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dans ce cas, s'élever que peu de difficultés : constater une reproduction identique, c'est évidemment, sauf les questions de propriété et de bonne foi, constater le délit. Ainsi il n'y a point lieu de distinguer si le contrefacteur a accompagné l'écrit qu'il reproduit de notes ou de commentaires, car ces additions n'altèrent nullement l'identité du texte. Il est également indifférent que l'écrit original ait été contrefait isolément ou ait été réimprimé avec d'autres écrits non contrefaits, car cette circonstance ne change rien au caractère et aux effets de la reproduction. Ainsi la Cour de cassation a jugé que le contrefacteur qui renferme dans son édition un ouvrage appartenant à autrui, avec un autre plus considérable qu'il avait le droit de réimprimer, commet le délit de contrefaçon 2.

2469. La reproduction partielle donne lieu à plus de difficultés; car il est impossible de poser avec précision la limite où les citations et les emprunts peuvent prendre le caractère d'une reproduction, et où cette reproduction acquiert assez d'importance pour porter préjudice à l'auteur.

Les citations ne constituent point en général une reproduction punissable. Il est nécessaire, en effet, que l'écrivain d'un sujet quelconque cite les auteurs qui ont écrit sur la même matière, soit pour réfuter leurs opinions, soit pour appuyer les siennes. Il serait impossible de développer une discussion, ou de constater la marche et les progrès d'une science, si ce droit était contesté. Les citations, d'ailleurs, attestent la bonne foi de celui qui les fait le contrefacteur pille et ne cite pas. It faudrait toutefois excepter le cas où la citation, par son étendue, serait une véritable reproduction déguisée. Ainsi le critique qui, en annonçant qu'il veut examiner un livre, commencerait par le reproduire et le ferait suivre de ses observations, ne fcrait pas une simple citation, mais bien une reproduction préjudiciable 3. Ainsi l'auteur qui publierait mensuellement sur les questions les plus importantes du droit des fragments de divers ouvrages, en annonçant que sa publication devra tenir

1 Merlin, Quest. de dr., v° Contrefaçon, § 4.

2 Cass., 4 sept. 1812, Devill. et Car., 4.185; Pal.10.712; Dall., n. 488. 3 Arr. Paris, 13 juill. 1830, Devill. et Car., 30.2.211; Dall., n. 338.

lieu, un jour donné, des ouvrages copiés furtivement, commettrait un délit de contrefaçon.

2470. Les emprunts emportent avec eux une présomption moins favorable. La citation, en effet, est publiquement avouée et est exempte de tout déguisement; l'emprunt n'indique pas la source où il puise, et cherche même à se déguiser. S'il est de peu d'importance, relativement à l'ouvrage où il a été pris, on ne doit pas le considérer comme une reproduction partielle de cet ouvrage, puisqu'il n'entraîne aucun préjudice appréciable. Ainsi l'emprunt fait à un recueil de poésies d'une seule pièce ne serait point une reproduction partielle de ce recueil. Mais dès que les extraits prennent assez d'étendue pour produire quelque préjudice au débit de l'ouvrage, ils peuvent devenir la base d'une action en contrefaçon. Il en doit être ainsi surtout s'ils sont multipliés, s'ils ont servi de canevas à un ouvrage du même genre, et si le contrefacteur a cherché à les celer en les déguisant'. Cette sorte de distinction, qui n'est qu'une appréciation de fait, entre les emprunts qui ont le caractère d'une reproduction partielle, et ceux qui n'ont aucun caractère préjudiciable, se trouve consacrée dans un arrêt qui porte « que l'arrêt attaqué s'est déterminé, pour écarter l'action du demandeur, sur ce que, si l'on trouvait dans l'écrit incriminé la reproduction sous une forme nouvelle de quelques idées émises par le demandeur dans un ouvrage antérieur, ces emprunts n'étaient ni assez nombreux, ni assez importants pour constituer le délit de contrefaçon; que l'arrêt n'a pas jugé par là que la contrefaçon partielle n'était pas punissable, ce qui eût été contraire au texte même de l'art. 425; qu'il n'a pas jugé non plus qu'il fût licite de s'emparer des idées d'un auteur, pourvu qu'on les revêtit d'une forme nouvelle; mais que, partant d'un principe certain, à savoir, que les emprunts faits à l'ouvrage d'autrui peuvent être trop peu considérables pour porter atteinte à la propriété de l'auteur et pour constituer le délit de contrefaçon, il a apprécié en fait le caractère légal des emprunts faits dans l'espèce à l'ouvrage du demandeur; que cette appréciation rentrait dans les attributions de la Cour

1 Cass., 23 flor. an x11, Devill. et Car., 1.371.

d'appel et ne peut être revisée par la Cour de cassation'.

2471. Est-ce reproduire partiellement un livre que d'en publier l'abrégé? Il peut exister deux sortes d'abrégés l'un qui reproduit l'ouvrage original en conservant son plan, ses idées, même son style, et en éloignant seulement des détails inutiles; l'autre qui résume seulement la substance du livre. sans conserver ni le plan ni le style. Dans le premier cas, la contrefaçon est évidente: l'abréviateur s'empare des travaux de l'auteur pour lui susciter une concurrence redoutable, car son abrégé, plus court et à moindre prix, peut remplacer dans le commerce l'œuvre originale et en paralyser la vente2. Mais la question est plus difficile si l'abrégé n'a fait que prendre la substance du livre, s'il constitue lui-même un ouvrage consciencieux, un travail original, s'il a mêlé aux idées de l'auteur quelques idées qui les altèrent ou les modifient, s'il a revêtu un autre plan, une autre forme, un autre titre. Néanmoins nous serions porté à admettre en ce cas une action en contrefaçon, parce qu'il serait trop difficile d'apprécier si l'abrégé n'est qu'un extrait fidèle de l'ouvrage original, ou s'il n'a fait qu'y puiser sans le calquer servilement; s'il s'est emparé de toute sa substance et de toute sa vie, ou s'il n'a fait que résumer les matières qu'il traite, sans prétendre prendre sa place et supprimer ses développements; enfin s'il a pu causer un préjudice à la vente de l'ouvrage, ou bien s'il a servi, au contraire, à le faire connaître et à le répandre.

2472. Après avoir signalé les caractères de la reproduction, il faut indiquer les moyens par lesquels elle s'opère. L'art. 2 de la loi du 19 juillet 1793 et l'art. 425 du Code pénal semblent ne qualifier contrefaçons que les reproductions faites par l'impression et la gravure. Faut-il induire de ces termes que ces deux modes de reproduction puissent seuls constituer une contrefaçon, et que tout autre mode soit licite ?

Cette interprétation serait évidemment contraire à la loi;

1 Cass., 24 mai 1845, Bull. n. 108; Dev.45.1.767; Dall.45.1.272. 2. M. Renouard, Traité des droits d'auteur, t. 2, p. 30.

elle aurait, en effet, pour première conséquence que les ouvrages de sculpture seraient dépourvus de toute garantie légale, car ces ouvrages sont principalement contrefaits par le contre-moulage et la copie; et ces moyens de reproduction sont en dehors des termes de la loi : or, comment supposer que la loi ait voulu faire une pareille exception, quand elle étend sa protection non-seulement aux écrits, aux œuvres musicales, au dessin, à la peinture, mais à toute autre production, et quand ces derniers termes sont expliqués par l'art. 7 de la loi du 19 juillet 1793, qui ajoute: « Toute autre production de l'esprit ou du génie qui appartient aux beaux-arts. » Les ouvrages de sculpture sont donc compris dans la disposition de l'art. 425, bien qu'il ne mentionne que les ouvrages imprimés ou gravés; on en trouve d'ailleurs une preuve évidente dans l'art. 427, qui s'est nécessairement référé aux ouvrages de sculpture lorsqu'il a ordonné la confiscation des moules. Cette interprétation est confirmée par un arrêt qui déclare: «< que si l'art. 1o de la loi du 19 juillet 1793 ne dénomme pas les sculpteurs parmi les auteurs au profit desquels il garantit la propriété exclusive de leurs œuvres pendant leur vie, cet article doit être interprété et expliqué d'abord par les raisons d'analogie qui ne militent pas moins en faveur de la protection due aux produits de la sculpture que de celle des ouvrages de peinture et de dessin; puis par sa combinaison : 1° avec l'art. 3 qui, après avoir répété l'énumération des auteurs, compositeurs, peintres ou dessinateurs, comprise en l'art. 1o, exprime suffisamment, par l'addition des mots et autres, la pensée que l'art. 1 n'est qu'énonciatif, et que ses effets doivent être étendus à d'autres artistes que ceux qui y sont nominativement désignés; 2° avec l'art. 7, qui reconnaît le même droit de propriété exclusive pendant dix années aux héritiers de l'auteur d'un ouvrage de littérature, de gravure ou de toute autre production de l'esprit ou du génie appartenant aux beaux-arts, ce qui s'étend nécessairement aux productions de la sculpture, et ce qui présuppose à fortiori la préexistence du même droit au profit de l'auteur de son vivant; que cette interprétation se trouve en outre corroborée par la généralité des termes de l'art. 425 et par la disposition de l'art. 427,

qui ordonne la confiscation des moules servant à la contrefaçon'. 2473. La même lacune atteindrait les ouvrages de peinture. La copie à la main d'un tableau pour la répandre dans le commerce est assurément une contrefaçon; il en est de même de la reproduction soit d'une gravure, soit d'un tableau, par les procédés de la lithographie ou de la lithochromie. En effet, l'art. 1er de la loi du 19 juillet 1793 accorde aux auteurs un droit exclusif sur leurs ouvrages, et l'art. 425 punit toute reproduction, au préjudice de ce droit, d'une peinture ou d'un dessin. Cependant, si l'on se renfermait rigoureusement dans les termes de ce dernier article, il faudrait déclarer que dans ces deux hypothèses le délit n'existe pas; car la lithographie, la lithochromie et la copie à la main ne peuvent être considérées ni comme des impressions, ni comme des gravures.

Enfin l'impression lithographique, l'autographie et l'écriture peuvent suppléer l'impression; elles peuvent opérer la même reproduction, et dans certains cas porter le même préjudice. L'emploi de ces procédés placera-t-il cependant la contrefaçon à l'abri de toute répression, parce que la loi ne les a pas énumérés? S'ils ont été les instruments d'un dommage réel, protégeront-ils l'auteur de ce dommage?

Nous ne pouvons admettre que le délit dépende de la nature de l'instrument employé pour le commettre; cet instrument n'est point un élément du délit; la culpabilité du contrefacteur n'est pas plus grande parce qu'il a fait choix de tel ou tel procédé. Le principe de cette culpabilité est dans le fait même de la reproduction; les moyens employés pour y parvenir sont indifférents. Cette reproduction, qui est le seul objet de l'incrimination, le seul élément du délit, il importe peu qu'elle ait été faite de telle ou telle manière; il suffit qu'elle ait été faite, et qu'elle ait pu causer quelque préjudice à l'auteur. Il nous paraît donc certain que l'énumération des moyens de reproduction énoncés dans l'art. 425 est plutôt démonstrative que limitative 2.

1 Cass., 21 juill. 1855, Bull. n. 260; Devill. et Car., 55.1.859; Journ. du Pal., 56.2.375; Dall.55.1.335.

• V. dans ce sens M. Renouard, Traité des droits d'auteur, p. 79; Gastambide, Traité des contrefaçons, p. 204.

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