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Transformation des diverses formes d'aliénation mentale.

Les formes de maladies mentales que nous venons d'indi quer présentent des caractères assez tranchés pour que chacune d'elles puisse et doive être étudiée isolément; mais nous ne pouvons oublier qu'entre toutes ces classes il existe des connexions intimes, et, sans parler des formes mixtes dont nous parlerons plus tard, rappelons seulement que l'on observe chaque jour des transformations d'une forme à l'autre. Ces transformations prouvent une fois de plus que, malgré une grande variété d'aspect, la maladie reste au fond la même; elles font comprendre jusqu'à un certain point l'opinion des médecins qui n'admettent, dans la folie, qu'une seule et même maladie, se masquant sous des formes variées.

1° On voit assez souvent la manie remplacer la mélancolie et réciproquement. Parfois même, cette alternance se fait avec une telle régularité et une telle continuité que quelques médecins ont pris ce fait important pour servir de base à une forme particulière de maladie mentale, dite folie à double forme, folie circulaire. Les mêmes alternatives de dépression et d'excitation se rencontrent dans quelques états chroniques avoisinant la démence; mais alors les périodes n'ont aucune régularité ni dans leur durée ni dans leur intensité et sont uniquement remarquables par le contraste que présente l'état des malades à des époques peu éloignées.

2° On voit la manie laisser après elle, alors même que l'agitation et l'incohérence ont disparu, des idées délirantes isolées, de la monomanie (Moreau); et pareillement, à la suite d'un délire général, quelle que soit sa nature, il peut rester des hallucinations qui d'abord, confondues au milieu du trouble général de l'intelligence, persistent alors même que

les autres symptômes ont disparu, et donnent à l'aliénation mentale une nouvelle physionomie.

3. Un délire d'abord partiel peut s'élever progressivement jusqu'à une aliénation générale, soit avec excitation, soit avec dépression, en un mot, jusqu'à la manie ou la mélancolie. J'ai vu, chez quelques natures molles, timides, incapables d'une réaction même modérée, des idées de persécution d'abord très limitées, augmenter chaque jour de nombre et d'étendue sous l'influence de la terreur causée par l'isolement dans un asile, et arriver en peu de temps jusqu'à la dépression la plus complète, jusqu'à la stupeur. Chez d'autres monomaniaques, au contraire, l'idée délirante détermine une réaction très vive qui peut se transformer en un accès maniaque, et tel est le point de départ de ces paroxysmes qu'on observe dans le cours de la monomanie, paroxysmes qui transforment le délire partiel en un délire général, et peuvent amener des guérisons inespérées, exactement comme le vésicatoire ou une inflammation érysipélateuse détermine la guérison d'une affection cutanée limitée, mais passée à l'état chronique. Cet heureux résultat de la transformation d'un délire partiel s'observe rarement; trop souvent il arrive qu'une fois l'excitation ou la dépression disparue, les idées délirantes se dégagent des symptômes généraux qui les avaient masquées momentanément et reparaissent isolément avec toute leur fixité et toute leur ténacité.

CHAPITRE II.

Début de la folie. - Symptomatologie: fonctions nerveuses, fonctions digestives, respiration et circulation, fonctions génitales, secrétions, état du sang. De certains actes délirants, suicide, homicide, vol, incendie.

ARTICLE I.

DÉBUT DE LA FOLIE.

Contrairement à l'opinion qui a cours dans le monde, il est rare que la folie débute subitement. On a vu sans doute une vive émotion de joie ou de terreur déterminer en peu d'heures l'explosion d'un accès de manie ou de mélancolie, mais dans l'immense majorité des cas on constate plusieurs semaines, plusieurs mois avant l'invasion, une modification progressive dans les idées et dans les sentiments; le malade sent en lui des idées bizarres, des penchants insolites dont il a conscience et qu'il ne peut réprimer qu'incomplétement. « Autour de lui on remarque qu'il se manifeste quelque chose d'extraordinaire dans ses goûts, ses habitudes, ses affections, › son caractère, son aptitude pour le travail; il était gai, > communicatif; il est triste, morose et fuit la société ; il était › économe, rangé, il est devenu prodigue et fastueux; depuis > longtemps il se privait des plaisirs de l'amour, il est pris de ‣ désirs insatiables et recherche les approches de l'autre sexe ‣ ou se livre avec fureur à une pratique honteuse; il était > confiant, il est défiant et jaloux; la femme voit avec indif› férence son mari et ses enfants; le négociant néglige ses

affaires; l'extérieur de la candeur et de la modestie a > fait place à un air de hardiesse qui étonne surtout chez les femmes (1). » Au milieu de ces modifications du moral et de l'intelligence, on ne tarde pas à voir poindre des idées in

1 Georget, Dict. de médecine, en 30 vol., article FOLIE.

exactes, des préoccupations exagérées, qui plus tard donneront au délire son cachet spécial. Puis viennent les insomnies, le manque d'appétit, les digestions difficiles, la constipation.

Cette période d'incubation peut, au point de vue de la médecine légale et de la liberté morale de l'individu qui va être frappé de folie, devenir l'objet de doutes nombreux et de contestations très embarrassantes; elle est le plus souvent méconnue des familles qui déplorent ces modifications inexplicables du caractère et des habitudes, et ont parfois recours à des mesures de rigueur, lorsqu'enfin une émotion un peu vive, un léger accès de colère ou toute autre cause insignifiante pour un individu bien portant, amènent subitement l'explosion de la folie et en imposent sur la cause véritable et sur le point de départ de la maladie.

L'explosion de la folie, outre qu'elle se manifeste par le désordre des pensées et des actes, et par l'apparition d'idées très nettement délirantes, peut s'accompagner encore du côté de l'appareil nerveux de sensations physiques dont les sujets rendent très bien compte, et qui prouvent que, même au début des vésanies, il existe bien évidemment une modification organique du système nerveux dont nous ignorons encore la nature. M. Moreau (1), qui a insisté tout particu lièrement sur ce point important, a décrit avec soin les diverses sensations éprouvées par les malades: ceux-ci ont la tête pesante, douloureuse et comme serrée dans un étau; ceux-là éprouvent, soit au front, soit à l'occiput, une douleur vague indéfinissable. Un malade disait avoir ressenti quelque chose de vraiment extraordinaire: il lui semblait que sa tête était traversée par un double courant d'eau chaude et d'eau froide, que son crane se gonflait, s'élargissait au point de remplir toute la chambre. Il en est qui ont des soubre

(1) Mémoires sur les prodromes de la folie. (Ann. med.-psych., 1852, p. 186.)

sauts nerveux, des secousses analogues aux secousses électriques, des vertiges, des bouffées de chaleur au visage; ces sensations anormales se portent même quelquefois de la périphérie vers les centres nerveux et présentent quelque analogie avec l'aura épileptique. Tel malade sent une vapeur chaude qui des reins remonte dans le dos, puis derrière la tête; tel autre éprouve à l'épigastre une vive douleur qui s'irradie vers la tête, ou bien un refroidissement des extrémitės gagnant peu à peu les parties centrales; presque tou jours c'est au milieu de ces impressions physiques inaccoutumées, de ces troubles de la sensibilité générale que surgissent les premières idées bizarres, les premiers troubles intellectuels.

ARTICLE II.

SYMPTOMATOLOGIE,

La rapidité avec laquelle la folie progresse et se développe, présente, selon les formes de vésanies, une foule de dissemblances. Contentons-nous ici d'envisager à un point de vue général les symptômes de la maladie arrivée à son complet développement.

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Facultés intellectuelles.

Nous avons vu plus haut que les facultés intellectuelles présentaient des lésions partielles et des lésions générales; que les lésions partielles étaient des conceptions délirantes, des impulsions irrésistibles et des hallucinations; que les lésions générales étaient l'excitation, la dépression et l'affaiblissement. La description de ces éléments pathologiques trouvera naturellement sa place à propos de la manie, de la mélancolie, de la monomanie et de la démence que chacun d'eux sert à caractériser. Disons seulement qu'à part les cas extrêmes, il ne faut pas croire que dans l'alié

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