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à caufe des avantages attachés ce nouvel ordre de propriété. En effet, ceux qui tenoient des terres en Fiefs jouiffoient de très-grands avantages: la compofition pour les torts qu'on leur faifoit étoit plus forte que celle des hommes libres. Les loix accordoient 600 fous pour la mort d'un vaffal du roi, elles n'en accordoient que 200 pour la mort d'un ingénu, ou d'un fimple franc, & que 100 pour celle d'un romain ou d'un gaulois. De plus, forfqu'un vaffal du roi étoit cité en jugement & qu'il n'y comparoiffoit point, fes biens n'étoient pas confifqués; il n'étoit pas foumis à l'epreuve de l'eau bouillante, excepté dans le cas de meurtre: au contraire les fimples propriétaires d'aleus étoient foumis à cette épreuve dans tous les cas, & leurs aleus étoient confifqués au profit du roi dès qu'ils n'obéissoient point à la première ordonnance du juge.

Pour s'affranchir de ce traitement inique, les francs, les romains, les gaulois, tous ceux dont les terres n'étoient point inféodées, imaginèrent de donner leurs aleus au roi & de les recevoir de lui en Fief, en lui défignant leurs héritiers. Cet ufage continua toujours, & eut lieu fur-tout dans les défordres de la feconde race, où tout le monde avoit befoin d'un protecteur, & vouloit faire corps avec d'autres feigneurs & entrer pour ainfi dire dans la monarchie féodale, parce qu'on n'avoit plus de monarchie politique. Ceci continua fous la troisième race, comme on le voit par plufieurs chartres; foit qu'on donnât fon aleu & qu'on le reprît par le même acte; foit qu'on le déclarât aleu & qu'on le reconnût en Fief. On nommoit ces fortes de Fiefs, Fiefs de reprise.

Après la funeste bataille de Fontenoy, il se fit

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in traité entre Lothaire, Louis & Charles, qui renverfa la conftitution politique de la monarchie. Il fut permis à tout homme libre de choisir pour feigneur qui il voudroit, du monarque, ou des autres feigneurs. Avant ce traité obferve Montefquieu, l'homme libre pouvoit fe recommander pour un Fief, mais fon aleu reftoit toujours fous la puiffance immédiate du roi, c'est-à-dire fous la juridiction du comte; & il ne dépendoit du feigneur auquel il s'étoit recommandé, qu'à raifon du Fief qu'il en avoit obtenu. Depuis ce traité deftructeur, tout homme libre put donner à volonté fon aleu à fon feigneur, ou au roi. Par là, les hommes libres qui jufqu'alors avoient été nuement fous la puiffance royale, palèrent fous celle des feigneurs particuliers, & devinrent infenfiblement vaffaux les uns des autres. Le même traité difpenfa la nobleffle de fuivre le monarque à la guerre, excepté dans le cas où il s'agiroit de défendre l'état contre une invafion étrangère; dans tous les autres, il fut libre au vaffal de fuivre fon feigneur, ou de vaquer à fes affaires. Bientôt après les arrière - vaffaux fe détachèrent tellement de la puiffance royale, qu'il leur fut permis de fuivre leur feigneur jufque dans les guerres qu'il avoit contre le roi lui-même.

Charles le chauve fit un réglement général qui affecta également les grands offices & les Fiefs. Ces premiers qui avoient été jufqu'alors inaliénables, devinrent héréditaires. Charles établit que les comtés feroient donnés aux enfans du comte, & voulut que ce réglement eût encore lieu pour les Fiefs; de forte que les grands offices & les Fiefs paffèrent à des parens plus éloignés, & que la plupart des feigneurs qui relevoient immédiatement

de la couronne, n'en relevèrent plus que médiatement. Ces comtes qui rendoient autrefois la juftice dans les plaids du roi & qui menoient des hommes libres à la guerre, fe trouvant entre le roi & ces hommes libres, la puiffance publiquefe trouva reculée d'un degré. Les vaffaux du comte ve furent plus les vaffaux du roi; les bénéfices attachés aux comtés ne furent plus les bénéfices du roi; au lieu de cette multitude innombrable de vaffaux qu'avoient eus nos rois, ils n'en eurent plus que quelques-uns dont les autres dépendirent abfolument. Nos rois n'eurent prefque plus d'autorité directe. Privés des grands domaines de leurs prédéceffeurs, réduits à quelques villes, incapables de fe faire obéir des grands vaffaux, leur fouveraineté ne fut plus qu'un vain titre ; & lorfqu'on tranfporta ce titre à Hugues Capet, la couronne fortit de la maifon de Charlemagne fans exciter aucun mouvement fenfible dans l'état.

De l'hérédité des Fiefs, fortit le droit d'aîneffe ou de primogéniture qu'on n'avoit point connu fous la première race car la couronne fe partageoit entre les frères; les aleus fe divifoient de même, & les Fiefs amovibles ou à vie, n'étant pas un objet de fucceffion, ne pouvoient être un objet de partage.

Les Fiefs ainfi devenus héréditaires, & les partages n'ayant plus lieu, les feigneurs perdirent la faculté d'en difpofer; mais pour fe dédommager de cette perte, ils établirent le droit de rachat qui d'abord fe paya en ligne directe, & qui enfuite ne fe paya plus qu'en ligne collatérale. Bientôt ces mêmes Fiefs paffèrent aux étrangers; ce qui fit naître le droit de lods & ventes, droits nouveaux qui furent d'abord arbitraires & qui avec le temps

reçurent un taux fixe dans chaque feigneurie. La perpétuité des Fiefs ayant fait établir le droit de rachat, les filles purent fuccéder au Fief, au défaut de mâle. Le feigneur en donnant le Fief à la fille multiplicit le droit de rachat, parce que le mari devoit le payer comme la femme.

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De la perpétuité des Fiefs naquit encore un autre droit celui de garde-noble. Quand l'héritier n'étoit point majeur, le feigneur s'emparoit du Fief, & faifoit élever le pupile dans le métier des armes jufqu'à ce qu'il fût en âge de remplir le fervice militaire qu'il lui devoir. Telle eft le gardenoble dont les principes font entièrement distincts de ceux de la tutèle.

pas

Quant à la foi & hommage, M. de Montefquieu prétend qu'elle n'avoit lieu dans les commencemens de la monarchie; on faifoit bien prêter quelquefois le ferment de fidélité aux fujets, mais cet acte n'étoit qu'une fimple précaution qu'on employoit à l'égard des particuliers dont l'obéiffance étoit fufpecte; affûrance qui felon l'auteur ne pouvoit être un hommage, puifque les rois fe la donnoient entre eux. Mais lorfque les Fiefs paffèrent aux héritiers, la reconnoiffance du vaffal qui n'étoit dans l'origine qu'une chofe occafionnelle devint une action réglée; elle fe fit d'une manière plus éclatante, elle fut remplie de nouvelles formalités, parce qu'elle devoit porter la mémoire des devoirs réciproques du feigneur & du vaffal dans tous les âges. L'auteur fixe au temps de Pepin l'origine de la preftation de l'hommage. Il ajoute que les Fiefs devenus héréditaires appartinrent aux loix politiques & aux loix civiles: le Fief confidéré comme une obligation au fervice militaire, tenoit au droit politique ; & confidéré comme un

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bien qui étoit dans le commerce il tenoit au droit civil de là l'origine des loix civiles fur les Fiefs.

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L'hérédité des Fiefs donna naiffance à cette règle du droit françois, propres ne remontent point: règle qui eft contraire aux difpofitions du droit romain & de la loi falique, mais qui découle de l'effence du Fief; un aïeul, un grand oncle incapables du fervice militaire, ne pouvoient convenir au feigneur pour fes vaffaux. Le même motif influa également fur les contrats de mariages; les filles héritières d'un Fief, quelquefois même les garçons, ne purent se marier fans le confentement du feigneur en forte que ces contrats devinrent pour les nobles, une difpofition féodale & une difpofition civile. Dans un acte pareil fait fous les yeux du feigneur, on fit des difpofitions pour la fucceffion future, dans la vue que le Fief pût être fervi par les heritiers. Auffi les feuls nobles eurent-ils d'abord la liberté de difpofer des fucceffions futures par contrat de mariage. Telles font les idées du préfident de Montefquieu fur l'origine & la nature des Fiefs.

Systême de M. l'Abbé de Mabli fur la même. matière.

M. de Mabli ne trouve aucune analogie entre les bénéfices & les Fiefs. Il diftingue trois grandes époques relativement à ces deux espèces de propriétés. La première commence à Ĉlovis ; la fes; conde à Charles-Martel; & la troisième à Charles le Chauve.

Première époque. Clovis en fubjuguant les Gaules s'empara d'une grande partie du territoire dont il forma le domaine de la couronne. Ses

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