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EXPOSITION

DES PRODUITS DE L'INDUSTRIE FRANÇAISE

EN 1834.

Cette exposition impatiemment attendue, s'est ouverte le 1er mai sur la place de la Concorde où quatre grands pavillons, chacun de 220 pieds de longueur sur 150 de large, avaient été construits exprès pour cette fête solennelle de l'industrie française. On estimait que la superficie intérieure mise à la disposition des fabricans, y excédait de plus d'un tiers l'espace qu'occupait dans la cour et les galeries du Louvre l'exposition de 1827. Un intérêt plus grand que de coutume s'attachait cette fois à cette solennité industrielle, désormais quinquennale, que les circonstances politiques avaient retardée de deux ans. Français et étrangers étaient également avides de constater les progrès que notre industrie avait faits pendant cette période mémorable, parmi les vicissitudes qu'elle avait éprouvées. Entreprendre ici l'examen complet de tous les objets qui ont figuré dans les pavillons de la place de la Concorde, serait une tâche qui sortirait du plan de notre ouvrage; aussi nous contenterons-nous d'offrir à nos lecteurs un compte-rendu sommaire, d'après l'auteur (M. G. T.) d'une revue de l'exposition.

Les châles brillaient au premier rang parmi les étoffes qui ont fait les progrès les plus remarquables. Nulle part, en Europe, on ne fabrique aujourd'hui de châles aussi beaux que ceux de France, soit en cachemire, soit en bourre de soie. Les plus riches dessins de l'Inde ont été copiés avec une fidélité extraordinaire, et le travail même de l'Inde,

l'espoulinage, a trouvé dans M. Girard, de Sèvres, un imitateur redoutable. Nous ne craignons pas d'affirmer que les châles français l'emportent sur ceux de l'Inde en finesse, en souplesse et en légèreté.

Une espèce particulière de châles, dits indous ou thibets, confectionnés avec des matières moins fines que le cachemire, a occupé un rang assez distingué à l'exposition. Ces châles tendent à pénétrer dans la petite propriété; ils ont le brillant des châles cachemire, mais ils n'en ont ni la finesse ni la solidité. On en fait par centaines de mille, et il s'en exporte une quantité considérable. Lyon et Nimes en fabriquent beaucoup plus que Paris, et peut être avec plus de succès. M. Ajac est l'inventeur de ce genre, aujourd'hui si populaire.

Dans la fabrication des tapis, une foule de dessins nouveaux, des gen. res jusqu'ici étrangers ont été naturalisés, entre autres les moquettes bouclées, les moquettes allemandes, belges et anglaises. Certains fabricans sont demeurés fidèles au vieux style; d'autres ont essayé de faire revivre les formes de la renaissance; plusieurs enfin ont reproduit le genre oriental ou persan, le seul, à vrai dire, qui convienne aux tapis, car les tapis viennent de l'Orient et devraient toujours conserver le caractère distinctif du pays qui les a vus naître. Le jury et le ministre du commerce, en comblant de récompenses cette belle branche d'industrie, qui promet d'avancer encore, ont voulu sans doute lai

donner un encouragement dont elle se rendra digne.

On ne fait pas assez attention à l'importance de la fabrication des draps en France, et surtout au développe ment considérable qu'elle a atteint malgré les primes qui pouvaient engourdir son activité et les droits abusifs qui pesaient sur les matières premières qu'elle emploie. Le Midi s'est principalement distingué, et la ville d'Elbeuf a augmenté sa réputation dans cette grande industrie. Louviers et Sedan font moins d'affaires depuis qu'Elbeuf et le Midi se sont adonnés à la fabrication des draps fins. MM. Guibal, de Castres, car il y a deux maisons de ce nom, ont exposé des cuirs de laine de la plus grande beauté, et plusieurs maisons d'Elbeuf ont présenté des draps comparables, si ce n'est supérieurs à ceux de Louviers pour la finesse et la beauté, quoique à des prix moins élevés.

Nos fabriques de linge et de toiles laissent beaucoup à désirer. Le linge damassé que nous avons vu était réellement médiocre, et quand on demandait le prix de quelques belles toiles, éparses çà et là, assez discrètement, dans les pavillons de la place de la Concorde, le charme cessait tout à coup devant les sommes exorbitantes auxquelles on les évaluait.

Les dentelles et les blondes sont demeurées stationnaires. On fait encore des robes de près de 8,000 fr., des voiles de 1.500 fr,, et d'autres extravagances pareilles, qui mènent leurs auteurs à l'hôpital; tandis que les fabricans de tulle à deux sous l'aune font fortune et se multiplient de toutes parts. Quand donc notre industrie comprendra-t-elle que, dans dans un pays où la propriété se subdivise chaque jour davantage, c'est pour le peuple qu'il faut travailler et non pas pour les grands seigneurs! Nous ne saurions trop le redire aux fabricans, dont les produits ont figuré à l'exposition; ils se sont trop adonnés en général à la production des articles de luxe. Une seule nouveauté, les dentelles de laine, ont signalé quelque ten

dance vers le perfectionnement dans ce genre d'industrie: ce perfectionnement est dû à M. Violard.

Kien de nouveau dans la chapellerie, si ce n'est qu'un chapelier a imaginé de construire un chapeau imperméable en manière de musette, qui permet aux amateurs de jouer du flageolet en saluant la compagnie. D'autres ont enduit de caoutchouc les formes de leurs chapeaux; il y en a qui ont employé des vessies pour les rendre imperméables.

La filature, source de tous les tissus, a présenté des échantillons fort remarquables de ses produits, MM. Schlumberger et Hartmann, du Haut-Rhio, rivalisent aujour d'hui avec l'Angleterre sur le marché étranger, et on peut se faire une idée de ce que ces fabricans doivent gagner sur le nôtre, lorsque l'on considère à quels excès de protection notre gouvernement se livre depuis 1815. MM. Hindenlang et Biétry ont fait faire des pas immenses à la filature du cachemire. M. Saglio a tenté d'heureuses innovations dans la filature du lin. M. Griolet est devenu notre premier filateur de laines, C'est à lui qu'on doit le perfectionnement du tissage des mérinos, comme l'on doit à MM Bietry et Hindenlang celui des cachemires.

Peu d'exposans ont présenté des étoffes de coton fortes, tels que les coutils, les piqués et les croisés de divers genres, Un seul manufacturier de Troyes, en Champagne, M. Dupont, s'est distingué dans cette partie par la belle exécution de ses produits, auxquels le jury a décerné une médaille d'or, Quelques belles étoffes mêlées, dues à MM. Croco Auber, de Rouen, et Germain Thibaut, ont signalé chez ces manufacturiers la résolution de sortir de l'ornière. Les étoffes de laine rases pour meubles, ont été imitées de l'Angleterre avec un succès remarquable. Les rubans étaient en petit nombre et de médiocres qualités ; deux ou trois fabricans de SaintChamond et de Saint-Etienne ont seuls essayé de soutenir la vieille réputation de ces deux villes, dont

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les principaux manufacturiers n'ont pas jugé à propos de se présenter au concours. Les étoffes de crin se multiplient on a trouvé le moyen d'y semer de grands dessins, et même d'y mêler des fils de fibres végétales, d'un effet brillant, ainsi que l'a exécuté avec beaucoup de bonheur M. Bardal.

Il y a eu à l'exposition de 1834 un grand nombre de produits dont on a peu parlé, parce qu'on les aurait difficilement fait comprendre aux hommes étrangers à la science, mais qui n'en méritent pas moins l'estime universelle. Tels sont les objectifs de M. Cauchoix et ceux de M. Lerebours, avec lesquels on a fait des télescopes qui permettent d'espérer de nouvelles découvertes dans les cicux; tels sont aussi les chronomètres de M. Motel, qui n'ont pas varié de plus de quelques secondes, durant le laps de temps assez considérable pendant lequel ils ont été éprouvés à l'Observatoire. Ce sont là de grandes et belles choses, qui honorent notre pays: le jury les a dignement appréciées et récompensées, et le suffrage public a ratifié la faveur particulière que le roi a cru devoir ajouter à ladistinction du jury.

On n'a pas fait moins de progrès dans la fabrication des poteries. Non que le goût ait eu à s'applaudir du mauvais choix de certaines formes et du peu de variété des objets exposes; mais il y a eu de grands perfectionnemens dans la préparation des matières, et l'on peut dire que nous serions les rivaux des Anglais, si nous avions su, comme eux, obtenir à des prix vulgaires les articles destinés à de vulgaires usages. La verrerie a retrouvé de vieux secrets depuis long-temps perdus, et nous reverrons bientôt ces jolis vitraux du moyen-âge, embellis de tous les perfectionnemens que l'art a introduits dans cette branche importante, surtout depuis l'invention des grands carreaux. Déjà plusieurs boudoirs, plusieurs cabinets de travail sont décorés dans ce genre, assez commun en Allemagne, et dont on peut dire que la naturalisation est comme

l'équivalent d'une découverte parmi

nous.

On a critiqué le mauvais goût d'une partie des meubles, de l'orfévrerie et de la plupart des bronzes. Rendons grâce encore une fois aux hommes qui sont demeurés fidèles, comme M. Hittorff, aux règles de l'art et du goût. Ses belles laves émaillées ont obtenu un grand succès; elles en obtiendront un plus grand encore, lorsque le prix en sera moindre, et il ne peut tarder de le devenir, à mesure que les commandes se multiplieront, et que cette belle fabrication se perfectionnera.

L'imprimerie, la lithographie, la gravure et la reliure, ces quatre sœurs inséparables, ont brillé d'an éclat inégal. Que peut-on faire désormais en imprimerie de plus beau que ce qui existe? Quelques graveurs ont allongé certaines lettres, en ont raccourci plusieurs autres, et ils ont cru avoir fait avancer l'art de la typographie. Illusion respectable sans doute, mais que le jury n'a point partagée. La lithographie a présenté quelques uns de ses chefsd'œuvre; la lithographie vit de son passé: elle est devenue une véritable industrie. On expédie aujourd'hui des ballots de cartes géographiques, de portraits, de vues, de batailles lithographiés. On cherche moins à perfectionner les dessins qu'à multiplier les tirages. Un essai intéressant de dessin sur le zinc a été fait de manière à donner quelques espérances. Un artiste ingenieux, M. d'Aigoebelle, a trouvé le moyen de transporter presque instantanément sur la pierre, et avec une netteté surprenante, de vieux manuscrits, d'anciens imprimés et même des gravures, dont il tire ensuite un très-grand nombre d'exemplaires. Quelques relieurs, parmi lesquels on distingue M. Muller, ont fait faire des progrès à leur art, qui a grand besoin d'être encouragé, car les publications à 20 centimes ne sont pas faites pour multiplier le nombre des amateurs de belles reliures.

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Il y avait énormément d'instru

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On a fort peu parlé des instrumens de chirurgie, qui étaient pourtant en très-grand nombre et parfaitement exécutés, notamment ceux de M. Charrière, destinés à la lithotritie. Le public bien portant dédaigne ces objets si utiles au public malade, et le jury, qui n'est point malade, imite le public bien portant. Aussi a-t-on peu remarqué les magnifiques sels de quinine exposés par M. Levaillant; la salicine, exposée par un autre chimiste dont je regrette bien que le nom m'ait échappé ; et l'iode, destructeur des goitres et des scrophules, l'iode, aussi puissant que les rois, puisqu'il guérit les écrouelles! La chimie est une des sciences les plus avancées aujourd'hui en France.

Le 14 juillet le roi a distribué aux Tuileries les récompenses accordées à l'industrie. Les membres du jury central se sont avancés au devant de S. M., et M. Thénard, président du jury, lui a adressé un discours dans lequel on remarque le passage suivant:

mens de musique à l'exposition, et
de fort remarquables. On signale
un perfectionnement qui permet
d'espérer de beaux sons graves d'un
basson de forme nouvelle. Le public
a peu remarqué certains violons à
30 fr. la douzaine, parmi lesquels
brillaient des Stradivarius écono-
miques, dignes d'être joués par
Baillot ou par Paganini. Ces instru-
mens venaient de la petite ville de
Mirecourt, dans le département des
Vosges, où, de temps immémorial,
une population de moins de 3,000
âmes produit des masses inépuisables
de violons. Nous avons entendu
parler avec beaucoup d'élogs des
flûtes de M. Godefroy et de celles
de M. Tulou, artiste devenu facteur,
poète devenu marchand; les flûtes
en cristal paraissent devoir être aban.
données, à cause de leur poids, mal-
gré l'étendue et la portée de leur son.
Tout le monde a pris part au
concours ouvert entre les facteurs
de pianos et de harpes. Chacun
soutenait son facteur; mais l'épreuve
ordonnée par le jury a été plus sé-
vère. Au jour fixé pour le jugement,
tous les pianos ont été transférés de
la place de la Concorde dans une des
vastes salles du Louvre, alignés sur
trois rangs et découverts à la même
hauteur. La commission de mu-
sique du jury s'était fait assister de
MM. Auber, Chérubini et Baillot.
L'illustre auteur de la Muette et de
Lestocq a, dit-on, successivement
touché tous les pianos pendant plu-
sieurs séances qui n'ont pas duré
moins de huit à neuf heures chacune,
et la commission a prononcé, d'ac-
cord avec ses dignes auxiliaires, sur
le mérite de chaque instrument. La
palme des pianos a été accordée à
M. Pierre Erard, pour ses magni-
fiques pianos à queue dont l'harmo-
nie n'a pu être égalée. Pape est
venu ensuite, et ses pianos carrés
ont obtenu beaucoup de succès;
MM. Rollet et Blanchet ont princi-daille d'or :
palement brillé par leurs pianos
droits. Un facteur jusque-là peu
connu, M. Crigenstein, a mérité un
rang honorable auprès de ses con-
frères.

« C'est surtout dans les sept dernières années qui viennent de s'écouler que l'industrie française s'est avancée à grands pas. Nos usines se sont multipliées, agrandies; nos machines se sont perfectionnées; notre fabrication, en s'améliorant, s'est faite à plus bas prix; nos relations se sont étendues; des arts nouveaux même ont pris naissance. Aussi l'exposition de 1834 l'emporte-t-elle de beaucoup sur celles qui l'ont précédée, et laissera-t-elle de profondes traces, de longs et féconds souvenirs dans les esprits. »

Après une réponse du roi, qui a été accueillie avec enthousiasme par l'auditoire, M. Duchâtel, ministre du commerce, a procédé à l'appel des personnes désignées pour recevoir des récompenses. Voici les noms de cenx qui ont obtenu la mé

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Ire Division. - Tissus.
MM. Griolet, à Paris. Bertèche
Lambquin et fils, à Sedan. Chefdrue
et Chauvreulx, à Elbeuf. Victor et

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Auguste Graudin, à Elbeuf. Lemaire et Randoing, à Abbeville. Julien, Guibal et C, à Castres. Eggly Roux, Paris. Aubert, à Rouen. Henriot aîné et fils, à Reims. Tessier Ducros, Valleranèse. Chartron père et fils, à Saint-Vallier. Lioud, à Annonay, Mathevon et Bouvard, à Lyon. Thomas frères, à Avignon. Durand, Bouchet et Auvert, à Nimes. Girard (J.), à Sèvres. Hébert (Frédéric), à Paris. Biétry (Laurent), à Villepreux. Reverchon (Paul) et frères, å Lyon. Rouvière Cabanne, à Nîmes. Hartmann (Jacques), à¡ Munster, Fauquet-Lemaitre, à Bolbec, Vantroy en Cuvelier et Ce, à Lille. Baumgartner (Daniel) et Cé, à Mulhausen. Dupont, à Troyes. Hartmann et fils, à Munster. Gros-Jean Koechlin et C, à Mulhausen. Schlumberger - Koechlin et Ce, à Mulhausen. AdrienJapuis (Jean-Baptiste), à Claye. Rattier et Guibal, à Paris. SallandroazeLamornaix, à Paris.

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fa

MM. Bosquillon, fabricant de châles à París. Cauchoix, opticien à Paris. Cavé, mécanicien. Henri Chenavard, fabricant de tapis et meubles. Debladis, directeur des fonderies d'Imphy. Delatouche, bricant de papiers (Seine-et Marne). Derosnes, fabricant de produits chimiques. Dufaud (Achille), directeur des usines de Fourchambault. Erard (Pierre), facteur de pianos et de harpes. Fauquet-Lemaître, filateur de coton Bolbec. Flavigny (Robert), fabricant de draps à Elbeuf. Granger, inventeur de la charrue Granger. Guimet, inventeur du bleu d'outremer factice. Hartmann (Jacques), filateur de coton à Munster. Josué Heilmann, mécanicien. Henriot (Isidore), manufacturier à Reims. Japy jeune, manufacturier à Beaumont (Haut-Rhin). toiles peintes à Mulhausen (HautKoechlin (Gros-Jean), fabricant de Rhin). Leutner, fabricant de mousseline à Tarare. Mouchel, manufacturier à l'Aigle, Paturle, manufacturier à Paris. Pleyel (Camille), facteur de pianos. Perrelet, horloger. Reverchon, fabricant de châles à Lyon. Sallandrouze, fabricant de tapis. Scrive, manufacturier à Lille. Thomire père, fabricant de bronzes à Paris. Zuber, fabricant de papiers peints,

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