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On eft létonné que M. de Condorcet, qui croit la Philofophie fi utile à l'Orateur & au Pocte, aît dit un peu plus haut qu'elle rend les langues moins hardies & moins figurées. Cela arrive, dit-il, parce qu'on apprend à mettre plus de précifion & plus de clarté dans les idées. Les langues font hardies & figurées lorfque les mêmes expreffions rendent à la fois des idées de l'efprit & des images de la Nature; mais comment la précifion & la clarté des idées empêcheroientelles de voir leur rapport avec les objets que le tableau de la Nature offre à nos yeux ? Je croirois le contraire; je penferois que mieux on verra une idée fous toutes les faces & plus l'immagination fers prompte à rappeler tout ce qui reflemble à cette idée. Montef squieu veur définir le defpotifme; à force d'approfondir l'idée qu'il s'en eft faite, elle fe préfente à fon génie avec tant de clarté, qu'elle n'eft plus qu'une grande image; i il trace cette image, & il a fait connoître la nature d'un Gouvernement. Dans la première partie de la profeffion de foi du Vicaire Savoyard, Rouffeau raffemble les plus fortes preuves qu'on ait jamais données de l'exiftence de Dieu. A mefure qu'il déve-. loppe ces preuves, tirées du bel ordre & de l'enchaînement de toutes les parties de l'Univers, fon imagination saisie du spectacle magnifique qu'elles lui préfentent, ne voit plus que des tableaux dans fa démonf

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tration; il fe paffionne fans ceffer d'être Philofophe, il peint tout ce qu'il analyse; fon langage s'élève à mesure que la force de fes preuves femble l'approcher du trône de la Divinité bientôt on croit entendre les Cantiques des Prophètes.

On cite perpétuellement l'exemple de Fontenelle pour prouver que les Philofo phes manquent toujours d'imagination 4 j'aimerois autant qu'on citât Homère & le Taffe pour prouver que les Verfificateurs en ont toujours.

Mais une obfervation qui n'a pas été faité encore, ce me femble, c'eft que c'eft dans les temps fur-tout qu'il n'étoit encore que bel Efprit, Verfificateur & Homme de Ler tres, que Fontenelle avoit un ftyle dénué de chaleur & d'images. En étendant fes idées, en leur donnant plus de confiftance & de force, la Philofophie enhardit & anima quelquefois fon ftyle. C'eft dans les éloges des Savans, c'eft en fuivant le Botaniste fur le fommet des montagnes & fur le penchant des précipices, l'Antiquaire far les ruines de la Grèce & de Rome, c'est en contemplant à-la-fois les travaux du génie & les phéno→ mènes de la Nature, que fa froide imagination, frappée de tant de prodiges, ofe repro duire les fenfations qu'elle a reçues & agrandit fes idées par des tableaux: c'est là que l'on trouve quelquefois des pages que Montagne & Bacon auroient pu écrire.

Pour peu qu'on ait obfervé le goût de notre fiècle dans les Ouvrages & dans les Critiques, on doit avoir vu que l'éloge ou le reproche le plus commun, c'eft d'avoir donné à la profe des figures plus hardies, des mouvemens plus paffionnés.

On a dit, on a répété très-fouvent que c'eft à leur naiffance que les langues font les plus abondantes en images. Je crois qu'elles n'ont guère en effet que des mots figurés à cette époque, mais elles en ont très peu ; & fi elles paroiffent en avoir beaucoup, c'est parce qu'elles n'en ont pas d'autres. Voyez les Chants d'Offian, la production fans contredit la plus étonnante du génie des Sauvages, les mêmes mots & les mêmes images reviennent à chaque inftant: on eft bientôt fatigué de leur monotonie. L'abondance & la richeffe ont plus de variété. C'est au mo ment que les langues arrivent à leur perfection, c'eft dans les fiècles éclairés que naiffent les Poëtes, dont l'imagination, auffi valle & auffi variée que la Nature, fait en reproduire toutes les grâces & toutes les beautés. La langue latine, dans les vers d'Horace & de Virgile, a été fans doute plus féconde en images & en expreffions hardies que dans la bouche des Pâtres du Latiam. Il eft vrai que le goût, qui devient toujours plus févère, en defirant que les expreffions foient hardies, exige qu'elles foient juftes. L'image deftinée à orner la pensée la dégrade fi elle est commune,

la défigure fi elle eft fauffe, la gate lors même qu'elle n'a que de la prétention. La perfection de l'Art dans le ftyle figuré, c'eft que l'image paroiffe toujours la couleur propre de l'idée, c'eft qu'elle qu'elle foit produite par des expreffions heureufement détournées de leur acception ordinaire, par des tropes énergiques & précis qui paroiffent aufli naturels, & n'occupent pas plus de place que le mot propre. Mais des Ouvrages écrits de ce ftyle, en faifant les délices des gens de goût, frapperont peu la multitude. On en verra la lumière plutôt que la couleur. C'eft pour cela que beaucoup de gens admirent peu l'eloquence de Cicéron, & ne trouvent jamais affez de figures dans la profe de Voltaire. La foule des Lecteurs doit être plus émerveillée de ces comparaifons établies avec orgueil, développées avec fafte, & qui couvrent des pages entières où l'on ne voit pas une feule fois l'idée qu'elles prétendent embellir.

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Nous voudrions citer tout ce que dit M. de Condorcet des Drames en général, fujet du Drame de Beverley. On peut reprocher à ce morceau de fortir un peu trop du plan général du Difcours; mais c'eft peutêtre ce qu'on a dit de mieux fur les Drames, qui n'ont guère eu que des enthousiaftes & des détracteurs. Ce n'eft pas la première fois qu'il eft arrivé aux Philofophes de déci der des queftions littéraires fur lefquelles les

fimples Littérateurs auroient éternellement difputé !

Tout ce que dit M. de Condorcet des talens & du caractère de M. Saurin, mériteroit également d'être rapporté : on. feroit même fûr de plaire au Public; le Public avoit de M. Saurin l'opinion qu'en avoient fes amis mêmes ; & c'eft peut-être le plus grand éloge qu'on puiffe faire d'un homme de lettres.

» On admira dans Spartacus, dit M. de » Condorcet, le caractère neuf au théâtre » d'un Héros généreux, armé pour venger

l'univers opprimé par les Romains; & » l'on applaudit avec transport à un grand » nombre de vers, qui, pour nous fervir » d'une expreffion confacrée par M. de Voltaire, étoient frappés fur l'enclume » du grand Corneille.

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» Blanche eut un fuccès plus général » encore le Poëte y occupoit l'ame d'inté »rêts plus chers à la plupart des Spectateurs, » que la liberté du genre humain ; & ces

» vers,

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» Que, pour le malheureux, l'heure lentement fuit! » Qu'une nuit paroît longue à la douleur qui veille! » retentiffent encore dans le cœur de tous » les hommes fenfibles qui ont connu le » malheur. »

Nous nous fommes occupés des opinions de M. de Condorcet beaucoup plus que de fon ftyle; tel eft l'effet naturel des ou

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