Page images
PDF
EPUB

« Les souverains, disait Fénelon, n'ont aucun droit sur les actions de leurs sujets, qu'autant que c'est pour le bien public de la société et l'avartage de l'État. Ils n'ont aucun droit sur la liberté de l'esprit ou la volonté des citoyens.

« Les souverains n'ont aucun droit sur les propriétés de leurs sujets, qu'autant que cela est nécessaire pour le bien public. Les souverains ne sont que les conservateurs des lois, les exécuteurs de la justice. Toute action qui n'est pas une suite nécessaire de ces qualités est un abus de l'autorité souveraine. Toute loi faite, tout impôt levé dans une autre vue que celle du bien public est une violation essentielle de l'humanité. Tous les hommes étant d'une même espèce, membres d'une république et d'une même famille, nulle créature semblable à eux ne peut, par aucun droit, soit inhérent, soit communiqué, les priver de leur être ou de leur bien-être, sans que cela ne soit nécessaire pour le bien commun de la société1. >>

Les cahiers du clergé, en 1789, réclamaient à l'unanimité l'abolition de la confiscation, afin que le gouvernement ne fût pas tenté de violer la propriété sous le couvert de la justice.

Le droit à une juste indemnité en cas d'expropriation pour cause de nécessité publique est le

Essai de philosophie sur le gouvernement civil, rédigé d'après les conversations de Fénelon, par M. de Ramsai, ch. xi.

corollaire du droit de propriété, que le souverain est tenu de reconnaître comme tout autre membre du corps politique. Les théologiens, la Constituante, notre Code civil (art. 545) sont là-dessus parfaitement d'accord. La Révolution seule est capable de nier ce principe, comme elle le fit en supprimant sans indemnité, sous la Convention, les rentes féodales.

Ainsi, l'article 17 et dernier de la Déclaration n'est point contraire à la doctrine catholique, et, s'il a subi des atteintes, c'est de la part de nos adversaires, soi-disant défenseurs des principes de 89, dont ils sont en réalité les ennemis.

XVII

CONCLUSION.

[ocr errors]

Telle est notre profession de foi à l'égard des principes de 89. Nous croyons qu'elle ne contredit aucune décision de l'Église catholique, apostolique et romaine, au jugement de laquelle nous la soumellons sans réserve; et nous sommes convaincu qu'elle est en harmonie, sous le rapport des opinions, avec le sentiment des docteurs les plus accrédités dans l'Église et dans l'École. Nous l'avons exposée sans fiel, malgré les cruelles injures faites par la presse révolutionnaire à nos croyances religieuses et à nos sentiments les plus chers. Nous l'avons fait sans artifices de langage, parce que, si la loyauté condamne ces artifices, la vérité n'en a pas besoin.

Il nous aurait été facile d'ajouter d'autres citations non moins péremptoires et d'autres noms

très-graves à ceux du dominicain saint Thomas, du cardinal Bellarmin, du jésuite Suarez. Mais les catholiques instruits savent que, si l'on ne risque guère de se tromper en matière d'opinions religieuses quand on est d'accord avec ces illustres docteurs, on ne risque pas du tout de blesser l'orthodoxie en pensant comme eux.

Nous ne sommes pas sans avoir médité, dans un esprit de parfaite soumission, outre les encycliques de Grégoire XVI, que nous avons citées, l'allocution consistoriale de Pie VI, du 29 mars 1790, sa lettre au cardinal de la Rochefoucauld, du 10 mars 1791, et plusieurs autres pièces émanant des Souverains Pontifes, dans lesquelles les principes révolutionnaires sont relevés, flétris et condamnés, et leurs funestes conséquences signalées et déplorées. Mais ces principes sont-ils ceux de 89 que nous venons d'examiner d'après leurs formules authentiques? Nous ne le croyons pas ; et, en effet, nous ne voyons ces formules reproduites textuellement, ni en termes équivalents, dans aucun des documents indiqués tout à l'heure. Sans doute le mot liberté se rctrouve de part et d'autre; mais il est facile de constater qu'il n'y est pas pris dans le même sens, ou avec la même extension. Ce que les papes condamnent, ce sont les interprétations abusives, révolutionnaires des principes de 89; et il faut convenir que ces interprétations étaient alors comme aujourd'hui les plus répandues. Voilà pourquoi la pro

clamation de ces principes a causé tant de mal, et pourquoi encore elle est pleine de péril.

Mais enfin, il n'est au pouvoir de personne peutêtre, de faire oublier en France ce mot prestigieux : Principes de 89. Le plus sage parti n'est-il pas d'amoindrir le péril en restituant à ce mot sa véritable signification? En préciser le sens et la portée, n'est-ce pas dissiper de funestes malentendus, ôter un masque et une arme à la Révolution, et travailler à réunir contre elle les forces, hélas! trop divisées des amis de l'ordre et de la liberté?

Le jour viendra, nous aimons à l'espérer, où les préjugés s'évanouiront, où le peuple français distinguera clairement le sophisme et la vérité. Il verra que la Révolution est la plus redoutable ennemie de 89, de l'époque où la Constituante, appliquée à la Déclaration des droits, n'était pas encore débordée par l'esprit qui devait régner en 93. Cet esprit malfaisant ne réussit pas à dicter les principes sur lesquels nous voulons vivre; il perça, mais quelque temps après et seulement dans des dispositions législatives, qu'on n'a pas le droit de confondre avec les grands principes de 89. Ah! les révolutionnaires, ceux du moins qui mènent les autres, le savent bien; ils savent ce qu'il faut dissimuler pour faire passer sous le nom de 89 les maximes antichrétiennes et subversives de la société, que la Constituante repoussa de la Déclara

tion.

« PreviousContinue »