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secours, et qui sont en état de gagner une partie de la subsistance de leurs familles; car comment ferait-on pour mesurer les aliments qu'on leur donnerait et les proportionner à leurs besoins? Vraisemblablement les personnes qui se seraient chargées d'eux ne penseraient qu'à leur ôter tout prétexte de murmurer, en leur donnant autant de nourriture qu'ils en voudraient, sans pouvoir, ou même sans vouloir exiger d'eux aucun travail, ce qui leur ferait contracter l'habitude de l'oisiveté.

SIII. Cependant cette méthode peut avoir quelques avantages dans la campagne, où peut-être quelques propriétaires trouveraient moins dispendieux de nourrir quelques personnes de plus avec leurs métayers ou leurs valets, que de donner de l'argent ou du grain pour faire le fonds du bureau de charité. Si quelques paroisses préferent cette méthode, il sera toujours nécessaire d'arrêter, d'après l'état des pauvres, un rôle pour fixer le nombre que chaque propriétaire devra nourrir.

SIV. Dans le cas, qui paraît devoir être le plus général, où l'on choisira de mettre des fonds en commun pour être employés à la disposition des bureaux de charité, les offres pourront être faites ou en argent, ou en grain, ou même en autres denrées propres au soulagement des pauvres. Il est vraisemblable que, surtout dans les campagnes, la plus grande partie des contributions se feront en grains.

SV. Quand même la plus grande partie des contributions se feraient en argent, il y aurait beaucoup d'inconvénient à distribuer de cette manière les secours destinés à chaque famille. Il n'est arrivé que trop souvent que des pauvres auxquels on avait donné de l'argent pour leur subsistance et celle de leur famille l'ont dissipé au cabaret, et ont laissé leurs familles et leurs enfants languir dans la misère. Il est plus avantageux de donner à chaque famille les denrées dont elle a besoin; il s'y trouve même une espèce d'économie, en ce que ces denrées peuvent être à meilleur marché pour ie bureau de charité qu'elles ne le seraient pour les pauvres mêmes, qui seraient obligés de les acheter en détail chez les marchands, et de supporter par conséquent le profit que ceux-ci devraient y faire. SVI. On ne pense pas cependant qu'il convienne d'assembler les pauvres pour leur faire des distributions de soupe ou de pain, ou d'autres aliments: ces distributions ont l'inconvénient, qu'on a

déjà remarqué, de les accoutumer à la mendicité. Il est d'ailleurs très-difficile d'y mettre l'ordre et d'éviter l'abus des doubles emplois, et des pauvres inconnus peuvent se glisser dans la foule.

S VII. La voie la moins sujette à inconvénient paraît être que les personnes chargées de veiller à la distribution journalière, soit les curés, soit d'autres députés du bureau, aient un boulanger attitré pour les secours qui devront être donnés en pain;

Qu'ils désignent quelque personne intelligente et capable de détail, lorsque l'on jugera plus à propos de faire préparer quelque autre aliment, comme pourraient être du riz ou des légumes;

Et qu'ils remettent à chaque chef de famille un billet d'après lequel le boulanger, ou les personnes chargées de la distribution des autres aliments, donneront au porteur la quantité qu'il aura été trouvé convenable de lui fournir, soit en pain, soit en autres aliments, soit tous les jours, soit un certain nombre de fois par semaine, ainsi qu'il aura été réglé.

Cette méthode aura l'avantage de pouvoir fixer, sans aucun embarras, la quantité de secours qu'on voudra donner à chaque famille. Il deviendra aussi facile de régler la portion de celui qui sera en état de gagner les trois quarts de sa subsistance, que celle du misérable qui ne peut absolument vivre que de charité.

S VIII. Le pain étant, par les malheureuses circonstances où se trouve la province, une des denrées les plus chères, il serait à souhaiter qu'on pût en diminuer la consommation en procurant aux pauvres d'autres subsistances aussi saines et moins dispendieuses. Vraisemblablement, dans plusieurs campagnes, on pourra faire usage du blé noir. Le roi ayant eu la bonté d'autoriser M. l'intendant à employer des fonds en achat de riz, il en a fait venir une certaine quantité de Bordeaux, et il doit en arriver dans quelque temps encore davantage. Ce grain est susceptible d'être préparé de différentes manières peu dispendieuses; elles sont expliquées dans un Avis imprimé, dont il sera joint quelques exemplaires à la présente instruction. Il est à désirer que dans chaque lieu quelque personne charitable se charge de faire exécuter celle de ces préparations qui se trouvera être la moins dispendieuse, ou la plus au goût du peuple les communautés religieuses seraient plus à portée que personne de prendre ce soin. On distribuerait ce riz de la même manière que le pain, sur des billets du curé ou du député du bu

reau. Il y aurait beaucoup de désavantage à distribuer le riz en nature, et sans l'avoir fait préparer : la plus grande partie de ceux à qui l'on en donnerait de cette manière ne sauraient pas en tirer parti, et vraisemblablement ils s'en déferaient à vil prix. On a vu, dans des occasions semblables, des paysans donner une livre de riz pour une livre de pain: cependant une livre de riz nourrit au moins quatre à cinq fois autant qu'une livre de pain, parce qu'il se renfle prodigieusement à la cuisson.

SIX. Il ne paraît guère possible de payer autrement qu'en argent les ouvriers employés dans les ateliers de charité; cependant il leur sera vraisemblablement avantageux de profiter de la facilité que donnera la préparation du riz, pour se nourrir à bon marché : il serait par conséquent utile de leur en procurer les moyens. Cela peut se faire de deux manières : ou en chargeant quelque personne de leur vendre du riz préparé au prix courant, ou en leur donnant des billets pour en recevoir de la même manière que les pauvres ; mais, dans ce cas, on aurait l'attention de retenir sur leurs salaires la valeur de ce riz.

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SX. Le besoin de la subsistance n'est pas le seul qui se fasse sentir le chauffage dans les villes, le vêtement dans les villes et dans les campagnes, sont encore deux objets dont les bureaux de charité pourront avoir à s'occuper; mais on croit inutile d'entrer à ce sujet dans aucun détail.

SXI. Il n'est pas possible de s'occuper, quant à présent, de répartir le riz que le roi a bien voulu destiner au secours des pauvres; la répartition ne peut être faite que d'après l'état connu des pauvres de chaque paroisse. Il est donc nécessaire avant tout que chaque bureau de charité adresse à M. l'intendant, le plus promptement qu'il sera possible, l'état qui aura été dressé des pauvres de chaque paroisse, et de la quantité de secours à fournir à chacun. Cet état doit être accompagné d'une copie de la délibération par laquelle on se sera fixé aux arrangements qu'on aura cru devoir adopter dans chaque ville ou dans chaque communauté. C'est d'après cet envoi que M. l'intendant déterminera, en connaissance de cause, la répartition des secours dont il peut disposer.

S XII. Il y a quelques paroisses dans lesquelles il a été fait des fondations pour distribuer, chaque année, aux pauvres une certaine quantité de grains. Différents arrêts du Conseil ont réuni quelques

unes de ces fondations aux hôpitaux voisins, mais elles subsistent encore dans plusieurs paroisses. Le meilleur usage qu'on en puisse faire est de les employer avec les contributions qui seront fournies de la même manière, et suivant les arrangements qui seront pris par le bureau de charité. Ce serait peut-être même un moyen d'engager le Conseil à laisser subsister ces fondations, au lieu de les réunir aux hôpitaux, que de charger un bureau de charité, établi à demeure dans la paroisse, d'en faire la distribution d'après les règles qui auront été établies dans l'occasion présente. La protection du gouvernement serait d'autant plus assurée à ces bureaux de charité permanents, que leur concours serait infiniment utile au succès des vues qu'a le Conseil pour la suppression totale de la mendicité, lesquelles ne peuvent être remplies qu'autant que les pauvres seront assurés de trouver les secours nécessaires dans la pa

roisse.

S XIII. Dès à présent l'établissement des bureaux de charité, quoiqu'ils ne doivent avoir lieu que jusqu'à la récolte prochaine, mettra du moins en état de délivrer la province des vagabonds qui l'infestaient; car, au moyen de ce que les bureaux assureront la subsistance à tous les pauvres connus, il ne pourra rester d'autres mendiants que des étrangers sans domicile ou des vagabonds volontaires, et la maréchaussée aura ordre de les arrêter partout où ils se trouveront 1.

Cette Instruction générale était accompagnée d'une Instruction particulière sur différentes manières peu coûteuses de préparer le riz, contenant :

1o La préparation générale du riz, ou la manière de le laver, de le faire cuire et renfler sur le feu, quelque préparation ultérieure qu'on veuille lui donner; 2o celle du riz au lait; 5o celle du riz au beurre ou à la graisse; 4o celle du riz au bouillon; 5o celle de la crème de riz pour les malades; 6o celle du riz à la viande; 7° celle de la soupe au riz et au pain, préparée à la graisse ou au beurre; 8° celle de la soupe au riz et au pain, préparée avec le lait; 9o celle du riz économique, telle qu'elle était établie, dès l'année 1768, à la paroisse SaintRoch, à Paris, par les soins du docteur Sallin.

C'était une soupe au riz, au pain, aux pommes de terre et aux légumes, de la nature de celles que fait distribuer aujourd'hui la Société Philanthropique de Paris, et qui ne revenait pas plus cher alors. Cette espèce de soupe n'a pu être améliorée pour la qualité, qui était excellente; mais les lumières d'un savant étranger, qui s'en est spécialement occupé depuis, et qui, en les adoptant, leur a donné son nom, ont procuré pour leur confection de l'économie dans le combustible.

10° Celle du riz pour les petits enfants, telle qu'on la faisait aussi sur la paroisse Saint-Roch; 11° celle de la bouillie au riz.

Toutes ces Instructions étaient suivies de l'indication des divers marchands ou

II. LETTRE CIRCULAIRE

AUX CURÉS DE LA PROVINCE.

A Limoges, le 10 février 1770.

Vous trouverez, monsieur, joint à cette lettre, un arrêt du parlement de Bordeaux, qui ordonne qu'il sera tenu, dans chaque paroisse ou communauté, une assemblée pour délibérer sur les moyens de parvenir au soulagement des pauvres, et que tous les particuliers aisés, habitant, ou possédant des revenus dans les paroisses, seront tenus d'y contribuer à raison de leurs biens et facultés, sans distinction de privilégiés ou non privilégiés. Il ordonne aussi que la contribution des absents sera payée par leurs fermiers, régisseurs ou baillistes.

Les mêmes vues qui ont déterminé le parlement de Bordeaux à rendre cet arrêt m'avaient engagé à concerter, avec M. l'évêque de Limoges, un plan d'assemblée de charité et de contribution volontaire en faveur des pauvres dans chaque paroisse. Ce plan peut être suivi dans les lieux où la bonne volonté et la charité offriront des secours assez abondants pour subvenir aux besoins des pauvres. Je suis même assuré, par la correspondance que j'ai eue à ce sujet avec M. le procureur-général, et par les instructions qu'il a données à MM. les officiers des sénéchaussées, que cette voie de contribution volontaire, lorsqu'elle sera suffisante, remplira entièrement les intentions du parlement.

négociants chez lesquels on pouvait trouver du riz dans les principales villes de la province.

M. Turgot joignit à l'Instruction sur ces préparations du riz une autre instruction sur la culture des pommes de terre à la manière irlandaise, et suivant les deux méthodes usitées en France. Il détaillait et développait, dans cette Instruction, les différents usages de cette racine bulbeuse, et les avantages de sa culture. Il indiquait aussi les dépôts où l'on en trouverait, tant pour la consommation, que pour la plantation, que l'on avait encore tout le temps de faire.

On voit combien de précautions avaient été prises avec une très-sage prévoyance et une prodigieuse activité, sans tourmenter le gouvernement, sans effrayer la province.

Un grand nombre d'exemplaires des trois Instructions furent adressés à tous les curés et à tous les subdélégués. (Note de Dupont de Nemours.)

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