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MÉMOIRE sur l'exécution du plan adopté par le roi pour parvenir à détruire entièrement la maladie qui s'est répandue sur les bestiaux en Guyenne et dans les provinces circonvoisines. (4 février 1775.)

L'expérience a fait voir que toutes les précautions prises jusqu'à présent pour arrêter les progrès de la maladie épizootique répandue en Guyenne sont insuffisantes, et que, malgré les cordons de troupes qui ont été formés, malgré la vigilance des officiers qui les commandent, réunie à celle des administrateurs, l'on n'a pu empêcher que l'imprudence ou l'avidité de quelques particuliers, soit en conduisant par des chemins détournés des bestiaux suspects, soit en transportant en fraude des cuirs d'animaux morts de la contagion, ne lui aient fait franchir la barrière qu'on avait cru y opposer, en sorte que la maladie s'est montrée tout à coup à des distances trèséloignées, et au milieu de provinces qui se croyaient à l'abri du danger. Dans plusieurs endroits, on est parvenu à l'étouffer sur-lechamp par la célérité avec laquelle on a fait tuer toutes les bêtes malades, séparer toutes les bêtes saines, et désinfecter les étables. On ne saurait trop louer l'ardeur et l'unanimité avec lesquelles toutes les autorités se sont concertées pour garantir le Languedoc de ce fléau. Cependant, malgré le zèle des États, la vigilance de M. le comte de Périgord et celle de M. de Saint-Priest, la maladie a pénétré dans plusieurs endroits de cette province, et n'a pu y être étouffée que par des mesures prises avec une activité et une célérité vraiment admirables, et que par là même on ne peut pas espérer de trouver dans toutes les provinces, surtout dans celles où la maladie peut se montrer tout à coup sans que personne s'y soit attendu, et sans qu'on y soit instruit d'avance des précautions à prendre.

Tant que la maladie subsistera dans un pays aussi vaste que celui qu'elle embrasse actuellement, on doit toujours craindre qu'elle ne gagne les provinces voisines, et que de proche en proche elle n'infecte la totalité du royaume.

On ne peut se flatter de prévenir une aussi grande calamité qu'en attaquant le mal dans toutes les parties qu'il a déjà désolées, et en y éteignant, s'il est possible, tous les germes de la contagion. Ce parti est d'autant plus pressant à prendre qu'on peut encore espérer de sauver par là un très-grand nombre de paroisses, et même plusieurs cantons très-étendus où la maladie n'a point encore pénétré, par

la vigilance des habitants et des administrateurs à intercepter toute communication avec les lieux infectés. Mais leur vigilance court à chaque instant risque de devenir inutile, puisque, aussi longtemps qu'ils seront environnés de toutes parts des foyers de la contagion, la plus légère imprudence suffit pour déconcerter toutes leurs mesures, et les rendre tôt ou tard victimes de la négligence de leurs voisins.

Il y a d'autres cantons où les paysans, trompés par les fausses espérances que leur ont données des charlatans, s'obstinent à garder les bestiaux malades jusqu'à ce qu'ils meurent; à les laisser confondus avec les bestiaux sains dans les mêmes étables, dans les mêmes påturages; à ne prendre aucune précaution pour purifier les étables où la maladie a régné, avant d'y mettre d'autres bestiaux. Rien n'a pu vaincre l'opiniâtreté des paysans du Condomois sur tous ces points, et c'est à cette cause surtout qu'on doit attribuer la violence avec laquelle la maladie a ravagé cette partie de la Guyenne. Tant qu'on laissera subsister de pareils foyers du mal, jamais ce fléau ne cessera de menacer les parties saines; la contagion deviendra éternelle; elle ne finira pas même par la destruction de tous les animaux existants dans les lieux attaqués, parce que les étables et les râteliers infectés feront renaître la maladie, lorsqu'au bout de quelque temps on les aura repeuplés de nouveaux bestiaux. Ce sera donc un levain de contagion toujours subsistant dans le royaume, toujours prêt à infecter la masse entière, et à produire de temps en temps des épizooties générales.

Ces considérations ont fait penser à Sa Majesté qu'il était indispensable de s'occuper sans délai à détruire entièrement cette maladie, et à en déraciner tous les germes dans tous les lieux où elle a pénétré jusqu'à présent.

Sa Majesté s'est convaincue que ce projet n'a rien que de trèspraticable en effet, il est constaté par le rapport de tous les gens de l'art, de tous ceux qui ont observé la nature de cette maladie et la marche de ses progrès, et en particulier par les expériences multipliées qu'a faites M. Vicq-d'Azir, médecin de l'Académie des sciences, envoyé par le roi sur les lieux, que le mal ne se répand que par la communication médiate ou immédiate du bétail malade avec le bétail sain; en sorte que, dans les lieux mêmes où la contagion déploie le plus sa fureur, les bestiaux qu'on a tenus enfermés et isolés

de toute communication, ont été préservés du mal. Ce fait, qui est constant, donne lieu de se flatter que cette peste est étrangère au royaume, et qu'elle y a été introduite par des cuirs arrivés par mer à Bayonne.

Il suit de là que si, dans une paroisse où la contagion a pénétré, l'on tue sans exception toutes les bêtes malades, si on les brûle ou si on les enterre avec leurs cuirs et leurs cornes, de façon à empêcher que leurs cadavres ne deviennent une nouvelle source de contagion; si l'on éloigne de toute communication les troupeaux où il n'y a point eu de bêtes malades; si l'on tient renfermés dans des étables particulières les bêtes encore saines, retirées des étables où il y a eu des bêtes malades, et si l'on a soin de les tenir ainsi séparées des autres bêtes saines jusqu'à ce qu'on se soit assuré, par un temps assez long, qu'elles n'ont point contracté la maladie; si on purifie les étables où il y a eu des bêtes malades, avec les précautions les plus sûres et dont l'efficacité est reconnue en pareil cas, l'on parviendra à éteindre entièrement le mal dans cette paroisse, au point qu'on pourra la repeupler de bestiaux sains, sans craindre d'exposer ces nouveaux venus à la contagion.

L'expérience a confirmé ce raisonnement; la maladie s'est montrée dans plusieurs paroisses du Périgord, où elle a été éteinte tout de suite par la sage précaution qu'on a prise de tuer sur-le-champ toutes les bêtes malades, et de désinfecter les étables. De même la contagion n'a fait aucun progrès en Languedoc, quoiqu'elle se soit montrée dans plusieurs paroisses assez éloignées les unes des autres, et cela parce qu'on n'y a pas perdu un moment à prendre toutes les précautions nécessaires pour en éteindre tous les germes.

Il est donc clair qu'en faisant à la fois, dans le plus grand nombre de paroisses qu'il sera possible, toutes les opérations exécutées avec succès pour désinfecter quelques paroisses du Languedoc et du Périgord, et en continuant d'opérer ainsi successivement sur toutes les paroisses qui sont ou qui ont été infectées dans l'étendue des provinces affligées de la maladie, l'on peut se flatter de purger entièrement le royaume de ce fléau.

C'est le but des mesures que Sa Majesté a prescrites, et qui vont être expliquées.

Le cordon de troupes qui a été formé jusqu'à présent sous les ordres de différents commandants pour circonscrire les provinces ac

tuellement affligées de la maladie, et garantir, s'il est possible, de la communication les provinces intactes, doit subsister pour continuer à remplir le même objet.

Outre ce premier cordon, il en sera établi d'intérieurs à quelques distances pour couper la communication entre des villages renfermés dans l'intervalle des deux cordons et le centre des provinces attaquées, afin qu'on puisse désinfecter à la fois tous les villages compris dans cet intervalle, sans avoir à craindre qu'une contagion nouvellement introduite vienne croiser les opérations.

Voici comme on procédera à cette désinfection.

Il sera envoyé, dans chacune des paroisses comprises dans l'intervalle qu'on aura entrepris de purifier, un détachement de soldats suffisant pour, avec les paysans qui pourront être commandés, exécuter toutes les opérations prescrites par l'instruction composée par le sieur Vicq-d'Azir, et imprimée par ordre du roi pour la purification des paroisses. Ce détachement sera accompagné d'une personne experte, soit élève de l'Ecole vétérinaire, soit chirurgien, soit maréchal, suffisamment instruite pour reconnaître les bêtes malades et exécuter tous les procédés indiqués par le sieur Vicq-d'Azir. Il sera nécessaire qu'il y ait aussi une personne chargée des instructions de l'intendant ou du subdélégué pour donner les ordres convenables aux officiers municipaux, et pour faire payer sur-le-champ aux propriétaires le tiers de la valeur des bestiaux qu'on sera obligé de sacrifier.

On visitera toutes les étables et tous les bestiaux de la paroisse, sans exception, avec les précautions indiquées pour n'occasionner aucune communication entre les bêtes saines et les bêtes malades.

On fera tuer sans délai tous les animaux attaqués; on les fera enterrer sur-le-champ, après avoir fait taillader les cuirs dans des fosses assez profondes pour que non-seulement les animaux voraces ne puissent entreprendre de les déterrer et d'en emporter les chairs, mais encore pour que les émanations putrides qui s'en exhaleraient ne puissent répandre la contagion. Le plus sûr sera de mettre dans les fosses, avec les cadavres, une assez grande quantité de chaux vive pour que les chairs soient promptement consumées.

On aura soin de faire séparer les bêtes saines, de faire enfermer à part celles qui auront communiqué avec les malades, pour être gardées en quarantaine jusqu'à ce qu'on soit assuré qu'elles n'ont pu

gagner la maladie, et l'on purifiera toutes les étables suivant la méthode décrite dans l'instruction de M. Vicq-d'Azir.

Il est indipensable de mettre la plus grande exactitude et la plus grande fermeté dans l'exécution de ces ordres, et de vaincre, par toute la force de l'autorité, la résistance de ceux qui refuseraient de s'y prêter.

Le sacrifice des bestiaux attaqués, bien loin d'être onéreux aux propriétaires, leur devient très-avantageux, puisque, malgré les recettes multipliées qu'on a répandues de tous côtés, malgré les espérances illusoires dont une foule de charlatans ont flatté des paysans aveuglés, une expérience trop malheureuse a constaté qu'aucun remède connu n'avait pu triompher de cette maladie. Tous les soins des élèves des Ecoles vétérinaires, ceux des plus habiles médecins du pays, ceux de M. Vicq-d'Azir, et les différentes tentatives qu'il a faites, n'ont servi qu'à constater cette triste vérité, qu'il n'y a contre cette maladie aucun remède sûr; que, s'il n'est pas absolument impossible de sauver quelques individus, ce ne peut être que par un traitement commencé dès les premiers instants du mal, et suivi méthodiquement avec une attention dont il n'y a que les médecins les plus expérimentés qui soient capables; qu'il serait insensé d'attendre ces soins assidus et réfléchis des personnes auxquelles sont nécessairement livrés les bestiaux des campagnes; que les individus même qu'on sauverait, infecteraient, pendant la durée du traitement, d'autres animaux qu'on ne sauverait pas; qu'avec les soins les plus constants, et en employant les remèdes les plus appropriés, l'on ne sauverait jamais un animal sur vingt, peut-être sur cinquante animaux attaqués; que, quand on aurait une espérance raisonnable d'en sauver un sur trois, le propriétaire serait exactement indemnisé du sacrifice des bestiaux tués, en recevant le tiers de leur valeur, et que, si l'espérance est presque nulle, comme il n'est que trop notoire, le payement de ce tiers est un pur acte de bienfaisance du roi envers ses sujets.

Enfin, il n'y a d'armes contre cette contagion que de tuer et de séparer. Il serait indispensable de tuer tout ce qui est infecté pour sauver l'Etat entier, menacé d'un fléau destructeur. Combien ce sacrifice nécessaire ne doit-il pas devenir facile, quand le propriétaire y trouve encore son avantage! Se relâcher sur cette précaution serait une condescendance funeste; ce ne serait pas céder à une

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