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faire enlever et conduire à Turin. M. l'Evêque se joint à moi pour cet effet; nous pensons l'un et l'autre que c'est le seul moyen de prévenir ou d'arrêter, dans ce diocèse, cet esprit de dissidence et de trouble qui paraît faire des ravages dans quelques diocèses voisins, dont les anciens Evêques, restés. en terre étrangère, ne rougissent pas de provoquer et de fomenter la résistance ».

Le Ministre répond, le 8 avril, que, d'après les ordres du Gouvernement, Cesvet doit être envoyé dans la maison de discipline ecclésiastique établie à Milan, et trois jours après le préfet ordonne au commandant de la gendarmerie de Maine-et-Loire de l'arrêter.

La gendarmerie se met en marche, mais toutes ses recherches sont vaines. C'est que, d'après une lettre de Nardon à Portalis, du 28 mai, « Cesvet, placé sur les confins de deux dépar'ements voisins, et passant alternativement de l'un à l'autre, se soustrait aisément à toutes les poursuites ». Le préfet termine sa lettre en priant le Ministre d'écrire aux préfets des DeuxSèvres et de la Vendée de faire surveiller et arrêter ce prêtre turbulent et séditieux s'il met le pied dans leurs départements.

Dans une lettre écrite, le 14 août 1803, au préfet de Maineet-Loire par M. Bergevin, curé de La Tessoualle, on trouve des détails qui nous aident bien à comprendre les difficultés d'alors : « Nous sommes dans la position la plus critique. Nous bornons le diocèse de Poitiers. M. l'Evêque de ce lieu n'a rien organisé dans la partie qui nous borne, ce qui donne champ libre à quelques prêtres de ce diocèse de troubler la conscience de plusieurs de nos habitants: 1) qu'ils doivent être toujours attachés à M. de Coucy, ancien évêque de La Rochelle, 2) des doutes sur la légitime élection du Pape. D'autres un peu moins tranchants leur donnent à penser que les Bulles qu'on voit cir• culer en France, ont été fabriquées par le Gouvernement, et à moins d'avoir des preuves certaines on doit être inviolablement attaché à son ancien Evêque. Ce qui fait en ce malheureux pays une espèce de schisme, bien préjudiciable à la religion et qui pourrait refluer sur la paix de l'Etat. Il serait à souhaiter que le Ministre des Cultes donnât ordre à M. l'Evêque de Poitiers de faire publier dans cette partie de son diocèse le Concor dat, l'ordre de prier pour la République et les Consuls,, et prêter le serment de fidélité (1). Pour lors, on connaîtrait les brouillons et tous les prêtres n'ayant qu'une même discipline. Les doutes des peuples cesseraient ».

(1) Cette cérémonie ne se fit, à Thouars, que le 31 janvier 1804.

En novembre 1803, M. Avrillon retourna aux Cerqueux, mais il fallut pour cela l'insistance et de l'évêque et du préfet. Car, le 30 septembre, Mgr Montault écrivait à Nardon : « Je vous prie de donner audience au citoyen Avrillon, qui désire vous parler. Il est important que vous vous réunissiez à moi. pour le déterminer à se rendre aux Cerqueux. Nous aurons par ce moyen la paix dans cette paroisse ».

Il y avait un an qu'on cherchait M. Cesvet, et on n'était pas plus avancé que le premier jour.

Le 14 mars 1804, l'évêque mandait au préfet : « Je reçois une lettre de M. Avrillon. Il n'a dans sa paroisse ni logement ni paiement. M. Cesvet, prêtre insoumis, exerce en secret et l'empêche d'avoir la confiance des habitants. Si on ne lui donne pas de quoi vivre, il va être obligé de quitter cette paroisse après les Pâques et de se retirer dans sa famille. Je vous prie de vouloir bien donner vos ordres pour que votre arrêté soit exécuté. Il serait à propos de faire un exemple et d'envoyer à Turin le prêtre Cesvet. Il m'avait promis de ne plus se mêler de cette paroisse, et il ne tient point sa promesse. I! est très important dans ces cantons qui avoisinent les Deux-Sèvres, que les opinions de ces prêtres insoumis ne se propagent pas. Elles mettraient infailliblement le trouble dans votre département ».

La lettre suivante, écrite par M. Avrillon au sous-préfet de Beaupréau, le 23 mars, donne des détails plus complets sur le schisme de la Petite Eglise aux Cerqueux : « Dans ma dernière, je vous marquais que j'étais sans revenus, sans logement, et que les trois quarts et demi des habitants ne venaient pas écouter mes avis. Je vous répète aujourd'hui la même chose, et vous dis qu'ils sont entêtés dans leurs sentiments plus que jamais. M. Cesvet les entretient toujours dans leur façon de penser, et ce qui va mettre le comble à mes peines, c'est que la plupart des prêtres voisins sont disposés à refuser la soumission. Il y en a déjà de cachés ou de retirés dans leurs familles. Le prêtre des Aubiers et celui de Saint-Aubin, mes plus proches voisins, ont travaillé tout le carême à faire faire la Pâque, preuve convaincante qu'ils ne veulent pas se soumettre. La paroisse des Cerqueux a pleine confiance en ces deux prêtres. Ainsi, s'ils refusent la soumission, comme il paraît par leur manière d'agir, ma paroisse va être plongée dans l'erreur plus que jamais. Mon ménage est encore à Bourgneuf avec ma domestique.

Il y avait aux Cerqueux une Vraie Croix qui attirait beaucoup d'étrangers et profitait beaucoup à la fabrique. On me l'a toujours cachée, avec un calice, un ornement et plusieurs livres. Jusqu'à ce jour le fabriqueur et le sacristain n'ont pas voul 1 venir à mes offices. En arrivant aux Cerqueux, le fabriqueur était nanti d'un calice, d'un grand et petit ciboires, d'un soleil, de deux aubes, etc. Ne devrait-il pas répondre du reste? Lorsque je lui demande ce qui est absent, il me dit de le demander à la paroisse. Que je le demande à la paroisse, elle me dira qu'elle n'en a point connaissance. Je vois bien que le sieur Cesvet s'en sert dans sa retraite. Mais où le prendre, et comment faire pour faire revenir tout cela? Depuis quatre mois que je suis aux Cerqueux, je n'ai fait qu'une sépulture, dimanche dernier, où j'ai eu toute la honte et l'humilité possible. La famille eut beaucoup de peine à trouver des porteurs, de peur de participer à mon schisme. Quand je fus faire la levée du corps, sous la galerie, la majeure partie se retira dans les maisons de leurs sentiments; et lorsque je fus sorti du cimetière, ils allèrent au cimetière prier Dieu pour la défunte. Pour les porteurs, après avoir déposé le corps dans l'église, ils sortirent à la porte, et rentrèrent quand il fallut porter le corps en terre. -Depuis que je suis de retour, le prêtre de Saint-Aubin a baptisé deux enfants de ma paroisse, et celui des Aubiers un autre, et le tout à mon insu et sans ma permission. Jugez de ma situation, et si j'ai lieu d'être satisfait. Mettez donc fin à mes peines d'une manière ou de l'autre. Votre silence à e répondre prouve que vous êtes dans le dessein de venir aux Cerqueux-de-Maulévrier, ou que vous voulez supprimer la paroisse ».

Le 2 avril, le sous-préfet de Beaupréau révélait au préfet une circonstance aggravante pour le prêtre poursuivi : « A l'époque de la dernière conscription, je parvins à faire ven'r pendant la nuit, à Cholet, le nommé Cesvet, ex-curé des Cerqueux, alors sous le coup d'un mandat d'arrêt. Je lui prom.s sa liberté, s'il consentait à installer lui-même le desserva t nommé par l'évêque d'Angers, et à se retirer ensuite à Loudun, son pays natal. Il me promit ces deux choses, et je lui remis, avec un sauf-conduit,, une lettre à votre adresse par laquelle je vous faisais part de cet arrangement, en vous invitant à y donner la main. Votre silence m'a fait présumer depuis que Cesvet ne vous avait point remis ma lettre, et je suis d'autant plus porté à le croire que, d'après les plaintes formulées du desservant actuel, il est probable que cet individu est encore

dans une commune voisine des Cerqueux. Il est inconcevable qu'on tarde si longtemps à organiser le clergé dans le diocèse de Poitiers; il en peut résulter les plus grands inconvénients. Je n'attends que votre réponse pour me rendre aux Cerqueux, où, entre autres mesures, je me propose de faire fermer l'église, si les habitants ne veulent pas se réunir à leur desservant légitime ».

Il n'y avait plus à hésiter: il fallait un redoublement de poursuites. Le préfet écrit, le 9 avril, au Ministre de la Justice : « Je vous adresse les deux lettres que je viens d'écrire au souspréfet de Beaupréau et au capitaine de gendarmerie pour parvenir à l'arrestation du prêtre Cesvet, ecclésiastique insoumis, turbulent et factieux, exerçant mystérieusement ses fonctions aux Cerqueux-de-Maulévrier. Cet homme, que je reconnais pour l'un des agents des évêques rebelles, qui loin de leurs diocèses soufflent l'esprit de discorde dans le sein du troupeau qu'ils ont abandonné, cet homme, dis-je, paraît obtenir une protection plus spéciale à raison de la proximité de l'ancien Poitou, limitrophe du département des Deux-Sèvres et de la Vendée, dans lesquels le clergé n'a pu encore être amené à une soumission parfaite aux articles du Concordat. Cette incohérence tend

entraver la marche des affaires ecclésiastiques et à faire tourner en opposition aux vœux du gouvernement le rétablis sement du culte spécialement décidé à le seconder ».

Le sous-préfet de Beaupréau se mit en mouvement, et le 12 juillet il rendait compte à la préfecture de ses opérations : « J'arrive des Cerqueux, où ma présence devenait de plus en plus nécessaire. J'ai été loin de trouver cette paroisse dans les dispositions heureuses où sont toutes celles de mon arrondissement. Vous n'en pourrez être surpris, si vous considérez qu'elle faisait autrefois partie du diocèse de La Rochelle, do it l'évêque insoumis alimente, par les écrits les plus séditieux, l'entière désorganisation. - Cesvet, ancien curé des Cerqueux, est un des plus fidèles agents de cet évêque. C'est lui qui publie ses mandements, qui les fabrique peut-être, et qui, lorsqu'on prêta le serment de fidélité à l'Empereur, disait ha1tement avoir reçu des ordres pour le prêter aux Bourbons. Cet homme est la seule cause des dissensions de la commune. Je me suis assuré qu'il y était craint, et si on pouvait mettre la main sur lui, les esprits seraient bientôt réunis. J'ai tous les renseignements à cet effet, et je tâcherai de vous l'envoyer incessamment. En matière de religion, la conduite de l'administration doit être guidée par la grande douceur. Aussi me suis-je

borné à m'entourer des habitants les plus recommandables, même parmi les réfractaires. J'ai fait quelques aumônes publiques. J'ai surtout beaucoup menacé de réunir la commune si, sous trois semaines, tous n'étaient pas réunis au curé actuel. Le percepteur Bonnin étant un des plus affidés partisans de Cesvet, je l'ai provisoirement destitué ».

Nouvelle lettre du sous-préfet, le 21 août : « Les habitants des Cerqueux, seule commune schismatique de mon arrondissement, reviennent peu à peu à leur nouveau desservant. J'ai cru que la douceur unie à la fermeté ferait cesser dans cette commune toute querelle religieuse. J'ai pour principe qu'il ne faut pas persécuter en matière de foi. Mais le curé Cesvet, premier agent de l'évêque de La Rochelle, échappe toujours à nos recherches. Il me faudrait de l'argent et je n'ai pas un sou disponible. On pourrait se concerter, pour l'arrestation de Cesvet, avec le préfet des Deux-Sèvres. Il n'y a aucune espèce d'insurrection à craindre des habitants de cette commune ».

On piétinait donc toujours sur place. Tout à coup une idée lumineuse jaillit dans la tête du bon sous-préfet de Beaupréau : changer M. Avrillon, le curé légitime, pour le remplacer par un prêtre plus jeune ! Il mandait, le 23 août, au préfet: « Le jour de l'Assomption, une femme des Cerqueux-de-Maulévrier a forcé le tabernacle de l'église et en a enlevé la vraie Croix. Cet incident n'ajoute rien à la situation de cette commune, sous le rapport de la tranquiilité publique. Il doit vous confirmer la nécessité d'y réunir le plus promptement possible les esprits divisés et aigris par un prêtre incendiaire. - Les mesures que le Gouvernement a prises dans le diocèse de Poitiers, ont déjà rappelé cinq ou six ecclésiastiques égarés. Les seules communes des Aubiers et des Cerqueux sont agitées, l'une par un nommé Brunet, qui, de concert avec Cesvet, intimide les habitants et répand dans les environs les bruits les plus absurdes, l'autre, desservie par M. Avrillon, homme trop âgé pour une telle desservance, craint encore Cesvet qui y trouve quelques asiles. Il est étonnant que Brunet ne soit pas remplacé aux Aubiers par un prêtre qui ait quelques moyens. Je croirais nécessaire pour le moment que M. l'évêque d'Angers envoyât aux Cerqueux un ecclésiastique adroit et plus entreprenant que M. Avrillen, dont le zèle n'est pourtant pas refroidi par l'âge. Si vous ne mettez pas quelques fonds à ma disposition pour dépenses secrètes dans cette commune, je ne pourrai faire arrêter Cesvet ».

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