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association de tous les Français pour défendre le gouvernement né de la révolution de juillet contre le parti carliste et le parti républicain.

« La loi actuelle, disait-il en terminant, est de la famille de celles que nous avons autrefois frappées d'anathème : la loi eût dû organiser le droit d'association, elle l'abolit; c'est contre cette abolition que je réclame. J'aurais démenti toute ma vie parlementaire si j'étais resté muet dans une telle discussion. Ainsi, messieurs, mon premier désir est que la loi soit rejetée.

>> Si la Chambre n'est pas de cet avis, mon second vœu est que la loi soit restreinte aux associations politiques.

» Le troisième est qu'au moins la loi soit temporaire, et qu'elle cesse d'avoir son effet au 1er janvier 1836.

» Enfin, j'appuierai tous les amendemens qui auront pour objet d'atténuer ce qui, dans le projet, me parait rigoureux, inquisitorial et contraire au principe du gouvernement.»

La Chambre consentit encore, mais non sans impatience, à entendre plusieurs orateurs contre et pour le projet. Dans le premier sens, MM. Mérilhou et de Sade affirmaient que la situation du pays ne justifiait en rien la demandé de mesures d'une aussi violente énergie. Faute de pouvoir assigner réellement à la loi un des usages auxquels le ministère la prétendait destinée, M. Mérilhou, cherchant son but véritable, mais non avoué, pensait, à l'approche des élections générales, qu'elle était uniquement calculée pour mettre le pouvoir en position d'empêcher, à son gré, les assemblées électorales préparatoires. La loi alarmait surtout M. de Sade, en ce qu'elle révélait la tendance du ministère, en ce qu'elle le montrait engagé dans un système qui l'emporterait malgré lui vers d'autres mesures répressives.

« Jusqu'ici, ajoutait l'orateur, j'avais été plein de confiance dans notre présent, dans notre avenir. Pourquoi me faut-il si tôt changer de langage? Non que je voie rien de changé ni dans la situation de mon pays, ni dans l'excellent esprit qui l'anime, ni dans les élémens d'ordre et de force dont il était si richement doté. Mais ce qui me trouble, c'est de voir les ministres de S. M. se persuader eux-mêmes la faiblesse de notre édifice social, l'en accuser devant nous, et n'y voir d'autre remède que de faire de la vigueur, de la vigueur à toute occasion, de la vigueur à tort ou à 'raison.

» C'est le cœur plein de fâcheux pressentimens que je prévois l'inutilité de nos efforts contre cette loi. Il n'en est aucune contre laquelle je me sois prononcé avec une conscience plus entière; non certes à cause de ses articles ostensibles, qui, je le répète, ne nous privent presque de rien, mais

à cause de la tendance qu'elle indique, et des fâcheuses conséquences que je vois inévitablement surgir derrière elle.

» Dieu veuille que l'événement vienne donner un démenti à mes paroles! (Marques d'adhésion aux extrémités. ) »

L'exigence impérieuse des circonstances, et la constitutionnalité du projet, tels furent, de l'autre côté, les deux points que les défenseurs de la loi s'efforcèrent d'établir. Nécessaire pour qu'on pût arriver à l'entier accomplissement de Ja Charte, réclamé par la société comme un acte de devoir pour l'autorité, le projet de loi, suivant M. Hervé, émanait d'un droit supérieur à tous les principes, d'un droit de tous les temps, de la loi qui commandait à toute organisation politique de veiller à sa conservation. Cette loi était si rigoureusement inflexible, qu'arrivant au pouvoir, l'opposition reprendrait bientôt le projet, après l'avoir momentanément écarté.

La clôture venait d'être prononcée, mais le nombre et l'importance des amendemens proposés, les réserves faites par plusieurs orateurs, annonçaient assez que ce projet de loi n'était point de ceux dont l'intérêt s'épuise dans la discussion générale, d'autant moins que la question elle-même n'avait occupé qu'une petite place du vaste terrain où s'était promenée cette discussion. En effet, la délibération sur des articles, en donnant aux débats successifs un objet plus précis, les rendit à la fois plus positifs et plus serrés; ils se soutinrent sans fléchir pendant huit séances, avant qu'un vote définitif les terminât.

17 et 18 mars. L'art. 1o était, par ses dispositions fondamentales, un des plus importans du projet, aussi se présenta-t-il surchargé d'amendemens. Celui dont la Chambre s'occupa d'abord, et qui avait M. Bérenger pour auteur, tendait à créer un système tout contraire au système qu'établissait le projet primitif approuvé par la commission. D'après le projet, aucune association ne pourrait se former sans l'autorisation préalable du gouvernement; l'amendement reconnaissait le droit absolu de s'associer, en obligeant

seulement toute association, au moment de sa création, de déclarer à l'autorité dans quel but, sous quelles formes et à quelles conditions elle se constituait; le droit d'assister aux séances et de dissoudre était en outre réservé à l'autorité.

Appelé à développer son amendement, M. Bérenger soutint que le droit de s'associer appartenait à tout membre de la société ; mais que l'autorité devait en régler l'exercice. Le problème à résoudre était de concilier la latitude du droit et les garanties dues à la sécurité publique. Le projet primitif n'avait pas cherché à concilier ces deux choses, il avait tranché net la question contre le droit. Dans le système de l'amendement, au contraire, le droit serait suffisamment respecté, et le contrôle nécessaire du gouvernement suffisamment réservé. La loi perdrait ainsi son caractère préventif pour devenir simplement répressive; elle ne menacerait plus indistinctement les associations bonnes ou mauvaises ; elle atteindrait seulement les associations nuisibles,les associations politiques, auxquelles M. Bérenger refusait le pouvoir d'étre utiles à la chose publique. « Je ne pense pas, disait l'orateur en terminant, qu'aucun de vous veuille l'ordre aux dépens de la liberté, ni celle-ci au préjudice de l'ordre dans le premier cas, on aurait le despotisme; dans le second, l'anarchie... Pour moi, qui ai toujours confondu dans le même culte l'ordre et la liberté, si je succombe dans la proposition d'un amendement qui me paraît devoir concilier ces deux choses, je m'en affligerai, mais il me restera la conviction d'avoir rempli mon devoir. »

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Comme toute la loi était mise en question par cet amen+ dement, il fut l'objet d'une lutte sérieuse qui se prolongea pendant deux jours, et trois ministres montèrent à la tribune pour le combattre. Le ministre des affaires étrangères (M. de Broglie) commença par ériger en principe que toutes les fois que le droit public n'avait pas pris un droit quel conque sous sa tutelle, le législateur était en pleine liberté

de régler l'exercice de ce droit de telle manière qu'il jugeait convenable, et le droit d'association n'était pas de ceux que couvrait la Charte. Rien ne limitait donc le pouvoir du législateur sur le droit d'association; le projet ne soulevait donc point une question de droit, mais une question de fait, et c'était uniquement l'intérêt public, les besoins du pays et les nécessités du moment que la Chambre devait considérer. L'amendement ne tendait qu'à légaliser ce qui existait déjà irrégulièrement, l'organisation patente des sociétés anarchistes, leur action permanente, et l'impuissance de l'autorité contre elles. Le droit de dissolution, laissé à la discrétion du gouvernement, n'était qu'une déception : la société dissoute aujourd'hui, se reformerait demain; l'amendement n'aurait d'autre effet que de déchaîner les sociétés populaires en essayant puérilement, disait le ministre, de les emprisonner dans des toiles d'araignée.

Si la Charte, répliquait M. Odilon-Barrot, n'avait pas garanti le droit d'association, c'est que ce droit, qui était plus qu'un droit, plus qu'une faculté, qui était une nécessité, la première des nécessités sociales, avait toujours et tellement paru en dehors, au dessus de toute contestation, qu'aucune constitution n'avait cru devoir le garantir. «Avant votre loi, s'écriait l'orateur, il n'en existait pas au monde qui eût fait cette insulte à la raison, à la civilisation humaine, de dire que le droit d'association n'existe pas dans une société. » Gette loi poussait jusqu'à l'absurde les rigueurs de l'article 291 lui-même, de ce dernier échelon de la législation préventive, de la législation despotique. L'association était le seul moyen possible, la seule voic efficace d'exercer les droits politiques garantis par la Charte; et parce qu'il y avait eu abus de ce droit sans lequel la Charte ne serait qu'une lettre morte, s'ensuivait-il qu'il fallût en prohiber l'usage même? Après avoir constaté dans une discussion approfondie, les difficultés, les impossibilités, les dangers d'exécution de la loi, et avoir donné tout son assentiment à l'amendement qui ne

présentait pas les mêmes inconvéniens, l'orateur se résumait ainsi :

« Messieurs, je repousse une loi de prévention qui, pour attaquer un abus, a la prétention de détruire le droit, car je prétends qu'elle n'y réussirait pas.

» Je repousse une disposition de loi qui manque son but, en étendant ses sévérités, non à telle ou telle association spéciale, mais à toutes les associations possibles.

>> Je repousse une loi qui aggrave l'art. 291 de notre Code pénal, article qui nous étouffait en quelque sorte sous la restauration, et qui, lorsque nous serons plus calmes, devra être examiné et remplacé par une disposition plus libérale. Je la repousse parce qu'elle a la prétention de faire de cet article une loi permanente du pays.

»Je la repousse surtout au nom de la Charte, au nom de la loi interprétative de cette Charte, à cause de l'attribution que vous faites aux tribunaux du délit d'association, délit qui ne peut exister que par une appréciation de tendance. Je repousse cette appreciation imprudente laissée aux tribunaux, à la justice inamovible, parce qu'il y a là un danger immense, parce que cela est contraire à l'esprit de la Charte. »

Le garde-des-sceaux vint répondre à M. Odilon-Barrot, en reproduisant, pour combattre les objections diverses accumulées contre le projet, des argumens déjà présentés; ensuite M. Berryer prit la parole. Il nia que la France ne fût pas en possession du droit d'association. Reconnu par le code Napoléon, confirmé par la Charte de 1814, maintenu par la législation des quinze années de la restauration, ce droit n'avait jamais été atteint que dans le cas seulement où les associations se réunissaient au nombre de plus de vingt personnes pour traiter de matières politiques. M. Berryer voulait, avec M. Bérenger, le répression et non la prévention: puis s'élevant énergiquement contre la loi, il déclarait que non seulement elle ne trouverait pas de juges, mais qu'elle aurait bientôt pour adversaires tous les citoyens courageux, consciencieux, fidèles à leurs droits et à leurs devoirs.

« Nous ne formerons pas une association, ajoutait l'orateur, nous ne convierons pas les citoyens à s'assembler, et à s'animer de toutes les passions qui peuvent agiter toutes les têtes échauffées. Non, point de ces assemblées, point de ces clubs; mais nous nous concerterons pour savoir quelle chance nous avons pour les élections dans les différentes parties du royaume, quels sont les candidats que nous devons porter. (Interruption.)

» Ces associations, vous nous les interdirez, et nous, connaissant nos

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