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Donc l'Église, d'après la doctrine de saint Thomas, applique le principe de la tolérance et conséquemment invite les souverains catholiques à l'appliquer d'autant plus largement que le nombre des infidèles ou des dissidents est plus considérable, qu'il y a plus de chances d'aplanir par là les voies du retour à la vérité, ou qu'en restreignant cette application il y aurait péril de scandale ou de trouble dans la société. Saint Thomas raisonnait ainsi au treizième siècle, sous le règne de saint Louis, au sein d'une nation et pour une nation étroitement unie à l'Église par son gouvernement, ses lois et ses mœurs. Qu'aurait-il dit de nos jours et par rapport à un état social tel que le nôtre? Assurément la tolérance écrite dans nos lois sous le titre de liberté des cultes lui eût paru bonne et nécessaire, et il n'eût pas songé le moins du monde à nous ap

mittit tamen aliqua mala fièri in universo, quæ prohibere posset, ne eis sublatis majora bona tollerentur, vel etiam pejora mala sequerentur. Sic ergo et in regimine humano, illi qui præsunt recte aliqua mala tolerant, ne aliqua bona impediantur vel etiam ne aliqua mala incurrantur. Sicut Aug. dicit in lib. de Ordine (lib. I, c. Iv): Aufer meretrices de rebus humanis, turbaveris omnia libidinibus. Sic ergo quamvis infideles in suis ritibus peccent, tolerari possunt, vel propter aliquod bonum quod ex eis provenit vel propter aliquod malum quod vitatur. Ex hoc autem quod Judæi, etc. Aliorum vero infidelium ritus qui nihil verita tis aut utilitatis afferunt, non sunt aliqualiter tolerandi, nisi forte ad aliquod malum vitandum, scilicet ad vitandum scandalum vel dissidium, quod ex hoc posset provenire, vel impedimentum salutis eorum qui paulatim, sic tolerati, convertuntur ad fidem; propter ho enim etiam hæreticorum et paganorum ritus aliquando Ecclesia toleravit, quando erat magna infidelium multitudo. 2 2, q. x, art. 11.

pliquer les règles tracées ailleurs en vue d'un état social tout différent.

Aujourd'hui, ne l'oublions pas, nous ne sommes plus au temps où l'on pouvait ne considérer l'effet d'une loi, les résultats d'une législation légitimement intolérante que dans le cercle de la nation pour laquelle on l'établissait; il faut mesurer encore l'effet, le contre-coup qu'elle produira au dehors, à l'étranger, dans la législation ou dans l'opinion des autres peuples auxquels la prodigieuse publicité assurée par la presse ne laisse rien ignorer. Et alors se révéleront, avec des proportions immenses peut-être, les inconvénients et les dangers signalés par saint Thomas, et qu'en d'autres siècles plus ou moins rapprochés de nous la même législation, décrétée pour le même peuple, aurait bien pu ne pas susciter.

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Les théologiens condamnent, au point de vue de la conscience, la tolérance théologique ou religieuse qui consiste à regarder toutes les religions comme également vraies et bonnes en elles-mêmes; ils repoussent la conséquence qui en découlerait, savoir pour le législateur, l'obligation d'ouvrir la porte à tous les cultes, de les protéger tous également, ou de les négliger tous, quelle que soit la valeur morale et intrinsèque des doctrines qu'ils représentent et quel que soit aussi, dans la nation, le nombre de leurs adhérents; mais ils reconnaissent que la tolérance politique ou civile, qui

consiste à laisser chacun libre de professer la religion qu'il préfère peut devenir non-seulement licite, mais nécessaire: Dantur enim nonnulla rerum adjuncta, in quibus ea non modo licita, sed etiam necessaria est1.

Est-ce que les juifs ne sont pas tolérés à Rome même, au Ghetto et hors du Ghetto? Est-ce que le saint-siége n'a pas forinellement permis le serment de fidélité à telle charte, comme celle de 1830, la liberté des cultes est érigée en principe constitutionnel? Donc l'Église ne nous empêche pas d'accepter à cet égard les nécessités de notre temps et de notre pays.

Nos adversaires ne sont pas satisfaits, bien que nous ayons admis, outre le principe de 89, les chartes modernes avec la liberté des cultes. Ils objectent que ces chartes ne représentent pas à nos yeux l'idéal d'une société parfaite, telle enfin qu'elle serait si nous la réalisions comme pleine expression de nos doctrines religieuses. Pour les catholiques, disent-ils, la liberté des cultes n'est pas un progrès, mais un mal nécessaire.

A cette difficulté, nous pourrions répondre d'abord que tous les catholiques ne partagent pas le sentiment d'après lequel la liberté des cultes serait en soi chose regrettable, bonne seulement d'une bonté relative, à cause d'un état social où les es

Perrone, dans le Cours complet de Théologie, tome VI col. 1255.

prits se trouvent divisés. Personne n'ignore que parmi nous, plusieurs mettent sur le même pied la liberté politique et la liberté religieuse, et considèrent comme répondant à un progrès vers la perfection sociale la loi qui proclame la liberté des cultes. Suivant eux, cette liberté doit être réglée non d'après la vérité intrinsèque des religions, mais d'après le but direct et propre de la société civile. Or, disentils, le bien spirituel ici-bas et la félicité dans l'autre vie ne sont pas le but primitif et propre des sociétés civiles; ce but, c'est le bien naturel, le bonheur temporel de la communauté et des individus considérés comme membres de la communauté. Ce bonheur n'est pas dépendant de telle ou telle doctrine religieuse. Donc l'autorité du souverain n'a pas à s'étendre sur la religion. Donc il peut très-bien en conscience laisser les cultes libres.

Les partisans de ce système ajoutent que la vérité triomphera par elle-même et plus glorieusement que si elle était secondée par la protection du pouvoir civil. La lutte au moyen des armes spirituelles leur semble d'ailleurs la seule en harmonie avec l'esprit de l'Évangile comme avec l'esprit de notre époque. Conséquemment, c'est mieux que le souverain laisse en effet les cultes libres, puisqu'il est d'autre part dégagé de l'obligation d'unir spécialement le pouvoir à aucun.

Nous ne prétendons pas ici attaquer ni défendre ce libéralisme. Seulement nous dirons à nos adver

saires Ceux qui le professent ont-ils été expressément censurés, condamnés par l'Église? Si, comme ils se le persuadent, ils ne l'ont pas été, vous n'êtes pas fondés à reprocher en général aux catholiques l'opposition de leur doctrine avec la liberté.

Mais laissons à part l'opinion de ces catholiques: est-on mieux venu à lancer une pareille imputation contre ceux d'entre nous qui entendent autrement la liberté des cultes? Non. Voici en effet quelle est leur théorie :

La religion catholique est la seule religion véritable, établie de Dieu, à l'exclusion de toutes celles que l'esprit humain peut inventer. Soit qu'on examine sa doctrine en elle-même, soit qu'on l'envisage dans ses rapports avec l'intérêt de la société, cette religion ne saurait être que vraie et bonne, puisqu'elle est de Dieu. Elle a donc droit à la liberté de droit naturel. Car on ne peut sans iniquité vouloir anéantir ce qui est bon et vrai; et il n'est pas juste de dire qu'on le tolère; car on ne tolère que ce qui n'est pas entièrement vrai ou entièrement bien. De plus, comme la religion catholique est de Dieu par une institution positive, divine, elle a strictement droit à la liberté de droit divin comme de droit naturel; car aucune puissance, aucune créature ne peut sans iniquité et sans impiété s'opposer à Dieu. Tout ce qui se fait contre l'Église est donc nul de soi. On n'a donc jamais de droit contre son droit parce que le sien est absolu et

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