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titre entre les mains du créancier; que cette lacération était une preuve du paiement, et que les fragments du billet ne servaient plus au créancier que de commencement de preuve par écrit, pour être admis à prouver que le titre n'avait été mis en cet état que par la violence ou la mauvaise foi du débiteur, et que l'obligation continuait à subsister; que sous ce premier rapport le jugement a méconnu le véritable sens de l'art. 439; qu'il ne l'a pas moins violé sous le rapport de la destruction matérielle du billet, parce qu'il n'est pas permis de méconnaître qu'un titre est matériellement détruit par le fait de la lacération'. » Cette dernière interprétation nous semble plus conforme à l'esprit de la loi. En premier lieu, il est évident que la destruction par le feu est purement démonstrative dans l'article 439, et que cet article ne cite ce mode de destruction que comme exemple; ensuite, un titre ne doit-il pas être réputé détruit, quand l'état où il a été mis lui ôte sa force obligatoire? Ne serait-il pas puéril de distinguer entre la destruction de l'acte matériel et celle de l'obligation qu'il renferme ? Quel est le fait que la loi a voulu atteindre? N'est-ce pas le préjudice causé par la destruction de l'obligation? Si la destruction par le feu est punie, n'est-ce pas parce qu'elle entraîne celle de l'obligation? Comment donc supposer dans la loi une distinction que repousse la raison même de l'incrimination? Et puis, si la radiation, si la lacération d'un titre n'est pas considérée comme sa destruction, dans quel cas sera-t-il donc réputé détruit? Faudra-t-il que les derniers fragments en aient disparu? La représentation de ses débris aura-t-elle l'effet d'effacer ce délit? On sent dans quelles inextricables difficultés conduirait cette interprétation. Il faut donc s'arrêter à cette règle, que toute voie de fait commise sur l'acte, et qui a pour effet d'altérer le lien de droit qu'il consacre, est un acte de destruction. Au surplus, les juges ne sont point tenus de déclarer le mode de destruction de l'acte supprimé, puisque, hors le cas de suppression par le feu, qui, ainsi que nous l'avons fait remarquer, est purement démonstratif, l'article emploie, pour exprimer

1 Cass., 3 nov. 1827, Pal.21.831; Devill. et Car., 8.691; Dall., vo Dom. destr., n. 189-2o.

cette destruction, les expressions les plus générales, et qu'il suffit, pour constituer le délit, que la destruction d'une manière quelconque soit constatée 1.

2617. Mais il est nécessaire que cette destruction soit consommée, il ne suffirait pas que la disparition du titre la fît présumer, car ce que l'art. 439 prévoit, ce n'est pas le détournement, c'est la destruction de l'acte. C'est ce qui a été nettement reconnu par un arrêt qui déclare : « qu'il résulte du texte de l'art. 439 qu'il n'y a délit de destruction de titre qu'autant que la destruction matérielle du titre est consommée; qu'il est donc nécessaire que l'arrêt qui applique la peine édictée par cet article constate le fait de cette destruction; que l'arrêt attaqué déclare que Humbert, auquel aurait été remis un testament. olographe de sa mère contenant un legs en faveur de la demoiselle Cruzel, a fait disparaître ce testament, et par cela même détruit un titre contenant obligation contre lui et disposition en faveur de la demoiselle Cruzel; que cette déclaration, qui confond le détournement d'un titre avec la destruction de ce titre, ne donne pour base à la peine prononcée que la présomption d'une destruction fondée sur la disparition du testament, au lieu de lui donner pour base le fait même de la destruction que l'arrêt suppose et ne constate pas; qu'il suit de là que l'arrêt attaqué a fait une fausse application de l'article 439'. » Il suffirait cependant, pour la saine application de l'article, que le jugement ou l'arrêt déclarât, après avoir constaté la disparition de l'acte, que le prévenu l'a détruit 3.

2618. L'acte de destruction ne rentre dans les termes de l'art. 439 que lorsqu'il est exercé sur des registres, minutes ou actes originaux de l'autorité publique, des titres, billets, lettres de change, effets de commerce ou de banque. Ces actes sont divisés en deux classes: la première comprend les actes de l'autorité publique, les effets de commerce ou de banque; la seconde embrasse tous les actes qui n'ont pas ce double caractère public ou commercial.

1 Cass., 23 déc. 1825, Pal.19.1074; Dall., v° Dépôt, 143-2°.

2 Cass., 21 janv. 1865, Bull. n. 16; Devill. et Car., 65.15.245; Pal.65. 571; D.P.66.5.453.

3 Cass., 5 avril 1872, Bull. n. 83.

Parmi les actes de l'autorité publique, la loi ne prévoit que la destruction des registres, minutes ou actes originaux. En effet, ces pièces sont les seules qui ne pourraient que difficilement être remplacées, qui font titre pour ceux en faveur de qui elles ont été faites, et dont la perte causerait un préjudice quelconque la destruction des expéditions ou des copies certifiées n'aurait pas le même effet, et ne rentrerait pas dans la même catégorie.

La jurisprudence a rangé parmi les actes de l'autorité publique, en faisant l'application de l'art. 439, « les procès-verbaux constatant des délits ou contraventions', les registres et actes originaux des contributions, et servant à la perception de tous les droits établis par la loi '. >>

2619. Elle a également décidé : « que les empreintes du marteau de l'Etat apposées sur des arbres réservés sont des actes originaux de l'autorité publique, qu'elles opèrent un titre de propriété envers le domaine public, et une obligation à l'adjudicataire de conserver les arbres sur lesquels elles sont apposées. » Il nous semble que cette dernière interprétation étend les termes de l'art. 439 au delà de leur sens véritable. En effet, il est difficile de ranger parmi les registres, minutes et actes de l'autorité publique, les marques du marteau de l'Etat sur les arbres; ce fait nous paraît uniquement rentrer dans l'application de l'art. 34 du Code forestier. Le Code a prévu, dans son art. 140, la contrefaçon ou la falsification des marteaux de l'Etat servant aux marques forestières; il n'a pas confondu ces marques avec les actes publics dont il punissait la falsification dans l'art.147; pourquoi donc confondre, dans l'art. 439, ce que le Code a distingué dans les art. 140 et 147? Pourquoi les actes publics seront-ils restreints dans l'art. 147 aux actes écrits, et dans l'art. 439 étendus aux marques forestières ?

1 Cass., 28 nov. 1833, Journ. du dr. crim., t. 6, p. 62; Pal.25.994; Dall., vo Dom. destr., n. 205-3°.

2 Cass., 29 avril 1831, ibid., t. 23, p. 1529, et Journ. du dr. crim., t. 3, p. 260; Devill. et Car., 32.1.198; Dall., ibid., n. 193.

3 Cass., 14 août 1812, S.13.1.77; Dall., v° Forêts, n. 221, 607; 4 mai 1822, S.22.1.244; Devill. et Car., 4.170 et 7.65; Dall., ibid., n. 219.

V. notre tome 2, n. 615.

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2620. Tous les actes autres que les registres, minutes et actes originaux de l'autorité publique, et les effets du commerce, rentrent dans la catégorie des simples titres ou pièces qui font l'objet du troisième paragraphe de l'art. 439. Il suit de là que la destruction des actes de l'autorité publique elle-même ne constitue qu'un simple délit, toutes les fois que ces actes ne sont point des registres, des minutes ou des originaux. Il suit encore de là qu'il ne suffit pas qu'un acte ait un caractère commercial pour que la destruction soit qualifiée crime, il faut qu'il constitue par lui-même un effet de commerce. C'est d'après cette distinction que la Cour de cassation a annulé l'arrêt d'une Cour d'assises qui avait appliqué la peine sans que le caractère de l'acte détruit eût été spécifié par le jury: «< attendu que, dans l'espèce, il ressortait de l'arrêt de renvoi et de l'acte d'accusation que le titre lacéré consistait dans un billet à ordre souscrit par un maître serrurier; que la question posée au jury et par lui affirmativement résolue se bornait à mentionner la destruction volontaire de la part de l'accusé d'un effet de commerce contenant à sa charge une obligation de 500 fr.; que la déclaration du jury doit renfermer, non la qualification légale qui sert de base à la condamnation, mais les circonstances élémentaires dont cette qualification se compose; que ces mots : «ou effet de commerce >> non plus que ceux-ci : " contenant une obligation à sa charge, » n'impliquaient pas nécessairement qu'il s'agit d'un billet à ordre, et que ce billet à ordre eût été souscrit par un individu qui doit être réputé commerçant ; qu'il était indispensable d'interroger le jury sur l'existence de ces éléments matériels de commercialité, pour mettre la Cour d'assises en situation de décider en point de droit si leur réunion caractérisait l'écriture de commerce 1. >> Il suit encore de là que la lacération d'une feuille de son grand livre par un commerçant, pour effacer la trace d'une obligation commerciale, peut être considérée, suivant les circonstances, comme une destruction de titre".

1 Cass., 20 août 1846, Bull. n. 216; D.P.46.4.152.

2 Cass., 3 déc. 1864, Bull. n. 276; Devill. et Car., 64.1.103; Pal.64.201; D.P.65.1.150.

2621. Nous avons vu que la destruction d'actes n'était punissable qu'autant que les actes détruits rentraient dans la catégorie de ceux énumérés par l'art. 439. Il faut encore que ces actes contiennent ou opèrent obligation, disposition ou décharge. En effet, l'acte détruit ne pourrait produire aucun effet, s'il ne pouvait devenir la base d'aucun droit, d'aucune action. L'acte de destruction est peut-être l'œuvre d'une pensée criminelle, mais il échappe à toute répression parce qu'il ne cause aucun préjudice. En incriminant la destruction des actes qui opèrent obligation ou décharge, la loi a fait du préjudice matériel, de la lésion d'autrui, la condition nécessaire du délit, c'est un attentat à la propriété qu'elle a voulu punir; nous avons déjà vu la même règle s'appliquer aux matières de faux '; d'escroquerie', d'extorsion'.

Il résulte d'abord de cette règle que les termes de l'art. 439 ne doivent être étendus qu'aux seuls actes qui intéressent la fortune et les biens. Ainsi, lorsqu'un écrit ne se rapporte qu'aux intérêts moraux, à l'homme, à la considération du signataire ou d'un tiers, l'acte de sa destruction ne constituerait point le délit prévu par cet article, car cet acte ne contiendrait ni obligation, ni disposition, ni décharge. Ces expressions e s'appliquent qu'à une seule classe d'écrits; elles ne peuvent être étendues. Et puis d'ailleurs comment constater l'utilité d'un acte qui n'intéresserait que la considération de son déte nteur? comment vérifier le préjudice moral que la perte de cet acte pourrait lui causer? Les papiers les plus indifférents, les simples lettres, pourraient être considérés comme intéressa nt à un certain degré la réputation et la probité des personnes ; les conditions du délit seraient trop incertaines; il fallait une limite, et la loi a dû la tracer. Elle aurait dû sans doute prévoir le cas de toute destruction d'un papier quelconque appartenant à autrui et le punir d'une peine moindre, mais elle ne l'a pas fait. 2622. Il suit encore de la même règle que les actes, lors même qu'ils sont destinés à opérer obligation ou décharge, ne sont pas compris dans les termes de l'article, s'ils sont im

1 V. notre tome 2, n. 672.

2 V. notre tome 5, n. 2016. 3 V. notre tome 5, n. 1929.

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