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ver qu'il n'avait point été dans ses écrits, ainsi qu'on l'en accusait, l'apologiste des excès de la démocratie, et qu'il n'y avait point incompatibilité nécessaire entre lui et les autres ministres, dont la vie politique antérieure pouvait présenter des doctrines et des actes différens. Suivant pas à pas, pour la réfuter, l'argumentation de M. Barrot, il faisait ressortir tout ce qu'il y avait de contradictoire à reprocher d'abord au ministère de n'avoir pas de système, et à rattacher ensuite des effets désastreux à ce même système dont on venait de nier l'existence. Il s'élevait contre les conséquences qu'on tirait en même temps de ce défaut de système et de la direction de ce système.

« On dit que, grâces à la direction absurde de ce système, la responsabilité remonte plus haut. Cette expression, j'en demande pardon à l'orateur, n'est pas constitutionnelle. »

M. Odilon Barrot. « C'est le système qui ne l'est pas. »>

M. le ministre des travaux publics. « Jamais il ne faut dire que la responsabilité remonte plus haut. Cela ne peut pas se dire. (Voix nombreuses: C'est vrai ! très-bien!) S'il y avait des ministres assez lâches pour faire remonter plus haut leur responsabilité, je ne crains pas de le dire, ils seraient coupables de bassesse d'âme ; il faudrait les frapper pour cela, et ne pas venir dire à la tribune qu'ils font remonter plus haut leur responsabilité. Cela ne se peut pas c'est toujours aux ministres et uniquement aux ministres que doit remonter la responsabilité. (Bravos.)

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» Oui, messieurs, si quelqu'un est coupable, c'est nous qui le sommes; nous réclamons pour nous la responsabilité. Il peut nous arriver cependant de partager avec le gouvernement l'honneur d'une chose', si, par exemple, c'est un bienfait; quant au blâme, c'est toujours à nous, exclusivement à nous qu'il appartient; nous sommes toujours prêts à en répondre devant la France et les Chambres. (Adhésion prononcée.)5 za

>> Vous ajoutez: Mais vous n'avez pas la majorité. Ah! messieurs, qu'il nous soit permis de le dire; loin de moi l'intention d'employer une expression blessante, jamais je n'ai assisté à une discussion plus singulière, et si le respect pour la Chambre ne m'arrêtait pas, je dirais qu'elle est ridicule cette discussion, à la face d'une Chambre où la preuve contraire peut être administrée à chaque instant.

» Nous n'avons pas la majorité! mais il suffirait pour répondre de rappeler un fait célèbre. On voulait nier devant un philosophe le mouvement; le philosophe marcha. Nous discuterions pendant vingt jours sur le mouvement, que notre discussion n'en serait pas moins viseuse et ridicule. Au premier jour des votes, vous jugerez. (Très-bien ! très-bien!) »

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En attendant, M. Thiers pensait que le ministère était en droit de dire que le ministère marchait avec la majorité, une majorité honorable et dévouée, non au ministère, mais au pays. Il ne s'arrêtait pas à discuter les faits allégués

comme preuves de dissidence, et s'en référait, pour le jugement qui en devait être porté, aux explications données par le ministre de l'instruction publique.

« Maintenant, continuait-il, vous nous demandez quel est notre systè me; je vais vous le dire; il peut se résumer en un mot, c'est la modération: c'est bien vague; eh bien! ce mot bien entendu, ce mot appliqué à toutes choses, a produit les résultats que nous voyons.

» Je ne dirai pas qu'on en est bien fâché, car tout le monde ici aime assez son pays pour être enchanté que le calme règne et que la prospérité de l'industrie se soit, par exemple, élevée cette année à un point extraordinaire.

» Il faut le dire, tout le monde est enchanté que nous ayons la paix, et cependant cela est embarrassant pour la discussion. (Rire presque général.)»

Après avoir formulé le système ministériel, dont les conséquences démentaient singulièrement les prédictions sinistres faites dans les sessions précédentes par plusieurs orateurs, et nominativement par M. Mauguin, l'orateur s'étonnait que l'opposition, qui reprochait aux ministres d'être désunis et de n'avoir pas de système, n'en pût elle-même articuler un auquel tous les membres se ralliassent. Il faisait ressortir les différences et les contradictions que renfermaient, sur les questions de politique intérieure et extérieure, les opinions émises par les différens membres de l'opposition, et ajoutait:

- << Nos honorables collègues de l'opposition ont fait l'examen de nos opinions, de notre système, de notre conduite. Je vais à mon tour résumer en peu de mots l'examen de leur opinion, de leur système, de leur conduite. Je vois que sur toutes les grandes questions, avec bonne intention sans doute, mais par une cause tout humaine, ils se sont trompés. Ils ont cru au désordre croissant, nous avons le calme croissant; ils ont cru que la prospérité ne renaîtrait pas; eh bien! la France est plus heureuse et plus prospère qu'elle ne l'a jamais été depuis fort long-temps; ils ont cru à la guerre générale, nous avons la paix. Quant à l'ordre public, nos collègues ont trois ou quatre systèmes, mais ils n'en peuvent formuler aucun à cette tribune. Pour le mal extérieur, ils le désavouent les uns un peu les autres un peu plus. Sur le système politique, les uns pensent qu'il faut réprimer jusqu'à un certain degré; les autres que la répression est inutile. Ceux-ci demandent l'adjonction des capacités, ceux-là le suffrage universel. Est-ce ainsi que l'on peut se présenter à un pays? Nous, nous Jui disens franchement, c'est-à-dire que, comme vous l'a dit un de nos collègues, nous serions prêts à donner mille fois notre vie pour empêcher le retour du gouvernement déchu.

>> Eh bien! venez dire avec nous que vous donneriez mille fois votre vie pour empêcher qu'une autre forme de gouvernement fût substituée à celle qui existe. Venez le dire comme nous l'avons dit et comme nous l'avons confirmé par nos actes, car nous n'avons pas craint d'arracher des provinces qu'elle troublait par sa présence une princesse fameuse; car

nous avons donné des gages que personne n'a donnés avec plus de force et de dévouement.

» Nous nous prononçons franchement, prononcez-vous de même : on doit faire son examen de conscience, on doit le faire complet.... »

M. Odilon-Barrot, « Nous nous sommes déjà prononcés.... Je me suis prononcé vingt fois. »

M. le Ministre du commerce et des travaux publics. « Alors mes paroles ne s'adressent pas à vous, si vous vous êtes prononcé... (Rires au centre.) >> M. Gauthier de Rumilly. « Nous nous sommes prononcés tous déjà.... Je demande la parole. »

M. Glais-Bizoin. « C'est une provocation qui n'est pas permise. »
M. Gauthier de Rumilly. « Nous ne sommes pas ici pour être persiflés. »

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La vive agitation produite par ce discours, que le ministre avait terminé en faisant un retour sur les avantages du système ministériel, durait encore lorsque M. Mauguin vint relever le gant qui lui avait été personnellement jeté. S'emparant du discours même de la couronne pour combattre M. Thiers, il concluait, de ce qu'on y avouait du malaise et de la méfiance, de ce qu'on y déclarait la nécessité de maintenir l'armée sur le pied de guerre, et de persévérer avec énergie et patience dans le système suivi, que la tranquillité intérieure et la paix extérieure étaient encore précaires. L'événement n'avait donc pas si complétement démenti les prédictions de l'opposition; il n'y avait donc, dans l'état de choses que présentait le discours de la couronne, rien dont le ministère dût se glorifier. Un parallèle établi entre la situation inté rieure et extérieure de la France, trois ans après la révolution de l'an VIII, et sa situation actuelle trois ans après la révolution de 1830, suffisait pour la condamnation du système mînistériel. L'orateur persistait au reste dans son opinion, que le ministère n'avait pas la majorité, qu'il se laissait aller à un sytème funeste de tendance aristocratique, que ce système avait perdu l'empiré et deux fois la restauration, et qu'il entraînerait la chute du ministère. « Je m'adresse au ministère, et non pas au pouvoir, s'écria M. Mauguin, et je dis au ministère : «En jetant les yeux en arrière, regardez votre jugement: je ne dis pas que votre système tombera, je dis que déjà deux fois il est tombé. »

Cette improvisation avait fait une assez vive sensation;

une courte réplique de M. Thiers n'en excita pas moins. Il chercha d'abord à concilier le discours de la couronne, les explications du ministère et l'état du pays, puis il ajouta :

« Personne n'a eu la folie de comparer les choses de ce temps-ci aux grandeurs de l'an VIII; mais à côté de ces grandeurs, savez-vous ce qu'il y avait, messieurs? il y avait le despotisme. Certes, nous ne le regrettons pas : le despotisme calme vite, mais ce n'est pas pour long-temps; c'est un moyen de violence, et il conduit à Moscou et à Waterloo. (Vifs applaudissemens des centres.... Sensation.) La liberté, c'est un moyen de ménagement, de modération, qui parvient au bien avec le temps et grâce à l'énergie de ceux qui savent souffrir les calomnies, qui savent persévérer dans la ligne de conduite qu'ils ont adoptée malgré les dégoûts et les injustices qu'on leur prodigue.

» Aujourd'hui, vous ne voyez pas des batailles de Marengo; mais vous ne voyez pas non plus les faits dont l'histoire de cette époque est ensan glantée vous ne voyez pas 200 patriotes enlevés dans Paris sur une liste du ministère de la police et déportés dans les déserts, vous ne voyez pas un prince enlevé en pays étranger et fusillé dans un fossé. (Sensation.) Voilà ce que vous ne voyez pas et ce dont nous sommes fiers. (Applaudissemens aux centres.)

» Nous essayons ce qui n'a jamais été essayé, ce qui ne pouvait même pas l'être avec votre système: la liberté franche, sincère, la liberté pour tout le monde. Nous avons gouverné avec la liberté de la presse et sans loi d'exception: quand vous nous avez proposé les lois d'exception, nous les avons repoussées.

» Nous ne nous enorgueillissons pas de ce résultat. Savez-vous de quoi nous sommes fiers? Nous sommes fiers d'appartenir à notre temps, de participer à sa raison, de nous être associés à son bon sens; nous sommes fiers de ne nous être pas faits les parodistes d'une autre époque, de n'avoir pas été révolutionnaires. Nous avons compris notre époque voilà notre gloire; et cette gloire, elle est celle de la majorité qui nous alap, puyés et qui nous appuiera encore. »

Au centre. « Oui, oui! Très-bien ! »

M. Gauthier de Rumilly yenait d'ouvrir la séance du 5 janvier, en appuyant l'adresse, parce qu'elle condamnait le système ministériel, lorsque M, le général Bugeaud, qui appuyait également l'adresse, mais parce qu'elle lui semblait au contraire sanctionner ce système, renouyela plus directement la sommation faite par le ministre, aux opinions, de se prononcer nettement. L'orateur signalait les efforts des factions pour démoraliser le pays, pour lui enlever ses sentimens d'honneur.

« La publicité audacieuse, dit-il, attaque tous les jours la religión dụ serment. Elle a poussé l'audace jusqu'à publier que deux de nos honorables collègues avaient signé le manifeste de la société des Droits de

l'Homme. Je suis convaincu qu'ils ne voudront pas par leur silence prêter un appui à ces calomnies. J'espère qu'ils viendront nous dire: On nous a calomniés! nous sommes fidèles à nos sermens, nous méritons encore d'être comptés au nombre des bons députés ! »

Personnellement provoqués par ces mots, MM. Voyer-d'Ar genson et Audry de Puyraveau demandèrent aussitôt la parole. M. Voyer-d'Argenson déclara, au milieu d'une extrême agitation, et des marques de la plus vive curiosité, qu'il n'était point l'organe d'un parti politique, mais l'homme de sa conscience et de ses convictions. Sa foi politique, morale et presque religieuse pouvait se résumer par un seul mot, l'égalité: l'égalité des droits politiques pour but prochain, l'égalité des conditions sociales pour but final et permanent. Parmi les doctrines qu'avaient repoussées ses collègues de l'opposition, il en était qu'il croyait pouvoir défendre. Si l'association des droits de l'homme et du citoyen avait publié, de préférence à toute autre, une déclaration des droits faite par Robespierre, c'est parce que seule elle contenait une définition du droit de propriété. Après quelques considérations sur ce droit, l'orateur, revenant à ses principes d'égalité, déclarait que ses vœux et son dévouement étaient pour les institutions qui en réaliseraient l'application, M. Voyer-d'Argenson exprima alors la pensée que ces explications étaient suffisantes; mais, invité de nouveau à les poursuivre, il aborda la question du serment. Le premier de tous les sermens était, selon lui, d'obéir à la souveraine volonté du peuple cette volonté, étant variable et progressive, ne pouvait pas s'enlever à elle-même le droit de modifier ses institutions. La souveraineté du peuple avait été proclamée en 1830 : c'était abuser des mots et se jouer de la raison publique que de prétendre que quelques députés avaient pu, en se constituant les organes de cette souveraineté, et en faisant comme tels une Charte, dépouiller à perpétuité, par une formule qu'ils avaient dictée, les individus et leurs descendans de la part de souveraineté qui leur revenait comme membres du peuple souverain.

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