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20 LES PRINCIPES DE 89 ET LA DOCTRINE CATHOLIQUE.

tions humaines la raison des obligations du citoyen, la première source des droits et des pouvoirs dans la société 1.

Toute constitution ou déclaration de droits qui renfermerait la négation formelle de Dieu, de toute religion ou de quelque point de la loi divine serait absolument condamnable aux yeux de l'Église, et uncatholique ne pourrait jamais y souscrire, parce qu'elle offrirait quelque chose d'essentiellement mauvais. Mais la déclaration des droits de 1789 relie positivement à Dieu tout l'ordre de la société et n'avance rien qui soit contraire à la doctrine chrétienne.

1 Il est vrai que Rousseau croyait à l'existence de Dieu; mais il nie que l'on doive faire remonter jusqu'à la Divinité la raison première du pacte social; les législateurs qui l'ont fait n'ont eu, selon lui, d'autre but que de tromper utilement le peuple pour lui rendre facile et sacrée une obéissance d'ailleurs bonne et nécessaire à la société. Voir le Contrat social, liv. II, c. v11.

IV

DE LA LIBERTÉ ET DE L'ÉGALITÉ NATURELLES

ART. 1. « Les hommes naissent et demeurent libres et égaux en droits. Les distinctions sociales ne peuvent être fondées que sur l'utilité com

mune.»

La première partie de cet article déclare que les hommes sont par nature libres et égaux en droits,

et

que nul d'entre eux ne possède, de droit naturel, aucune autorité sur les autres, ni au moment de sa naissance, ni plus tard. Ce principe est exprimé de la manière la plus nette par les Pères de l'Église et par les théologiens. « Les Pères, dit Suarez, enseignent fréquemment que l'homme a été créé libre, en parfaite possession de lui-même, ingenuum et liberum, et que la puissance des hommes sur les

hommes a été introduite par la volonté humaine1.>> Il cite ensuite saint Ambroise, saint Augustin, saint Grégoire le Grand.

Ce grand théologien est parfaitement d'accord avec les auteurs de la Déclaration des droits, quand ils débutent par poser en principe la liberté naturelle de l'homme pour en venir à la liberté du citoyen, c'est-à-dire à la liberté que les hommes, se réunissant en société, possèdent également pour établir au milieu d'eux le pouvoir qui leur convient. Si l'individu est libre de droit naturel, la collection des individus ne se compose nécessairement que d'hommes libres les uns par rapport aux autres, et nul ne peut revendiquer la moindre autorité sur les autres s'il ne la reçoit par une institution spéciale, par une élection que Dieu ne fait point et dont il laisse le soin aux citoyens 2.

1 Sumi potest hæc veritas ex sanctis Patribus, quia sæpe asserunt hominem a Deo fuisse creatum ingenuum et liberum... dominium autem hominum in homines per humanam voluntatem... fuisse introductum. Suarez, Defensio Fidei catholicæ et apostolicæ adversus anglicanæ sectæ errores. Lib. III, c. 1, col. 248. Voir la Cité de Dieu, liv. XIX, ch. xv.

2 Quod enim illi (Patres Ecclesiæ) de libertate uniuscujusque hominis et servitute illi opposita dicunt eadem ratione in persona mista seu ficta unius communitatis seu civitatis humanæ verum habet. Nam prout a Deo immediate regitur, jure naturali libera est et sui juris; quæ libertas non excludit, sed includit potius potestatem regendi se ipsam... Excludit autem subjectionem ad alium hominem, quantum ex vi solius naturalis juris, quia nulli homini dedit Deus immediate talem potestatem; donec per institutionem vel electionem humanam in aliquem transferatur. Suarez, ibidem.

Est-il besoin de remarquer que les théologiens et la Déclaration, lorsqu'ils disent que les hommes naissent libres et égaux en droits, prennent la race humaine dans son ensemble et considèrent un enfant par rapport à un autre enfant. Ils n'ont pas et ne peuvent avoir la pensée de rejeter la puissance paternelle, qui ne regarde que la famille et qui n'appartient pas à l'ordre politique, on le verra plus loin, mais à l'ordre purement économique.

« Le droit positif ôté, dit Bellarmin, il n'y a pas de raison, entre un grand nombre d'hommes égaux, pour que l'un domine plutôt que l'autre1. >>>

Suarez s'exprime aussi nettement que possible dans ces paroles qui résument l'enseignement catholique : « La communauté civile parfaite est libre par droit de nature; elle n'est soumise à aucun homme en dehors d'elle-même. Elle a tout entière le pouvoir dans son propre sein. Perfecta communitas civilis jure naturæ libera est et nulli homini extra se subjicitur; tota vero ipsa habet in se potestatem 2. »

Les inégalités naturelles de force physique, de capacité intellectuelle, par exemple, ne sauraient constituer par elles-mêmes des inégalités de droits;

1 Sublato jure positivo non est major ratio cur ex multis æqualibus unus potius quam alius dominetur. De Laicis, lib. III. c. vi. "Defensio Fidei, lib. III, c. 11, col. 248.

elles ne peuvent être que des motifs de conférer à l'un plutôt qu'à l'autre l'autorité, le droit de commander. Car l'homme est homme et pleinement sui juris, avec plus ou moins de vigueur corporelle ou de puissance intellectuelle. Et si le droit à l'autorité émanait de cette vigueur des membres ou de cette puissance de l'esprit, il serait toujours incertain et disputé entre des milliers de rivaux ; la société ne pourrait ni se former ni durer.

Cette liberté, cette égalité naturelles dans lesquelles nous naissons, comme enfants d'Adam, n'ont pas été détruites par le Christ; il en rappelle au contraire le souvenir aux hommes qui les avaient oubliées. Dans l'ordre surnaturel aussi nous n'avons qu'un même père qui est Dieu; tous les hommes sont frères et sont appelés au même héritage. << Il n'y a plus de Juifs, ni de Grecs, s'écrie saint Paul, il n'y a ni incirconcis, ni circoncis, ni esclave, ni libre; mais tous vous n'êtes qu'un en JésusChrist'. » Le Christianisme a coupé l'esclavage par la racine, il l'a détruit moralement dans tout ce qu'il a de contraire au droit naturel. Qu'on lise l'épître à Philémon, et l'on nous dira ensuite si Onésime était un esclave, selon la notion du droit païen. Il n'a d'esclave que le nom, comme dit saint Chrysostome, et l'Église ne distingue point

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Ad Ephesios, 11, 5.

2 Et hic servitutem. Verum superveniens Dominus Christus hæc

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