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neron (8 avril), rapporteur de la commission à laquelle le projet avait été renvoyé, fut, qu'à l'époque avancée de la session, amender la loi, ce serait l'ajourner indéfiniment, puisque la Chambre des pairs n'aurait pas le temps de l'examiner de nouveau. Engagée dans ces termes (11 avril), la discussion n'eut, en quelque sorte, pour objet que la question de savoir s'il valait mieux donner une loi médiocre ou n'en pas donner du tout. MM. Hector d'Aulnay et Prunelle se prònoncèrent pour la dernière opinion.

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« Quelle que soit, disait M. Hector d'Aulnay, l'impatience prits, une année est peu de chose dans la vie des peuples; une mesure imprudente suffit pour en compromettre toutes les destinées. Ne craignez pas d'encourir le reproche d'avoir reculé devant ce qu'on vous présente comme une nécessité, comme un devoir : la nécessité ne commande jamais assez au législateur pour le contraindre à faire ce qui n'est pas juste; le devoir lui impose l'obligation de ne rien donner au hasard, de ne faire que ce qu'il croit bien. Le reproche d'avoir doté votre pays d'une mau vaise loi peserait long-temps sur vos consciences. Laissez à vos successeurs le soin de décider cette grande question; vous leur léguerez ainsi une grande preuve de sagesse, de prudence et de patriotisme. »

MM. Salverte, Delabordé et François Delessert, adoptant les conclusions de la commission, votèrent pour le projet de loi; toutefois en se soumettant à la nécessité, ils protestaient contre elle. « Il y a, disait M. Salverte, dans de pareils mótifs quelque chose d'affligeant, quelque chose même d'humiliant, non certes pour la Chambre, non certes pour votre commission, mais pour ceux qui ont pu vous placer dans une pareille situation. » Cette nécessité de maintenir intactes toutes les dispositions de la loi pour en conserver l'ensemble, était une fin de non-recevoir contre tous les amendemens; aussi la Chambre, malgré l'opposition de M. Lemercier, malgré les réclamations de M. Bellaigue, qui s'écria que c'était établir en faveur de la Chambre des pairs l'antécédent le plus fâcheux, adopta-t-elle le projet, à une très-forte majorité (212 voix contre 44).

Immédiatement après son premier vote sur ce projet de lói, la Chambre des députés, conformément à l'ordre qu'elle avait établi pour la reprise de ses travaux, avait commencé à dis

cuter une proposition de M. Parant, tendant à l'abolition des majorats fondés par la législation impériale, et des substitutions autorisées, contrairement aux dispositions primitives du Code civil, par la loi du 17 mars 1826. Cette proposition, assez intéressante en elle-même, le devint plus encore par le dissentiment qu'elle fit éclater entre les deux Chambres. Déjà précédée d'une proposition analogue faite par M. Jaubert en 1831, la proposition de M. Parant avait été communiquée à la Chambre des députés le 31 janvier 1833. Admis à la développer le 1 février suivant, M. Parant l'avait présentée comme politique, en ce qu'elle devait effacer une exception à la Charte; comme morale, en ce qu'elle rétablirait dans les familles l'égalité voulue par les mœurs ; et comme financière enfin, parce qu'elle accroîtrait les revenus du trésor en faisant rentrer dans la circulation une masse de biens (1) qui, laissés en dehors du mouvement, ne produisaient aucun droit de mutation. Prise en considération, sans rencontrer d'opposition, cette proposition avait été l'objet d'un rapport favorable, présenté le 13 mars par M. Dufau; mais la Chambre, saisie de projets de loi plus urgens, n'avait pu alors lui donner suite.

14, 15, 17 janvier. Depuis l'abolition de l'hérédité de la pairie, l'institution des majorats et des substitutions était devenue sans objet, et la convenance de leur suppression ne semblait pas devoir être contestée à la Chambre des députés. Il ne pouvait guère s'élever de difficultés que sur les mesures à prendre pour ménager les intérêts privés, pour respecter les droits acquis, et pour ôter à la loi toute action rétroactive. Les débats furent, en effet, très-courts; ils portèrent seulement sur les dispositions transitoires et conservatrices, et la

(4) Le capital des immeubles seulement était évalué par M. Parant å 130 millions. Le revenu total provenant des majorats, en biens-fonds, en rentes sur l'état, en actions de la banque et des canaux, s'élevait à 7,242,739.

Chambre, votant au scrutin secret, adopta l'ensemble de la proposition, à une immense majorité (208 voix contre 29).

Les choses se passèrent différemment à la Chambre des pairs. Cependant, la commission chargée d'examiner la proposition de M. Parant avait été presque unanime à admettre le principe de l'abolition des majorats. Le rapporteur, M. le dục de Bassano, avait démontré (11 mars) que dans l'appli cation, les substitutions et les majorats contre lesquels la raison publique et les mœurs avaient prononcé, avaient de plus en plus semblé des conditions onéreuses auxquelles on se soumettait, plutôt que des priviléges dont on usait.

Appuyés de ces résultats, ajoutait le rapporteur, nous croyons pouyoir affirmer que l'inégalité des partages est encore moins aujourd'hui dans les mœurs qu'elle n'a pu l'être sous l'empire et la restauration. Nous disons donc, avec une entière conviction, que dans l'état de notre société, le sentiment et l'intérêt public ne réclament ni ces majorats presque tombés en désuétude, ni ces substitutions que la saine raison condamne. »

Les amendemens proposés par la commission n'avaient donc d'autre objet que de régler les effets de l'abolition des majorats et des substitutions, de manière à ajouter aux précautions prises par la Chambre des députés pour assurer à la loi un parfait caractère d'équité.

-19 et 20 mars. Dès l'ouverture des débats, MM. de Montlosier et Desroys repoussèrent toute la proposition. Il fallait, suivant le premier orateur, que l'on conservât au moins à la monarchie une des dernières bases qui lui restassent: le second voyait, dans le projet, spoliation des titres héréditai res, violation des lois et principe rétroactif. MM. Dejean, Portalis et Bastard admettaient bien l'interdiction d'instituer à l'avenir des majorats, mais ils exigeaient la conservation entière des majorats existans. MM. Bastard et Portalis voulaient même réserver le droit de substituer dans l'ave nir. Après avoir réfuté ces diverses opinions opposées, les unes absolument, les autres partiellement, aux conclusions de la commission, M. le duc de Bassano résuma ainsi le ca

ractère et la portée de la loi : défense de constituer à l'avenir des majorats et des substitutions, abolition des majorats et des substitutions au profit des possesseurs actuels, sauf le droit des tiers et du premier appelé.

L'art. 1", portant interdiction d'instituer des majorats à l'avenir, fut adopté sans contestation: M. le comte Roederer l'avait appuyé de quelques considérations par lesquelles il s'était attaché à établir que, si les majorats avaient pu être convenables et utiles sous l'ancienne monarchie, comme accessoires des grands élémens qui la constituaient, ils étaient sans utilité, sans pouvoir, depuis que ces grands élémens n'existaient plus. L'art. 2 était ainsi conçu : «<Les majorats, ou portions de majorats, fondés avec des biens particuliers, avant la promulgation, de la présente loi, et quiz avant cette promulgation n'auront pas encore été transmis, sont et demeurent abolis et sans effet. » Les articles suivans réglaient les formes et les conditions dé cette abolition. M. le comte Roy proposa d'amender cet art. 2 de la manière suivante : « Les majorats ou portions de majorats, fondés avec des biens de l'état ou avec des biens de particuliers, continueront à être possédés et transmis, conformément aux actes d'investiture et aux conditions suivant lesquelles ils ont été établis, » Cet amendement, qui annulait une des principales dispositions de la proposition, amena une longue et grave discussion. M. le comte Roy s'efforça de démontrer que l'article du projet de loi était entaché de rétroactivité, et dès lors inadmissible; MM. le comte de Tascher, le président Boyer et le comte Portalis appuyèrent aussi fortement l'amendement. M. le comte de Tascher, exprimant un regret pour l'institution, se rattachait du moins à l'amendement comme au parti le plus sage, le plus digne et le plus juste que pût prendre la Chambre. M. Boyer pensait que s'il avait pu jadis être utile de favoriser le morcellement des propriétés, il était convenable dans l'état des choses de s'arrêter..

Je crois, ajoutait l'orateur, que s'il y a quelque chose à faire, ce serait d'amener l'esprit public à la conservation et la stabilité qui sont partout les élémens de l'esprit de famille, et que les élémens de l'esprit de famille sont aussi les élémens de l'esprit social. »

C'était par des considérations analogues à celles qu'avait développées l'auteur de l'amendement, que M. le comte Portalis s'appliquait à le défendre.

« Nous savons très-bien, disait-il, que, judiciairement et rigoureusement parlant, selon les termes des tribunaux et de la jurisprudence, la rétroactivité n'existe que lorsqu'il ya des droits actuellement acquis; mais cette regle, qui domine les tribunaux dans l'application qu'ils ont à faire des lois, n'est pas la règle unique que doivent consulter les législateurs. Ils doivent avoir égard à de hautes convenances, à ce qui prend sa source dans cette haute morale qui domine la législation. Sous ce rapport, la rétroactivité ne consiste pas seulement, comme dans le droit civil, dans la distinction de droits acquis, de droits ouverts, de droits apparens; elle consiste à respecter tous les contrats qui ont eu lieu sous la sanction de la loi qui, quoi qu'on en dise, donne des droits éventuels, apparens, ouverts, tant à ceux qui existent, qu'à ceux qui n'existent pas. »

L'amendement d'un autre côté, rencontrait une vive op↳ position. Pour maintenir les majorats dans le présent, après les avoir prohibés dans l'avenir, il fallait, selon M. le comtè Jacqueminot, que la Chambre considérât l'existence d'un majorat dans une famille comme un droit et un avantage, et l'orateur jugeait au contraire que c'était une charge. M. Tripier n'admettait pas, qu'au moment même où l'on venait de décréter qu'il ne serait plus créé des majorats, on pût conserver le maintien perpétuel des majorats existans. « Est-ċè que ce ne serait pas, disait-il, simultanément, et pour ainsi dire dans la même délibération, voter l'utilité d'un côté et l'inutilité de l'autre.... Je crois, messieurs, que dans ce double vote il y aurait une véritable contradiction. » Ce serait d'ailleurs mettre des familles et des biens dans des ca tégories tout exceptionnelles, toutes spéciales. M. Tripier justifiait ensuite l'art. 2 du reproche de rétroactivité, de la

manière suivante :

« On veut que le maintien des majorats soit proclamé par vous-mêmes en faveur d'individus qui ne sont pas nés, en faveur d'individus qui, par la série de la famille, pourront naître dans cent et deux cents ans, et on nous dit qu'il faut le faire sous peine de rétroactivité.

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» Nous ne connaissons de droits que ceux qui existent en vertu d'une disposition de la loi, et qui appartiennent à des individus actuellement

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