Page images
PDF
EPUB

individu peut avoir été instigateur ou provocateur d'un pillage et n'avoir pas coopéré personnellement à ce pillage; qu'il suit de là que l'instigation ou la provocation, dans le cas déterminé par l'art. 442, n'est pas une circonstance aggravante du crime défini par l'art. 440, mais constitue un crime distinct1. >>

2599. Il reste à examiner un cas particulier de dégât qui est soumis à des règles spéciales et qui fait l'objet de l'art. 443; cet article est ainsi conçu : « Quiconque, à l'aide d'une liqueur corrosive ou par tout autre moyen, aura volontairement détérioré des marchandises, matières ou instruments quelconques servant à la fabrication, sera puni d'un emprisonnement d'un mois à deux ans, et d'une amende qui ne pourra excéder le quart des dommages-intérêts, ni être moindre de 16 francs. Si le délit a été commis par un ouvrier de la fabrique ou par un commis de la maison de commerce, l'emprisonnement sera de deux à cinq ans, sans préjudice de l'amende, ainsi qu'il vient d'être dit. »

La loi du 13 mai 1863 a introduit dans cet article les mots que nous avons soulignés. L'exposé des motifs s'est borné à dire sur ce point :

« Cet article ne prévoit pas la détérioration des instruments ou métiers, qui est tout aussi grave comme infraction et qui peut avoir des suites plus dommageables. Cette lacune scrait comblée par le texte nouveau. »

Le rapport de la commission ne fait que répéter ce motif :

La détérioration demeurait impunie si elle s'appliquait aux métiers ou instruments, qui sont cependant aussi nécessaires à la fabrication que les matières elles-mêmes. >>

Le but de cet article est, suivant les paroles de l'exposé des motifs, de protéger les intérêts du commerce et des manufactures, en punissant les détériorations volontairement causées aux marchandises. La loi distingue et prévoit trois circonstances: le moyen employé pour commettre le dommage; la

1 Cass., 6 mai 1847, Bull. n. 94; Devill.47.1.461; Pal.47.1.762; D.P.47.1. 190; 15 mai 1847, Bull. n. 104-105; Dev.47.1.637; P.47.2.438; D.P.47.4.455.

volonté de causer ce dommage; enfin le fait matériel du dégât fait aux marchandises.

La loi prévoit d'abord le cas où le dommage a été produit à l'aide d'une liqueur corrosive; mais cette dénomination est purement démonstrative, car elle ajoute aussitôt ou par tout autre moyen. Il suit de là que le moyen employé n'est point un élément du délit; peu importe que l'agent se soit servi de tout instrument analogue de destruction, il suffit que le dégât ait été effectué.

La première condition du délit est que ce dégât ait été commis volontairement, c'est-à-dire avec intention de nuire, car la volonté sans intention de nuire pourrait n'être que le résultat d'une erreur; tel serait, par exemple, le cas où l'agent aurait gâté les marchandises par des procédés qu'il n'aurait employés qu'avec l'intention de les améliorer; il faut qu'il ait agi nécessairement avec la connaissance des conséquences de son action. Dans tout autre cas, il n'est passible que d'une action civile, à raison du dommage qu'il a causé.

La deuxième condition du délit est qu'il y ait eu un dégât causé à des marchandises ou matières servant à la fabrication. Par dégât il faut entendre toute détérioration causée aux marchandises; il n'est pas nécessaire qu'elles aient été détruites, ni même qu'elles aient perdu toute leur valeur; il suffit qu'elles aient été assez altérées pour perdre une partie de cette valeur. Par marchandises et matières servant à la fabrication, il faut entendre les objets fabriqués destinés à être vendus, et les matières premières destinées à alimenter la fabrication. Un arrêt a même rangé dans cette classe les pierres de taille vendues à unentrepreneur de travaux de construction, et mutilées ensuite1. Le dégât ne constituerait donc pas le délit prévu par cet article, s'il était commis sur un objet qui ne serait destiné ni à la fabrication ni à la vente, et qui ne serait pas dans le commerce avec le caractère d'une marchandise.

2600. La question s'est élevée de savoir si sous le mot marchandises on peut comprendre les objets d'art, tels que les tableaux, les dessins, les statues, les bas-reliefs, lorsque ces ob

1 Cass., 27 sept. 1850, Bull. n. 333.

jets sont encore dans l'atelier de l'artiste et qu'il les destine à la vente. L'affirmative a été décidée par un jugement portant: « que l'expression marchandises, employée dans l'art. 443, comprend toutes les choses mobilières destinées ou livrées au commerce, et qui se trouvent dans les mains soit du producteur, soit de celui qui en fait négoce ; que c'est ce qui résulte du rapprochement et de la combinaison des art. 440, 441, 442, 443 et 479, no 1, du Code pénal; de là il suit que les tableaux, les dessins, les gravures, les statues et autres objets d'art ont le caractère de marchandises, non-seulement à l'égard de celui qui en fait le commerce, mais encore pour l'artiste qui les produit, parce que l'un ne les achète que pour les revendre, et que l'autre ne les produit le plus ordinairement que dans l'intention de les vendre; qu'à la vérité, considérée au point de vue de la pensée et du génie, l'œuvre de l'artiste se distingue essentiellement de ce que vulgairement on entend par marchandise; mais qu'il en est autrement quand on l'apprécie sous le rapport de l'intérêt et du but matériel de l'auteur, parce que, si l'amour des arts et de la gloire anime, encourage l'artiste dans la création et l'accomplissement de son œuvre, il est évident aussi que le plus souvent il imagine et produit pour satisfaire aux nécessités de la vie, et en considération, dès lors, des avantages pécuniaires qu'il doit naturellement et légitimement trouver dans la vente de son œuvre et dans le droit de la reproduire en la livrant à l'industrie; que, placé à ce point de vue, il est manifeste que l'artiste n'est plus qu'un producteur ordinaire, et sa composition, sa production, son œuvre enfin, qu'une véritable marchandise; d'où la conséquence que, l'artiste produisant comme fabricant, l'œuvre de l'artiste, comme marchandise, se trouve nécessairement sous l'empire des dispositions de l'art. 443; qu'autrement les objets d'art que confectionne l'artiste, ou que débite le marchand, seraient moins protégés que les marchandises à proprement parler, puisque les mutilations, les dégradations que la méchanceté leur ferait subir, ne seraient qu'une simple contravention punie de 15 fr. d'amende, tandis qu'elles constitueraient un délit grave et sévèrement réprimé, si elles atteignaient la marchandise, telle, par exemple, qu'une pièce d'indienne; que c'est là une contradiction

[ocr errors][ocr errors][ocr errors][merged small][ocr errors]

qu'on ne peut supposer à la loi 1. » Nous ne pouvons rien ajouter à ces motifs pleins de force et de justesse, dont nous adoptons la doctrine. L'œuvre de l'artiste est un objet de commerce en même temps qu'un objet d'art, et il serait étrange que son mérite artistique l'empêchât de profiter d'une protection qui s'étend aux plus viles marchandises. Toutefois, il faut prendre garde que l'objet d'art ne peut revêtir ce caractère de marchandise que lorsqu'il se trouve soit dans l'atelier de l'artiste qui le destine à la vente, soit dans le magasin du marchand qui l'expose pour être vendu. Lorsque cette vente est effectuée, lorsque son placement est définitif, cet objet abdique ce caractère momentanément commercial, il ne conserve que son caractère artistique, et l'art. 443 cesse alors de lui être applicable.

2601. La peine de ce délit est un emprisonnement d'un mois à deux ans, et une amende qui peut s'élever de 16 fr. au quart des dommages-intérêts. Mais cette peine s'aggrave, sans que le délit change de nature, s'il a été commis par un ouvrier de la fabrique ou par un commis de la maison de commerce; l'emprisonnement est alors de deux à cinq ans, sans préjudice de l'amende. Cet ouvrier ou ce commis se rendent coupables, en effet, d'un abus de confiance qui ajoute à la gravité du délit de destruction.

§ IV. Destructions et dévastations de récoltes, plants, arbres, greffes, grains ou fourrages.

2602. Nous réunissons dans ce paragraphe plusieurs faits de dévastation qui ont des caractères communs, soit parce qu'ils se rattachent au même intérêt, celui de l'agriculture, soit parce qu'ils concernent tous également des objets qui sont confiés à la foi publique.

Tels sont les dévastations de récoltes sur pied, ou de plants venus naturellement ou faits de main d'homme;

Le fait d'abattre des arbres, ou simplement de les mutiler, quand la perte de l'arbre peut en résulter;

Jug. du trib. corr. de la Seine du 22 fév. 1842; Dall., v° Dom. destr., n. 231.

La destruction des greffes;

L'action de celui qui coupe des grains ou fourrages qu'il sait appartenir à autrui;

Les ruptures ou destructions d'instruments d'agriculture. 2603. Les dévastations des récoltes font l'objet de l'art. 444. Cet article est ainsi conçu : « Quiconque aura dévasté des récoltes sur pied ou des plants venus naturellement ou faits de main d'homme, sera puni d'un emprisonnement de deux ans au moins, de cinq ans ans au plus. Les coupables pourront de plus être mis, par l'arrêt ou le jugement, sous la surveillance de la haute police pendant cinq ans au moins et dix ans au plus.

Cet article est la reproduction presque textuelle de l'art. 29 du titre 2 de la loi du 28 septembre-6 octobre 1791, sur la police rurale. Ce dernier article portait en effet : « Quiconque sera convaincu d'avoir dévasté des récoltes sur pied, ou abattu des plants venus naturellement ou faits de main d'homme, sera puni d'une amende double du dédommagement dû aux propriétaires, et d'une détention qui ne pourra excéder deux années. Les peines seules ont été modifiées.

On doit distinguer deux choses dans cette disposition : le fait de la dévastation et la nature de l'objet dévasté.

La dévastation, en général, est l'action de ruiner, de saccager, de désoler un pays. Il s'agit donc ici de la ruine, du saccagement, de la destruction des récoltes ou des plants, car on doit supposer que la loi a donné à ce mot son sens naturel et ordinaire; si elle avait voulu lui donner un autre sens, elle l'eût défini. Il faut donc distinguer la dévastation de l'enlèvement partiel de quelques plants, de quelques parties de récoltes on peut enlever pour dévaster, mais l'enlèvement doit être général et avoir pour but la dévastation. Il faut également distinguer la dévastation du vol de récoltes et du maraudage. Dans ce dernier cas, le but principal de l'agent, c'est le vol; s'il dévaste, c'est pour voler : dans le premier, au contraire, il ne s'empare pas des récoltes et des plants, il ne vole pas, il saccage, mais pour nuire; il ne cherche pas son propre avantage, mais seulement le préjudice d'autrui.

2604. La question s'est élevée de savoir s'il y a dévastation de récoltes dans le fait d'avoir méchamment répandu une

« PreviousContinue »