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Ces procès-verbaux sont conservés dans les archives du presbytère de Saint-Laurent-sur-Sèvre (Vendée).

L'Oratoire et le Jansénisme en Anjou (1717-1749)

C'est le 8 septembre 1713 que Clément XI promulgua la Bulle Unigenitus, à la demande de Louis XIV. Elle censurait 101 propositions extraites des Réflexions morales, et elle frappait du même coup le livre et son auteur, l'oratorien Quesnel, qui, depuis que son maître, le grand Arnauld, avait rendu entre ses bras le dernier soupir, était le chef incontesté du jansénisme.

Acceptée purement et simplement par une assemblée de cardinaux archevêques et évêques, tenue à Paris, du 15 janvier au 1er février 1714, la Bulle fut le 10 avril suivant promulguée par Monseigneur Poncet de la Rivière, évêque d'Angers. Dans son synode du 16 mai 1714, le zélé prélat prononça un discours éloquent contre le jansénisme. Le 2 janvier 1716, la Faculté de Théologie d'Angers reçut à l'unanimité la Bulle de Clément XI. Dans un Bref, daté du 1er mai 1716, le Pape félicita l'évêque d'Angers et la Faculté de Théologie de leur attachement à la saine doctrine.

Monseigneur Poncet de la Rivière partit pour Paris le 16 novembre 1716 et ne revint que le 7 mai 1717. C'est à sa maison d'Éventard (Écouflant) qu'il descendit. A peine y était-il arrivé, qu'il apprit que les Oratoriens d'Angers avaient, le 14 avril précédent, appelé au futur Concile de la bulle Unigenitus, devant Thibaudeau, notaire à Angers; pour mieux cacher leur jeu, ils avaient retiré la minute, qu'ils réservaient devers

eux.

Dès le lendemain de l'arrivée du prélat à Éventard, les Pères de l'Oratoire « eurent l'audace de l'aller congratuler », dit Lehoreau. Mais la réception ne fut rien moins que brillante. On en jugera par le récit de la conversation, tel qu'il est consigné dans les papiers de Joseph Grandet, curé de Sainte-Croix d'Angers:

« Le samedi huitième de mai 1717, sur les onze heures du matin, le Père supérieur de l'Oratoire alla, accompagné de deux de ses Pères, rendre visite à Monseigneur d'Angers, à Éventard. Sa Grandeur, après les avoir salués, tira le Père supérieur à quartier et lui dit : Vous venez apparemment, Monsieur, me demander mon agrément pour me fatre signifier votre adhé

sion à l'appel au futur concile. Le supérieur, fort étonné, lui dit: Monseigneur, qui est-ce qui vous a dit cela? Sa Grandeur lui dit Monsieur, il n'est plus temps de dissimuler; je sais que vous avez adhéré à l'appel, par acte passé devant Thibaudeau, du mois d'avril dernier. Le supérieur lui dit : Cela est vrai, mais la minute n'est pas chez le notaire; nous l'avons prise. Monseigneur lui dit : Monsieur, je me mets fort peu en peine de cet acte; je ne voulais que savoir vos sentiments, que cette démarche ne me fait que trop connaître. Je ne suis pas surpris que vous ayez manqué de religion et de probité; les gens de parti n'en ont point, et je n'en cherche pas parmi ceux du vôtre. Mais je suis surpris que vous ayez porté l'ingratitude au point où vous l'avez portée. Je ne vous ai pas fait tout le bien que j'ai voulu, mais je vous ai fait tout celui que j'ai pu, et je vous ai fait du bien dans le temps que je pouvais faire ma cour en ne vous en faisant pas. Il faut que vous soyez fou pour m'avoir fait cela; car il n'y a point de diocèse en France où vous ayez trois maisons comme vous les avez dans le mien (collège d'Anjou, Notre-Dame des Ardilliers, collège de Saumur). Vous tenez tous vos pouvoirs de moi et vous en dépendez entièrement. Je vous déclare que je vous les révoquerai; je ne veux point de semblables ouvriers dans mon diocèse, qui ne sont bons qu'à mettre le trouble et la division. Avez-vous quelque droit sur l'épiscopat ? Faut-il que j'aille vous consulter sur ce que je dois faire dans mon diocèse; et je verrai bientôt comment roulera l'entreprise de Notre-Dame de Saumur, car il n'y a que les dévotions de cette église qui la font aller. Après de tels compliments, Sa Grandeur leur a dit adieu, sur les onze heures et demie. »>

Le 10 mai, Monseigneur Poncet fit signifier aux Oratoriens d'Angers interdiction de confesser et de prêcher dans tout son diocèse. Le 11, les Prêtres de l'Oratoire firent signifier au prélat un appel comme d'abus et qu'ils en appelaient au premier concile. Le 12, l'interdiction de prêcher et de confesser fut signifiée aux Oratoriens de Saumur.

L'année suivante, les Prêtres de l'Oratoire de Saumur causèrent du scandale en faisant soutenir par leurs jeunes Pères, dans leur maison des Ardilliers, les 23 et 29 août 1718, une thèse remplie d'erreurs sur les matières de la grâce. Le professeur de théologie de cette maison se nommait le P. Julien de Gennes, janséniste exalté. En tournée pastorale au moment même où cette thèse se soutenait, Monseigneur Poncet ne tarda pas à être informé. Dès le 30 septembre, il publia un mandement pour la

condamner, comme l'avait fait l'Université d'Angers le 15 du même mois.

Au mois de mars 1719, Monseigneur Poncet fit imprimer un ouvrage ayant pour titre : Réflexions consolantes. Il parlait en ces termes de l'Oratoire : « Que voyez-vous parmi eux (les jansénistes appelants)? Des membres d'une Congrégation obligée par son institut à être plus attachée et plus soumise que toute autre aux évêques, se révolter contre eux, contrevenir à leurs ordres, s'ériger en juges de leur doctrine, mépriser leurs censures, s'en relever pour ainsi dire de leur propre autorité, ou chercher dans les tribunaux laïcs une absolution que leur repentir seul peut leur mériter et que l'Église seule a droit de leur

accorder. »

Les Oratoriens restèrent sans pouvoirs dans le diocèse d'Angers jusqu'en 1749. Nous en trouvons un écho dans les Nouvelles ecclésiastiques, journal officiel de la secte du jansénisme, << triste feuille, dit Sainte-Beuve, dans laquelle, durant tout le XVIIIe siècle, il ne se rencontra pas une seule étincelle de talent, pas une lueur d'impartialité ? » (Port-Royal, tome III (3° édition), page 130).

On lit donc dans les Nouvelles ecclésiastiques, du 25 septembre 1750 :

« M. de Vaugirauld, évêque d'Angers, ayant appris au commencement du mois d'octobre 1749 de M. de Mirepoix lui-même l'acceptation que les Pères de l'Oratoire venaient de faire de la Bulle Unigenitus, dans leur assemblée du mois précédent, en fit part aux différentes communautés de son diocèse et à tous les particuliers de la ville qu'il avait occasion de voir. Je vais mourir content, disait-il, les Pères de l'Oratoire n'ont qu'à venir, je ne puis plus leur rien refuser. Autrefois le zélé prélat aurait tenu en vain un pareil langage. Les anciens Pères de l'Oratoire ne savaient ce que c'est que de se présenter ou pour être admis aux saints ordres ou pour obtenir des pouvoirs. Quiconque l'eût fait, aurait été par cela seul jugé indigne d'être admis. Le Père Renaut lui-même, aujourd'hui supérieur de la maison d'Angers, avait été élevé dans ces principes. Mais soit qu'il les ait oubliés ou qu'il ait ses raisons pour passer pardessus, il se présenta et fut très bien accueilli. Il n'eut pas néanmoins toute la satisfaction qu'il avait espérée; car, outre l'acte d'adhésion à l'assemblée du mois de septembre, l'Évêque, toujours sur ses gardes, exigea encore, pour plus de grande sûreté, la révocation de l'appel autrefois interjeté par les Pères de l'Oratoire d'Angers (1717). La proposition était embarrassante. Com

ment, en effet, se charger de révoquer un acte auquel on n'a point eu de part? Le P. Renaut le sentit et prit tout simplement le parti de le faire déclarer nul par un acte de soumission, signé du plus grand nombre des sujets de sa communauté. Étaitil plus en son pouvoir de l'annuler que de le rétracter? Il ne laissa pas à ce prix d'obtenir des pouvoirs, premièrement pour lui-même et ensuite pour trois autres prêtres dont deux ne sont que depuis peu dans la Congrégation; et de ces deux, l'un occupe aujourd'hui la place de préfet, que certainement il n'eût point occupée dans les beaux jours de l'Oratoire. L'autre est un certain Père Maimart, professeur de philosophie, que quelquesuns prétendent avoir été renvoyé de chez les Doctrinaires; s'il n'a pas eu cette confusion, il paraît du moins l'avoir méritée tant par son extérieur mondain que par sa scandaleuse précipitation en célébrant les saints mystères. M. l'évêque d'Angers lui-même en avait porté anciennement ses plaintes à son supérieur. Mais la soumission à la Bulle a fait disparaître ces défauts; et si le nouveau mérite que cette soumission lui a acquis ne lui suffit pas, il a encore, à ce qu'on assure, celui de s'être fait pendant les vacances dernières ce qu'on appelle franc-maçon.

«De tels hommes sont dignes de la Bulle, mais ils font semblant quelquefois de n'avoir pour elle qu'un souverain mépris. On peut en juger par ce trait. Le P. Renaut, supérieur des Pères de l'Oratoire d'Angers, voulant faire signer aux régents de son collège ce que ces Pères nomment le Billequin (1), il les fit venir dans sa chambre les uns après les autres. Lorsqu'il en fut au régent de sixième, il lui dit : Il s'agit, Père Sixième, d'appeler au futur concile de la Bulle « Unigenitus », je viens de le faire avec la communauté. Voyez, ajouta-t-il, en montrant son billequin. Mais, mon Père, dit le régent, je ne suis point instruit sur ces matières. - N'importe, répond le grave supérieur, je l'ai fait. - Allons, dit le pauvre petit régent, je le veux bien. Le P. Renaut, éclatant de rire, répliqua Il s'agit de recevoir la Constitution et de regarder l'appel comme nul. Mais, dit encore le jeune confrère, je ne sais pas de quoi il s'agit (2). Faites, faites, dit le supérieur, unissez-vous à

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(1) Le Père préfet du collège d'Angers a nommé ainsi par mépris la pancarte qu'il a lui-même signée et que le supérieur a fait signer dans le collège en faveur de la Constitution. Billequin, dans le langage de ce souscripteur, veut dire chiffon, ce qui a fait donner dans cette maison la dénomination de billequinistes à tous ceux qui ont eu la lâcheté de se prêter à cette indigne manoeuvre (Nouvelles ecclésiastiques).

(2) Il n'était pas le seul », disent les Nouvelles ecclésiastiques.

nous. Après quelques faibles résistances, le jeune homme donna son nom et l'acte fut porté à M. de Vaugirauld. Est-ce ainsi qu'on traite les affaires de religion, et se conduire de la sorte n'est-ce pas trahir sa cause?

« Dans le temps que ce supérieur faisait signer aux membres de sa communauté le billequin dont on vient de parler, l'un d'eux se trouvait absent. M. de Vaugirauld, qui craignait que l'acte ne restât incomplet, fit venir cet Oratorien aussitôt qu'il le sut de retour. Mais celui-ci s'étant d'abord excusé fort poliment de signer, entra ensuite en matière et fit voir au prélat les monstrueuses conséquences qui résultent de l'acceptation de la Bulle. Les excès du Pichonisme ne furent pas oubliés. On ignore ce que répondit M. l'évêque d'Angers; ce qu'on sait, c'est qu'il avoua que les sentiments de l'Oratoire étaient en détail bons et catholiques, c'est-à-dire, selon la réflexion qui fut faite sur les lieux, qu'il était catholique en détail et janséniste en gros. Il s'en retourna sans pouvoirs.

<< M. de Vaugirauld voulant montrer au supérieur son entière satisfaction, lui promit d'assister au sermon dans son église le jour de la fête des Grandeurs de Jésus et d'y donner la bénédiction. Une légère indisposition l'ayant empêché de tenir sa parole, M. Frain de la Vrillière, doyen de la cathédrale, le remplaça et dîna à l'Oratoire, accompagné de trois autres grands vicaires. Mais le P. Renault eut soin de n'admettre à leur table que les deux régents de logique et de seconde. La raison de cette préférence n'est point le mérite des deux personnages. Le premier est, selon les propres termes du supérieur, un vrai comédien, l'autre un maître étourdi. Mais ce comédien et cet étourdi sont aveuglément dévoués à la Bulle, ils entrent dans toutes les vues du supérieur. Le P. Maimart, l'un des deux, prêcha le jour même. Quoique son sermon, à ce qu'on dit, vint de Paris, il fut trouvé si plat et d'ailleurs si mal débité qu'on lui en fit tout l'honneur. Il prêcha encore quelque temps après pour les prières de Quarante heures, et le succès ne fut pas plus heureux. Le supérieur eut la mortification de s'entendre dire à lui-même : Votre philosophe prêche avec trop d'effronterie, il ne respecte pas la parole de Dieu. »

Les Nouvelles ecclésiastiques du 12 juin 1753 reparlent de l'Oratorien d'Angers qui avait refusé, à la fin de 1749, de s'unir à la communauté en signant l'acceptation de la Bulle, soumission qui avait réconcilié les Oratoriens avec l'évêque : « On fit au fidèle contraire toutes sortes de promesses et spécialement celle d'un dimissoire pour les ordres et d'une supériorité. Trop

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