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Cette opération est également avantageuse à ces officiers, à leurs créanciers et au peuple.

La plupart de ces communautés se plaignent de ce que les produits dont elles jouissent actuellement sont affaiblis au point de ne plus suffire à l'acquittement des charges dont elles sont grevées. Ainsi les titulaires des offices en perdraient la valeur, et leurs créanciers verraient diminuer et s'affaiblir le gage de leurs créances.

A l'égard de nos sujets, auxquels nous désirons donner en toute occasion des marques de notre affection, leur intérêt exige que les droits ci-devant aliénés auxdites communautés soient désormais réunis dans notre main, et régis sous nos ordres, afin qu'en attendant le temps où l'état de nos finances nous permettra d'en faire cesser la perception, nous ayons au moins la facilité de les rendre moins onéreux, en y apportant des modifications ou des réductions qui seraient impossibles, si l'existence des offices, soutenue d'un exercice actuel, fournissait des prétextes aux titulaires pour troubler, par des demandes d'indemnités, les arrangements que nous nous proposons d'adopter pour le plus grand avantage de nos peuples.

A ces causes, etc., nous avons, par notre présent édit, statué et ordonné ce qui suit :

Art. I. L'article I de l'édit du mois de septembre 1759 sera exécuté : en conséquence, tous offices créés par les édits des mois de janvier 1727 et juin 1730, sur les ports, quais, halles, marchés et chantiers de notre bonne ville de Paris, demeureront supprimés à compter du jour de la publication du présent édit. Défendons à tous ceux qui s'en trouvent pourvus, et à leurs commis ou préposés, de continuer d'en exercer à l'avenir les fonctions.

II. Exceptons néanmoins les offices de rouleurs, chargeurs et déchargeurs, jurés-vendeurs et contrôleurs des vins et liqueurs, courtiers-commissionnaires de vins et autres, lesquels ont été réunis au domaine et patrimoine de notre bonne ville de Paris, par la déclaration du 16 août 1755, et par les édits des mois de juin 1741 et août 1744, desquels offices les droits continueront d'être perçus au profit de ladite ville.

III. Les droits ci-devant attribués aux communautés d'officiers, dont nous ordonnons définitivement la suppression, seront, ainsi que les droits réunis à nos fermes, perçus à notre profit, par l'adjudicataire de nosdites fermes, à commencer du jour de la publication du présent édit, jusqu'à ce qu'il en soit par nous autrement ordonné, à l'exception toutefois des droits réunis au domaine et patrimoine de notre ville de Paris, mentionnés en l'article précédent, desquels elle continuera de jouir comme par le passé.

IV. Les propriétaires des offices supprimés par le présent édit seront incessamment remboursés des fonds par nous à ce destinés, suivant la liquidation faite par l'édit de mars 1760, et en la même manière que la finance

desdits offices a été payée en nos parties casuelles. En conséquence, ceux desdits propriétaires dont les offices ont été levés en payant un sixième de la finance en argent, seront remboursés en argent dudit sixième, et ceux dont les offices ont été levés en payant en argent le septième seulement, ne recevront pareillement que le septième. Et à l'égard du surplus de la finance desdits offices fournis en papiers, il sera délivré à chacun desdits propriétaires des contrats à 4 pour 100, dont les arrérages, spécialement affectés sur le produit des droits à eux ci-devant attribués, commenceront à courir du jour qu'ils cesseront d'exercer les fonctions desdits offices et d'en percevoir les droits, pour continuer jusqu'à leur entier remboursement.

V. Les arrérages des rentes, dues par les communautés d'officiers supprimés par le présent édit, continueront d'être payés sur le même pied où lesdites rentes ont été liquidées par l'édit de mars 1760, et auront les propriétaires desdites rentes privilége et hypothèque sur le produit des droits réunis en notre main en conséquence de ladite suppression.

VI. Le surplus du produit de ces droits, ainsi que les fonds que nous pourrons y destiner sur nos finances, seront employés en remboursements des capitaux; savoir, par préférence, au remboursement de ceux des rentes actuellement dues par lesdites communautés d'officiers, et ensuite des capitaux des contrats que nous leur aurons donnés pour compléter la finance de leurs offices. Voulons que les intérêts des capitaux remboursés soient progressivement employés à augmenter les fonds d'amortissement, jusqu'au remboursement entier des rentes et des offices, sans que ni le produit des– dits droits, ni lesdits intérêts, puissent être divertis à aucun autre usage.

VII. Nous nous réservons de supprimer, de simplifier ou de modérer ceux desdits droits réunis en notre main qui nous paraîtraient trop onéreux à notre peuple, soit par leur nature, soit par les formalités qu'exige leur perception. Et s'il arrivait que le produit en fût diminué, il sera par nous pourvu, par l'assignation de quelque autre branche de nos revenus, au payement des arrérages et au remboursement des capitaux dus auxdits officiers et à leurs créanciers.

VIII. Dérogeons à tous édits, ordonnances, déclarations, arrêts et règlements, en tout ce qui serait contraire aux dispositions du présent édit. Si donnons en mandement, etc.

ÉDIT DU ROI, portant suppression des jurandes. (Donné à Versailles au mois de février 1776, registré le 12 mars en lit de justice.)

LOUIS, etc. Nous devons à tous nos sujets de leur assurer la jouissance pleine et entière de leurs droits; nous devons surtout cette protection à cette classe d'hommes qui, n'ayant de propriété que leur travail et leur industrie, ont d'autant plus le besoin et le droit d'employer, dans toute leur étendue, les seules ressources qu'ils aient pour subsister.

Nous avons vu avec peine les atteintes multipliées qu'ont données à ce droit naturel et commun des institutions anciennes, à la vérité, mais que ni le temps, ni l'opinion, ni les actes même émanés

de l'autorité, qui semble les avoir consacrées, n'ont pu légitimer. Dans presque toutes les villes de notre royaume, l'exercice des dif férents arts et métiers est concentré dans les mains d'un petit nombre de maîtres réunis en communauté, qui peuvent seuls, à l'exclusion de tous les autres citoyens, fabriquer ou vendre les objets du commerce particulier dont ils ont le privilége exclusif; en sorte que ceux de nos sujets qui, par goût ou par nécessité, se destinent à l'exercice des arts et des métiers, ne peuvent y parvenir qu'en acquérant la maîtrise, à laquelle ils ne sont reçus qu'après des épreuves aussi longues et aussi pénibles que superflues, et après avoir satisfait à des droits ou à des exactions multipliées, par lesquelles une partie des fonds dont ils auraient eu besoin pour monter leur commerce ou leur atelier, ou même pour subsister, se trouve consumée en pure perte.

Ceux dont la fortune ne peut satisfaire à ces dépenses sont réduits à n'avoir qu'une subsistance précaire sous l'empire des maîtres, à languir dans l'indigence, ou à porter hors de leur patrie une industrie qu'ils auraient pu rendre utile à l'État.

Les citoyens de toutes les classes sont privés du droit de choisir les ouvriers qu'ils voudraient employer, et des avantages que leur donnerait la concurrence pour le bas prix et la perfection du travail. On ne peut souvent exécuter l'ouvrage le plus simple, sans recourir à plusieurs ouvriers de communautés différentes, sans essuyer les lenteurs, les infidélités, les exactions que nécessitent ou favorisent les prétentions de ces différentes communautés, et les caprices de leur régime arbitraire et intéressé.

Ainsi les effets de ces établissements sont, à l'égard de l'État, une diminution inappréciable de commerce et de travaux industrieux; à l'égard d'une nombreuse partie de nos sujets, une perte de salaires et de moyens de subsistance; à l'égard des habitants des villes en général, l'asservissement à des priviléges exclusifs dont l'effet est absolument analogue à celui d'un monopole effectif, monopole dont ceux qui l'exercent contre le public, en travaillant et vendant, sont eux-mêmes les victimes dans tous les moments où ils ont à leur tour besoin des marchandises ou du travail d'une autre communauté.

Ces abus se sont introduits par degrés. Ils sont originairement l'ouvrage de l'intérêt des particuliers, qui les ont établis contre le

public. C'est après un long intervalle de temps que l'autorité, tantôt surprise, tantôt séduite par une apparence d'utilité, leur a donné une sorte de sanction.

La source du mal est dans la faculté même accordée aux artisans d'un même métier, de s'assembler et de se réunir en un corps.

Il paraît que, lorsque les villes commencèrent à s'affranchir de la servitude féodale et à se former en communes, la facilité de classer les citoyens par le moyen de leur profession introduisit cet usage inconnu jusqu'alors. Les différentes professions devinrent ainsi comme autant de communautés particulières, dont la communauté générale était composée. Les confréries religieuses, en resserrant encore les liens qui unissaient entre elles les personnes d'une même. profession, leur donnèrent des occasions plus fréquentes de s'assembler, et de s'occuper, dans ces assemblées, de l'intérêt commun des membres de la société particulière; intérêt qu'elles poursuivirent avec une activité continue, au préjudice de ceux de la société générale.

Les communautés, une fois formées, rédigèrent des statuts, et, sous différents prétextes de bien public, les firent autoriser par la police.

La base de ces statuts est d'abord d'exclure du droit d'exercer le métier quiconque n'est pas membre de la communauté; leur esprit général est de restreindre, le plus qu'il est possible, le nombre des maîtres, et de rendre l'acquisition de la maîtrise d'une difficulté presque insurmontable pour tout autre que pour les enfants des maîtres actuels. C'est à ce but que sont dirigés la multiplicité des frais et des formalités de réception, les difficultés des chefs-d'œuvre toujours jugés arbitrairement, surtout la cherté et la longueur inutile des apprentissages, et la servitude prolongée du compagnonnage: institutions qui ont encore l'objet de faire jouir les maîtres gratuitement, pendant plusieurs années, du travail des aspirants.

Les communautés s'occupèrent surtout d'écarter de leur territoire les marchandises et les ouvrages des forains: elles s'appuyèrent sur le prétendu avantage de bannir du commerce des marchandises qu'elles supposaient être mal fabriquées. Ce prétexte les conduisit à demander pour elles-mêmes des règlements d'un nouveau genre, tendant à prescrire la qualité des matières premières, leur emploi et leur fabrication : ces règlements, dont l'exécution fut confiée aux

officiers des communautés, donnèrent à ceux-ci une autorité qui devint un moyen, non-seulement d'écarter encore plus sûrement les forains, comme suspects de contravention, mais encore d'assujettir les maîtres mêmes de la communauté à l'empire des chefs, et de les forcer, par la crainte d'être poursuivis pour des contraventions supposées, à ne jamais séparer leur intérêt de celui de l'association, et par conséquent à se rendre complices de toutes les manœuvres inspirées par l'esprit de monopole aux principaux membres de la communauté.

Parmi les dispositions déraisonnables et diversifiées à l'infini de ces statuts, mais toujours dictées par le plus grand intérêt des maî– tres de chaque communauté, il en est qui excluent entièrement tous autres que les fils de maîtres, ou ceux qui épousent des veuves de maîtres.

D'autres rejettent tous ceux qu'ils appellent étrangers, c'est-àdire ceux qui sont nés dans une autre ville.

Dans un grand nombre de communautés, il suffit d'être marié pour être exclu de l'apprentissage, et par conséquent de la maîtrise.

L'esprit de monopole qui a présidé à la confection de ces statuts a été poussé jusqu'à exclure les femmes des métiers les plus convenables à leur sexe, tels que la broderie, qu'elles ne peuvent exercer pour leur propre compte.

Nous ne suivrons pas plus loin l'énumération des dispositions bizarres, tyranniques, contraires à l'humanité et aux bonnes mœurs, dont sont remplis ces espèces de codes obscurs, rédigés par l'avidité, adoptés sans examen dans des temps d'ignorance, et auxquels il n'a manqué, pour être l'objet de l'indignation publique, que d'être

connus.

Ces communautés parvinrent cependant à faire autoriser dans toutes les villes principales leurs statuts et leurs priviléges, quelquefois par des lettres de nos prédécesseurs, obtenues sous différents prétextes, ou moyennant finance, et dont on leur a fait acheter la confirmation de règne en règne; souvent par des arrêts de nos cours, quelquefois par de simples jugements de police, ou même par le seul usage.

Enfin, l'habitude prévalut de regarder ces entraves mises à l'industrie comme un droit commun. Le gouvernement s'accoutuma à

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