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un temps, l'exercice de droits dont elle ne saurait d'ailleurs se dépouiller en principe. Si le souverain, lorsque le péril est passé, abuse et prétend garder le pouvoir absolu; s'il leurre indéfiniment la nation par de vains mots et des palliatifs menteurs; s'il la berce par des promesses qui, tournant en quelque sorte à l'ironie, n'ont d'autre effet de rendre plus amère une situation dont rien ne démontre plus la nécessité, il ne peut s'en prendre qu'à lui de la sourde fermentation qui mine insensiblement son trône jusqu'à l'heure où l'explosion le fera voler en éclats.

que

Enfin, c'est de la même manière que le peuple obéit à un usurpateur, avant que rien ne soit venu légitimer l'usurpation. I obéit pour conserver l'existence de la société et pour remplir les intentions présumées du souverain absent, qu'il tient encore pour légitime. Si ce dernier n'existe plus, l'obéissance de la nation jusqu'à l'élection ou à la reconnaissance d'un chef légitime est due à l'instinct de sa propre conservation et à l'obligation qui pèse sur chaque citoyen d'éviter tout désordre dans l'intérêt de l'avenir et pour le bien commun.

Des mêmes principes découlent trois conséquences relativement au souverain tombé, conséquences correspondantes aux conditions dans lesquelles il peut être tombé.

S'il a rompu lui-même le pacte social, il n'est pas seulement tombé, il est déchu; et il ne lui

reste rien à faire qu'à se résigner et à supporter dignement la conséquence de sa conduite.

S'il est victime d'une minorité factieuse, si la majorité de la nation par un tour de main d'artisans de révolutions, audacieux et habiles, se trouve privée d'un gouvernement qu'elle n'a point répudié et qui ne méritait pas de l'être, le prince est renversé, mais il n'est pas déchu; et la révolution triomphante n'a pas encore détruit le pacte social tel qu'il existait avant son triomphe.

Si la majorité de la nation viole elle-même le droit; si, au mépris de ses engagements, elle renverse le souverain qui, de son côté, remplissait les siens envers elle, alors encore le droit du souverain n'est pas anéanti par le fait, et il est du devoir de la nation de réparer, s'il est possible, l'injustice dont elle s'est rendue coupable.

Mais, nous l'avons dit, le droit du souverain n'est pas inaliénable ni imprescriptible de sa nature. A la longue le temps l'efface; le souverain peut y renoncer; et, dans tous les cas, il ne doit pas le revendiquer sans condition suffisante de succès, ni au risque de précipiter la nation dans un abîme de malheurs. La raison en est très-simple: c'est que le droit du prince, par son origine même, et par son but, est subordonné aux intérêts essentiels de la nation: Regnum non est propter Regem, sed Rex propter Regnum 1.

1 D. Thomas, de Reg. principum, lib. III, c. x1.

On a dit que la nation souveraine et agissant par la voix du suffrage universel ne saurait fonder le pouvoir héréditaire, parce qu'une génération ne peut pas engager la génération suivante. C'est une erreur. La nation est une personne morale qui ne change point avec les générations; dans son sein, les générations se succèdent sans aucune dissolution de l'unité nationale; leur succession se produit d'individu à individu et à chaque instant du temps, mais sans interruption de la vie de la nation. Et l'on ne saurait dire à quelle époque finit la génération qui a établi le pouvoir, parce qu'elle ne fait qu'un avec les enfants qui l'ont accepté. N'en estpas de même pour les autres engagements, les traités ou les dettes de la nation? Il faut donc autre chose que le laps du temps et des générations pour détruire le pacte social. Par lui-même, ce laps de temps ne dégage pas plus le peuple que le pouvoir de leurs obligations réciproques.

il

Aucune hypothèse, aucune objection solide ne ruine donc le principe de la souveraineté du peuple.

VII

DE LA LIBERTÉ INDIVIDUELLE ET CIVILE

<< ART. 4. La liberté consiste à pouvoir faire tout ce qui ne nuit pas à autrui : ainsi l'exercice des droits naturels de chaque homme n'a de bornes que celles qui assurent aux autres membres de la société la jouissance de ces mêmes droits. Ces bornes ne peuvent être déterminées que par la loi, »

« ART. 5. La loi n'a le droit de défendre que les actions nuisibles à la société. Tout ce qui n'est pas défendu par la loi ne peut être empêché, et nul ne peut être contraint à faire ce qu'elle n'ordonne pas. >>

Il est clair que la liberté définie par l'article 4 est la liberté civile, ou la liberté d'action qui doit être laissée à l'individu par la société. Il ne s'agit pas du libre arbitre proprement dit, ni des obligations

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de conscience qui peuvent peser sur l'individu considéré isolément, vis-à-vis de Dieu et abstraction faite de ses rapports avec les autres citoyens.

Cela posé, les deux articles cités ne renferment rien de contraire à l'orthodoxie. Ils interdisent l'arbitraire, et personne que nous sachions n'a reproché à la doctrine catholique de l'encourager. Les lois propres de l'Église la défendent de toute injure à cet égard; et c'est elle qui parlait par la bouche de Massillon, quand il disait à Louis XIV: « Ce n'est pas le souverain, c'est la loi, Sire, qui doit régner sur les peuples; vous n'en êtes que le ministre et le premier dépositaire; c'est elle qui doit régler l'usage de l'autorité, et c'est par elle que l'autorité n'est plus un joug pour les sujets, mais une règle qui les conduit. Les hommes croient être libres quand ils ne sont gouvernés que par les lois; la soumission fait alors tout leur bonheur, parce qu'elle fait toute leur tranquillité et toute leur confiance 1. >>

On nous objectera plutôt que la Déclaration retire du domaine de la loi civile des actes auxquels il semble qu'elle devrait s'étendre, soit pour les prescrire, soil pour les condamner. Permettre tout ce qu'on ne défend pas, permettre tout ce qui ne nuit pas à autrui, c'est, dira-t-on, permettre du mal, quelque chose qui blessera par conséquent la jus

1 Petit Carême.

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