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les anciens ufages réfiftoient encore à cette innovation. Un événement funefte à bien des égards, en prolongea la durée. Les guerres des croifades éloignèrent les feigneurs des terres & des provinces dont ils opprimoient les habitans. Mais ruinés par des voyages infenfés, devenus plus impitoyables après ces guerres défaftreufes, ils s'appliquèrent fans relache à confolider leurs ufur

pations.

Un établissement politique avantageux à la monarchie, leur fervit de prétexte pour ériger en maxime, une erreur qu'on n'avoit pu jufqu'alors transformer en vérité. Le droit d'appel s'introduifit pendant les treizième & quinzième fiècles. Les établiffemens de faint Louis préparèrent la nation à ce changement; la politique adroite de Philippe le Bel y familiarifa les efprits, & les efforts du parlement pour ramener la puiffance légiflative fur le trône, achevèrent la révolution. Dans la vue de ramener tout à ce principe d'unité qui fait la force des monarchies, ce tribunal établit pour loi fondamentale,qu'il n'y avoit point de juftice allodiale en France: cette loi devint bientôt un axiome de notre droit, & les praticiens prirent l'habitude de l'exprimer en ces mots : Nulle terre fans feigneur. A peine cette règle fût elle établie, qu'on en abufa. Perdant de vue fon objet primitif & facré,. on appliqua à la directe ce qui n'avoit trait qu'à la juftice.

Dans le quinzième fiècle, on procéda à la réfor mation des coutumes; les feigneurs, les eccléfiaftiques, tous les propriétaires de Fiefs fe préfentèrent armés de cette règle & réunirent leurs efforts pour la faire prévaloir. Il ne faut que lire les procèsverbaux des coutumes, pour voir combien cette Tome XXV..

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règle révoltoit encore les efprits. Dans la plupart, on voit les feigneurs aux prifes avec le tiers état; ceux-ci affûrant que cette maxime eft auffi nouvelle que pernicieufe; & les commiffaires réformateurs incertains, renvoyer au parlement la décifion d'un point auffi difficile qu'il étoit nouveau pour eux.

Il paroît néanmoins, que, vers le milieu du quinzième fiècle, la règle avoit déjà acquis un certain empire; car les feigneurs de Bretagne parvinrent à la faire inférer dans la coutume de leur province rédigée en 1440: elle y étoit conçue en ces termes: Homme ne peut tenir terre fans feigneur. Mais il s'en falloit bien qu'à cette époque, & même long-temps après, une telle opinion fût univerfellement adoptée. Car on ne trouve rien dans la coutume de Paris, écrite en 1510, qui ait aucun rapport à un afferviffement général. Il y a plus: en 1539, lorfqu'on réforma la coutume de Bretagne, on en vit fupprimer l'article: homme ne peut tenir terre fans feigneur; quoiqu'il exiftât depuis 99 ans dans l'ancienne coutume.

Alors s'élevoient une multitude de praticiens intéreffés à faire prévaloir une règle générale faite pour favorifer l'ignorance & la pareffe des hommes vulgaires qui embraffent la profeffion du barreau. Au milieu d'eux, s'éleva Dumoulin. Seul contre tous, il combattit l'erreur, entreprit d'arrêter un torrent qui menaçoit d'anéantir la vérité, & les derniers veftiges de nos anciens ufages. Il fit voir l'équivoque dans laquelle on s'étoit égaré; il rappela le principe à fon véritable objet, fit voir que Fief & juftice n'ont rien de commun, & que la maxime du parlement ne devoit & ne pouvoit avoir d'application qu'à la juftice relativement au mo

narque.

On lui opposoit l'autorité du chancelier du Prat, qui, difoit-on, avoit fait inférer dans les regiftres de la chambre des comptes, la maxime: nulle terre fans feigneur. Dumoulin vérifia ce fait important, & il allura que les premiers magiftrats. de cette cour lui avoient unanimement répondu qu'ils ne la connoiffoient point. Trop de perfonnes étoient intéreffées à ce que ce grand jurifconfulte eût tort: la voix de la juftice & celle de la vérité furent étouffées par les cris de la multitude; & la règle s'enracina plus que jamais dans les efprits. La plupart des coutumes qui furent réformées depuis le milieu du feizième fiècle, en portent l'empreinte. En 1580, on rétablit dans la coutume de Bretagne la règle: nulle terre fans feigneur.

Peu contens de l'avantage qu'ils avoient déjà remporté fur le peuple, les feigneurs raffemblés aux états de Blois, combinèrent leurs efforts pour affervir d'un feul coup toutes les terres du royaume. Dans le cahier préfenté au roi le 3 janvier 1577, ils demandèrent que toutes les terres fuffent déclarées féodales ou cenfuelles. Le roi ne crut point devoir accueillir cette demande; mais les feigneurs ont continué d'agir comme fi leur prétention étoit autorifée par une loi formelle, & la règle nulle terre fans feigneur, eft aujourd'hui répétée par toutes les bouches de l'ignorance & de l'intérêt.

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Tels font & l'origine & les progrès de cette maxime répétée fans examen, reçue par tradition, contraire aux monumens de notre hiftoire, aux premières notions de la loi naturelle; maxime qu'il eût été plus avantageux de reftreindre que d'étendre perpétuellement, comme on l'a fait dans

les tribunaux.

Nous fommes bien éloignés de dire & de croire

que cette règle foit injuste à tous égards, & que tous les feigneurs en ont abufé pour fe faire des droits & des vaffaux. Il y a des droits féodaux légitimes; dans tous les temps, on a vu des seigneurs remplis de juftice & d'humanité, qui fe font fait un devoir de diftribuer à l'indigence des terres qu'ils ne pouvoient cultiver, & qu'ils avoient acquifes légitimement;plufieurs d'entre eux, devenus les amis & les bienfaiteurs de leurs vaffaux, présentent aujourd'hui dans nos campagnes un spectacle digne de les faire chérir du peuple, & refpecter du gouvernement.

Nous avons feulement voulu faire obferver que fous la première race, &. au commencement de la feconde, au moins les deux tiers du territoire de la France étoient libres; que ces terres allodiales étoient foumifes au gouvernement des ducs &des comtes; & que fi dans le neuvième siècle ces officiers rendirent leurs gouvernemens héréditaires, ils ne devinrent pas pour cela feigneurs féodaux, parce que les terres qui n'avoient pas été données en bénéfice, étoient demeurées libres; car n'étant dépofitaires que de la juftice, ils ne purent ufurper que la justice.

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Voyez les v. 3 & 4 de l'efprit des loix obfervations fur l'hift. de France, par M. l'abbé de Mabli; les gloffaires de du Cange & de Laurière; les traités des Fiefs de Dumoulin, de Boutaric, de Guyot, de Goetsmann; le droit des offices de Charles Loifeau; les commentaires de Brodeau, de Ferriere & de Dumoulin, fur la coutume de Paris; celui de d'Argentré, fur celle de Bretagne ; Bracton, de legibus anglice, lib. 4, t. 3, c. 9; Boutelier, dans fa fomme, l. 1, t. 3, p. 135 Salvaing, dans fon traité de l'ufage des Fiefs, ch. 74; Pierre des Fontaines, dans fon confeil,

ch. 3, n. 4; Beaumanoir, ch. 48; Bacquet, dans fon droit d'ennoblissement, ch. 20; le grand coutumier, 1. 2 c. 32; & la plupart des coutumes. Voyez auffi les articles FRANC - FIEF, FOI ET HOMMAGE, FIDÉLITÉ, COMMISE, SAISIE FÉODALE, QUINT, RELIEF, OFFRES, DÉNOMBREMENT, MAIN SOUVERAINE, RETRAIT FÉODAL, JEU DE FIEF, DÉMEMBREMENT, JUSTICE, &C. ( Article de M. l'abbé REMY avocat au parlement.)

ADDITION à l'article FIEF.

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Le principe que jamais on ne doit préfumer la féodalité d'un bien à moins que certaines circonftances ne paroiffent l'établir; ce principe fondé fur la doctrine de tous les auteurs, affermi par la jurifprudence de tous les tribunaux confacré par l'ufage de toutes les nations, cependant été rejeté par les légiflateurs du Hainaut. L'article 2 du chapitre 102 des chartes générales, porte » que tous biens immeubles font réputés » Fiefs, fi par fait fpécial n'appert du contraire «. L'article 2 du chapitre 26, contient la même difpofition. » De droit commun & général, tout » eft & fera tenu & réputé Fief, s'il n'y a limitation ou comprendement du Fief, ou fait fpécial au contraire «<.

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Que fignifient dans ce texte les termes s'il n'y a limitation ou comprendement du Fief? En vain pour en pénétrer le fens, voudroit-on avoir recours aux lumières de quelque commentateur; ces loix fi obfcures, fi volumineuses, demandent un interprète depuis plus de cent cinquante ans, & ne l'ont pas encore trouvé. Tâchons néanmoins. de jeter un peu de jour fur le paffage cité. Voici comme il nous paroît devoir être entendu. Lorfqu'un corps d'héritage eft énoncé comme féodal

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