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pour la France. Il traçait, des relations établies entre la France et les Etats-Unis, un tableau dont il résultait que, dans l'année 1833, le total des exportations de la France dans l'Amérique du nord s'élevait à 106 millions; c'est-àdire que le commerce des Etats-Unis était le premier débouché de la France à l'extérieur, et le mal serait immense, s'il venait à se fermer. Les raisons politiques ne devaient pas moins déterminer la Chambre à accepter le traité. L'avenir de la liberté des mers, l'intérêt le plus direct, le plus posi tif de la France étaient attachés à son alliance étroite avec les Etats-Unis. On avait dit souvent que le véritable intérêt de la France était de s'allier avec les gouvernemens libéraux, c'est pour cela que l'orateur approuvait la conclusion d'un traité dont l'inexécution pourrait entraîner des dangers contre lesquels on ne lui donnait d'autres garanties que de simples présomptions, de pures hypothèses.

La question commerciale n'était pas non plus laissée de côté par les adversaires du projet. A l'exemple de plusieurs orateurs qui l'avaient déjà traitée dans le même sens, M. Salverte nia que les avantages temporaires et par cela même révocables, stipulés dans le traité actuel, en compensation de la non-exécution du traité de 1803 relatif à la cession de la Louisiane, fussent suffisans; il nia également que le sort des relations commerciales entre la France et les Etats-Unis fût lié au traité. Essentiellement calculateurs et prudens, les Américains ne prendraient conseil, en tout cas, que de leur intérêt. Au reste si le gouvernement de l'Union ne voyait pas sans ressentiment rejeter le traité qu'il regardait comme conclu, la faute en serait au ministère, qui avait mis le pays dans une position où cette crainte pouvait exister. L'orateur appelait aussi toute l'attention de la Chambre sur les paroles par lesquelles le ministre des affaires étrangères, s'affranchissant de la responsabilité des événemens et de leurs conséquences, les avait rejetées sur la Chambre : ces paroles étaient graves, selon M. Salverte. Ainsi, le traité repoussé, si des commotions

survenaient dans le royaume, si les travaux de fabrication, par une cause quelconque, étaient suspendus, les représentans de la France, qui dans leur conscience auraient refusé de ratifier un traité onéreux au pays, étaient signalés d'avance à l'animadversion publique !

Le résumé des débats, que le rapporteur de la commission présenta ensuite, et dans lequel il soutenait avec force ses conclusions, après avoir répondu aux adversaires du projet, semblait devoir terminer la discussion générale; mais il n'en fut pas ainsi, tant l'intérêt de la Chambre était fortement excité. Un vif échange d'interpellations s'établit entre M. Berryer et le ministre des affaires étrangères, à l'occasion d'un point de détail qui eut sans aucun doute une influence décisive sur la solution de la question. M. Berryer annonça que les Etats-Unis, par un traité passé en 1809 avec l'Espagne, qui leur cédait les Florides, avaient formellement renoncé à toute réclamation en conséquence des navires saisis dans divers ports espagnols pendant l'occupation française; cependant ces navires figuraient encore pour une somme de près de 8 millions dans l'indemnité des 25 millions. Le ministre répondit qu'il n'avait qu'une connaissance imparfaite du traité, tout en affirmant, néanmoins, que ce traité ne concernait en rien la France, et n'avait aucun rapport avec les navires américains saisis à Bilbao, au port du Passage et à Saint-Sébastien en 1809. M. Berryer affirma nettement le contraire, et M. Mauguin, s'emparant de ce fait autour duquel il en groupa quelques autres, dans une impro visation rapide, conclut que la question n'avait pas été assez mûrement étudiée. On ne s'était d'abord nullement occupé du traité avec l'Espagne, et l'on avait mal apprécié le traité fait entre les Etats-Unis et la France, quant à la cession de la Louisiane. L'orateur terminait, comme M. Salverte, en signalant toute la portée du langage tenu la veille par le ministre des affaires étrangères, à la fin de son discours.104 « Comment! on vient dire aux étrangers, s'écriait M. Mauguin, que si Ann. hist. pour 1834.

nous refusons le traité, nous aurons à craindre que des troubles n'éclatent dans nos villes et parmi nos ouvriers!

» Le ministre a-t-il oublié que maintenant nous négocions avec l'Angleterre, et qu'il lui fournit des armes contre nous? L'Angleterre lui dira aussi qu'elle a puissance d'émeute sur la France, et qu'elle l'exercera si nous reculons devant ses exigences. Il faudra désormais accorder ou payer tout ce qui nous sera demandé.

» Avec une pareille politique et de pareilles considérations, une diplomatie est déconsidérée, une nation est avilie. Et lorsqu'un gouvernement est obligé de dire qu'il tremble toujours devant l'émeute, il donne à ser qu'il tremble toujours devant l'étranger.

pen

» C'est ne pas connaître la France. La France (et son gouvernement doit être comme elle), la France ne tremble jamais ni devant les émeutes, ni devant les armées étrangères. »>

Le ministre des affaires étrangères remonta aussitôt à la tribune pour se plaindre des reproches dirigés contre ses formes d'argumentation. Si le gouvernement avait consenti le traité, c'est qu'il l'avait trouvé juste, sage et politique. Comment pouvait-il maintenant justifier son œuvre aussi violemment attaquée, autrement qu'en établissant les faits qui l'avaient décidé à conclure le traité, autrement qu'en faisant ressortir les considérations politiques et commerciales qui naissaient de la question, autrement qu'en déduisant les conséquences qu'entraînerait la résolution de la Chambre? Le ministre rentrait ensuite dans de nouvelles explications sur le fond même du sujet, et la Chambre, après avoir consenti à entendre encore quelques renseignemens, que donna M. Isambert sur le fait cité par M. Berryer, ferma la discussion générale.

A peine, le président eut-il lu l'art. 1er de la loi qui' autorisait le paiement de 25 millions, que l'appel nominal fut demandé. Le scrutin secret s'ouvrit au milieu d'une vive anxiété, et le dépouillement donna une majorité de 8 voix contre l'article (176 contre 168). Ce vote négatif entratuait le rejet de la loi. 6.5

C'était la seconde fois que la Chambre exerçait son droit d'intervention en matière de traité. La première fois (voyez 1833, page 240); le ministre des affaires étrangères avaît emporté, malgré une forte opposition, la ratification du traité relatif à la garantie de l'emprunt grec; cette fois il suc

combait, après une lutte non moins énergiquement soutenue de sa part; mais, la France ne devait pas échapper pour cela au paiement des 25 millions accordés aux Etats-Unis.

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Quoi qu'il en soit, la gravité du sujet en lui-même, et le ca ractère élevé des débats, qui s'étaient prolongés sans lasser l'at tention calme et sérieuse de la Chambre, justifient les dévelop pemens que nous avons donnés à l'analyse de cette discussion mémorable. Nous devions d'ailleurs tenir compte ici de tous les antécédens d'une affaire que nous verrons se reproduire dans la session prochaine, avec des circonstances extraodinaires. Enfin le résultat du vote ajoutait aux débats un intérêt de politique actuelle d'une certaine importance.

En effet, la force et la pérsévérance que le ministre des affaires étrangères avait déployées dans la défense du traité, avaient fait de son acceptation, pour lui personnellement sinon pour le cabinet en général, une question de majorité. Aussi sa démission suivit-elle immédiatement la résolution de la Chambre. Négociateur et signataire du traité rejeté, le général Sébastiani se démit également, et en même temps, de ses fonctions de ministre sans portefeuille.esthay La démission de M. le duc de Broglie,qui laissait vacant le scul ministère des affaires étrangères, ne semblait pas d'a bord devoir ébranler le reste du cabinet, le refus de con cours de la Chambre, qui l'avait déterminée, ne portant que sur un point tout spécial; mais les froissemens d'opinions et d'amour-propre, occasionnés par les combinaisons sayées pour trouver un successeur au ministre démissionnaire, amenèrent de nouvelles retraites le garde des sceaux (M. Barthe) et le ministre de l'intérieur (Mule comte d'Argout), sortirent du ministère. Ce ne fut qu'après trois jours de négociations compliquées, que le cabinet fut rés constitué par diverses ordonnances en date du 4 avril (voyez l'Appendice); et encore cette reconstitution avait-elle un caractère précaire et provisoire. Le maréchal Soult, MM. Humann et Guizot conservaient leurs fonctions.

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M. Thiers passait du ministère du commerce et des travaux publics au ministère de l'intérieur, en conservant les travaux publics, qui furent détachés du ministère du commerce. M. de Rigny échangeait le portefeuille de la marine et des colonies contre celui des affaires étrangères. MM. Duchâtel et Persil et le vice-amiral Roussin, ambassadeur à Constantinople, étaient appelés, le premier au ministère du commerce, le second au ministère de la justice, et le troisième au ministère de la marine et des colonies, que M. de Rigny gardait par intérim. Enfin MM. d'Argout et Barthe recevaient, celui-ci la présidence de la Cour des comptes, et celui-là le gouvernement de la banque, quoique ces deux postes fussent occupés par MM. le marquis de Barbé-Marbois et le duc de Gaète, dont la démission en cette circonstance assura un assez beau dédommagement aux deux ex-ministres. M. Barthe était, en outre, appelé à la pairie. Quant au général Sébastiani, il obtint l'ambassade de Naples.

Cette crise ministérielle n'avait guère excité de sensation dans le public, que par sa prolongation. On avait compris qu'il ne s'agissait que d'un changement de personnes et non d'un changement de système. L'esprit et la volonté du conseil restaient en effet les mêmes; ou plutôt l'on pouvait conclure des antécédens de l'un de ses nouveaux membres, qu'il se réorganisait avec la résolution de persévérer encore plus énergiquement dans la marche suivie jusqu'alors. D'un autre côté, le traité américain était lui-même si peu abandonné que l'un de ses plus chauds défenseurs, M. Duchâtel, entrait dans le cabinet. Un moment cependant on avait pu croire, sur la foi de certains noms (1), qu'une modification lé gère de politique s'opérerait dans le sens de cette opinion vague, dont les adhérens avaient bien une dénomination, celle de tiers-parti, mais dont les bases et les limites n'étaient point

(1) Les noms de MM. Dupin, Molé, Duperré, Sainte-Aulaire, avaient été plusieurs fois prononcés et mis en avant.

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