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les sujets sont faciles à égayer ou à assombrir, ils passent facilement d'un abattement extrême à une énergie surprenante, sont en proie à des palpitations, à des étouffements passagers, et ont des perversions ou des altérations du goût, de l'ouïe, de la vue. On les entend se plaindre incessamment de vertiges, de céphalalgie, de digestions difficiles, leur sommeil est léger ou interrompu par des rêvasseries. Les aliénés ne sont nullement exempts de cette disposition spéciale, et pour peu que les phénomènes du délire perdent un peu de leur intensité, on voit apparaitre chez eux, surtout chez les monomaniaques, cet ensemble de symptômes mobiles, variables, qui autorise à les ranger dans la grande catégorie des névropathiques.

Tels sont les caractères communs que l'on peut assigner aux névroses et qui permettent de placer légitimement la folie dans le cadre des affections nerveuses.

Quant aux divisions admises dans les névroses (convulsions, paralysies, névralgies et vésanies), elles sont fondées, et avec raison, sur la diversité des éléments fonctionnels qui se trouvent intéressés : les vésanies affectent l'intelligence; les névralgies atteignent plus particulièrement la sensibilité, tandis qu'au contraire les paralysies musculaires, les affections convulsives, comme l'épilepsie, l'hystérie, la chorée, s'adressent principalement à la motilité. Mais, à part queiques faits exceptionnels où la maladie se présente dans un état de simplicité parfaite, il est bien rare qu'une des fonctions nerveuses soit lésée d'une manière tout à fait isolée, sans que les autres ne subissent en même temps des atteintes plus ou moins profondes. Dans l'épilepsie, les accès se compliquent bien vite de lésions intellectuelles profondes; l'hystérie présente à la fois des convulsions, des paralysies musculaires et cutanées, et même, dans certains cas, un trouble intellectuel qui ne saurait être contesté. Enfin, j'ai prouvé

autre part (1) que la chorée n'échappait pas à cette loi commune et s'accompagnait d'un trouble mental offrant des nuances infinies, depuis l'hébétude la plus légère jusqu'à l'hallucination et au délire maniaque complet.

Ainsi dans un grand nombre de névroses caractérisées soit par de la douleur, soit par des troubles de la motilité, se retrouve sinon comme élément essentiel, du moins comme phénomène accessoire, une modification pathologique de l'état intellectuel. Poursuivant cette idée hors du cadre des affections nerveuses, on ne tarde pas à reconnaître que la plupart des maladies auxquelles l'homme est exposé développent chez lui des dispositions intellectuelles et affectives qui forment un contraste frappant avec l'état normal, et démontrent une fois de plus toute l'influence que le physique exerce sur le moral. Ce serait sans contredit une étude pleine d'intérêt que de rechercher les tendances morales si diverses qui surgissent chez l'homme à propos des maladies qui peuvent l'atteindre; contentons-nous d'indiquer ce vaste sujet et de citer des exemples qui appartiennent à la pratique de chaque jour.

La chlorose, tous le savent, entraîne avec elle du dégoût, de la tristesse, de la mélancolie, de l'inaptitude au travail, de la mobilité dans les goûts et dans le caractère, parfois même des idées excentriques, des appétits bizarres qui disparaissent dès que le sang a repris sa composition normale.

Au début de la phthisie pulmonaire, il n'est pas rare de voir les sujets s'effrayer à juste titre de leur état, concevoir des pressentiments sinistres et prendre leurs dispositions en vue d'une fin prochaine; puis, à mesure que la maladie fait des progrès, que les tubercules se ramollissent et que tout espoir s'évanouit, les dispositions morales se transforment :

(1) De l'état mental dans la chorée, mémoire lu à l'Académie de médecine, avril 1859 (Mémoires de l'Académie de médecine, t. XXIV, p. 1 et suiv.).

les malades, fussent-ils eux-mêmes médecins, oublient peu à peu le danger, n'attribuent qu'une minime importance aux symptômes qu'ils éprouvent, renaissent au calme et à l'espérance et font de longs projets d'avenir la veille même de leur mort. Sans être constante, cette situation intellectuelle, que j'ai observée nombre de fois, attire singulièrement l'attention.

M. Saucerotte (1) a noté chez la plupart des individus qui offrent de l'hypertrophie du cou un développement extrême de la sensibilité morale: observés de près, ces malades s'émeuvent à la moindre impression, ils pleurent en vous racontant leurs maux, un regard les trouble, un mot les déconcerte, ils se laissent emporter à la fougue d'une première impression ou d'une colère irréfléchie, et à l'approche du médecin leur pouls bat cent fois par minute. M. Saucerotte rapporte en outre plusieurs observations dans lesquelles le dérangement intellectuel, développé sous l'in fluence d'une affection cardiaque, subissait des exacerbations inévitables toutes les fois que la maladie du cœur venait à s'aggraver. L'ébranlement de la masse encéphalique qui résulte de l'impulsion plus violente du ventricule gauche, les stases sanguines qui s'opèrent dans les vaisseaux du cerveau par suite de l'imperfection de la circulation, peuvent, sans contredit, être invoqués comme la cause première de ces troubles intellectuels, de même que la stimulation incomplète du cerveau par un sang appauvri explique les troubles moraux que nous avons signalés dans la chlorose. Qui n'a été frappé de la stupeur, de l'obtusion de toutes les facultés intellectuelles qui accompagnent la fièvre typhoïde, et des troubles plus graves encore qui surviennent pendant la convalescence et que nous aurons plus loin à décrire? Qui ne sait enfin que le simple état fébrile amène non-seulement

(1) Annales méd.-psycholog., t. IV, p. 172.

la prostration des forces physiques, mais encore l'abattement moral, le découragement, l'incertitude; qu'une digestion pénible rend irascible ou porte aux idées noires, selon les aptitudes individuelles; qu'une maladie prolongée développe chez certaines natures des sentiments inaccoutumés de personnalité et d'égoïsme?

Pour le médecin ces simples nuances sont vraiment dignes d'intérêt; elles prouvent, une fois de plus, que tout est solidaire dans l'organisme, et elles aident à expliquer, par analogie, comment des affections mentales se développent sympathiquement sous l'influence d'états anormaux de l'organisation.

PREMIÈRE PARTIE

PATHOLOGIE GÉNÉRALE.

CHAPITRE PREMIER.

Définition de la folie, synonymie. -Éléments symptomatiques.

-

Classification.

- Transformation des diverses formes de maladies mentales.

S 1er.

Définition de la folie. Synonymie.

Définition. -La folie a été définie par Esquirol: une affection cérébrale, ordinairement chronique, sans fièvre, caractérisée par des désordres de la sensibilité, de l'intelligence et de la volonté (1).

Malgré ses imperfections, cette définition est encore la plus simple et la plus exacte de toutes celles qui ont été données; il importe toutefois, pour la compléter, d'ajouter que dans la folie le malade n'a pas conscience de son état (2): il méconnaît son délire, ou s'il ne le méconnaît pas, sa volonté est impuissante pour le maîtriser: dans les deux cas, l'individu ne s'appartient plus, il est dominé par un état pathologique qui entrave sa liberté morale et le rend irresponsable de ses actes, en un mot, il est aliéné.

Synonymie. - A côté du terme général folie, on emploie souvent les mots maladies mentales, phrénopathies (Guislain) qui ont exactement la même valeur. Quant au terme aliénation mentale, il comporte avec lui une signification plus

(1) Esquirol, Des maladies mentales, t. 1a, p. 5.

(2) Lelut, Recherches des analogies de la folie et de la raison, à la suite de son ouvrage Du démon de Socrate, 1856, p. 345.

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