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France, sous l'ancienne monarchie, n'avait pas de

constitution.

Mais, si l'on admet qu'il y a une constitution là où les droits des citoyens et les obligations du pouvoir sont écrits explicitement ou implicitement dans des actes authentiques, la France avait une constitution. La garantie suprême et générale des droits existe, en tout état de cause, dans la force même de la nation.

Tant que la France a vécu sous le régime des assemblées nationales, Champs-de-Mars, Champsde-Mai, états généraux, quel qu'en soit le nom, et si variable qu'ait été leur part au gouvernement, la

société eut des droits assurés : car l'assemblée votait l'impôt; et « à la faculté d'accorder ou de refuser l'argent est attachée, comme le disait Roderer, la certitude d'obtenir l'exercice des autres facultés. » Chargée aussi d'exprimer les doléances des citoyens et de revendiquer les droits établis par la loi ou la coutume, cette même assemblée avait la puissance non-seulement de se faire entendre, mais de se faire écouter.

Depuis 1614, depuis la suppression des états généraux, le principe de la souveraineté du peuple tend à s'éclipser, et le despotisme royal, inconnu au moyen âge, grandit sur les ruines de nos plus précieuses libertés nationales. Mais c'est une manifeste

1 De l'Esprit de la Révolution de 1789.

exagération de s'imaginer que le pouvoir, une fois proclamé absolu, fit litière de tous les éléments qui servaient auparavant à la constatation ou à la garantie des droits des citoyens. Il y eut encore des libertés communales et des assemblées d'états en quelques provinces; et les magistrats continuèrent d'appliquer les lois anciennes.

Si l'absolutisme s'est permis des attentats, ne sait-on pas que les chartes écrites depuis 1789 n'en ont point empêché de plus graves encore? N'avons-nous pas appris comment on supprime administrativement les droits politiques les mieux reconnus?

Sous l'ancien régime, né de principes contraires aux nôtres, il y avait un autre contre-poids important, si faible qu'il fût, à l'absolutisme; c'était le parlement. Il s'empara de l'enregistrement des lois politiques et financières, comme corps politique et non plus comme simplement chargé du greffe. Et il eut ainsi la prétention de suppléer aux états généraux. Mais il n'avait ni la même origine élective, ni les mêmes droits, ni la même puissance morale, ni les mêmes lumières, ni un égal dévouement au pays.

Outre ces garanties, notons encore celles qui résultaient de l'éducation du prince, l'étroite solidarité entre ses intérêts et ceux de la nation. Enfin, il restait la garantie naturelle, qui n'apparut que trop, lorsque la multitude égarée se leva pour faire

valoir contre les droits exagérés du prince les droits mal compris de l'homme et du citoyen.

On peut donc croire que la France, avant 89, possédait une constitution. Autrement l'on n'expliquerait ni la durée de la monarchie, sous la forme dynastique et salique, ni la stabilité générale des institutions, ni la puissance de la nation, ni les grandeurs de son histoire. Toujours occupés à encenser l'idole récemment fabriquée de la Révolution, ou à jeter la boue à la France de nos pères, à leur propre patrie, les publicistes que nous combattons oublient trop que sous Louis XIV nous avions en Europe la prééminence sur terre et sur mer, tandis que nous ne l'avons jamais eue depuis, pas même sous le premier empire. Napoléon d'ailleurs, pas plus que Louis XIV, ne représentait en fait la liberté constitutionnelle.

Néanmoins, nous approuvons hautement l'esprit qui a dicté le dix-septième article de la Déclaration. L'ancienne constitution française, imparfaitement définie, ne suffit pas à un peuple émancipé ou qui veut l'être. Louis XIV la détruisait, sinon en réalité, du moins en principe, quand il s'attribuait, comme de droit divin ou naturel, inhérent à la couronne, toute la puissance qu'il tenait de la nation, par une cession expresse ou tacite faite à lui ou à ses ancêtres et consacrée par le temps. En dernière analyse et d'après ses doctrines, la France n'aurait eu d'autre garantie politique que le res

pect purement volontaire du souverain pour les lois, les droits et les institutions du passé. Heureusement, Louis XIV valait mieux que sa théorie.

Bossuet, dont nous rejetons les principes politiques, pour nous conformer à l'enseignement des théologiens que nous avons cités, Bossuet s'est donné une peine inutile pour distinguer le gouvernement absolu d'un gouvernement arbitraire. On sait très-bien que, sous un régime absolu, il y a encore des droits et des lois. Mais, si l'absolutisme était de droit naturel ou divin, quelle barrière politique s'opposerait efficacement et légitimement à ce que le souverain se livrât à tout l'arbitraire imaginable?

«C'est autre chose, dit Bossuet, que le gouvernement soit absolu, autre chose qu'il soit arbitraire. Il est absolu par rapport à la contrainte, n'y ayant aucune puissance capable de forcer le souverain, qui en ce sens est indépendant de toute autorité humaine. Mais il ne s'ensuit pas de là que le gouvernement soit arbitraire. Parce que, outre que tout est soumis au jugement de Dieu, ce qui convient aussi au gouvernement qu'on vient de nommer arbitraire, c'est qu'il y a des lois dans les empires contre lesquelles tout ce qui se fait est nul de droit; et il y a toujours ouverture à revenir contre, ou dans d'autres occasions, ou dans d'autres temps. »

Quelles sont ces lois?

Si elles sont violées, pourquoi faut-il attendre d'autres temps ou d'autres occasions pour revenir contre?

Comment peut-on revenir contre?

Et si le pouvoir lui-même se refuse à revenir, que restera-t-il en fait de garantie à la nation?

Voilà ce qu'on a oublié de nous dire, et ce qui rend la théorie de l'absolutisme de droit naturel ou divin incompréhensible. Voilà pourquoi nous croyons à l'utilité d'une constitution écrite, où les lois fondamentales, dont Bossuet parle sans oser les définir, seront clairement exposées; constitution qui, sans être une panacée, rend l'immense service d'éclairer la marche de la société et de maintenir, contre tout arbitraire, au moins le principe premier de toute liberté, formulé par saint Thomas: << La nation n'est pas pour le souverain, mais le souverain pour la nation.» Regnum non est propter regem, sed rex propter regпит1.

«

C'est donc gratuitement que nos adversaires nous reprochent d'admirer, d'aimer, de regretter l'ancien régime, celui qui date de la suppression des états généraux; il est, à nos yeux, non-seulement impossible en France aujourd'hui, mais il est très-imparfait en lui-même, et, tel que Louis XIV l'entendait, il est mauvais. Nous pen

De Regimine principum, lib. III, c. x1.

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