Page images
PDF
EPUB

irrégulière de notre gouvernement depuis for
berceau jufqu'au quinzième fiècle, époque où l'on
a commencé à rédiger les coutumes & à donner
une fanction plus folemnelle à des droits ufurpés
à des ufages barbares, à des conventions paffées
entre la force & la foibleffe; conventions remplies
d'équivoques, & toutes différentes les unes des
autres. Un grand nombre d'écrivains ont entrepris
de porter la lumière dans ce chaos, & malheureuse-
ment aucun d'eux n'a les mêmes opinions; chacun a
bâti fon fyftême fur des faits & des raifonnemens
qui ont été combattus par des faits & par des raifon-
nemens capables de décourager ceux qui veulent
approfondir la légiflation & la jurifprudence féodale.
Les bornes d'un fimple article ne nous permettent
point d'entrer dans l'analyfe des différens ouvrages
publiés fur cette matière; nous nous contenterons
d'expofer fidèlement les idées du préfident de
Montefquieu & de M. l'abbé de Mabli, les deux
hommes qui ont écrit les derniers fur ce point
& qui jouiffent de la confidération la plus diftin-
guée. Après avoir développé leurs principes fur
l'origine & les révolutions des Fiefs, nous rendrons
compte de l'état actuel de ces fortes de propriétés,
c'est-à-dire, de leurs efpèces différentes, des loix
& des maximes qui les régiffent.

Systême du président de Montefquieu fur les
Fiefs.

Lorfque les barbares de la Germanie commencèrent leurs invafions dans les Gaules, ils s'emparoient de l'or, des meubles, des enfans, des femmes & des hommes dont l'armée pouvoit fe charger; on raffembloit tout ce butin, & il fe partageoit entre les foldats & leurs chefs. Un

[ocr errors]

grand nombre de monumens hiftoriques prouvent qu'après les premiers ravages, ces barbares reçurent à compofition les gaulois vaincus, & leur laifferent leurs droits civils & politiques; mais ce que la conquête ne fit point, le droit des gens qui fubfifta après la conquête, le fit. La résistance, la révolte, la prife des villes emportoient avec elles la fervitude des habitans; une infinité de terres que des hommes libres faifoient valoir, fe changèrent en main-mortables. Quand un pays fe trouva privé des hommes libres qui l'habitoient, ceux qui avoient beaucoup de ferfs prirent ou fe firent céder de grands territoires, & y bâtirent des villages.. Ajoutons que la plupart des propriétaires donnèrent au clergé leurs terres, afin de les tenir de lui à cens, croyant participer à la fainteté de l'église par cette efpèce de fervitude.

L'auteur de l'efprit des loix diftingue le cens des romains, de celui des francs. Le premier étoit un revenu du fifc établi fur les hommes libres le fecond fut un impôt que les germains établirent fur les ferfs. On fe fervit du même mot cenfus pour défigner deux chofes très-différentes, parce que la langue n'en avoit point d'autre alors. L'auteur prouve la réalité de cette diftinction par une formule de Marculfe, qui contient une permiffion du roi de fe faire clerc, pourvu qu'on foit ingénu, & qu'on pe foit point infcrit dans le registre du cens : & in puletico publico cenfitus non fit. 11 le prouve en outre par une ordonnance de Charlemagne envoyée à un comte de la Saxe; ordonnance qui contient l'affranchissement de ces peuples à cause du chriftianisme qu'ils avoient embraffé; c'eft proprement une chartre. d'ingénuité qui les exempte de payer le cens. I

le prouve encore par un capitulaire du même prince, & par un autre de Charles le Chauve qui exempte du cens les efpagnols réfugiés en France, & veut qu'on les traite comme les autres francs. Ainfi c'étoit une même chofe felon Montefquieu, d'être ferf & de payer le cens, d'être libre & de ne le payer pas.

Sous la première, & même fous une partie de la feconde race, il y avoit en France deux efpèces d'hommes libres, les leudes vaffaux & arrière-vaffaux, qui poffédoient des bénéfices en Fiefs, & les lendes qui n'avoient point de bénéfices, mais qui avoient des terres libres qu'on nommoit terres allodiales. Celles-ci étoient héréditaires; les autres, c'eft-à-dire les Fiefs ou bénéfices, n'étoient d'abord données par les rois que pour un temps limité, enfuite on les obtint à vie enfin elles devinrent inamovibles & héréditaires comme les biens allodiaux. Les bénéfices étoient des portions du domaine royal que nos princes en détachoient pour le donner à des particuliers, à condition qu'ils s'attacheroient à eux, & les fuivroient à la guerre. Les particuliers poffeffeurs de ces premiers Fiefs en détachèrent différentes portions qu'ils donnèrent à d'autres particuliers en arrière-Fief, aux conditions qu'eux-mêmes les avoient reçus, c'eft-à-dire à condition de leur être fidèles & de les fuivre à la guerre. Ainfi les leudes feigneurs de Fiefs menoient à la guerre leurs vaffaux ou arrière-vaffaux ; les évêques, les abbés, ou leurs avoués, y menoient également lés leurs, de même que les comtes y conduifoient au nom du monarque les autres hommes libres qui poffédoient des terres allodiales.

C'étoit un principe fondamental de la monar

chie que ceux qui étoient fous la puiffance militaire de quelqu'un, étoient auffi fous fa juridiction civile. Un capitulaire de Louis le Débonnaire de l'an 815, fait marcher d'un pas égal la puiffance militaire du comte, & fa juridiction civile fur les hommes libres. Le comte ne menoit pas à la guerre les valfaux des évêques ni des abbés, ni d'aucun autre feigneur de Fief, parce que ces vaffaux n'étoient point fous fa juridiction civile. Auffi voyons-nous, continue le même hiftorien, que dans tous les temps l'obligation de tout vaffal envers fon feigneur, fut de porter les armes & de juger fes pairs dans fa cour. Une des raifons qui attachoit ainfi le droit de juftice au droit de mener à la étoit guerre > que celui qui menoit à la guerre, faifoit en même temps payer les droits du fifc, qui confistoient en quelques fervices de voitures dûs par les hommes libres, & en général en de certains profits judiciaires tels que le fredum. Les feigneurs eurent le droit de rendre la juftice dans leurs Fiefs par le principe, qui fit que les comtes eurent le droit de la rendre dans leurs comtés; en forte que ces derniers, dans leurs comtés, étoient des leudes, & les leudes dans leurs feigneuries étoient des comtes. On n'a pas eu des idées juftes lorsqu'on a regardé les comtes comme de fimples officiers de juftice, & les ducs comme des officiers militaires; car les uns & les autres étoient également des officiers civils & militaires; toute la différence étoit que le duc avoit fous lui plufieurs conites.

La juftice fut donc dans les Fiefs anciens comme dans les nouveaux, un droit inhérent au Fief même, un droit lucratif qui en faifoit partie. C'est de là qu'eft né le principe que les juftices

font patrimoniales en France. Quelques-uns ont cru que les juftices tiroient leur origine de l'affranchiffement que les rois & les feigneurs firent de leurs Fiefs. Mais les nations germaniques, & celles qui en font defcendues, ne font pas les feules qui aient affranchi des efclaves, & ce font les feules qui aient établi des juftices patrimoniales. D'ailleurs les formules de Marculfe nous font voir des hommes libres dépendans de ces justices dans les premiers temps. Les ferfs devinrent jufticiables parce qu'ils fe trouvèrent dans le territoire,

[ocr errors]

Nos rois ayant donné aux églifes des Fiefs confidérables, l'églife fe trouva en poffeffion des prérogatives de juftice, ainfi que les feigneurs laïcs; elle eut le droit de faire payer des compofitions dans fon territoire, & 'd'exiger le fredum de fes jufticiables; & comme ces droits emportoient celui d'empêcher les officiers royaux d'entrer dans leur territoire pour exiger ces freda & y exercer tous les actes de juftice, le droit qu'eurent les eccléfiaftiques de rendre la juftice dans leur territoire fut appelé immunité dans le ftyle des formules, des chartres, & des capitulaires.

M. de Montefquieu combat ceux qui ont prétendu que les vaffaux de la couronne ne s'attribuèrent la juftice que pendant le défordre de la feconde race; il étaye fon opinion par un grand nombre de faits tirés des loix allemandes bavaroifes & françoifes, & foutient que la justice fut attachée au Fief dès l'origine de cet établis fement.

[ocr errors]

Mais les Fiefs ne viennent pas tous du démembrement du domaime de la couronne. Il arriva un temps où les particuliers qui poffédoient des terres en aleu fe déterminèrent à les changer en Fief,

« PreviousContinue »