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sons ainsi, et les doctrines théologiques précédemment développées, orthodoxes, croyons-nous, et parfaitement saines, ne nous permettent pas de voir autrement.

En quoi donc différons-nous de nos pères de 89? Ils ont défini, comme ils la comprenaient, une constitution; ils n'en ont pas proclamé la nécessité de droit naturel. Nous en admettons avec eux l'utilité, et même la nécessité relative pour les peuples parvenus à une certaine maturité. Que voudraient de plus nos adversaires, s'ils sont vraiment de 89?

XVI

DE L'INVIOLABILITÉ DE LA PROPRIÉTÉ.

« ART. 17. La propriété étant un droit inviolable et sacré, nul ne peut être privé de ses propriétés, si ce n'est lorsque la nécessité publique, légalement constatée, l'exige évidemment, et sous la condition d'une juste et préalable indemnité. >>

La honte devrait monter au front de nos adversaires, lorsqu'ils lisent cet article et qu'ils se donnent comme défenseurs contre nous des principes de 89, eux qui ont applaudi et applaudissent chaque jour à la spoliation et au vol des biens de l'Église et des pauvres; à la confiscation, sans forme de procès, sans enquête, sans nécessité, de propriétés acquises et possédées conformément aux lois les plus inviolables! Et l'indemnité juste et préalable! une aumône dérisoire, qui le plus sou

vent se fait attendre, et qui jamais ne répond ni aux droits ni aux besoins rigoureux des victimes.

C'est pitié de voir les publicistes de la Révolution torturer la notion de la propriété, contredire, à ce sujet, le bon sens et la loi, pour étouffer le cri de la conscience humaine et pour effacer l'indélébile stigmate imprimé sur le front des spolia

teurs.

Il n'est pas nécessaire que nous insistions sur cet article 17. On sait que l'Église ordonne, au nom de Dieu, de respecter la propriété, et qu'elle présente sans cesse aux regards de tous, à ceux du roi et du serf, du riche et du pauvre, les tables de la loi où le doigt de Dieu a écrit: Non furtum facies. Non concupisces domum proximi tui.

Les théologiens, d'accord avec la Déclaration, qui appelle la propriété un droit sacré, élèvent cette dernière au-dessus du droit positif, et la font reposer sur la volonté formelle de Dieu; il a donné la terre aux enfants des hommes, et non-seulement il leur a prescrit au Décalogue de respecter le bien du prochain, mais il a même défendu de le convoiter. L'Église oblige à restitution quiconque a volé ou usurpé le bien d'autrui; juge des consciences, elle dit hautement et à tous : Non remittitur peccatum, nisi restituatur ablatum; et son

1 Terram autem dedit filiis hominum. Ps. CXIII. facies... non concupisces. Exode.

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inflexibilité à cet égard explique l'aversion et la haine dont elle est l'objet de la part d'un grand nombre.

Elle a contribué puissamment à l'affermissement de la propriété civile, par le soin qu'elle a mis à constituer solidement la sienne derrière le rempart des censures spirituelles. Et personne n'ignore avec quelle ardeur ses pasteurs se sont levés de nos jours pour défendre le principe général de la propriété menacée par le cri de guerre de la révolution.

Le paganisme disait avec Platon : « Je vous déclare en ma qualité de législateur que je ne vous regarde ni vous ni vos biens, comme étant à vousmêmes, mais comme appartenant à toute votre famille, et toute votre famille avec ses biens comme appartenant encore plus à l'État'. » Le socialisme contemporain formule la même doctrine au mépris des principes de 89.

Les docteurs catholiques disent à l'État, fùt-il personnifié dans un despote, que la chaumière du pauvre et l'obole du mendiant comme la fortune du riche leur appartiennent en toute propriété, pour en user à leur gré et sans que le pouvoir ait jamais le droit de les leur ravir, même partiellement et sous prétexte d'enrichir le trésor public. Car le droit de l'État en matière d'impôt ne

Livre II des Lois.

peut aller au delà de la nécessité et du bien commun'.

Saint Thomas, après avoir établi la propriété comme de droit naturel et divin, dit : « Que le prince exige des sujets ce qui leur est dû selon la justice, pour la conservation du bien commun, ce n'est pas une rapine, quand même il lui faudrait user de violence; mais, s'il extorque par violence quelque chose qui ne lui est pas dû, c'est une rapine et un vol, et il est tenu à restitution comme les voleurs; même son péché est plus grave que celui des voleurs, d'autant qu'il agit plus dangereusement et plus communément contre la justice publique dont il est institué le gardien2. »

Et il se trouvait, à la cour de Louis XIV, un théologien pour donner les mêmes leçons à l'héritier présomptif de la couronne:

Supposito legitimo dominio reguli potest rex exigere a subditis quod ad bonum ipsorum requiretur... sed fit intolerabile dum predam exactores accumulant. (Saint Augustin.) Quicumque enim sibi stipendia publice decreta consequitur, si amplius quærit, tan-' quam calumniator et concussor... condemnetur. De Reg. princ., Ib. III, c. XI.

Dicendum quod ut principes a subditis exigant quod eis secundum justitiam debetur propter bonum commune conservandum, etiamsi violentia adhibeatur, non est rapina. Si vero aliquid principes indebite extorqueant per violentiam, rapina est sicut et latrocinium unde dicit Augustinus (in IV de Civ. Dei, c. 1v): « Remota justitia, quid sunt regna nisi magna latrocinia?» Unde et ad restitutionem tenentur, sicut et latrones. Et tanto gravius peccant quam latrones, quanto periculosius et communius contra publicam justitiam agunt, cujus custodes sunt positi. (2a 2, q. LXVI, art. 8.)

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