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mique. Ensuite quand les familles ont commencé à se multiplier et à se séparer, chacun des hommes qui étaient chefs de famille conservait cette même puissance économique sur sa propre famille. Mais la puissance politique n'a commencé que quand plusieurs familles se sont rassemblées pour former une communauté parfaite. Or cette communauté ne date pas de la création d'Adam et ne résulte pas de sa volonté, mais de la volonté de ceux qui y sont entrés. Nous ne serions donc pas fondés à dire qu'Adam, par la nature des choses, ex natura rei, a eu la suprématie politique sur cette communauté. On ne peut, en effet, le conclure d'aucun des principes de droit naturel; car on ne voit pas qu'en vertu du seul droit de la nature le père doive être aussi le roi de sa postérité. Mais, si cela ne découle point des principes de la nature, nous ne sommes pas plus fondés à dire que Dieu, par un don spécial ou par sa providence, a donné au père cette puissance; car nous n'avons aucune révélation sur ce fait, ni aucun témoignage de l'Écriture. A cela revient cette observation de saint Augustin que Dieu n'a pas dit: Faisons l'homme pour qu'il commande aux hommes; mais il a dit : Pour qu'il commande aux autres animaux 1. »

1 Ex vi solius creationis et originis naturalis, solum colligi potest habuisse Adamum potestatem œconomicam, non politican; habuit enim potestatem in uxorem et postea patriam potestatem in filios, quamdiu emancipati non fuerunt; potuit etiam discursu temporis habere famulos et completam familiam et in ea plenam potestatem,

L'article 3 ajoute que cette souveraineté réside essentiellement dans la nation : qu'elle est incommunicable quant au principe, sinon quant à l'exercice; c'est-à-dire que la nation ne peut pas s'en dépouiller en se livrant sans réserve à celui ou à ceux auxquels elle communique l'autorité: voilà pourquoi elle a toujours, comme les théologiens nous l'ont enseigné sur le deuxième article, le droit de résister en certains cas au pouvoir, quels qu'en soient la forme et le nom : monarchie, république ou empire. Il s'ensuit que la communication du pouvoir souverain par la nation à l'un ou à plusieurs de ses membres ne l'en dépouille pas ellemême, quant à la source ou à la racine. Il lui est aussi impossible de l'abdiquer que de changer sa propre nature: Hac enim naturali potestate nun

quæ œconomica appellatur. Postquam autem cœperunt familiæ multiplicari et separari, singuli homines qui erant capita singularum familiarum, habebant eamdem potestatem circa suam familiam. Potestas autem politica non cœpit, donec plures familiæ in unam communitatem perfectam congregari cœperunt. Unde sicut illa communitas non cœpit per creationem Adæ, nec per solam voluntatem ejus, sed omnium qui in illa convenerunt; ita non possumus cum fundamento dicere Adamum ex natura rei habuisse primatum politicum in illa communitate; ex nullis enim principiis naturalibus id colligi potest, quia ex vi solius juris naturæ non est debitum progenitori, ut etiam sit rex suæ posteritatis. Quod si ex principiis naturæ hoc non colligitur, non possumus cum fundamento dicere Deum, speciali dono aut providentia, dedisse illi hanc potestatem, quia nullam de hoc habemus revelationem nec Scripturæ sacræ testimonium. Ad quod etiam facit quod capite præcedenti ex Augustino notavimus, Deum non dixisse : Faciamus hominem, ut præsit hominibus, sed cæteris animantibus. De Legibus, lib. III, c. 11.

quam se privavit. Elle retirera donc en certains cas et rappellera en son propre sein le pouvoir communiqué pour sa conservation, mais qui tournerait à sa ruinc.

Si le pouvoir souverain réside dans la nation de droit naturel et conséquemment d'une manière indestructible, tout pouvoir politique inférieur, l'autorité civile à tous les degrés émanera d'elle nécessairement, soit immédiatement, soit par l'intermédiaire des premiers pouvoirs qu'elle aura ellemême constitués, en leur donnant le droit de conférer les charges inférieures. Cela va de soi. Un pouvoir politique n'émanant pas du pouvoir souverain en serait par là même indépendant; ce qui serait absurde, et constituerait un dualisme destructif de la société.

Il est donc certain que le troisième principe de 89 est conforme à l'enseignement des docteurs catholiques. Pour qu'on le voie plus clairement encore, nous mettrons en lumière avec eux les conséquences qui dérivent de ce principe.

C'est, premièrement, que tout pouvoir politique légitime vient de Dieu, mais par le peuple; en second lieu, que les peuples obligés de choisir une forme de gouvernement sont libres de choisir celle qui leur convient; et enfin que la monarchie en général, et à plus forte raison qu'aucune dynastie royale en particulier n'est de droit divin proprement dit. On a vu que Dieu, auteur de la nature humaine,

lui a conféré tout ce qui est nécessaire à sa conservation; par conséquent, en créant les hommes pour la société, il leur a donné vi creationis, comme s'expriment les théologiens, le droit d'établir parmi eux le pouvoir sous une forme précise et régulière, sans laquelle le pouvoir ne fonctionnerait point, sans laquelle la société ne subsisterait pas. Il faut donc que la volonté des hommes libres et égaux entre eux intervienne d'une manière ou d'une autre par l'élection, par l'acceptation d'un fait résultant d'événements quelconques, pour que le pouvoir se personnifie et s'exerce dans la société : Nulli hominum dedit Deus immediate talem potestatem, donec per institutionem vel electionem humanam in

aliquem transferatur1.

« Remarquez, dit Bellarmin, que la multitude. transfère la puissance civile à une personne ou à plusieurs par le même droit de la nature; car la république ne pouvant l'exercer par elle-même est obligée de la communiquer à un seul, ou bien à quelques-uns en petit nombre; et c'est ainsi que la puissance des princes, considérée en général, es de droit naturel et divin; et le genre humain lui même, quand il se réunirait tout entier, ne pourrait établir le contraire, savoir, qu'il n'existât point de prince ou de gouvernement2. »

1 Suarez, Defensio Fidei, lib. III, c. 11.

2 Nota hanc potestatem transferri a multitudine in unum vel plures eodem jure naturæ ; nam respublica non potest per seipsam

Le pouvoir usurpé par la force ou la fraude, par un acte que la société condamne et dont elle n'a pas ratifié les conséquences, n'existe donc pas en droit. Tout pouvoir légitime ou fondé sur la justice existe donc comme découlant de Dieu par le peuple. Ainsi s'expliquent les sentences des Livres saints: Non est potestas nisi a Deo; quæ autem sunt a Deo ordinatæ sunt. Il n'est pas de puissance qui ne vienne de Dieu et c'est lui qui a établi celles qui existent. Per me reges regnant et legum conditores justa decernunt. C'est par moi que règnent les souverains et que les législateurs établissent des lois justes'.

De là vient l'obligation de gouverner et d'obéir en conscience: Itaque qui resistit potestati, Dei ordinationi resistit; qui autem resistunt, ipsi sibi damnationem acquirunt. Celui qui s'oppose au pouvoir résiste à l'ordre de Dieu, et ceux qui y résistent attirent la condamnation sur eux-mêmes.

Ideo necessitate subditi estote, non solum propter iram, sed etiam propter conscientiam. Il est nécessaire de vous soumettre, non-seulement par crainte du châtiment, mais encore par obligation. de conscience*.

exercere hanc potestatem; ergo tenetur eam transferre in aliquem unum, vel aliquos paucos, et hoc modo potestas principum in genere considerata est etiam de jure naturæ et divino; nec posset genus humanum, etiamsi totum simul conveniret, contrarium statuere, nimirum ut nulli essent principes vel rectores. De Laicis, lib. III, c. vi. 1S. Paul, Ad Rom., xш, 1. Prov., v, 15.

Ad Rom., XIII, 2, 5.

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