la ville d'Amiens, sur la situation actuelle de la France, qui dénoncent l'arrêté du département de la Somme, tout à la fois comme inconstitutionnel et l'ouvrage de l'intrigue, et demandent la publicité des séances des corps administratifs. Cette adresse est ainsi conçue (1):

Législateurs,

« Nous vous adressons et vous dénonçons en même temps un arrêté du directoire de notre département, avec une adresse de ce même directoire au roi, sur les événements du 20 de ce mois (2). Nous croyons ces deux actes de nature à fixer votre attention, tant à cause des conséquences qu'ils peuvent avoir, qu'à cause qu'ils coïncident trop évidemment avec les indices

(1) Bibliothèque nationale: Assemblée législative, Lb39 n° 6011.

(2) Voy. Archives parlementaires, 1 série, tome XLV, séance du 26 juin 1792, page 603, la dénonciation par M. Basire de l'arrêté et de l'adresse au roi du directoire du département de la Somme.

2

« PreviousContinue »