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qu'il fallait employer. Le ministre avait exprimé l'espoir que les mesures proposées suffiraient pour achever la pacification des seuls points du royaume où l'esprit d'anarchie agitât encore la population.

Malgré le caractère de rigueur exceptionnelle que lui donnaient ses dispositions, ce projet de loi était de nature à être accueilli avec faveur par la Chambre; aussi la commission chargée de l'examiner, loin de vouloir en restreindre l'application, fut elle d'avis de comprendre les brigadiers dans l'extension d'attributions demandée pour les maréchaux-des-logis seulement, et de rendre cette extension absolue, tandis que le gouvernement l'avait laissée facultative.

Comme il s'agissait d'un intérêt urgent, la discussion suivit presque immédiatement le rapport, présenté le 1er fé vrier par M. Duboys (d'Angers) : elle s'ouvrit deux jours après. Cependant les premiers orateurs entendus étaient défavorables au projet. M. Baude le jugeait inutile dans la situation satisfaisante où se trouvait, selon lui, la Vendée; insuffisant si, au contraire, le pays offrait cet état de désordre où l'avaient représenté le ministre de la guerre et le rapporteur de la commission. Dans ce dernier cas, la Chambre devait, même au détriment de sa popularité, voter des mesures exceptionnelles auxquelles applaudiraient la politique et l'humanité. M. de Lamartine s'efforça ensuite, non sans provoquer de nombreuses réclamations, de mettre en dehors des débats le parti légitimiste, que le rapporteur avait accusé d'être l'instigateur secret des attentats commis dans la Vendée. « Sans inculper, disait-il, ni un parti ni l'autre, attribuons avec plus de justice ces crimes et ces désordres aux suites inévitables d'une longue commotion politique, aux malheurs des temps, dont tous gémissent et dont personne n'est seul responsable. » L'orateur repoussait vivement l'attribution de pouvoirs demandée pour les sousofficiers de gendarmerie. S'il n'y avait, en Vendée, que des

brigands et des réfractaires, qui n'appartenaient à aucune opinion, à aucun parti, et qui les déshonoraient tous, M. de Lamartine n'aurait contesté aucune des mesures propres à les réprimer...

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« Mais, continuait-il, il y a dans la Vendée, messieurs, autre chose que des brigands et des réfractaires; il y a les restes fumans d'une lutte intestine; il y a une population irritable, inquiète, et saignante encore des suites de trois guerres civiles. Que chacun qualifie ces guerres civiles selon son opinion elles ne furent cependant ni sans cause, ni sans excuse, ni sans gloire! (Rumeur.) Elles déchirèrent le sein de la patrie, mais elles préparèrent des pages impérissables aux fastes de la bravoure et de l'héroïsme français. (Voix diverses: Il n'y a pas de gloire à assassiner.... Et tés chauffeurs!) La première de ces guerres civiles, celle de 93, fut une des plus sublimes émotions armées d'un peuple dont l'histoire ait gardé le souvenir! La postérité sera pour elle plus équitable que le temps présent; elle ne dira point que cette guerre fut une résistance à la liberté : la liberté de 93, que la Convention envoyait aux Vendéens à la pointe des baïonnettes, n'était que la plus intolérable et la plus sanguinaire des tyrannies! Tandis que le reste de la France combattait pour la liberté sur nos frontières, eux aussi ils combattaient pour ce qu'il y a de plus réel, de plus inalienable dans la liberté des hommes, pour leurs lois, pour leurs mœurs, pour leur religion violées; et ils méritèrent à ce titre d'être comp tés au nombre de ses plus intrépides défenseurs. (M. Laugier de Chartrouze : Très-bien! Explosion de murmures dans le reste de l'assemblée.) » Plus tard ils combattirent sans d doute contre des pouvoirs plus natio naux leur lutte fut fatale peut-être, mais ce fut du moins une lutte au grand jour, une lutte à armes loyales! Ce fut encore de la guerre civile, c'est-à-dire une chose que le succès juge, que la morale et la politique réprouvent quand elle n'est pas justifiée par l'excès même de la tyrannie, mais que la conscience des nations ne fletrit du moins jamais comine les crimes et les excès isolés auxquels ils s'agit aujourd'hui de mettre un terme.

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» Maintenant la guerre civile n'existe plus; les armes sont déposées, la colère des populations s'apaise, mais s'apaise lentement; une étincelle suffirait pour la rallumer. (Non, non ! ) Cette étincelle, messieurs, ce serait un acte d'oppression, une menace, une imprudence, une erreur peut-être de la part des agens du pouvoir; et dans un tel état de choses, en présence d'élémens aussi incendiaires, vous donneriez des pouvoirs si étendus à un simple sous-officier de gendarmerie! vous confieriez de si grandes et si précieuses destinées à l'arbitraire d'un soldat! vous remet. triez le sort de populations entières, la guerre ou la paix peut-être, à un homme à qui, dans les temps ordinaires, vous ne confieriez pas le's sort d'un seul prévenu? »

Au lieu de ces mesures de rigueur et d'exception, M. de Lamartine indiquait, comme moyen plus sûr de pacifier entièrement la Vendée, une amnistie sincèrement promulguée, loyalement exécutée. En définitive, il votait pour le projet de loi, moins l'art. 2.

Les réfutations ne manquèrent pas à ce discours, qu'a

vaient interrompu à plusieurs reprises les murmures de l'assemblée. Tous les députés des départemens de l'Ouest, MM. Robineau, Dubois (de la Loire-Inférieure), Chaillou, Luneau, qui tracèrent tour à tour un douloureux tableau des faits, furent unanimes pour appuyer le projet de loi. Les ménagemens, injustes et impolitiques, employés depuis trois ans dans le dessein d'opérer un rapprochement, une fusion, n'avaient eu d'autre effet que d'augmenter le désordre et l'anarchie, d'exaspérer les patriotes et de les faire douter du pouvoir et peut-être même de la volonté du gouvernement pour protéger le pays et lui rendre la sécurité. L'irritation en était venue au point que, lasses de leur longue résignation, les populations, les gardes nationales s'étaient levées pour se donner à elles-mêmes la protection qu'elles ne trouvaient pas dans l'administration. Combattant l'amnistie, et répondant à la justification du parti légitimiste présentée par M. de Lamartine, M. Dubois pensait que, s'il ne fallait pas condamner le parti en masse, il ne fallait pas non plus l'absoudre en masse. L'orateur ne niait pas que dans la cause dont on avait embrassé la défense devant la Chambre, il n'y eût de tous temps des hommes qui concevaient la lutte avec des armes honorables, franches, loyales:

«Mais, ajoutait-il, il y en a eu d'autres; et ceux-là ce sont la lie de tous les partis, ceux-là avaient leurs affiliés à Coblentz, avaient un comité spécial que tout le pays a connu, qui a sans cesse entretenu dans la Vendée les assassinats après le désespoir de la guerre civile.

» La guerre civile ! elle a sans doute un aspect de grandeur et de poésie (mouvement) dont on peut s'enflammer lorsque les événemens ne sont pas présens. On peut à de lointaines distances, on peut s'enthousiasmer pour un Larochejaquelein, comme pour les défenseurs de la république. Mais il faut un peu descendre de ces hauteurs poétiques, et regarder la chaumière incendiée, le garde champêtre attiré dans le chemin et massacré par des assassins. »

M. Dubois invoquait ensuite cette considération que, si le parti légitimiste était épuisé, s'il n'avait plus aucune espérance de guerre civile, s'il ne lui restait pas assez de ressources pour troubler la sécurité de la France, il lui en restait assez pour commettre le crime, pour faire le mal, à

l'heure et au moment où il le croirait utile. « Je dis à l'heure et au moment où on le croira utile, continuait M. Dubois, et, en effet, c'est que de terribles coïncidences s'établissent entre les événemens politiques extérieurs et les crises de crimes qui s'opèrent dans nos départemens. » C'était là un fait fécond en enseignemens et important à proclamer dans la Chambre comme au dehors, et surtout à l'étranger.

Le ministre de l'intérieur vint appuyer cette opinion qui avait obtenu de nombreuses marques d'assentiment. Il déclarait les mesures proposées indispensables, et prenait l'engagement, s'il les obtenait, non pas de faire disparaître complétement et sur-le-champ tous les désordres, ce qui serait un engagement d'une grande témérité, mais du moins de les réduire progressivement et d'arriver dans un délai assez court à leur entière extirpation.

Le ministre de la guerre avait demandé, par un seul et même article, une somme totale de 2,410,000 fr., qui devait être employée à la formation d'un supplément de gendarmerie à pied, et à la conservation d'un corps supplémentaire de gendarmerie à cheval, créé en 1831, maintenu en 1832 et 1833, pour lequel une allocation n'avait point été faite au budget de 1834, et que le gouvernement n'avait pas cru devoir licencier, en le désorganisant toutefois, afin de se conformer, autant que possible, aux décisions des Chambres. La commission, par un amendement auquel adhérait le ministère, avait fait deux articles de l'article unique du projet primitif, et consacré l'un à la gendarmerie à pied et l'autre à la gendarmerie à cheval. Le premier article passa sans difficulté, mais une longue discussion, d'autant plus confuse qu'elle fut plus animée, s'engagea sur le second article. Voyant au fond dans la disposition relative à la gendarmerie à cheval une véritable demande de crédit supplémentaire, M. Mercier insista pour que cette demande fût faite suivant le mode accoutumé, et qu'elle fût jointe aux projets de crédits supplémentaires nouvellement présentés.

Les orateurs que la Chambre entendit en faveur du renvoi proposé, MM. Odilon-Barrot, Salverte, Havin, s'attachèrent exclusivement à la question de forme et invoquèrent la né→ cessité de maintenir intacts les principes de comptabilité et les règles de finances, Les ministres de la guerre, de l'inté rieur et du commerce, et MM. Jacques Lefebvre et Augustin Giraud, qui s'opposèrent au renvoi, discuterent, au contraire, plus particulièrement la question du fond, tout en soutenant la régularité de la forme, et réclamèrent au nom de l'inté rêt public le vote immédiat de l'article. Ces considérations déterminèrent la Chambre; elle adopta l'article après avoir écarté la proposition de renvoi formulée en amendement par M. Roger....

La disposition grave et capitale dans la loi, celle qui trai, tait des attributions conférées par le projet primitif aux maréchaux-des-logis seulement, et par la commission aux maréchaux-des-logis et aux brigadiers, souleva aussi une sérieuse contestation. Fortement combattue par le général Stroltz et par M. Havin, comme devant inévitablemeut causer de nombreuses illégalités, et comme pouvant, par cela même, irriter le pays au lieu de le pacifier, l'adjonction des brigadiers, fut, d'un autre côté, non moins vivement défendue par MM. Augustin Giraud, Isambert, Duboys d'Angers et Luneau, qui soutinrent que ces sous-officiers présentaient des garanties suffisantes de capacité et de moralité, que les pouvoirs qu'on proposait de leur attribuer n'étaient pas d'ailleurs si exorbitans, que les textes précis des lois préviendraient l'arbitraire, que loin de se plaindre, les départemens désolés par l'anarchie accueilleraient d'autant plus favorablement les moyens de répression qu'ils seraient plus énergiques, et qu'enfin la nécessité de la mesure devait domi ner toute autre considération. La Chambre se montra incertaine, et deux épreuves sur l'adjonction des brigadiers que le ministre de l'intérieur, sur l'interpellation de M. Odilon-Barrot, avait déclaré accepter comme une amélioration,

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