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III

LE PRÉAMBULE DE LA DÉCLARATION

<< Les représentants du peuple français, constitués en assemblée nationale, considérant que l'ignorance, l'oubli ou le mépris des droits de l'homme sont les seules causes des malheurs publics et de la corruption des gouvernements, ont résolu d'exposer, dans une déclaration solennelle, les droits naturels, inaliénables et sacrés de l'homme, afin que cette déclaration, constamment présente à tous les membres du corps social, leur rappelle sans cesse leurs droits et leurs devoirs; afin que les actes du pouvoir législatif et ceux du pouvoir exécutif, pouvant être à chaque instant comparés avec le but de toute institution politique, en soient plus respectés; afin que les réclamations des citoyens, fondées désormais sur des principes simples et incontestables, tournent toujours au maintien de la

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quence, l'Assemblée nationale reconnaît et déclare, en présence et sous les auspices de l'Être suprême, les droits suivants de l'homme et du citoyen. »>

Trois choses sont à remarquer dans ce préambule:

1° On y attribue les malheurs publics et la corruption des gouvernements à des causes qui sont au fond l'injustice ou la source de l'injustice. Tout ce qui lèse la notion d'un droit ou en empêche l'exercice légitime, tout ce qui détermine l'oubli des devoirs entre les citoyens, contribue à mettre la société dans un état de souffrance; et il n'est pas une cause directe, immédiate des malheurs publics ou des plaies sociales, qui n'attaque l'idée même de la justice ou n'entrave son application. Or cette doctrine n'a rien de contraire à la foi catholique et ne saurait donner lieu à aucune conteslation sous le rapport de l'orthodoxie. Elle est résumée dans cette parole des Livres saints: Justitia elevat gentem; miseros autem facit populos peccatum. (Prov., xiv, 34.) Quant à l'importance et à l'efficacité que l'on attribue ici à la déclaration des droits, pour en assurer le maintien et par là le bonheur du peuple, c'est une opinion que l'on est parfaitement libre de partager, malgré les déceptions amères survenues depuis cette époque.

2o Le préambule et tout l'ensemble de la déclaration des droits, comme base de la constitution, sup

posent que le droit est antérieur à la loi, et que la loi ne constitue pas le droit, mais qu'elle en est ou doit en être l'interprétation. De sorte qu'une loi contraire au droit est une loi injuste, ou plutôt n'est pas une loi, alors même qu'on en ferait l'application. Toute loi donc est supposée ici conforme au droit et en quelque sorte dérivant de lui1. C'est la doctrine catholique.

Saint Thomas et Suarez disent: Le droit n'est pas la loi; mais il est l'objet de la loi, ce qu'elle prescrit ou mesure 2. La loi divine est nécessairement unie au droit lui-même, parce que Dieu est infaillible et infiniment juste. Mais la volonté du législateur n'est pas parfaite, et il pourrait prescrire ce qui est défendu de droit naturel ou divin. Alors sa loi n'est plus une loi, parce qu'elle ne saurait obliger contre Dieu ou la nature 3.

Ceux-là donc sont opposés aux principes de 89,

1 C'est ce qu'on voit encore par la rédaction, du reste singulière, de l'article 5 : « La loi n'a le droit de défendre que les actions nuisibles à la société. »

2 Optime concludit (D. Thomas, 2a 2o, q. LVII, art. 1) jus non esse legem, sed potius esse id quod lege præscribitur seu mensuratur. Suarez. De Legibus, lib. 1, c. 11.

Legislator humanus non habet voluntatem perfectam sicut Deus, et ideo, quantum est ex se et quoad factum, potest interdum ini. qua præcipere, ut constat. Non tamen habet potestatem ad obligandum per iniquas leges, et ideo licet iniqua præcipiat, tale præceptum non est lex, quia vim aut valorem ad obligandum non habet loquor autem de opere iniquo, quod sit contra legem naturalem aut divinam. Suarez, De Legibus, lib. I, c. ix. D. Thomas, 11 2*, q. xcv.

comme à la théologie, qui confondent le droit et la loi, et qui prétendent obliger les consciences à toute loi, quelle qu'en soit la moralité, par cela seul que la loi est réputée l'expression de la volonté du peuple ou des législateurs. Cette confusion toute païenne1 est nécessaire aux révolutionnaires, afin d'embrouiller les notions premières du juste et de l'injuste, et de pouvoir ensuite, sous l'autorité apparente d'une prétendue loi, fouler aux pieds les droits qui s'opposent à leurs desseins.

3° L'Assemblée reconnaît et déclare les droits, mais elle ne les crée pas. Elle les déclare en présence de l'Être suprême et sous ses auspices. Dieu est donc appelé comme témoin, parce qu'il est l'auteur de la nature, dont la déclaration exprime les. droits, et parce qu'il est lui-même, conséquemment, l'auteur et la source du droit. Sa présence, enfin, ne peut être invoquée sans qu'on place en lui l'idée de la sanction du droit; autrement elle serait inutile. Il nous est donc permis de dire que la France de 89 ne voulait pas que la loi fût athée; elle ne croyait pas qu'elle dût ni qu'elle pût l'être. On concevait qu'elle n'invoquât point tel culte, telle religion en particulier; mais on la rattachait à l'idée de Dieu prise au moins dans l'ordre naturel et conime premier principe de la raison. Et c'est.

Je ferais injure à la raison humaine si je supposais que les païens sont tous tombés dans cette confusion révolutionnaire : Non e prætoris edicto, dit Cicéron, sed penitus ex intima philosophia hauriendam juris disciplinam. De Legibus, lib. I.

pourquoi les droits naturels étaient proclamés sacrés, c'est-à-dire sanctionnés par Dieu ou rentrant dans la religion même1.

Or, cette doctrine est confirmée par la religion catholique. Elle répond à cette parole des SaintesÉcritures : « Les rois règnent par moi, et c'est par moi que les législateurs ordonnent ce qui est juste. » << Soyez soumis non-seulement par crainte, mais encore en conscience 2. » Elle est comme résumée dans ce principe mille fois répété par les théologiens «Tout ce qui est de droit naturel est de droit divin, Dieu étant l'auteur de la nature 3. »

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C'est ainsi que l'entendirent les auteurs de la constitution républicaine de 1848. Après s'être mis en présence de Dieu, ils déclarent, par l'article 3 du préambule de la constitution, que la République française « reconnaît des droits et des devoirs antérieurs et supérieurs aux lois positives. >>

Les adversaires des principes de 89, sur ce point, ne sont donc pas les catholiques; ce sont les partisans du Contrat social de J. J. Rousseau, qui élimine Dieu et place uniquement dans les conven

1 Ainsi l'a compris la droite raison dans tous les temps : Quam sancta sit, disait Cicéron, civium inter ipsos societas, Deo immortali interposito, tum judice, tum teste. De Legibus.

2 Per me reges regnant et legum conditores justa decernunt. Prov., vi, 15.— Subditi estote non tantum propter iram, sed etiam propter conscientiam. Heb., xIII, 15.

5 Omnia quæ sunt de jure naturæ sunt a Deo ut authore naturæ. Suarez, Defensio Fidei, lib. III, c. I.-Bellarmin, de Laisis, lib. III,

C. VI.

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