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tionnelle, et un antécédent qu'il voulait se ménager. Il s'autorisait aujourd'hui de la loi accordée contre les afficheurs pour demander une loi contre les crieurs ; il s'autoriserait plus tard des mesures accordées contre la presse des rues pour attaquer l'autre presse. Passant des conséquences lointaines du projet de loi à ses résultats immédiats, M. GarnierPagès y voyait la censure, mais la pire, la plus monstrueuse de toutes les censures, une censure telle qu'il lui préférait la censure pure et simple, et mieux encore, une prohibition absolue. Les censeurs purs et simples offriraient du moins quelques garanties en ce que la responsabilité de leurs actes pourrait remonter d'eux au pouvoir qui les aurait nommés, tandis que le projet de loi érigeait les crieurs en censeurs : la prohibition absolue constituerait du moins une sorte d'égalité, tandis que la police rendue la police rendue par la loi, maîtresse des crieurs, pourrait faire calomnier à son gré ses adversaires réduits au silence.

Ces considérations frappaient aussi M. Salverte, et de plus, il combattait le projet parce qu'il tendait à enlever au jury, pour en saisir les tribunaux correctionnels, les délits de presse attribués jusqu'alors par les lois à la première de ces juridictions; il le combattait encore parce qu'il était entaché, malgré les dénégations, d'un caractère préventif contrairement aux principes de la révolution de juillet, au texte et à l'esprit de la Charte : c'étaient là des questions capitales, aussi l'orateur y revenait-il, après avoir appelé l'intérêt sur les existences privées que la loi allait compromettre.

« C'est, disait-il, parce que la loi émane d'un système qui renferme deux choses essentiellement proscrites par la révolution de juillet et contraires au gouvernement constitutionnel, que je l'ai attaquée, c'est à ce titre que je la repousse.

» En elle-même, je puis la résumer bien simplement ; c'est l'éternelle querelle du puissant contre le faible; qu'on l'appelle celle de la bonne et de la mauvaise presse, des bonnes et des mauvaises passions, la bonne ou la mauvaise queue; quelque nom qu'on lui donne, c'est la raison du plus fort mise en action. J'ai raison, donc tu as tort; et parce que tu refuses de t'éclairer, je dois te réduire au silence. C'est toujours le puissant qui veut avoir raison en parlant seul.

» Je crois, messieurs, qu'un gouvernement doit avoir raison; mais

en ne faisant point taire ceux qui le désapprouvent, mais en écoutant ce qui peut l'éclairer, mais en maintenant les institutions qui sont sa base, mais en ne reniant jamais, en acceptant dans toutes les conséquences le principe qui l'a établi, le principe sans lequel il ne peut exister. »

La discussion générale se prolongea long-temps encore dans les mêmes termes. Attentatoire à la Charte, impliquant le rétablissement de la censure, mortelle à la presse populaire, superflue pour la répression du désordre, et dangereuse pour la dynastie, selon MM. le général Bertrand, Chapuys de Montlaville et Drault, la loi, selon MM. Viennet et Mahul, était une nécessité d'ordre moral et politique, un devoir accompli par le gouvernement dans les limites constitutionnelles, un remède dirigé contre l'épouvantable abus d'un mode de publicité, et non pas une atteinte à la liberté de la presse, à la liberté de publication, telle que la Charte la garantissait.

6 février. Arrivée à ce point, cette discussion ne semblait plus pouvoir amener que la répétition des mêmes argumens; cependant l'opposition voulait encore qu'elle continuât, et ce fut seulement après deux épreuves que la clôture fut prononcée. Malgré l'intérêt si vif, si actuel de la question, malgré la diversité absolue des opinions, l'énergie de l'attaque et de la défense, les débats avaient été jusqu'alors assez calmes; mais le vote des articles, surchargés d'amendemens, leur imprima une marche plus agitée et plus tumultueuse.

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Le premier amendement qui fut discuté, avait été présenté par M. Leyraud, et maintenait la vente et la distribution dans le droit existant, en prohibant d'une manière absolue le cri sur la voie publique de tout écrit imprimé, lithographié ou gravé, excepté toutefois les jugemens des tribunaux et les actes de l'autorité. Cet amendement remplaçait, selon son auteur, les dispositions inconstitutionnelles de l'article 1 du projet de loi, par une mesure suffisanté pour le maintien de la tranquillité, et basée en même temps sur le principe du droit commun, qui attribuait à Ann. hist. pour 1834.

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l'autorité le pouvoir de réprimer le trouble dans la rue : il aurait de plus l'avantage de faire disparaître le monopole, l'inégalité que le projet établissait au profit de la police en la rendant maîtresse du sort des crieurs.

Bien qu'il trouvât cet amendement de beaucoup préférable au projet de loi, M. Cabet le combattait cependant comme portant encore atteinte à la liberté de la presse populaire. Rentrant dans la question générale, l'orateur montrait que pour le peuple, c'est-à-dire pour les classes les plus pauvres et les plus laborieuses, il n'existait d'autre presse que la presse des rues; qu'attenter à cette presse, c'était attenter au seul moyen d'instruction que possédât le peuple, et il ne comprenait pas que le gouvernement voulût maintenir le peuple dans l'ignorance. Le gouvernement n'avait pas à objecter que les écrits offerts au peuple étaient dangereux, puisqu'il avait le pouvoir de les réfuter. Le projet de loi ferait cesser cette lutte favorable à la manifestation de la vérité, pour constituer un monopole au profit de la police. Les violences actuelles contre les crieurs, malgré les lois, malgré les jugemens des tribunaux, donnaient à juger de ce qui arriverait lorsqu'elle serait armée d'une loi; les excès actuels de ses presses indiquaient comment elles useraient du privilége exclusif qu'on réclamaît pour elles. M. Cabet prouvait alors par de longues citations empruntées à des écrits qu'il attribuait à la police, qu'à elle appartenait une grande partie des délits de calomnie, de diffamation et d'immoralité, qu'on reprochait à la presse des rues.

Le ministre de l'intérieur répondit que la police était absolument étrangère aux écrits que l'on venait de lui imputer, et qu'il n'avait pas tenu à elle d'en empêcher la publication. Il la justifia aussi du reproche de violence, en disant que le nombre des arrestations politiques opérées par ordre du préfet de police, nombre qu'on représentait comme exorbitant, ne s'était élevé qu'à 83 pendant tout le cours de la dernière année. Pour réfuter cet argument que

la presse des rues était le seul moyen d'éclairer le peuple, le ministre recourait, à son tour, à des citations par lesquelles il démontrait que ce prétendu mode d'instruction ne tendait qu'à corrompre, qu'à pervertir les classes populaires. Quant à l'amendement de M. Leyraud, le ministre objectait d'abord que l'on devait répuguer à une interdiction, là où il ne s'agissait que de régler l'usage et d'empêcher l'abus, et ensuite qu'il était presque impossible de ne pas établir dans cette prohibition une telle série d'exceptions, que les exceptions finiraient par tuer la règle.

De l'amendement qu'il trouvait insuffisant sous un rapport, et sous un autre exorbitant, M. Persil passa à l'apologie de la loi. Il soutint qu'elle ne créerait pas un droit exceptionnel contre les crieurs publics, mais qu'elle les comprendrait seulement dans la loi commune par laquelle était régi l'exercice de toutes les professions qui touchaient à la police municipale. Il n'admettait pas que l'autorité municipale se montrerait arbitraire et partiale dans le refus et la délivrance des autorisations; et d'ailleurs l'oserait-elle sous les yeux des journaux, sous les yeux de la Chambre ?

La question était double, selon M. Odilon-Barrot: il concevait très-bien qu'une autorité municipale se préoccupât de la nécessité de réprimer, de prévenir même l'abus qu'on pouvait faire de toute espèce de cri dans la cité; mais tel n'était pas le véritable intérêt de la loi on voulait surtout atteindre la vente et la distribution, et ici, c'était de la li berté de la presse elle-même qu'il s'agissait.

« Ainsi, disait l'orateur, ce principe social, constitutionnel, posé dans la Charte, sans exception, la liberté de publier toute sa pensée sans aucune autre réserve que celle de la répression légale, de la responsabilité devant la loi; ce principe, ce droit constitutionnel, par la loi que vous allez porter, ne s'exerce plus que pour les abonnemens à domicile, ou dans les boutiques des libraires; mais quant à la vente, quant à la distribution, elle est interdite.

En disant que l'autorité municipale offirirait toutes les garanties désirables à cet égard, on avait équivoqué.

« Au foyer même où la plus grande publication a lieu, continuait l'ora

teur, là où toutes les idées, toutes les opinions viennent se choquer, à Paris, est-ce à l'autorité municipale que vous confiez ce pouvoir discrétionnaire, que vous confiez la vente des écrits? Non! c'est à la préfecture de police seule. »

M. Odilon-Barrot ne reconnaissait pas d'ailleurs les garanties d'impartialité, qu'on disait offertes par l'autorité municipale; il n'était pas naturel que l'autorité restât neutre dans un débat où elle serait intéressée, et qu'elle ne se servît pas, pour se défendre, pour combattre ses adversaires et pour propager ses opinions, de l'arme qu'elle aurait entre les mains.

« Vous introduisez donc, ajoutait l'orateur, en résumant nettement la question par un exemple, une grande partialité dans l'exercice d'un droit qui est cependant commun à tous, dans l'exercice d'un droit qui est plus nécessaire au parti de l'opposition qu'à celui du pouvoir.

» Sous la restauration, un préfet de police devenu célèbre, avait dit aussi, peut-être avec plus de naïveté et de franchise : la rue, la place publiqué sont à moi, car ce sont la rue et la place publique, et je suis la police: en conséquence, un journal qui n'est pas dans mon opinion je vous défends de le vendre et de le distribuer. Le conflit s'était élevé entre deux journaux du soir, l'Etoile, qui représentait l'opinion du pouvoir, et une autre feuille qui représentait l'opposition.....

» Plusieurs voix. C'était le Pilote.

» M. Odilon-Barrot. Eh bien! il n'y a pas un des hommes, même de ceux qui siégent au banc des ministres, qui n'ait été révolté de cette indignité. Cette indignité était l'œuvre d'un homme; elle était passagère. Il s'agit de la consacrer en loi, non pas comme loi d'exception d'une durée temporaire, mais comme un principe, comme une loi permanente.

» Eh bien! dans cette partie il y a une atteinte grave aux principes de la liberté, au droit de la discussion. Il y a atteinte grave à cette égalité qui doit niveler toutes les opinions devant la loi ; et c'est pour cela que je la repousse. Si vous nous aviez demandé des mesures de police municipale contre les crieurs, j'aurais peut-être consenti à votre loi; mais vous demandez de monopoliser dans vos mains le droit de publication, je m'y oppose, parce que je déclare avec conscience qu'il y a là une atteinte grave et profonde aux principes de la liberté de la presse. »

tait

Combattu aussitôt par le garde-des-sceaux, qui n'admetpas la distinction établie, quant à la constitutionnalité, entre la prohibition du cri et la prohibition de la vente et de la distribution, et qui soutenait que la première sans' la seconde serait tout-à-fait illusoire, M. Odilon-Barrot remonta à la tribune pour maintenir la limite qu'il avait fixée au droit de l'autorité municipale. Il sommait le gouvernement de prendre franchement une des deux seules positions qu'on pût garder vis-à-vis de la presse; de l'accepter loyale

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