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dans la pratique, bien des difficultés, et donner lieu indirectement à des abus fort. graves. Mais cela ne prouve pas qu'elle soit mal fondée. La difficulté pratique ne résulte que de l'imperfection de notre nature, sujette à l'incertitude, à l'erreur et aux mauvaises passions, alors même que la lumière des principes premiers brille d'un pur éclat de la raison.

aux yeux

Tout autre système entraîne d'ailleurs des inconvénients plus graves encore.

Il faut donc se résigner à voir quelquefois la raison aux prises avec les difficultés nées des rapports si délicats et si compliqués entre l'autorité et la liberté, deux sœurs, mais jalouses et ombrageuses comme deux rivales.

Appelée à se déterminer sur les cas de conscience qui résultent de leurs conflits, la raison publique avait recours au Saint-Siége, dans le temps où le droit public le proclamait arbitre et cet arbitre désintéressé, aussi éclairé sur les questions de conscience que dévoué aux peuples et à leurs chefs, tempérait, par son influence, ce que la doctrine démocratique des théologiens du moyen âge pouvait avoir de redoutable dans l'application. Le monde un jour y reviendra sans doute de lui-même, instruit à la fois par la raison et l'expérience1. Mais,

1 Ce serait conforme au vœu de Leibnitz. « Je serais d'avis, dit-il, d'établir à Rome même un tribunal pour juger les différends entre les princes et d'en faire le pape président. » Op., t. V, p. 65. Jean de Muller a exprimé le même vœu.

46 LES PRINCIPES DE 89 ET LA DOCTRINE CATHOLIQUE. en attendant, la lumière de ce tribunal continue à rayonner pour la conscience individuelle des catholiques, et, s'ils marchent à cette lumière, ils ne courent pas risque de tomber dans la révolution, en suivant le drapeau de la liberté.

Le péril existe, mais il est dans les conditions de la nature humaine; et, en dehors du catholicisme, aucun principe, aucune institution, ne le peut conjurer d'une manière générale : la société s'avance donc vers l'avenir avec des garanties beaucoup moins assurées de progrès dans la paix.

VI

DE LA SOUVERAINETE NATIONALE

« ART. 3. Le principe de toute souveraineté réside essentiellement dans la nation. Nul corps, nul individu, ne peut exercer d'autorité qui n'en émane expressément. >>

Les auteurs de la Déclaration des droits ont tâché d'établir entre ces droits une sorte de filiation d'où il résulte qu'en exposant le sentiment des théologiens sur les articles précédents nous avons laissé prévoir que le troisième article sera parfaitement conforme à leur enseignement.

Les théologiens établissent de la manière la plus positive que le pouvoir n'a été donné immédiatement de Dieu qu'à la nation ou à la communauté politique; Dieu le lui donne, non point par un acte extérieur et une institution spéciale, différente de la création, mais par la création même de l'homme,

ou en vertu de cette création qui, faisant l'homme essentiellement sociable, investit nécessairement toute communauté d'hommes réunis pour vivre en société du pouvoir souverain, sans lequel la société ne serait pas possible'.

La souveraineté est donc dans la nation de droit naturel, et par conséquent de droit divin: car tout droit naturel vient de Dieu comme auteur de la nature 2.

Nul corps, nul individu, ne peut donc s'attribuer le souverain pouvoir dans la nation, co.nme s'il le tenait de la nature ou immédiatement de Dieu. En effet, la nature ne nous présente ce pouvoir que dans la communauté politique entière, sans exclu

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1 Suprema potestas civilis, per se spectata, immediate quidem data est a Deo hominibus in civitatem seu perfectam communitatem politicam congregatis, non quidem ex peculiari et quasi positiva institutione vel donatione omnino distincta a productione talis naturæ, sed per naturalem consecutionem ex vi primæ creationis ejus. Defensio Fidei, lib. III, loc. cit.— Il faut considérer, dit Bellarmin, politicam potestatem in universum, non descendendo in particulari ad monarchiam, aristocratiam vel democratiam, immediate esse a Deo solo; nam consequitur necessario naturam hominis, proinde est ab illo qui fecit naturam hominis. De Laicis, lib. III, c. vi.

* Omnia quæ sunt de jure naturæ sunt a Deo ut authore naturæ; sed principatus politicus est de jure naturæ; ergo est a Deo ut authore naturæ. Suarez, ibid.

Hæc potestas (politica, in universum considerata) est de jure naturæ, non enim pendet ex consensu hominum; nam velint nolintve debent regi ab aliquo, nisi velint perire humanum genus, quod est contra naturæ inclinationem. At jus naturæ est jus divinum; jure igitur divino introducta est gubernatio; et hoc videtur proprie velle Apostolus, cum dicit Romanis, x1, qui potestati resistit, Dei droitnation resistit. Bellarmin, loc. cit.

sion de personne et sans aucune forme déterminée; et Dieu n'intervient point, par un acte positif et distinct de la création, pour placer le pouvoir dans un individu, dans une famille ou une corporation quelconque: Ideoque ex vi talis donationis non est hæc potestas in una persona, neque in peculiari congregatione multorum, sed in toto perfecto populo seu corpore communitatis'.

On supposera peut-être que le pouvoir appartient dans l'origine à la paternité, et qu'il se transmet ensuite par un droit naturel d'héritage selon l'ordre de primogéniture. Adam l'aurait eu ainsi au commencement, et les aînés des familles l'auraient reçu . ensuite. «Mais, répondrons-nous avec Suarez, de la création et de l'origine naturelle de l'homme on ne peut rien conclure si ce n'est qu’Adam a eu la puissance économique, non pas la puissance politique; il a eu puissance sur son épouse, puissance paternelle sur ses enfants, tant qu'ils n'ont pas été émancipés; dans le cours du temps, il aura pu avoir des serviteurs, une famille complète et posséder sur elle la pleine puissance que l'on appelle écono

1 Suarez, loc. cit. Et Bellarmin dit équivalemment : Hanc potestatem immediate esse tanquam in subjecto in tota multitudine; nam hæc potestas est de jure divino; at jus divinum nulli homini particulari dedit banc potestatem; ergo dedit multitudini. De Laicis, lib. III, c. vI.

Suarez ajoute Hæc resolutio, quoad omnes partes, communis est non solum theologorum sed etiam juris peritorum, quos statim referam.

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