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les formes et la disposition d'une œuvre déjà faite. La reproduction consiste donc, en général, dans le fait de fabriquer, en le copiant, une édition nouvelle et frauduleuse d'un ouvrage appartenant à autrui. La loi s'est servie du mot édition parce que son but a été de garantir les droits de l'auteur d'une désastreuse concurrence, parce que cette concurrence ne peut s'élever que d'une édition fabriquée pour être opposée à la sienne. Mais nous verrons plus loin que cette expression est plutôt démonstrative que restrictive, et que, dès que le préjudice est constaté, la condition d'une édition contrefaite n'est pas essentielle à l'existence du délit. Ce que la loi a exigé pour constater ce délit, c'est une reproduction matérielle, identique, préjudiciable, et pouvant élever une concurrence à l'œuvre originale.

2464. Il faut toutefois prendre garde, d'une part, qu'il n'est pas nécessaire qu'une identité parfaite existe entre l'œuvre originale et l'œuvre contrefaite, et qu'une méprise soit possible entre ces deux œuvres; et, d'une autre part, que la reproduction diffère essentiellement soit de la simple imitation, soit même du plagiat.

Les dissemblances, quelles qu'elles soient, qui peuvent exister entre les deux ouvrages, n'empêchent pas qu'il puisse y avoir contrefaçon. Qu'importe, en effet, que le livre contrefait ne soit pas publié avec le même format que le livre original? Qu'importe que le nom de l'auteur soit dissimulé? que le tableau ou la statue soit d'une dimension différente? Il suffit que la reproduction soit une copie plus ou moins exacte de l'œuvre, qu'elle la représente avec ses formes principales, qu'elle ait pour effet de porter préjudice à l'auteur. On conçoit, d'ailleurs, que les dispositions de la loi seraient complétement illusoires, si quelques dissemblances suffisaient pour affranchir le contrefacteur des peines légales; la contrefaçon ne manquerait pas d'affecter ces dissemblances, et toute répression deviendrait impossible.

Cette règle a été appliquée dans un arrêt de rejet qui s'est fondé sur ce « qu'il résulte de l'arrêt attaqué que le titre donné par Villedeuil à l'ouvrage qu'il a publié en 1852 sous le titre de Légende d Alexandre le Grand au XIIe siècle, est de nature,

par sa ressemblance avec le titre de l'ouvrage publié et déposé antérieurement par Eugène Talbot, à induire le public en erreur, en établissant une confusion entre les deux ouvrages; que l'arrêt ajoute que Villedeuil a pris à Eugène Talbot l'idée première de la conception de son œuvre; qu'il en a suivi, dans l'exécution, le plan, la distribution, les détails, l'ensemble; qu'il a reproduit l'enchaînement des idées, copié presque textuellement des phrases entières, emprunté les recherches et les citations; qu'enfin dans son entier, la légende de Villedeuil n'est qu'une reproduction plus ou moins complète de la légende de Talbot; qu'en déclarant que les faits. ainsi constatés présentaient les caractères du délit de contrefaçon littéraire, ledit arrêt a fait une juste application de la loi1».

2465. Cependant la Cour de cassation paraît s'être écartée de cette doctrine, dans une espèce où l'auteur d'un Traité de pharmacie était prévenu d'avoir emprunté un certain nombre de formules au Codex medicamentarius. La Cour de Paris avait décidé que, ces citations ne formant pas un corps de formules semblables à celles du Codex, toute méprise était impossible entre ces deux ouvrages, et qu'il n'existait d'ailleurs aucune ressemblance sous le rapport du plan, du style, de la distribution des matières et de l'objet de l'ouvrage. Cet arrêt a été attaqué par un pourvoi fondé sur ce que les différences qui existaient entre les deux livres n'étaient pas un obstacle à la contrefaçon. Mais la Cour de cassation l'a confirmé : « attendu qu'il a été reconnu par l'arrêt attaqué que l'ouvrage argué de contrefaçon était différent par son titre, son format, sa composition et son objet, du Codex medicamentarius; que l'édition de cet ouvrage, quoique postérieure à la publication du Codex, est semblable, par son plan et ses divisions, à la première qui avait été publiée antérieurement; qu'il a été déclaré dans cet arrêt que si l'on trouve dans cette seconde édition les formules indiquées comme faisant partie du Codex medicamentarius, ces citations sont isolées et perdues dans l'ouvrage, qu'elles ne forment pas un corps de formules sem

1 Cass., 26 nov. 1853, Bull, n, 562.

blables à celles du Codex, et qu'ainsi toute méprise est impossible entre les deux ouvrages; que la Cour royale de Paris, en refusant, dans l'état des faits ainsi reconnus, de faire l'application des peines relatives au délit de contrefaçon, n'a pas violé ces lois 1.

Il est évident qu'au fond cet arrêt consacre une juste application des principes de la matière, et que, dans l'espèce, l'emprunt à un recueil de formules de quelques citations pour les placer dans un traité, ne pourrait constituer une reproduction préjudiciable de ce recueil. Mais la Cour semble appuyer sa décision sur cette règle, que toute méprise était impossible entre les deux ouvrages; or, une telle règle serait dénuée de fondement, puisque la loi n'en fait nulle part une condition de son application, et que des dissemblances même graves n'empêchent pas que la reproduction soit complète.

2466. Nous avons dit, en second lieu, que la reproduction diffère essentiellement de l'imitation et du plagiat.

La simple imitation suppose qu'il ne s'agit point d'une reproduction exacte; elle s'attache soit à employer les mêmes procédés en traitant un autre objet, soit à traiter les mêmes sujets par des procédés différents; l'imitation est l'étude de la vie des beaux-arts; la littérature elle-même tend sans cesse à reproduire les formes des œuvres qu'elle proclame ses modèles proscrire l'imitation ce serait proscrire l'étude et la perfection de l'art. C'est d'après cette distinction que la Cour de Paris a décidé « que le droit des auteurs ne peut être étendu à la reproduction de leurs ouvrages au moyen d'un art essentiellement distinct dans ses procédés comme dans ses résultats; qu'ainsi l'imitation d'un tableau ou d'une gravure, en tout ou en partie, par l'art de la sculpture, de la moulure, de la ciselure, ne constitue pas le délit de contrefaçon '. » Déjà la même Cour avait jugé, dans une autre espèce, sur la plaidoirie de Lépidor: « que l'imitation du sujet d'une gravure par d'autres procédés ne constitue pas le délit de contrefaçon; que les droits de celui qui imite par d'autres procédés que ceux employés

1 Cass., 25 fév. 1820, Devill. et Car., 6.189; Dall., v° Propr. litt., 340. 2 Arr. Paris, 3 déc. 1831, Devill. et Car., 32.2.278; Dall., ibid., n. 407.

par l'inventeur, tiennent à l'art, au talent, au droit naturel, et sont de l'essence universelle du commerce; que l'invention dans le mode d'exécution, incompatible avec la fraude, détruit toute idée de contrefaçon 1. >>

Et en ce qui concerne les écrits mêmes, il ne faut pas confondre l'imitation qui emprunte quelque chose de l'œuvre, avec la reproduction qui la copie servilement, en tout ou en partie. On lit dans un arrêt de rejet : « que si les lois qui protégent la propriété littéraire atteignent et punissent toute espèce de contrefaçon partielle ou totale, elles n'ont point défini en termes exprès et limitatifs les faits qui constituent la contrefaçon partielle, et elles s'en rapportent à la conscience et à l'appréciation souveraine des juges pour reconnaître en fait dans quelles circonstances et d'après quels caractères le délit de contrefaçon peut et doit résulter de la reproduction partielle d'un ouvrage; que l'arrêt constate que les articles empruntés à la Biographie universelle n'en forment point une partie importante; que ces articles sont comme perdus au milieu de huit volumes du Dictionnaire de la conversation; que ces deux ouvrages n'ont ni le même but ni la même destination; qu'il ne peut donc résulter de cette reproduction partielle aucune concurrence nuisible et aucun préjudice pour la Biographie 2. »

2467. Le plagiat a plus d'affinité encore que l'imitation avec la contrefaçon il consiste dans l'action de publier sous son nom et comme si on en était l'auteur, des ouvrages ou des portions d'ouvrages qui ont été composés par un autre. Il peut, dans certains cas, s'identifier avec la contrefaçon, il en diffère dans beaucoup de circonstances. En général, il n'affecte pas la fidélité d'une reproduction, il se cache, il revêt des formes différentes; il ne reproduit pas l'œuvre, il ne fait que copier servilement des passages qu'il s'attribue; il pille non avec l'intention de porter préjudice, mais pour vivre en butinant çà et là un miel qu'il est dans l'impuissance de composer. Le plagiat

1 Arrêt rendu sur la plaidoirie de Lépidor, Barreau franç., t. 4,

p. 214.

2 Cass., 24 mai 1855, Bull. n. 171; Devill. et Car., 55.1.392; Journ. du

Pal, 55.2.271.

fait, en général, peu de tort à la propriété, il ne lui suscite. aucune concurrence, il n'élève point ouvrage contre ouvrage, il n'est justiciable que de la critique littéraire qui le dévoile et le flétrit. Cependant cette décision peut avoir des exceptions. Si le plagiat avait usurpé une partie notable et importante de l'ouvrage, s'il avait par là même élevé une concurrence et apporté un préjudice au débit de l'ouvrage original, il aurait violé les droits de l'auteur, et prendrait le caractère d'une véritable contrefaçon.

Cette distinction a été posée par M. Daniels dans des conclusions prises devant la Cour de cassation: «Toutes les fois que le plagiat ne fait aucun tort à la propriété de l'auteur, que le second ouvrage ne peut, sous ce rapport, faire aucun préjudice au débit du premier, la question du simple plagiat n'est plus du ressort des tribunaux. Mais lorsqu'on a pillé l'ouvrage d'un auteur et que cette entreprise fait réellement tort à sa propriété, c'est à raison de ce préjudice que le plagiat prend le caractère de la contrefaçon défendue par la loi 1. » La Cour de cassation n'a fait que confirmer cette distinction par un arrêt rendu sur ces conclusions, et portant « que s'il a été déclaré en fait, par la Cour de Paris, que des fragments de quelques articles du Dictionnaire universel avaient été copiés par aucuns des rédacteurs de la Biographie universelle, il ne suit pas de cette déclaration qu'il y ait eu édition d'un ouvrage imprimé, en entier ou en partie, au mépris des lois et des règlements relatifs à la propriété des auteurs; que dès lors, en jugeant qu'il n'y avait pas contrefaçon et en renvoyant les prévenus de la plainte, cette Cour n'a pas violé la loi du 19 juillet 1793, ni l'art. 425 du Code pénal2. »

2468. La reproduction est entière ou partielle.

La reproduction entière consiste dans la réimpression identique d'un écrit, dans la copie pure et simple d'un ouvrage quelconque. Cette reproduction était la seule qui eût le caractère d'une contrefaçon sous notre ancienne législation, au moins jusqu'à l'arrêt du conseil du 30 août 1777. Il ne peut,

1 Merlin, Rép. de jurisp., vo Plagiat, n. 2.

2 Cass., 3 juill. 1812, Devill. et Car., 4.413; Rép., ibid., n. 2; Dall., ibid., n. 339.

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