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trompant, en effrayant ainsi le pays, qu'ils parvenaient à s'y ménager des appuis. L'orateur protestait, au nom du parti auquel il appartenait, contre cette interprétation et cette confusion perfides, et, signalant les dangers dans lesquels le pouvoir entraînait la France en compromettant la victoire remportée en 1830, il sommait la Chambre d'opter entre la révolution et la restauration, remises de nouveau en présence et en lutte.

« Ah! messieurs, disait-il, dans un débat solennel entre la révolution et l'aristocratie, nous devons mettre de côté nos sentimens personnels, ces nuances légères qui peuvent nous diviser; en définitive tous les hommes indépendans de cette Chambre, quelques piaces qu'ils occupent sur nos bancs, veulent la continuation de l'œuvre libérale et le maintien du principe. populaire; rallions-nous donc devant l'intérêt du pays, et tous unis dans notre conscience patriotique, faisons justice en repoussant les abstractions doctrinaires; elles ne sont qu'un écho de la restauration, et elles tendent à la ramener sur la scène, car il ne s'agit pas actuellement de telle ou telle marche administrative, il s'agit de la révolution ou de la restauration: c'est le principe quasi-divin aux prises avec le principe de la souveraineté nationale.

»Songez-y donc, messieurs, avant de vous prononcer, on vous demande de confirmer, par une approbation formelle, un système qui se tient tout entier, qui est homogène dans toutes ses parties: adopter l'adresse, vous associer entièrement au ministère et à ses œuvres, c'est adopter tous ses actes, non seulement pour le présent, mais encore pour l'avenir; c'est sanctionner la violation des priviléges électoraux, les poursuites contre la presse, les mutilations du jury, les persécutions contre les patriotes, l'attaque à la souveraineté nationale et à la liberté individuelle; c'est consacrer le prøjet des forts détachés ; c'est préparer la ruine du pays; c'est vous mettre complices de ce passé féodal que l'on voudrait faire revivre au profit de l'aristocratie; c'est plus encore, c'est vous déclarer l'allié des rois étrangers, c'est vous ranger pour la Sainte-Alliance contre les peuples; c'est absoudre le silence sanglant que le ministère a gardé lors des exécutions de Turin; en arrière, c'est approuver les massacres encore chauds de Varsovie; c'est reconnaître enfin aux têtes couronnées le droit de mutiler l'Europe: à vous le choix, messieurs; avez-vous été envoyés pour renier la révolutien ou pour l'accomplir? »>

Membre de la commission de l'adresse, M. Viennet ne venait ni la défendre, puisqu'elle était à peine attaquée, ni défendre le ministère, puisqu'il ne jugeait pas à propos de se justifier lui-même ; il voulait seulement repousser cette insinuation dirigée contre la majorité, qu'en présence des élections prochaines elle fléchissait sur ses principes pour assurer sa réélection. La majorité, en appuyant le système du minis. tère, avait fait acte d'indépendance consciencieuse et non

d'obéissance servile; elle avait appuyé ce système, parce qu'il lui convenait à elle-même, parce qu'il convenait au pays; elle ne renierait pas son passé et ne démentirait pas son. caractère. Le moment d'ailleurs serait inopportun, car les électeurs venaient de s'associer aux opinions qu'elle professait par les choix qu'ils avaient faits dans les élections des conseillers-généraux de département.

Un discours dans lequel le général Lafayette critiquait la politique suivie par le gouvernement tant à l'extérieur qu'à l'intérieur, fut particulièrement remarquable par la profession de foi qui en formait la péroraison. Le général, désavouant une expression que la presse avait rendue célèbre en la lui attribuant, disait :

«Non, messieurs, il ne convenait pas à un homme qui s'est déclaré, même à cette époque, disciple de l'école américaine, à l'ami, à l'associé ( qu'il· me soit permis de parler ainsi ) des Washington, des Franklin, des Jeffer son, de dire que la combinaison que nous faisions, qu'alors nous avons crue être dans l'intérêt et dans le vœu de la nation, fût la meilleure des républiques.

» Au reste, je me bornerai à ces observations, et j'attendrai les amendemens qui seront proposés.

» Je répéterai seulement à l'ouverture de cette session ce que j'ai dit dans la session dernière, c'est qu'on ne peut pas s'attendre à ce que moi, qui, à la fin de 92, ai cru devoir défendre la liberté contre la république, je défende jamais la monarchie contre la liberté. (Mouvement d'approbation sur quelques bancs des extrémités. ) »

M. Persil remplaça le général Lafayette à la tribune. Comme ses hautes fonctions judiciaires donnaient à sa parole un caractère presque officiel, on attendait avec impatience la réponse qu'il allait faire aux vives attaques dont sa dernière mercuriale à la rentrée des tribunaux avait été l'objet. Après s'être plaint de ce que les accusations lancées contre lui au dehors avaient été reproduites dans l'enceinte des Chambres et surtout par un homme qu'il était accoutumé à regarder comme son ami (M. Bérenger), l'orateur arrivait à la justification des paroles, des actes, et des intentions qu'on lui imputait à l'égard de la presse et du jury. Il assurait que ses discours, loin d'être menaçans pour la liberté de la presse, en contenaient l'apologie la plus explicite; quant aux poursuites

qu'il ordonnait, elles ne frappaient, au dire même de ses adversaires, que les journaux appartenant à l'opposition anti-dynastique; ceux de l'opposition anti-ministérielle étaient épargnés : le procureur-général acceptait cette distinction comme l'interprétation de sa pensée, comme l'explication de sa conduite. « A nos yeux, disait-il, la presse qui se tient dans les bornes de la constitution, ne peut jamais avoir trop de liberté, mais il ne saurait y avoir trop de surveillance contre celle qui, attaquant la dynastie et la forme du gouvernement, provoque à des révolutions nouvelles. » Lorsqu'on rapprochait d'ailleurs les excès de la presse des poursuites dirigées contre eux, il semblait qu'on dût accuser le ministère public de trop d'indulgence plutôt que d'une trop grande sévérité.

Relativement au jury, M. Persil protestait de son respect pour cette précieuse institution; puis il s'attachait, par des considérations spéciales et en discutant des faits, à justifier son opinion sur des modifications à introduire, opinion qu'il avait émise non comme législateur, mais comme procureurgénéral parlant à une cour royale. Repoussant les insinuations par lesquelles M. Bérenger donnait à penser que les causes des nombreux acquittemens pouvaient être trouvées dans des circonstances étrangères à la composition et aux formes du jury, l'orateur dépouillait son discours de la valeur politique qu'on lui avait attribuée en y voyant une inspira

tion ministérielle.

Il terminait en exprimant l'espoir qu'il ne serait plus dit, après ces explications, que le procureur - général de Paris avait attaqué les institutions du pays.

Le ministère n'avait été qu'indirectement compris dans ce débat, auquel l'opinion publique avait attaché quelque intérêt; M. Mauguin le remit ouvertement en cause.

« Je ne viens point, dit-il, combattre le projet d'adresse. J'exprime' un sentiment qui maintenant domine toutes les pensées. Plus de révolutions, la France en a assez souffert ; elle demande, elle exige son repos. Que s'il

est des abus à rectifier, c'est au pays, par l'élection, à la chambre, par ses votes, à en obtenir le redressement. (Très-bien! )

»Une constitution n'est jamais mauvaise lorsque, pour satisfaire aux besoins sociaux, il lui suffit du fonctionnement régulier de tous ses rouages. Si donc, comme je le pense, nous avons à changer quelque chose dans la marche du ministère, c'est à vous, messieurs, qu'en appartient la tâches vous avez le pouvoir et vous avez l'obligation de la remplir.

» Dans l'adresse, ou du moins dans le projet qui vous est soumis, je trouve des principes que j'adopte complètement. Ainsi, vous annoncez votre inébranlable résolution de maintenir intactes et pures contre tous les efforts qui tendraient à les détruire, ou seraient de nature à en altérer le principe, les institutions que 1830 nous a données.

>> Plus loin, vous réclamez le système représentatif dans toute sa sincérité. A cette proposition de votre commission, je me réunis complétement; je demande que nous conservions nos institutions intactes et pures, et je demande au ministère s'il croit jusqu'à présent les avoir conservées, s'il croit jusqu'à présent nous avoir donné le gouvernement représentatif dans toute sa sincérité.

» J'adopte l'adresse, parce qu'elle est contre lui (on rit ), parce qu'elle part d'une commission dont la pensée s'est rencontrée à beaucoup d'égards en parfaite analogie avec la mienne. »

Après avoir posé, en s'emparant d'une définition donnée jadis par le ministre de l'instruction publique, que la majorité n'était pas dans les boules, mais bien dans l'accord des pensées et des sentimens entre les deux Chambres et le ministère, l'orateur examinait si le gouvernement était un gouvernement de majorité. Un coup d'œil jeté en arrière, sur la manière dont un projet de loi sur l'état de siége avait été accueilli dans la Chambre inamovible, sur l'improbation manifestée trois fois par la Chambre élective contre le projet des forts détachés, le menait à conclure qu'il y avait dissidence entre le ministère et la Chambre. Non seulement le ministère n'avait pas la majorité, mais il agissait même contre la majorité. Il avait fait continuer les travaux des fortifications malgré le vœu de la Chambre élective, et en présentant le dernier budget à la Chambre des pairs, le ministre des finances, obligé d'y maintenir un amendement introduit par les députés, sur les circonscriptions ecclésiastiques, avait déclaré qu'il n'en proposait l'adoption que parce que cette disposition ne devait pas, en quelque sorte, recevoir son application : c'était là sortir des doctrines constitutionnelles. Le ministère en était encore sorti, lorsqu'il avait accepté pour

symbole politique, en appuyant deux fois sa candidature à la vice-présidence, un fonctionnaire (M. Persil) qui professait dans ses discours l'obéissance passive; il en était encore sorti lorsqu'il invoquait et faisait intervenir le nom du roi dans les débats.

Ayant ainsi établi que l'adresse était hostile au ministère, puisqu'elle voulait le gouvernement représentatif dont le ministère s'était écarté, l'orateur signalait une autre déclaration par laquelle cette adresse se mettait en opposition avec la tendance ministérielle. Elle repoussait tout ce qui tenait à la restauration, tandis qu'en étudiant les paroles et les actes du ministère, on le voyait (suivant les erremens du gouvernement déchu) prendre toujours parti pour l'aristocratie contre la démocratie.

« Enfin, messieurs, reculez vers le passé, disait l'orateur, retrouvez-y les explications qui ont été données en 1830 par celui qui était alors président du conseil, par M. Laffitte. Il vous expliquait les motifs qui avaient séparé de lui les deux ministres de l'instruction publique et de l'intérieur, en vous disant (séance du 19 novembre 1830): « Que lui n'avait pas cru qu'il » fallût se précautionner si tôt contre la révolution et lui montrer de la » défiance et de l'hostilité. »

» C'est qu'en effet, messieurs, voilà le système: contre tous ceux qui ont contribué à la révolution de juillet, défiance et hostilité; pour tous ceux qui appartenaient à la restauration, protection, amitié. Venez à nous leur répète-t-on, nos bras vous sont ouverts. ( Vif assentiment aux extrémités.)

>> Eh bien! tout cela est logique. Cette conduite est très-conséquente avec les principes du ministère. »

Le ministère préparait, en agissant de la sorte, des révolutions nouvelles. Son système était une conspiration (involontaire sans doute) contre la France, contre le pays et aussi contre le trône, « et c'est sous tous ces rapports, ajoutait M. Mauguin, que je le dénonce. »

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Le ministre de l'instruction publique (M. Guizot) prit la parole pour répondre à ce discours qui, en excitant fréquemment des murmures et des marques d'approbation, avait jeté quelque mouvement sur les débats peu animés jusqu'alors. Le ministre ne désavouait pas la définition qu'il avait donnée jadis de la majorité.

Ann. hist, pour 1834.

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