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compagnons d'armes, appelés leudes, fidèles, antruftions, qui s'attachèrent à fa perfonne çurent de lui & de fes fucceffeurs quelques portions détachées de ce domaine, en reconnoiffance des fervives qu'ils rendoient au monarque, ou de l'attachement qu'ils lui montroient. Ces terres ou bénéfices n'étoit accordés que pour un tems; le prince fe réfervoit le pouvoir de les retirer à volonté. C'étoit plutôt une récompenfe des fervices rendus, qu'un don auquel on attachât des fervices pour l'avenir.

Quand un homme s'étoit diftingué par quelqu'acte de courage, il étoit admis à prêter ferment de fidélité au monarque. Par cette cérémonie on fortoit de la claffe commune des citoyens, pour entrer dans un ordre fupérieur dont les membres revêtus d'une nobleffe perfonnelle, avoient des priviléges particuliers; tels que celui d'occuper dans les affemblées générales, une place diftinguée, de pofféder les charges publiques, de former le confeil toujours fubfiftant de la nation, ou cette cour de juftice dont le roi étoit le préfident, & qui réformoit les jugemens rendus par les ducs & les comtes. Ces hommes devenus leudes, ne pouvoient être jugés dans leurs différends, que par le prince, & ils obtenoient une compofition plus confidérable que le fimple citoyen, lorfqu'on les avoit offenfés.

Bientôt l'ordre des leudes ne fut plus compofé des feuls citoyens les plus dignes de l'eftime publique. On leur affocia des hommes qui pour tout mérite n'avoient que l'art de flatter le fouverain & de partager fes plaifirs. Des efclaves que leur maître venoit d'affranchir, furent élevés aux premières dignités. Le confeil de la nation fe

trouva infenfiblemeut rempli de ces leudes méprifables. Loin de s'opposer aux injuftices du monarque, ils l'encourageoient à violer les loix, à s'enrichir aux dépens du peuple, afin de s'enrichir à leur tour aux dépens du prince. Ils imaginèrent de lui créer de nouvelles prérogatives, telles que d'envahir, au préjudice des héritiers légitimes, les biens de ceux qui mouroient fans avoir fait de testament, & d'autorifer les fermiers du domaine royal à faire paître leurs troupeaux fur les terres de leurs voifins. Les grands imitèrent cet exemple dans leurs domaines; ils fe firent des droits fur les terres de leurs voisins; abufant de leurs forces & de leur crédit, ils en exigèrent des corvées & des redevances, les genèrent par des péages, fe rendirent arbitres de leurs différends, & exigèrent d'eux les mêmes droits que les plaideurs devoient à leurs juges naturels. C'est ainsi que commencèrent nos feigneuries patrimoniales.

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Les différens princes qui, après le règne de Clovis, partagèrent entre eux les provinces de la domination françoife, concoururent à multiplier ces premiers abus. Continuellement en guerre les uns contre les autres ou contre leurs yoifins,, tandis leurs armées traversoient le royaume en ravageant tout fur leur paffage, & regardant les hommes même comme une partie du butin, nos rois devinrent eux-mêmes les auteurs de la dégradation de leur puiffance légitime. Les habirans des campagnes, pour fe mettre à l'abri du pillage des troupes, fe réfugioient avec leurs effets dans les châteaux des leudes ou dans les églifes & les monastères affez puiffans pour les défendre. Ceux qui ouvroient ces afyles obtenoient des préfens; bientôt ils exigèrent des tributs; & ce qui

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d'abord n'étoit que le gage de la reconnoiffance du foible envers le protecteur, devint infenfiblement la dette d'un fujet envers fon maître. Les ducs, les comtes & les centeniers qui avoient ou acheté leur emploi ou l'avoient obtenu par leur lâcheté, depuis que le fouverain s'attribuoit le pouvoir d'en difpofer fans le fuffrage du champ de mars; ces magiftrats chargés de toutes les parties du gouvernement dans leurs dif tricts, y régnèrent en defpotes & firent un commerce fcandaleux de l'adminiftration de la juftice. Pour fe fouftraire à ces tribunaux iniques, les habitans des campagnes fe foumirent à l'arbitrage de ceux qui les avoient protégés contre l'avarice & la barbarie des foldats. Bientôt ils ne reconnurent plus d'autres juges. La nouvelle juridiction des feigneurs fit chaque jour de nouveaux progrès; & quand cette coutume eut acquis une certaine confiftance & fut affez étendue pour qu'on n'ofât plus entreprendre de la détruire, l'affemblée des leudes défendit expreffément aux magiftrats publics d'exercer aucun acte de juridiction dans les terres des feigneurs.

En vain les fucceffeurs de Clovis réunirent leurs efforts pour regagner l'autorité & les domaines dont ils s'étoient deffaifis; l'églife & les grands leur opposèrent une digue infurmontable; il fallut renoncer aux droits les plus effentiels de la fouveraineté ; il fallut confacrer les abus par une fanction folemnelle. C'eft dans l'affemblée d'Andely que fut commencée cette honteufe & funefte révolution. Les feigneurs réunis pour traiter de la paix entre Gontran & Childebert, obligèrent ces deux princes à déclarer dans leur traité qu'ils ne feroient plus libres de retirer ni les bénéfices

anciens

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anciens, ni ceux qu'ils donneroient à l'avenir; & en outre, qu'ils reftitueroient les bénéfices mêmes qu'on avoit enlevés à certains leudes depuis la mort des derniers rois.

Cet ordre de chofes fut de nouveau confirmé à l'époque du fupplice de Brunehaut, dans la fameufe affemblée de Paris en 615. La prérogative royale diminua de jour en jour jufqu'à la feconde époque, où l'on vit naître une nouvelle efpèce de bénéfices. Seconde époque. Frappé de la conduite des rois Mérovingiens, qui avoient dû leur fortune aux bénéfices, & qui enfuite avoient vu ces mêmes bénéfices devenir la caufe de leur décadence, Charles Martel en créa de nouveaux; mais il leur donna une forme différente. Les dons qu'avoient faits les fucceffeurs de Clovis d'une partie du domaine royal, n'étoient, comme nous l'avons obfervé, que de purs dons qui n'impofoient aucun devoir particulier, & qui ne conféroient aucune qualité diftinctive Ceux qui les recevoient n'étant obligés qu'à une reconnoiffance générale & indéterminée, pouvoient aisément n'en avoir aucune, tandis que les bienfaiteurs en exigeoient une trop grande.

De là devoient naître des plaintes, des haines des injustices & des révolutions. Les bénéfices de Charles Martel furent au contraire ce qu'on appela depuis des Fiefs, c'est-à-dire, des dons faits à la charge de rendre au bienfaiteur conjointement ou Séparément, des fervices militaires ou domeftiques.

Par cette politique adroite, Charles Martel joignit fur fes bénéficiers un empire plus utile & plus puiffant; leurs devoirs fixés d'une manière précife, les enchaînèrent plus étroitement à leur maître. Cette expreffion de maître eft, felon l'auteur, la feule qui convienne dans la circonftance; Tome XXV.

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puifque ces nouveaux bénéficiers furent nommés vaffaux, qui fignifioit alors & qui fignifia encore pendant long-temps des officiers domeftiques. Charles Martel toujours victorieux, & für de la fidélité de fes troupes, regarda les capitaines qui le fuivoient, comme le corps entier de la nation. If méprifa trop Dagobert, Chilpéric & Thieri de Chelles, dont il avoit fait fes premiers fujets, pour leur envier leur titre de roi. A la mort de ce dernier, il voulut que les François n'euffent plus de fouverain en titre; & en mourant, il n'appela point les grands de la nation, mais fes vallaux c'eft-à-dire les capitaines de fes bandes & les officiers de fon palais, pour être témoins du partage qu'il fit entre fes fils Carloman & Pepin, de toutes les provinces de la domination françoise, qu'il regardoit comme fa conquête & fon pa

trimoine.

Pepin fuivit la politique de fon père; il donna des bénéfices aux mêmes conditions. Mais comme Charles Martel avoit dépouillé les églifes pour récompenfer fes foldats, & que tout le clergé formoit des plaintes contre fa mémoire,il crut devoir, ainfi que Charlemagne, prendre des mesures pour calmer les efprits. Ces deux princes agrandirent les juridictions eccléfiaftiques, qui devinrent auffi étendues que celles des feigneurs laïques. On obligea les feigneurs qui poffédoient des terres dans le domaine de l'églife, de contribuer aux réparations des temples, & même de payer la dîme. On força les mêmes feigneurs à renoncer aux droits qu'ils avoient établis fur les prêtres des campagnes, fous prétexte de les protéger. Enfin, on accorda au clergé la dîme générale fur les fruits de la terre, fuivant l'ufage du peuple Juif.

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