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l'opération et d'y douner en même temps des règles précises et d'une application qui ne soit pas trop difficile dans la pratique. J'ai cru devoir y joindre une nouvelle lettre pour les curés, datée aussi du 1er mars, et qui forme une seconde instruction plus sommaire que la première.

J'y ai joint, comme à la précédente, des tableaux à colonnes en blanc, destinés à former les états des pauvres de la campagne, et d'autres un peu plus compliqués pour former les états des pauvres des villes, dans lesquelles il m'a paru que l'opération exigeait de plus grands détails. Quelques-uns de ces états ou tableaux sont remplis fictivement, afin de donner à messieurs les curés une idée plus nette de l'opération pour laquelle je demande leur coopération et celle des bureaux de charité.

Je suppose que les curés auront soin de faire connaître mon ordonnance et d'avertir les syndics de convoquer les assemblées. Je vous prie de veiller avec attention à ce que ces assemblées se tiennent partout. Si l'on négligeait d'exécuter mon ordonnance, il serait nécessaire que vous les fissiez indiquer de votre autorité, et, s'il en était besoin, que vous vous transportassiez sur les lieux, ou que vous commissiez quelqu'un à votre place pour faire tenir les assemblées en sa présence.

Comme il se peut que les curés ne soient pas disposés partout à concourir au succès d'un travail pourtant si nécessaire, et comme on doit même prévoir que quelques-uns peuvent éprouver des obstacles de la part de leurs habitants, il faudra y suppléer, si le cas se présente, en engageant ou le seigneur, ou quelque personne notable qui possède la confiance de la paroisse, à prendre le soin de diriger les opérations relatives au soulagement des pauvres.

Je vous envoie par cette raison, outre les paquets destinés aux curés, un assez grand nombre d'exemplaires, tant de la lettre que je leur écris, que de l'instruction et de mon ordonnance, afin que vous puissiez en distribuer aux principaux seigneurs ou gentilshommes de votre subdélégation qui résident dans les paroisses de la campagne, et que vous croirez disposés à faciliter l'opération par leurs soins. Je présume, au reste, que dans le plus grand nombre des paroisses les curés eux-mêmes leur communiqueront mes instructions, ainsi que je les en prie par ma lettre du 1er mars.

Dans les villes, c'est aux officiers municipaux que mes lettres et

instructions doivent être remises, puisque c'est à eux à convoquer les assemblées; mais il est convenable que vous donniez aussi connaissance de toute l'opération aux principaux officiers des juridictions, en leur remettant un exemplaire de l'ordonnance et de mes instructions. Je ne doute pas qu'ils ne se fassent un plaisir de concourir à l'objet que je me suis proposé, et de donner l'exemple aux autres citoyens.

Vous verrez, par la lecture de mon ordonnance, que tout ce qu'il peut y avoir de contentieux dans l'opération, tout ce qui peut y exiger l'intervention de l'autorité, roulera entièrement sur vous. Je sens que ce sera un détail fatigant; mais j'ai compté sur votre zèle dans une occasion aussi intéressante pour l'humanité.

J'ai cru devoir aussi, dans le cas prévu par l'article 29 de cette ordonnance, autoriser même les premiers juges sur ce requis à décerner à votre défaut les contraintes pour obliger les particuliers refusant de nourrir les pauvres qui leur auraient été distribués, à leur fournir du moins la subsistance par provision, jusqu'à ce qu'il en ait été autrement ordonné. Il y a des paroisses très-éloignées de la résidence du subdélégué, et il serait à craindre qu'avant que celuici eût pu rien statuer, les pauvres ne demeurassent sans ressources : j'ai pensé que toute autorité était bonne pour pourvoir à un besoin aussi pressant.

Il me semble avoir donné, dans les articles 8 et suivants jusqu'à l'article 19, des règles si précises sur la manière dont les contributions doivent être réparties, que vous aurez peu de peine, soit à en vérifier les rôles, soit à statuer sur les plaintes en surcharge. Il vous suffira le plus souvent de consulter les rôles des tailles.

Quant aux exécutoires pour procéder, soit par voie de saisieexécution, soit par établissement de garnison pour contraindre les refusants, vous les décernerez sur la requête ou des assemblées de charité, ou des curés, ou des syndics des pauvres, si les paroisses en choisissent.

Ce qui vous embarrassera le plus sera de décider sur toutes les altercations qui s'élèveront vraisemblablement dans beaucoup de paroisses à cette occasion. Je m'attends bien que partout il y aura des plaintes, les uns trouvant qu'on a trop restreint le nombre des pauvres, les autres qu'en l'étendant trop on a trop grevé les aisés. Les présents voudront presque partout se décharger de la plus grande

partie du fardeau sur les absents. Souvent ceux qui ont quelque pouvoir en abuseront pour se dispenser de contribuer, et peut-être il y aura bien des paroisses où l'on ne voudra prendre aucune résolution. Il m'est impossible de vous prescrire des règles fixes pour tous ces cas; je dois m'en rapporter à votre zèle et à votre prudence. Je vous exhorte en général à ne rien épargner pour terminer ces divisions par voie de conciliation. Le plus souvent vous y parviendrez en vous transportant sur les lieux, ou en chargeant quelqu'un de confiance de s'y rendre on votre nom, ainsi que vous y êtes autorisé par l'article 30 de mon ordonnance'.

X. ORDONNANCE

PORTANT SUSPENSION DES LOIS SUR LE TIMBRE ET LE CONTROLE, et des PRIVILÉGES DES HUISSIERS ROYAUX 2. (7 mars 1770.)

DE PAR LE ROI. ANNE-ROBERT-JACQUES TURGOT, etc. Nous ayant été exposé par le sieur lieutenant-général de la sénéchaussée de Limoges, que, dans les différentes contestations qui s'élèvent sur l'exécution de l'arrêt du Parlement de Bordeaux du

Le surplus de la Lettre rappelle les instructions données dans celle du 16 février. Voir page 28.

Tous les travaux dont on vient de rendre compte et de publier les principales pieces, avaient organisé les bureaux de charité. Mais dans leurs opérations ils rencontrèrent la fiscalité, qui exigeait que leurs actes fussent sur papier timbré, et qui les soumettait au contrôle. Ils trouvèrent encore les priviléges des officiers ministériels immatriculés dans les juridictions royales dépense et retard, fondés neanmoins sur des lois financières et sur l'organisation des tribunaux.

Tout intendant aurait senti, comme M. Turgot, que cette fiscalité et ces formes, ces priviléges qui tenaient originairement à une autre fiscalité, étaient dans une telle circonstance tout à fait contraires aux intentions du gouvernement, qui, loin de vouloir tirer un revenu de la calamité publique, se portait généreusement à des sacrifices considérables pour en alléger les maux. Il n'en était presque aucun qui ne se fût hâté de le représenter au ministre des finances et au chancelier, et n'eût sollicité à cet égard la décision du Conseil, puis les ordres du roi. — Tous auraient cru devoir les attendre.

Nul autre que M. Turgot n'aurait osé suspendre provisoirement l'effet de deux lois, l'une fiscale, l'autre judiciaire, parce qu'elles absorbaient une partie des fonds et ralentissaient les efforts de la charité. Il est même très-vraisemblable que tout autre aurait été blàmé de l'avoir pris sur lui. — Mais M. Turgot ne craignait jamais de faire ce qui était évidemment utile. Le poids de sa vertu et celui de son caractère empéchaient qu'on lui reprochat d'y avoir mis de la célérité. Il est vrai

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17 janvier dernier, relatif à la subsistance des pauvres, les bureaux de charité établis en chaque paroisse, lorsqu'ils sont forcés de faire des actes aux différents particuliers qui refusent de se soumettre aux répartitions par eux faites, font écrire ces actes sur du papier marqué, les font revêtir de la formalité du contrôle, et se servent quelquefois d'huissiers royaux, quoiqu'éloignés de leurs paroisses, sous prétexte que ces actes doivent être faits hors de l'étendue des juridictions seigneuriales aux greffes desquelles les sergents sont immatriculés;-Que, de toutes ces circonstances, il résulte des frais d'autant plus préjudiciables, que, dans une opération momentanée et nécessairement précipitée, il n'est pas possible qu'il ne se soit fait plusieurs injustices involontaires;-Que ceux qui éprouvent ces injustices seraient trop à plaindre, s'ils étaient obligés de payer des frais qu'ils n'auraient pas mérités;-Qu'il ne semble pas juste non plus de faire tomber ces frais sur les bureaux de charité, composés d'honnêtes citoyens qui n'ont que des vues louables et qui peuvent facilement être trompés sur une multitude de faits et de discussions qu'entraîne l'opération à laquelle ils se livrent pour soulager les malheureux;

- Qu'en conséquence il croit devoir nous représenter la nécessité d'obvier à ces inconvénients, en autorisant les bureaux de charité et les juges des lieux, ainsi que les sénéchaux, à faire usage de papier non timbré dans tous les actes relatifs à la subsistance des pauvres et à l'exécution dudit arrêt du Parlement, du 17 janvier dernier; comme aussi en déchargeant lesdits actes et ordonnances de la formalité du contrôle et du scel, et finalement en autorisant les sergents des juridictions seigneuriales à exploiter dans cette partie, même hors de leur juridiction;

Vu lesdites représentations, et considérant qu'en effet on ne peut trop s'occuper du soin de décharger de tous frais inutiles une opération aussi intéressante que la répartition des contributions charitables destinées dans chaque paroisse à la subsistance des pauvres; Que ces motifs ont déjà déterminé le Parlement de Bordeaux à statuer que toutes les ordonnances rendues sur cette matière seraient purement gratuites; Que les vues de cette Cour ne

qu'il avait pour appui, au Conseil d'Etat et auprès des deux ministres, la vertu non moins grande et les lumières de MM. Trudaine père et fils.

La seule précaution qu'il prit fut de se faire représenter le fait par le lieutenantgénéral de la sénéchaussée. (Note de Dupont de Nemours.)

seraient qu'imparfaitement remplies à cet égard, si les différents. actes pour l'obtention et l'exécution de ces ordonnances demeuraient assujettis à des formalités dispendieuses; Qu'enfin les droits du

roi et les intérêts de l'adjudicataire des fermes ne souffriront aucune lésion, puisqu'il s'agit uniquement de la répartition d'une contribution de charité, laquelle ne peut être regardée comme faisant partie du cours ordinaire des actes relatifs aux intérêts des particuliers, ou à l'administration de la justice; que par conséquent il y a lieu de croire que cet adjudicataire ne fera aucune difficulté de se prêter à un arrangement aussi avantageux aux pauvres; Attendu, en outre, que les motifs desdites représentations sont également applicables à toutes les parties de la province;

Nous autorisons les bureaux de charité et les juges des lieux, ainsi que les sénéchaux, à faire usage de papier non timbré dans tous les actés relatifs à la subsistance des pauvres et à l'exécution de l'arrêt du Parlement de Bordeaux du 17 janvier dernier; comme aussi dispensons lesdits actes et ordonnances de la formalité du contrôle et du scel; et finalement autorisons les sergents des juridictions seigneuriales à exploiter, pour cet objet seulement, même hors de l'étendue des juridictions aux greffes desquelles ils sont immatriculés. Le tout néanmoins par provision, et tant qu'il n'en sera autrement ordonné par le Conseil. Et sera notre présente ordonnance lue et publiée partout où besoin sera.

Fait à Limoges, le 7 mars 1770.

XI. ORDONNANCES

POUR LE MAINTIEN DE LA LIBERTÉ DU COMMERCE DES GRAINS

DE PAR LE ROI. ANNE-ROBERT-JACQUES TURGOT, etc. Étant informé que quelques habitants de différentes villes et bourgs ont cherché à intimider par des murmures, et même par des

1 Dans ces moments de crise, on ne pouvait se borner à éclairer les esprits, à instruire sur le bien et à l'ordonner. Il fallait aussi prohiber le mal et se défendre contre lui. Il fallait, comme les Juifs rebâtissant Jérusalem, combattre d'une main en travaillant de l'autre.

Les approvisionnements arrivaient, et on les répartissait aussitôt qu'ils étaient

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