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était un petit drapeau tricolore qu'il fallait enlever pour obtenir un anneau d'or destiné pour prix au vainqueur. Plus de 20 jeunes gens s'avancent sur le mât fatal, mais sa surface glissante, le mouvement que lui fait faire le poids de celui qui veut franchir ce trop long espace, l'obligent de tomber ou de se précipiter lui-même dans la rivière. Enfin, paraît un athlète plus agile et plus adroit que tous ceux qui l'avaient précédé, et. conservant l'équilibre jusqu'à l'extrémité du mât, il enlève le drapeau et saute triomphant dans les eaux, aux acclamations universelles et aux accents bruyants d'une musique guerrière qui célèbre la victoire. Après cet exercice vraiment intéressant, le citoyen Franconi, écuyer célèbre, qui est dans nos murs, et qui y a amené un canot armé en guerre, a donné aux habitants d'Angers le spectacle d'un combat naval. Un autre canot a été équipé et armé. Les combattants se sont réciproquement attaqués, défendus, poursuivis. Mais l'adresse des artilleurs de celui qui portait le pavillon tricolore fut bientɔ̃t victorieuse, et la mâture brisée du canot à pavillon rouge força celui-ci de se rendre et de terminer ainsi le combat. Pour être à portée de voir ces exercices de plus près, une foule immense de citoyens des deux sexes remplissait un très grand nombre de barques, ce qui ajoutait infiniment à la beauté du coup d'œil. Après la fête, tout le monde débarqua dans la prairie, et on ne se sépara qu'après avoir témoigné sa joie par des danses longtemps prolongées.

Telle a été la fête du 9 thermidor dans la commune d'Angers. Je vous observerai cependant que la réputation de nos fêtes nationales, qui attire ordinairement des citoyens des départements voisins, avait engagé à venir à celle-ci plusieurs jeunes gens de la commune de Nantes, lesquels ont contribué à sa solennité en se mêlant à nos jeux. Il me semble que la manière avec laquelle ces fêtes se célèbrent à Angers, mérite du gouvernement quelqu'encouragement. L'administration municipale est vraiment digne d'éloges pour le zèle et les soins infinis qu'elle apporte à leur solennité. Le Directoire Exécutif ne pourrait-il pas lui témoigner sa satisfaction? Le département de Maine-et-Loire a, dit-on, peu de rivaux en ce genre. Le gouvernement lui en donnerait sans doute beaucoup en applaudissant à ses fêtes; cette rivalité atteindrait sûrement le but qu'il se propose dans l'établissement des institutions républicaines et serait pour Maine-et-Loire une récompense bien flatteuse. Un autre encouragement plus puissant encore serait d'augmenter les fonds destinés aux dépenses qu'entraînent nécessairement les fêtes

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nationales. Je, vous en ai déjà bien souvent parlé. Déjà je vous ai démontré le grand avantage qui en résulterait en faveur de l'esprit public. Je vous prie de relire encore une lettre du 2 germinal dernier (22 mars 1798) et autres demandes que je vous ai faites dans mes rapports postérieurs relativement à l'établissement d'une chaire de musique dans les Ecoles centrales. Sans la musique, les fêtes nationales perdent leur plus grand agrément, et sans une rétribution honorable celui qui dirige et alimente les concerts par ses productions, ne peut continuer des soins qui lui enlèvent un temps qu'il doit nécessairement ccnsacrer à la subsistance de sa famille.

Cette curieuse lettre, qui nous a été communiquée par M. Vanthier, est conservée aux Archives Nationales (F 17 1296 1).

Lettres de l'abbé Bernier (1801-1805)

Il s'agit du célèbre abbé Bernier, négociateur du Concordat, qui fut signé le 15 juillet 1801. En conséquence de ses services, le Premier Consul lui donna l'évêché d'Orléans. Désigné cardinal « in petto » le 17 janvier 1803, Mgr Bernier mourut le 1er octobre 1806.

Nous publions ci-dessous une série de lettres de l'abbé Be. nier, conservées la plupart dans la riche collection de M. d'Hauterive.

ANNÉE 1801

Au général Girardon, commandant à Angers (Paris, 9 avril). J'ai reçu votre lettre relative au citoyen Meilloc (vicaire général d'Angers). J'en ai parlé de suite à la police. On m'a promis relaxation prochaine. Je l'attends d'une heure à l'autre.

La nouvelle de cette arrestation a contrasté singulièrement avec une autre bien plus gaie. J'ai reçu au même instant et votre lettre et les remercîments du Souverain Pontife pour la statue de Lorette, que le Consul m'a promis de lui envoyer. J'augure pour les affaires religieuses le meilleur et le plus prompt avenir.

ANNÉE 1802

Au général Girardon (Paris, 4 janvier). J'ai vu avec le plus grand plaisir votre rapport sur l'état du département de Maineet-Loire. Il est vraiment extraordinaire que le foyer principal

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des dernières insurrections ne présente aucun crime à punir. Il est donc vrai qu'avec une sage et douce fermeté on triomphe de tout! Le département vous devra à jamais la paix et le bonheur. Je n'irai point à Rome, comme on vous l'a dit. Il n'en est pas question. J'aimerai bien mieux, si je puis, me rapprɔcher de vous. Je ferai pour cet objet tous mes efforts. Ne craignez rien de l'influence du Tribunat pour nos affaires. On n'a nulle envie de les soumettre à la critique. Le Code civil est retiré. On attend des moments et des esprits plus calmes. On a raison. La liberté ne consiste pas à pouvoir fronder tout, sans raison, mais à pouvoir discuter tout sagement, sans être arrêté ou dominé par une influence contraire. Bien des orateurs on! cublié ce principe dans la discussion qui vient d'avoir lieu. Je pense qu'ils vont se reposer, comme dans la dernière session, au moins pendant quelques jours. Je vous écrirai aussitôt que nos affaires seront sur le point d'éclater. Peut-être ferai-je un voyage pendant le séjour du Consul à Lyon. Le préfet (de Maine-et-Loire) est ici, il loge au même hôtel que moi. Je l'ai u deux fois; la conversation a roulé sur des objets indifférents. je vous recommande bien notre pays. Consommez votre ouvrage, malgré tous les contradicteurs.

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A M. Brion, curé de Cirières, vicaire général de La Rochelle (Paris, 1er février). Il y a longtemps, mon cher collègue (l'abbé Bernier était aussi vicaire général de La Rochelle), que je n'ai eu le plaisir de vous écrire, mais l'espace entre nous est bien grand, et mes travaux, pour ainsi dire, le surpassent encore. Cependant je ne vous ai jamais oublié. Toujours présent à mon souvenir, je n'ai pas cessé un instant de m'intéresser à votre sort et de vous suivre d'esprit et de cœur au milieu de vos travaux. Je vous adresse ci-jointe copie certifiée de deux pièces qui vous sont essentielles. La première est l'autorisation du Légat (Caprara) pour continuer vos fonctions. La seconde est un pouvoir de dispenser in matrimoniis contractis etiam in primo gradu. Vous ferez part de ces pièces à nos collègues les autres grands vicaires, pour qu'ils en usent comme nous. Les originaux sont entre mes mains. Le bon prélat (Mgr de Coucy, évêque de La Rochelle, alors en Espagne) peut sans gêne quelconque revenir quand il voudra; l'ordre en est expédié. Adieu, mon cher curé; pardonnez ma précipitation, mais je n'ai pas un moment à moi. Je ne puis que vous dire en courant que je vous suis cordialement et constamment dévoué. (Archives de M. de Curzon, à Poitiers).

Au Premier Consul (Le Lavoir, 16 mai).- (L'évêque d'Orléans rend compte d'une tournée qu'il vient de faire en Vendée). Je leur ai parlé de vous avec l'accent de la reconnaissance et de la vérité. Je les ai yu touchés jusqu'aux larmes. Ils m'ont tous promis l'attachement le plus inviolable à votre personne et au gouvernement. Ce pays est à vous. Toute nuance d'opinion y a disparu. Je suis certain qu'il va voter unanimement pour votre Consulat à vie. C'est peut-être l'hommage le plus flatteur qui puisse être rendu à la sagesse de votre administration. (Catalogue d'autographes de la collection Benjamin Fillon).

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Au général Girardon (Le Lavoir, 13 juin). Je projetais d'aller à Angers lundi. La Fête-Dieu est deux jours après. Votre évêque m'a paru fort indécis sur les cérémonies de ce jour. Je ne veux, en conséquence, y paraître sous aucun rapport. Ainsi je ne paraîtrai que vendredi ou samedi à Angers pour en repartir sans délai pour Paris, où l'on m'annonce que ma présence est nécessaire. Si d'ici à cette époque vous avez occasion de m'écrire un mot sur ce qui se passe à Angers, je vous en aurai une vraie obligation. Je reçois à l'instant les lettres du Gouvernement pour mon retour.

Au même (Orléans, 11 juillet). Je vous ai quitté avec peine. J'ai reçu de vous un accueil qui m'est trop précieux pour jamais l'oublier. Je l'ai bien distingué de celui que m'ont fait certaines autres personnes. La franchise militaire y présidait. Les amis de la victoire ne connaissent pas les ruses de la fourberie. Ils savent marcher droit et faire le bien sans détour. Bourgeois vous dira ce qui s'est passé à Orléans, mais l'idée qu'il vous en donnera sera bien au-dessous de la chose. Je n'ai vu de ma vie pareil enthousiasme (4 juillet). Je ris des efforts que l'on fait pour nous déprécier. Je me félicite de vous être associé. On travaillera en vain et des événements peu éloignés ménageront une leçon assez forte pour qu'on revienne à d'autres principes.

Au même (Orléans, 22 juillet). Je vous écris à la hâte et sous le secret. Je reçois à l'instant un ordre par lequel le Premier Consul me demande un rapport détaillé sur ce qui s'ert passé et se passe à Angers par rapport à l'évêque. Il paraîí vivement irrité contre lui. Je vous prie de me donner en diligence tous les détails qui dépendent de vous ou qui sont à votre connaissance. Je vous en aurai la plus grande obligation. J'arrive de Blois. J'y ai tout réuni, tout pacifié. On pouvait le faire à Angers. On ne l'a pas voulu. La 27° légère a fait les

honneurs militaires de la fête (18 juillet). Le préfet a porté, avec les présidents des tribunaux et la municipalité, les cordons du dais, le soir, à la procession, tandis qu'à Angers le préfet même ne paraît pas à vêpres le jour de l'installation (6 juin). Voilà les hommes ! Bourgeois aura pu vous dire ce qui s'était passé à Orléans (4 juillet). Blois l'a surpassé, quoiqu'il fût le siège de Grégoire. Jugez par là ce qu'on peut faire quand on est impartial. - Je dois partir sous peu de jours pour Paris. Daignez hâter votre réponse.

Au même (Paris, 9 septembre). Je me suis acquitté de suite de la commission que j'avais reçue de votre part. Le Consul a reçu votre demande en faveur de votre frère avec tout l'intérêt possible. Je ne doute nullement de son succès. Le Consul vous aime et vous estime et se fera un plaisir de vous le témoigner dans tous les temps. Il a reçu avec un égal intérêt la demande relative à votre admission dans la Légion d'honneur. Il a ordonné l'inscription de votre nom sur la liste. Voilà donc vos constitutionnels réunis à leur évêque! On leur a fait signer une formule qu'on a envoyée ici et qui a également déplu à Rome et au Gouvernement. Le cardinal (Caprara) a tancé l'évêque (d'Angers). M. Portalis a aussi dit son mot. Pour moi, j'ai ri et me suis tu. Quelle farce que ces demi-rétractations qui ne tiennent ni à un parti ni à l'autre ! Pourquoi ne pas se borner à la formule dictée par le cardinal et y substituer ur écrit de deux pages où la foi et l'opinion sont confondues ensemble et marchent sur la même ligne ? En vérité, on est chez vous à un siècle de ce qui se fait ailleurs ! J'ai vu vos lettres à M. Portalis. Elles lui ont fait plaisir. Elles ont produit du bien. Multipliez ces lettres et elles seront reçues avec le même plaisir.

Au citoyen Nardon, préfet de Maine-et-Loire (Paris, 28 septembre). Je regrette bien de n'avoir pas été à la maison quand vous vous y êtes présenté. J'aurais eu le plus grand plaisir à faire votre connaissance. Vous allez administrer un pays qui m'est cher. Deux partis le divisent l'un tient au système Directorial, l'autre trop longtemps insurgé se façonne avec peine et lenteur au régime actuel. Il est aisé de comprimer les extrêmes de l'un et de l'autre et de rallier ce qui n'est pas exagéré dans l'un et dans l'autre. Votre prudence vous fera discerner les personnes et les moyens. La masse du peuple est bonne. Les campagnes surtout sont excellentes. Le caquetage des sociétés de la ville est parfois dangereux. L'esprit un peu borné et le défaut de connaissances et d'occupations y

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