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« Nous sommes, ce dit-on, assermentés, les uns disent à la dynastie, d'autres à la monarchie: mais quand les barricades de juillet ne proclameraient pas à quel titre règne cette dynastie, la loi aurait pris soin de nous l'apprendre. Quand vous avez réformé, messieurs, le style de vos lois pénales, en 1830, la loi gothique disait : Quiconque attaquera les droits que le roi tient de sa naissance, et vous avez mis à la place les droits que le roitient de la volonté du peuple. »

Le principe de la souveraineté du peuple ayant été proclamé, il fallait en subir les conséquences, disait M. d'Argenson, et il ajoutait :

« Souffrez donc que chacun, même un député, puisse dire au peuple : Vous êtes souverain; vous pourrez, quand il vous plaira, perfectionner vos institutions. Les sermens que plusieurs d'entre vous ont prêtés, c'est à vous, à vous seul qu'ils s'adressent, c'est envers vous seul qu'ils engagent. Examinez les perfectionnemens qui peuvent vous être proposés ; que ceux qui les préfèrent au régime actuel le déclarent ouvertement; et quand la majorité du peuple s'y sera ralliée, il y aura obligation morale pour tous de s'y soumettre, sans préjudice du droit perpétuel, imprescriptible, et qui appartient à chacun, de proposer mieux. »

Quant à M. Audry de Puyraveau, il ne reconnaissait à personne le droit de lui demander compte de ses actes, en dehors de la Chambre : il n'était député qu'à la Chambre et pendant la séance; hors de là il entrait dans la classe des simples citoyens, et il avait pu à ce titre prendre place dans la Société des droits de l'homme, puisqu'il en avouait et en approuvait les doctrines. Conséquence rigoureuse du principe reconnu de la souveraineté du peuple, le droit de s'associer était incontestablement acquis aux citoyens, et la marche du pouvoir ne justifiait que trop l'exercice qu'ils en avaient fait. L'orateur s'efforçait ensuite de laver les associations des accusations dirigées contre elles.

« Malgré les injures des feuilles stipendiées, disait-il, et malgré certains réquisitoires, l'on ne fera jamais croire à la France que la grande cité, ce pays des lumières, renferme une société d'hommes de désordres, de bouleversement et de pillage, même de la loi agraire, ce Croque-mitaine des imbéciles. ( Rires et murmures. ) Juillet 1830 a prouvé le contraire de cette assertion machiavélique, jetée sans être crue de ses auteurs à la tête des niais. (Nouveau mouvement. ) »

Le but des associations n'était pas d'attenter à la propriété: << elles savaient que le droit de propriété était le seul fondement de l'état; que, sans lui toute agglomération d'hommes

serait impossible, et qu'il n'y avait de liberté qu'alors que chaque homme pouvait en user à sa volonté » elles voulaient seulement un changement dans les lois politiques; elles voulaient que ce qui se faisait par un seul, dans l'intérêt de quelques uns, fût fait par l'élection dans l'intérêt de tous. M. Audry de Puyraveau terminait par des considérations personnelles sur les persécutions qu'il avait essuyées sous la restauration et depuis la révolution de juillet, parce qu'il était l'ami du peuple, qu'il voulait son bonheur, et qu'il le croyait possible.

Dès que l'orateur eut cessé de parler, M. de Ludre annonça qu'il était aussi un des signataires de la Déclaration des droits, et qu'il adhérait à toutes les explications de M. d'Argenson.

Prenant alors la parole, le garde des sceaux (M. Barthe) déclara, au milieu d'interruptions et d'applaudissemens, qu'un grand scandale venait d'être donné à la tribune, d'où l'on avait fait l'éloge d'une Société qui cherchait à renverser les institutions, qui menaçait la propriété par une déclararation que la Convention elle-même avait trouvée suspecte, qui proposait enfin pour modèles des hommes dont le nom n'était rappelé qu'avec horreur. Il protestait contre cette interprétation du serment et de la souveraineté du peuple, d'après laquelle la constitution, la forme du gouvernement seraient à chaque instant remises en question.

« Vous n'êtes ici, ajoutait-il, qu'en vertu du serment que vous avez prêté au roi et à la Charte. ( Aux centres. Très - bien ! ) Voulez-vous le retirer? dites-le franchement, mais ne faussez pas la morale publique par des subtilités. (Aux centres. Très-bien! bravo! ) C'est à cela que je réduis ma réponse. Faites une déclaration positive, qui ne donne pas lieu à interprétation. La Chambre l'entendra, et on verra si le député existe encore. (Nouvelles marques d'approbation au centre. ) »

En réponse à cette interpellation, M. Voyer-d'Argenson répéta qu'il avait prêté serment au peuple, et signifia qu'il s'en tiendrait à ses premières explications, jusqu'à ce que la Chambre eût statué sur ce qu'il convenait de faire.

Ce débat incident, auquel la Chambre assista avec un calme

inattendu, fut exploité comme une bonne fortune par l'orateur qui prit aussitôt après possession de la tribune: M. Berryer en fit le texte des développemens les plus ingénieux. Dans le discours de la couronne, dans le projet d'adresse, dans la discussion, on apercevait, suivant lui, à travers l'ambiguité et le vague du langage, une haute question à laquelle tout le monde pensait, et sur laquelle personne ne s'expliquait nettement. Cette question venait enfin d'éclater; c'était ce fait, cause principale de tous les phénomènes de la situation, qu'un conflit était établi entre le système gouvernemental et le principe de la constitution. Dès que le principe de la souveraineté du peuple avait été proclamé en 1830, les hommes appelés au pouvoir, comprenant tout ce qu'il renfermait de dangers, s'étaient efforcés de l'éluder en présentant le résultat des événemens seulement comme un changement de dynastie, tandis qu'il y avait eu changement radical de principe, révolution entière et fondamentale. C'étaient les efforts persévérans des hommes du pouvoir contre ce principe et ses conséquences forcées, telles que la libre discussion, la libre manifestation de toutes les opinions; c'étaient ces efforts qui avaient amené les événemens survėnus depuis trois ans, qui causaient toutes les difficultés de la situation présente, qui provoquaient des dissidences, dės résistances. La France était divisée en deux principes fondamentaux, dont l'un lui venait de son ancien gouvernement, d'un gouvernement de quatorze siècles, et l'autre de sa grande révolution. Monarchique par ses mœurs, la France était républicaine par ses institutions, et le pouvoir se voyait impuissant à défendre la fiction actuelle de monarchie contre les réalités républicaines. En présence du principe proclamé de la souveraineté du peuple, l'orateur, sans craindre de fournir un argument à l'accusation d'alliance carlo-républicaine (expression qu'il repoussait pour lui substituer celle de lutte collective), voulait que l'adresse ne condamnât les voeux d'aucun parti, et qu'elle interrogeât la société.

« Si vous voulez, disait-il, que toute attaque violente des partis soit impardonnable; si vous voulez que la guerre civile, l'émeute, soient détestées autant quelles sont funestes, reconnaissez, développez les droits; et vous surtout, messieurs, par respect, par fidélité, par obéissance à la loi fondamentale que vous avez faite, maintenez fermement, pour toutes les opinions, le droit de libre et entière discussion.

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>> Entrez dans cette voie, reconnaissez les droits pour tous, car les droits appartiennent à tous sans exception; et si l'on veut fouler aux pieds aujourd'hui la loi politique que la révolution a invoquée, dont je réclame les conséquences, je ne reconnais de droits désormais pour personne quel qu'il soit sur la terre de France.

>> Dans un pays où la souveraineté du peuple a été proclamée par les uns et imposée aux autres, au milieu d'une nation où vivent deux opinions enracinées par ses souvenirs, par ses mœurs, par ses intérêts antiques ou récens, par ses lois anciennes ou nouvelles; venir dans un tel pays, comme MM. les ministres, se placer entre ces deux opinions, et du haut de la force matérielle, du haut de ces bataillons et des budgets dont par aventure on dispose, s'écrier ni l'une ni l'autre, cela peut s'appeler justemilieu, mais cela n'est ni gouvernement, ni justice, ni loyauté. »

Ce discours, qui avait produit une assez vive sensation, ne pouvait pas rester sans réponse; le ministre de l'instruction publique se chargea de la donner. Après avoir invoqué l'expérience pour démontrer que les personnes et les principes politiques n'étaient pas indivisiblement liés, qu'ainsi la dynastie régnante avait pu périr en 1830 sans entraîner le principe de l'hérédité monarchique dans sa ruine, l'orateur déclarait que la France, amenée à une des crises les plus terribles dans la destinée des peuples, avait, par un grand acte de volonté et de puissance nationales, changé une dynastie reconnue incapable de la gouverner, apporté d'importantes modifications à ses institutions, et profondément modifié mais non pas aboli la Charte. Le gouvernement nouveau s'était trouvé dans la position même à laquelle la révolution de 89 était arrivée, peu après son accomplissement : il avait été obligé de lutter d'une part contre l'absolutisme et le privilége, de l'autre contre les idées et les passions anarchiques et anti-sociales; il avait été obligé de fonder le système du justemilieu. Le ministère se glorifiait de ce système : on le disait impraticable, impossible, impuissant ; et cependant appliqué depuis trois ans, il avait eu les plus heureux résultats; par lui avaient été surmontées les plus grandes difficultés de la

situation, par lui seraient vaincues celles dont il fallait encore triompher.

« Nous les surmonterons, messieurs, continuait le ministre, en dépit de tous les partis extrêmes, en dépit de toutes les alliances, de toutes les associations particulières, quelles qu'elles soient; et le jour, passez-moi l'expression, le jour où l'étrange scandale qui vient de vous être donné à cette tribune, l'étrange scandale de voir discuter, de voir mettre en question l'existence même de votre gouvernement, la validité du serment, du serment prêté sans arrière-pensée, sans restriction, le jour où ce scandale compromettrait le gouvernement que nous avons fondé, l'ordre que nous avons rétabli et les espérances de notre avenir, ce jour-là je ne sais ce que fera la Chambre, mais je suis bien sûr qu'elle réprimera un tel scandale, qu'elle fera ce qu'il faut pour le faire cesser. »

Cette réplique, que les centres avaient plusieurs fois interrompue par d'éclatantes marques d'assentiment, ferma la discussion générale. Quoiqu'elle eût roulé, comme on vient de voir, presque exclusivement sur les matières de politique intérieure, quelques amendemens remirent cependant en discussion des questions déjà agitées.

Le paragraphe 4 portait que l'activité de l'administration, la fermeté de la magistrature, le courage de la garde nationale et de l'armée, et le concours des Chambres, étaient d'imposantes garanties pour la répression des tentatives anarchiques. MM. Salverte et Portalis proposaient d'ajouter à ces garanties énumérées : la sagesse et l'indépendance du jury. Les débats dont cette institution avait été l'objet attachaient à cet amendement quelque importance politique, parce que les députés, en l'adoptant, approuveraient implicitement les actes du jury, et donneraient ainsi à entendre que son organisation et ses formes de procéder devaient être maintenues. C'est ce que firent ressortir M. Dumont et le gardedes-sceaux pour repousser l'amendement, que M. OdilonBarrot avait appuyé, comme tendant seulement à réparer une grave omission. M. Gillon proposa alors de confondre dans une même expression la magistrature et le jury, en disant : la fermeté et l'indépendance de la magistrature et du jury. Mais M. Charles Dupin combattit vivement ce sous-amendement qui n'était, suivant lui, que l'exacte reproduction de

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