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un crime, c'est en commettre un; celui qui commande d'assassiner est regardé par tout le monde comme un assassin. Or, le prince qui ordonne à son sujet de professer la religion que celui-ci ne croit pas, ou de renoncer à celle qu'il croit, commande un crime: le sujet qui obéit fait un mensonge; il trahit sa conscience, il fait une chose qu'il croit que Dieu lui défend.

Le protestant qui, par intérêt ou par crainte, se fait catholique, et le catholique qui, par les mêmes motifs, se fait protestant, sont tous deux coupables du même crime. Car ce n'est pas la vérité ou la fausseté d'une assertion qui constituent le mensonge et le parjure; celui qui affirme avec serment une chose vraie qu'il croit fausse, est tout aussi menteur, tout aussi parjure, que si la chose était effectivement fausse. Le mensonge ou le parjure consistent dans la contradiction entre l'assertion et la persuasion de celui qui affirme ou qui fait serment'.

'Le reste de ce Mémoire est malheureusement perdu. Il n'a point été retrouvé dans ce qui est resté des papiers de M. Turgot. Ce que l'on vient de transcrire l'est sur un essai raturé, qu'il paraît que M. Turgot a remis au net de sa main.

Le juste empressement qu'il avait d'offrir au roi les mémoires qu'il faisait pour ce prince seul, et qui ne pouvaient pas être d'une main étrangère; la crainte de perdre le moment où ils pouvaient être le plus utiles, l'empêchaient le plus souvent d'en faire garder minute par ses amis les plus intimes, et de les recopier luimême. La justesse de son esprit, l'étendue de ses lumières, la perfection habituelle de son style, laissaient peu de matière aux corrections; et, son écriture étant fort nette, c'était ordinairement son premier jet, l'original de son travail qu'il portait au roi.

Nous sommes privés ainsi de la partie la plus intéressante de son ministère, de celle qui était la plus confidentielle, et qui aurait été la plus instructive. (Note de Dupont de Nemours.)

Turgot avait proposé à Louis XVI, qui ne les adopta pas, les formules de serment ci-après :

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Toutes les Églises de mon royaume doivent

Promesse du roi aux évêques. compter sur ma protection et sur ma justice. Serment du sacre. Je promets à Dieu et à mes peuples de gouverner mon royaume par la justice et par les lois; de ne jamais faire la guerre que pour une cause juste et indispensable; d'employer toute mon autorité à maintenir les droits de chacun de mes sujets; de les défendre contre toute oppression, et de travailler toute ma vie à les rendre aussi heureux qu'il dépendra de moi. Serment du grand-maître de l'ordre du Saint-Esprit. Je promets de maintenir l'ordre du Saint-Esprit dans l'éclat que lui ont conservé mes prédécesseurs. Il est de mon intérêt que l'admission dans cet ordre continue d'être un objet d'émulation pour ma noblesse; cette admission est une récompense de ses services d'autant plus flatteuse, que l'honneur en fait tout le prix, et qu'elle attache ceux qui en sont décorés d'une manière plus spéciale à ma personne par une sorte

MÉMOIRE AU ROI, sur les Municipalités, sur la hiérarchie qu'on pourrait établir entre elles, et sur les services que le gouvernement en pourrait tirer 1. (......... 1775 2.)

Sire, pour savoir s'il convient d'établir des municipalités en France dans les cantons qui en sont privés, s'il faut perfectionner ou changer celles qui existent déjà, et comment constituer celles qu'on croira nécessaires, il ne s'agit pas de remonter à l'origine des administrations municipales, de faire une relation historique des vicissitudes qu'elles ont essuyées, ni même d'entrer dans de grands détails sur les diverses formes qu'elles ont aujourd'hui. On a beaucoup trop employé, en matières graves, cet usage de décider ce qu'on doit faire, par l'examen et l'exemple de ce qu'ont fait nos ancêtres dans des temps que nous convenons nous-mêmes avoir été des temps d'ignorance et de barbarie. Cette méthode n'est propre qu'à égarer la justice à travers la multiplicité des faits qu'on présente comme autorités. Elle tend à dégoûter les princes de leurs plus importantes fonctions en leur persuadant que, pour s'en acquitter avec fruit et avec gloire, il faut être prodigieusement savant. Il ne faut cependant que bien connaître et bien peser les droits et les intérêts des hommes. Ces droits et ces intérêts ne sont pas fort

de confraternité qui m'est chère, et qui assure à jamais à l'ordre toute ma protection.

Serment du grand-maître de l'ordre de Saint-Louis. Je maintiendrai l'ordre de Saint-Louis dans toutes ses prérogatives; j'en porterai toujours la croix comme symbole de l'honneur; elle me rappellera la reconnaissance que je dois aux braves qui l'ont méritée au prix de leur sang.

Serment sur les duels. - Je promets de faire tout ce qui dépendra de moi pour abolir la coutume barbare des duels, condamnée par la religion et proscrite par les lois de mes prédécesseurs.

Je confirme par serment toutes les choses énoncées ci-dessus : qu'ainsi Dieu et les saints Évangiles me soient en aide!

'Dupont de Nemours ne fixe pas la date de ce Mémoire; mais la note qui le termine porte à penser qu'il fut écrit en 1775. (E. D.)

2 Toutes les idées du Mémoire suivant appartiennent à M. Turgot. Elles présentent le projet de constitution qu'il aurait voulu donner à la France pour l'avantage mutuel de la nation et du roi.

La rédaction est d'une autre main. Il en avait confié le premier essai à son ami le plus intime *; mais il avait approuvé cet essai, qu'il se proposait de corriger, et de récrire en entier, avec la sévérité la plus scrupuleuse, comme il faisait de tous les ouvrages auxquels il permettait à ses amis de coopérer.

Nous indiquerons à la fin la principale et très-importante addition qu'il se proposait de faire à ce projet. (Note de Dupont de Nemours.)

C'est lui-même, selon toute apparence, que désigne ici Dupont de Nemours. (E. D.)

multipliés, de sorte que la science qui les embrasse, appuyée sur des principes de justice que chacun porte dans son cœur, et sur la conviction intime de nos propres sensations, a un degré de certitude très-grand, et néanmoins n'a que peu d'étendue. Elle n'exige pas une fort longue étude, et ne passe les forces d'aucun homme de bien.

Les droits des hommes réunis en société ne sont point fondés sur leur histoire, mais sur leur nature. Il ne peut y avoir de raison de perpétuer les établissements faits sans raison. Les rois, prédécesseurs de Votre Majesté, ont prononcé, dans les circonstances où ils se sont trouvés, les lois qu'ils ont jugées convenables. Ils se sont trompés quelquefois. Ils l'ont été souvent par l'ignorance de leur siècle, et plus souvent encore ils ont été gênés dans leurs vues par des intérêts particuliers très-puissants, qu'ils ne se sont pas cru la force de vaincre, et avec lesquels ils ont mieux aimé transiger. Il n'y a rien là-dedans qui puisse vous asservir à ne pas changer les ordonnances qu'ils ont faites, ou les institutions auxquelles ils se sont prêtés, quand vous avez reconnu que ce changement est juste, utile et possible. Aucune de vos Cours les plus accoutumées aux réclamations, n'oserait contester à Votre Majesté, pour réformer les abus, un pouvoir législatif tout aussi étendu que celui des princes qui ont donné ou laissé lieu à ces abus que l'on déplore. La plus grande de toutes les puissances est une conscience pure et éclairée dans ceux à qui la Providence a remis l'autorité. C'est le désir prouvé de faire le bien de tous.

Votre Majesté, tant qu'elle ne s'écartera pas de la justice, peut donc se regarder comme un législateur absolu, et compter sur sa bonne nation pour l'exécution de ses ordres.

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Cette nation est nombreuse; ce n'est pas le tout qu'elle obéisse : il faut s'assurer de la pouvoir bien commander, et pour le faire sans erreur, il faudrait connaître sa situation, ses besoins, ses facultés, et même dans un assez grand détail. C'est ce qui serait plus utile que l'historique des positions passées. Mais c'est encore ce à quoi Votre Majesté ne peut pas espérer de parvenir dans l'état actuel des choses, ce que vos ministres ne peuvent pas se promettre ni vous promettre, ce que les intendants ne peuvent guère plus, ce que les subdélégués, que ceux-ci nomment, ne peuvent même que très-imparfaitement pour la petite étendue confiée à leurs soins.

De là naissent, dans l'assiette et la répartition des impositions, dans les moyens de les lever, et dans l'administration intérieure, une infinité d'erreurs, celles qui excitent le plus de murmures et qui, portant le plus sur les dernières classes du peuple, contribuent effectivement le plus à les rendre malheureuses. Il serait impossible d'y pourvoir, si l'on n'imaginait pas quelques formes, quelques institutions d'après lesquelles la plupart des choses qui doivent être faites, se fassent d'elles-mêmes suffisamment bien, et sans que Votre Majesté ni ses principaux serviteurs aient besoin d'être instruits que de très-peu de faits particuliers, ni d'y concourir autrement que par la protection générale que vous devez à vos sujets.

La recherche de ces formes est l'objet de ce Mémoire.

La cause du mal, sire, vient de ce que votre nation n'a point de constitution. C'est une société composée de différents ordres mal unis et d'un peuple dont les membres n'ont entre eux que trèspeu de liens sociaux; où par conséquent chacun n'est guère occupé que de son intérêt particulier exclusif, presque personne ne s'embarrasse de remplir ses devoirs ni de connaître ses rapports avec les autres; de sorte que, dans cette guerre perpétuelle de prétentions et d'entreprises que la raison et les lumières réciproques n'ont jamais réglées, Votre Majesté est obligée de tout décider par ellemême ou par ses mandataires. On attend vos ordres spéciaux pour contribuer au bien public, pour respecter les droits d'autrui, quelquefois même pour user des siens propres. Vous êtes forcé de statuer sur tout, et le plus souvent par des volontés particulières, tandis que vous pourriez gouverner comme Dieu par des lois générales, si les parties intégrantes de votre empire avaient une organisation régulière et des rapports connus.

Votre royaume est composé de provinces: ces provinces le sont de cantons ou d'arrondissements qu'on nomme, selon les provinces, bailliages, élections, sénéchaussées, vigueries ou de tel autre nom. Ces arrondissements sont formés d'un certain nombre de villages et de villes. Ces villes et ces villages sont habités par des familles. Il en dépend des terres qui donnent des productions: ces productions font vivre tous les habitants et fournissent des revenus avec lesquels on paye des salaires à ceux qui n'ont point de terres, et l'on acquitte les impôts consacrés aux dépenses publiques. Les familles enfin sont composées d'individus, qui ont beaucoup de devoirs à rem

plir les uns envers les autres et envers la société, devoirs fondés sur les bienfaits qu'ils en ont reçus et qu'ils en reçoivent chaque jour.

Mais les individus sont assez mal instruits de leurs devoirs dans la famille, et nullement de ceux qui les lient à l'Etat. Les familles elles-mêmes savent à peine qu'elles tiennent à cet Etat, dont elles font partie elles ignorent à quel titre. — : Elles regardent l'exercice de l'autorité pour les contributions qui doivent servir au maintien de l'ordre public comme la loi du plus fort, à laquelle il n'y a d'autre raison de céder que l'impuissance d'y résister, et que l'on peut éluder quand on en trouve les moyens. De là chacun cherche à vous tromper et à rejeter les charges sociales sur ses voisins. Les revenus se cachent et ne peuvent plus se découvrir que très-imparfaitement, par une sorte d'inquisition dans laquelle on dirait que Votre Majesté est en guerre avec son peuple. Et dans cette espèce de guerre qui, ne fût-elle qu'apparente, serait toujours fâcheuse et funeste, personne n'a intérêt à favoriser le gouvernement; celui qui le ferait serait vu de mauvais œil. Il n'y a point d'esprit public, parce qu'il n'y a point d'intérêt commun visible et connu. Les villages et les villes, dont les membres sont ainsi désunis, n'ont pas plus de rapports entre eux dans les arrondissements auxquels ils sont attribués. Ils ne peuvent s'entendre pour aucun des travaux publics qui leur seraient nécessaires. -Les différentes divisions sont dans le même cas, et les provinces elles-mêmes s'y trouvent par rapport au royaume.

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Quelques-unes de ces provinces ont cependant une espèce de constitution, des assemblées, une sorte de vœu public; c'est ce qu'on appelle les pays d'Etats. Mais étant composés d'ordres dont les prétentions sont très-diverses et les intérêts très-séparés les uns des autres et de celui de la nation, ces Etats sont loin encore d'opérer tout le bien qui serait à désirer pour les provinces à l'administration desquelles ils ont part. C'est peut-être un mal que ces demi-biens locaux. Les provinces qui en jouissent sentent moins la nécessité de la réforme. La meilleure et la plus douce manière de les y conduire serait, pour Votre Majesté, la bonté avec laquelle elle donnerait, aux autres provinces qui n'ont point du tout de constitution, une constitution mieux organisée que celle dont s'enorgueillissent aujourd'hui les pays d'Etats. C'est par l'exemple qu'on peut leur faire désirer, sire, que votre pouvoir les autorise à changer ce qu'il y a de défectueux dans leur forme actuelle.

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